Traité sur les apparitions des esprits/II/41

CHAPITRE XLI.

Divers exemples de perſonnes enterrées encore
vivantes.

PLutarque raconte, qu’un homme étant tombé de haut ſur ſon col, on le crut mort, ſans qu’il eût la moindre apparence de bleſſure. Comme on le portoit en terre au bout de trois jours, il reprit tout-à-coup ſes forces & revint à lui. Aſclepiade[1] ayant rencontré un grand convoi d’une perſonne qu’on portoit en terre, obtint de voir & de toucher le mort : il y trouva des ſignes de vie, & par le moyen de quelques remédes il le rappella ſur le champ & le rendit ſain à ſes parens.

Il y a pluſieurs exemples de perſonnes qui ayant été enterrées, ſont revenues enſuite, & ont encore vêcu long-tems en parfaite ſanté. On raconte en particulier[2], qu’une femme d’Orléans enterrée dans le cimetiére avec une bague à ſon doigt, qu’on n’avoit pû tirer en la mettant dans le cercueil ; la nuit ſuivante un Domeſtique attiré par l’eſpoir du gain, ouvrit le tombeau, rompit le cercueil, & ne pouvant arracher la bague, voulut couper le doigt de la perſonne, qui jetta un grand cri : le valet prit la fuite, la femme ſe débarraſſa comme elle put de ſon drap mortuaire, revint chez elle, & ſurvêquit à ſon mari.

M. Benard Maître Chirurgien à Paris atteſte, qu’étant avec ſon pere à la Paroiſſe de Réal, on tira du tombeau, vivant & reſpirant, un Religieux de ſaint François qui y étoit renfermé depuis trois ou quatre jours, & qui s’étoit rongé les mains autour de la ligature qui les lui aſſujetiſſoit ; mais il mourut preſque dans le moment qu’il eut pris l’air.

Pluſieurs perſonnes ont parlé de cette femme d’un Conſeiller de Cologne[3], qui ayant été enterrée en 1571. avec une bague de prix, le foſſoyeur ouvrit le tombeau la nuit ſuivante, pour voler la bague. Mais la bonne Dame l’empoigna, & le força de la tirer du cercueil. Il ſe dégagea néanmoins de ſes mains, & s’enfuit. La reſſuſcitée alla frapper à la porte de ſa maiſon ; on crut que c’étoit un Fantôme, & on la laiſſa aſſez long-tems languir à la porte : enfin on lui ouvrit, on la réchauffa, & elle revint en parfaite ſanté, & eut depuis trois fils qui furent gens d’Egliſe. Cet évenement eſt repréſenté ſur le ſépulcre de la perſonne dans un tableau, où l’Hiſtoire eſt repréſentée, & de plus écrite en vers Allemands.

On ajoute que cette Dame, pour convaincre ceux du logis que c’étoit elle-même, dit au valet qui vint à la porte, que les chevaux étoient montés au grenier, ce qui ſe trouva vrai ; & on voit encore aux fenêtres du grenier de cette maiſon des têtes des chevaux en bois en ſigne de la vérité de la choſe.

François de Civile, Gentilhomme Normand[4] étoit Capitaine de cent hommes dans la ville de Rouen, lorſqu’elle fut aſſiégée par Charles IX. & avoit alors 26 ans : il fut bleſſé à mort à la fin d’un aſſaut ; & étant tombé dans le foſſé, quelques pionniers le mirent dans une foſſe avec un autre corps, & le couvrirent d’un peu de terre. Il y reſta depuis onze heures du matin juſqu’à ſix heures & demie du ſoir, que ſon valet l’alla déterrer. Ce Domeſtique lui ayant remarqué quelques ſignes de vie, le mit dans un lit, où il demeura cinq jours & cinq nuits ſans parler, ni ſans donner aucun ſigne de ſentiment, mais auſſi ardent de fiévre, qu’il avoit été froid dans la foſſe. La ville ayant été priſe d’aſſaut, les valets d’un Officier de l’Armée victorieuſe, qui devoient loger dans la maiſon où étoit Civile, le jetterent ſur une paillaſſe dans une chambre de derriére, d’où les ennemis de ſon frere le jetterent par la fenêtre ſur un tas de fumier, où il demeura plus de trois fois vingt-quatre heures en chemiſe. Au bout de ce tems, un de ſes parens, ſurpris de le trouver vivant, l’envoya à une lieue de Rouen[5], où il fut traité, & ſe trouva enfin parfaitement guéri.

Dans une grande peſte, qui attaqua la ville de Dijon en 1558. une Dame nommée Nicole Lentillet étant réputée morte de la maladie épidémique, fut jettée dans une grande foſſe, où l’on enterroit les morts. Le lendemain de ſon enterrement au matin elle revint à elle, & fit de vains efforts pour ſortir ; mais ſa foibleſſe & le poids des autres corps dont elle étoit couverte l’en empêcherent. Elle demeura dans cette horrible ſituation pendant quatre jours, que les enterreurs l’en tirerent, & la ramenerent chez elle, où elle ſe rétablit parfaitement.

Une Demoiſelle d’Auſbourg étant tombée[6] en ſyncope, ſon corps fut mis ſous une voûte profonde, ſans être couvert de terre ; mais l’entrée de ce ſoûterrain fut murée exactement. Quelques années après quelqu’un de la même famille mourut : on ouvrit le caveau, & l’on trouva le corps de la Demoiſelle tout à l’entrée de la clôture n’ayant point de doigts à la main droite, qu’elle s’étoit dévorée de déſeſpoir.

Le 25 de Juillet 1688. mourut à Metz un garçon perruquier d’une attaque d’apoplexie, ſur le ſoir après avoir ſoupé. Le 28 du même mois on l’entendit encore ſe plaindre pluſieurs fois. On le déterra ; il fut viſité par les Médecins & Chirurgiens. Le Médecin a ſoûtenu après qu’il a été ouvert, qu’il n’y avoit que deux heures qu’il étoit mort. Ceci eſt tiré d’un manuſcrit d’un Bourgeois contemporain à Metz.


  1. Celſ. lib. 2. c. 6.
  2. Le P. le Clerc ci-devant Procureur des Penſionnaires du Collége de Louis le Grand.
  3. Miſſon, voyage d’Italie, tom. I. lettre 5. Goulart, des Hiſt. admirables & mémorables, imprimé à Genéve, en 1678.
  4. Miſſon, voyage, tom. 3.
  5. Goulart, loco citato.
  6. M. Graſſe, Epître à Guil. Frabri, Centurie 2. obſerv. Chirurg. 516.