Traité sur les apparitions des esprits/II/59

CHAPITRE LIX.

Concluſion de cette Diſſertation.

POur reprendre en peu de mots tout ce que nous avons rapporté dans cette Diſſertation, nous y avons montré, qu’une réſurrection proprement dite d’une perſonne morte depuis un tems conſidérable, & dont le corps étoit ou corrompu, ou puant, ou prêt à ſe corrompre, comme celui de Pierre enterré depuis trois ans, & reſſuſcité par ſaint Staniſlas, ou celui de Lazare, qui étoit depuis quatre jours dans le tombeau, & déja ſentant une odeur cadavéreuſe, qu’une telle réſurrection eſt un ouvrage de la ſeule toute-puiſſance de Dieu.

Que des perſonnes noyées, tombées en ſyncope, en léthargie, ou extaſiées, ou tenues pour mortes, de quelque maniere que ce ſoit, peuvent être guéries & rappellées à la vie, à leur premiere ſanté ſans aucun miracle, mais par les ſeules forces de la Médecine, ou par une induſtrie naturelle, ou par la patience, attendant que la nature ſe rétabliſſe d’elle-même en ſon premier état, que le cœur reprenne ſon mouvement, & que le ſang coule librement de nouveau dans les artères, les veines, & les eſprits vitaux & animaux dans les nerfs.

Que les Oupires, ou Vampires, ou Revenans de Moravie, de Hongrie, de Pologne, &c. dont on raconte des choſes ſi extraordinaires, ſi détaillées, ſi circonſtanciées, revêtues de toutes les formalités capables de les faire croire, & de les prouver même juridiquement par devant les Juges, & dans les Tribunaux les plus ſévéres & les plus exacts ; que tout ce qu’on dit de leur retour à la vie, de leurs Apparitions, du trouble qu’elles cauſent dans les villes & dans les campagnes, de la mort qu’ils donnent aux perſonnes en leur ſuçant le ſang, ou en leur faiſant ſigne de les ſuivre, que tout cela n’eſt qu’illuſion, & une ſuite de l’imagination frappée & fortement prévenue. L’on ne peut citer aucun témoin ſenſé, ſérieux, non prévenu, qui puiſſe témoigner avoir vû, touché, interrogé, ſenti, examiné de ſang froid ces Revenans, qui puiſſe aſſurer la réalité de leur retour, & des effets qu’on leur attribue.

Je ne nierai point, que des perſonnes ne ſoient mortes de frayeur, s’imaginant voir leurs proches qui les appelloient au tombeau ; que d’autres n’ayent crû ouir frapper à leurs portes, les harceler, les inquiéter, en un mot leur cauſer des maladies mortelles ; & que ces perſonnes interrogées juridiquement, n’ayent répondu qu’elles avoient vû & oui ce que leur imagination frappée leur avoit repréſenté. Mais je demande des témoins non préoccupés, ſans frayeur, ſans intérêt, ſans paſſion, qui aſſurent après de ſérieuſes réflexions, qu’ils ont vû, oui, interrogé ces Vampires, & qu’ils ont été témoins de leurs opérations ; & je ſuis perſuadé qu’on n’en trouvera aucun de cette ſorte.

J’ai en main une lettre, qui m’a été écrite de Varſovie le 3 Février 1745. par M. Sliviski, Viſiteur de la Province des Prêtres de la Miſſion de Pologne. Il me mande qu’ayant étudié avec grand ſoin cette matiere, & s’étant propoſé de compoſer ſur ce ſujet une Diſſertation Théologique & Phyſique, il avoit ramaſſé des Mémoires dans cette vûe ; mais que les occupations de Viſiteur & de Supérieur de la maiſon de ſa Congrégation de Varſovie ne lui avoient pas permis d’exécuter ſon projet. Qu’il a depuis recherché inutilement ces Mémoires, qui probablement ſont demeurés entre les mains de quelques-uns de ceux à qui il les avoit communiqués. Qu’il y avoit parmi ces Mémoires deux réſolutions de Sorbonne, qui défendoient l’une & l’autre de couper la tête, & de ſévir contre les corps des prétendus Oupires. Il ajoûte qu’on pourroit trouver ces déciſions dans les Regiſtres de Sorbonne, depuis l’an 1700. juſqu’en 1710. Je rapporterai ci-après une déciſion de Sorbonne ſur ce ſujet de l’an 1693.

Il dit de plus, qu’en Pologne on eſt ſi perſuadé de l’exiſtence des Oupires, qu’on regarderoit preſque comme Hérétiques ceux qui penſeroient autrement. Il y a pluſieurs faits ſur cette matiere qu’on regarde comme inconteſtables, & l’on cite pour cela une infinité de témoins. Je me ſuis, dit-il, donné la peine d’aller juſqu’à la ſource, & d’examiner ceux qu’on citoit pour témoins oculaires ; il s’eſt trouvé, qu’il n’y a eu perſonne qui osât affirmer d’avoir vû les faits dont il s’agiſſoit, & que ce n’étoient que des rêveries & des imaginations cauſées par la peur, & par des diſcours mal fondés. C’eſt ce que m’écrit ce ſage & judicieux Prêtre.

J’ai encore depuis reçu une autre lettre de Vienne en Autriche écrite le 3 Août 1746 par un Baron Lorrain[1], qui a toujours ſuivi ſon Prince. Il me dit qu’en 1732. ſa Majeſté Impériale, alors ſon Alteſſe Royale de Lorraine, ſe fit donner pluſieurs procès-verbaux ſur des cas arrivés en Moravie : je les ai encore, les ai lûs & relûs, & à dire vrai, je n’y ai pas trouvé l’ombre de vérité, ni même de probabilité de ce qui étoit avancé. Ce ſont cependant ces actes que l’on regarde

en ce pays-ci comme l’Evangile.

  1. M. le Baron Touſſaint.