Traité sur les apparitions des esprits/II/50

CHAPITRE L.

Exemples de perſonnes qui s’extaſient quand
elles veulent, & qui demeurent ſans
aucun ſentiment.

JErôme Cardan dit[1] qu’il tomboit extaſié quand il vouloit : il avoue qu’il ignore ſi, comme le Prêtre Prétextat, il ne ſentiroit pas de grandes bleſſures ; mais il ne ſentoit ni la douleur de la goutte, ni les tiraillemens qu’on lui faiſoit. Il ajoute : le Prêtre de Calame entendoit la voix de ceux qui crioient autour de lui, mais comme de fort loin. Pour moi, dit Cardan, j’entends la voix, mais légerement & ſans comprendre ce que l’on dit. Et quand je veux m’extaſier, je ſens autour du cœur comme une ſéparation de l’ame du reſte de mon corps, & cela ſe communique comme par une petite porte à toute la machine, principalement par la tête & par le cervelet. Alors je n’ai point de ſentiment, ſinon que je ſuis hors de moi-même.

On pourroit rapporter ici ce qu’on raconte des peuples de la Laponie[2], qui lorſqu’ils veulent apprendre ce qui ſe paſſe fort loin du lieu où ils ſont, envoient leurs Démons ou leurs ames par le moyen de certaines cérémonies magiques, & par le ſon d’un tambour ſur lequel on frappe, ou ſur un bouclier peint d’une certaine maniére ; puis tout d’un coup le Lapon tombe en extaſe, & demeure comme ſans vie & ſans mouvement, quelquefois pendant vingt-quatre heures. Mais il faut qu’il demeure pendant tout ce tems quelqu’un auprès de lui pour empêcher qu’on ne le touche, qu’on ne l’appelle, & qu’on ne l’éveille : le mouvement même d’une mouche le réveilleroit, & alors on dit qu’il mourroit auſſi-tôt, ou ſeroit emporté par le Démon. Nous en avons déja parlé ci-devant, dans la Diſſertation ſur les apparitions.

Nous avons auſſi remarqué que les ſerpens, les vers, les mouches, les eſcargots, les marmottes, les loirs demeurent comme morts pendant tout l’Hiver ; qu’on a trouvé dans des blocs de pierre des crapaux, des ſerpens & des huitres vivantes qui y étoient enfermés depuis pluſieurs années, & peut-être depuis plus d’un ſiécle. Le Cardinal de Retz dans ſes Mémoires raconte[3], qu’étant à Minorque, le Gouverneur de l’Iſle fit tirer du fond de la mer à force de bras & de cables, des rochers, qui étant rompus à grands coups de maſſes, renfermoient des huitres vivantes qu’on lui ſervit à table, & qui furent trouvées très-bonnes.

On trouve ſur les côtes de Sicile, de Malthe, de Sardaigne, d’Italie, &c. des poiſſons nommés Dactiles, ou Dattes, ou Dales, parce qu’ils ont la forme de dattes de palmiers ; ce poiſſon s’inſinue dans la pierre par un trou, qui n’eſt pas plus grand que le trou que fait une aiguille. Lorſqu’il y eſt entré, il ſe nourrit de la pierre, y groſſit de ſorte qu’il n’en peut plus ſortir, à moins que l’on ne caſſe la pierre, & qu’on ne l’en tire. Alors on le lave, on le nettoie, & on le fait cuire pour le ſervir à table. Il a toute la figure d’une datte de palmier, ou du doigt de la main, d’où lui vient le nom de Dactylos, qui en Grec ſignifie doigt.

Je ſuppoſe encore que dans pluſieurs perſonnes la mort eſt cauſée par la coagulation du ſang, qui ſe géle & ſe fige dans leurs veines, comme il arrive dans ceux qui ont mangé de la ciguë, ou qui ont été mordus par certains ſerpens. Mais il y en a d’autres, dont la mort eſt cauſée par une trop grande ébullition de ſang, comme dans les maladies aiguës, & dans certains poiſons, & même, dit-on, dans certaines eſpéces de peſtes, & quand on eſt mort d’une mort violente, ou qu’on a été étouffé dans les eaux.

Ces premiers morts ne peuvent revenir à la vie ſans un miracle évident ; il faudroit pour cela rétablir la fluidité du ſang, & rendre au cœur ſon mouvement périſtaltique. Mais dans le ſecond genre de mort, on peut quelquefois les faire revivre ſans miracle, en levant l’empêchement qui retarde le mouvement du cœur, ou qui le ſuſpend, comme nous voyons dans les pendules à qui l’on rend le mouvement en ôtant un corps étranger, un cheveu, un bout de fil, un atôme, un corps preſqu’imperceptible qui les arrête.

  1. Hieron. Cardanus, l. 8. de varietate rerum, c. 34.
  2. Olaus mag. l. 3. Epitom, Hiſt. ſeptent. Perecer de variis divinat. generib. pag. 282.
  3. Mémoires du Cardinal de Retz, tom. 3. l. 4. p. 297.