Traité sur les apparitions des esprits/II/36

CHAPITRE XXXVI.

Dévouement pour faire mourir, pratiqué
par les Payens.

LEs anciens Payens Grecs & Romains attribuoient à la Magie & au Démon la puiſſance de faire mourir les hommes par une maniere de dévouement, qui conſiſtoit à former une image de cire, qu’on faiſoit la plus reſſemblante qu’il étoit poſſible à la perſonne à qui on vouloit ôter la vie ; on la dévouoit à la mort par les ſecrets de la Magie, puis on brûloit la ſtatuë de cire, & à meſure qu’elle ſe conſumoit, la perſonne dévouée tomboit en langueur & enfin mouroit. Théocrite[1] fait parler une femme tranſportée d’amour ; elle invoque la bergeronette, & prie que le cœur de Daphnis ſon bien-aimé ſe fonde comme l’image de cire qui le repréſente.

Horace[2] fait paroître deux Magiciennes qui veulent évoquer les Manes, pour leur faire annoncer les choſes à venir.

D’abord elles déchirent avec les dents une jeune brebis dont elles répandent le ſang dans une foſſe, afin de faire venir les ames dont elles prétendent tirer réponſe. Puis elles placent auprès d’elles deux ſtatues, l’une de cire, l’autre de laine : celle-ci eſt la plus grande & la maîtreſſe de l’autre ; celle de cire eſt à ſes pieds comme ſuppliante, & n’attendant que la mort. Après diverſes cérémonies magiques, l’image de cire fut embraſée & conſumée.

Lanea & effigies erat, altera cerea : major
Lanea, quœ pænis compeſceret inferiorem.
Cerea ſuppliciter ſtabat, ſervilibus ut quœ
Jam peritura modis……

Et imagine cereâ
Largior arſerit ignis.

Il en parle encore ailleurs ; & après avoir d’un ris moqueur fait ſes plaintes à la Magicienne Canidia, diſant qu’il eſt prêt à lui faire réparation d’honneur, il avoue qu’il reſſent tous les effets de ſon art trop puiſſant, comme lui-même l’a expérimenté, pour donner le mouvement aux figures de cire, & pour faire deſcendre la lune du haut du Ciel.

Anque movere cereas imagines,
Ut ipſe nôſti curioſus, & polo
Deripere lunam.

Virgile parle[3] auſſi de ces opérations diaboliques, & de ces images de cire, dévouées par l’art magique.

Limus ut hic dureſcit, & hœc ut cera liqueſcit
Uno eodemque igni ; ſic noſtro Daphnis amore.

Il y a lieu de croire que ces Poëtes ne rapportent ces choſes, que pour montrer le ridicule des prétendus ſecrets de la magie & les cérémonies vaines & impuiſſantes des Sorciers.

Mais on ne peut diſconvenir, que ces pratiques toutes vaines qu’elles ſont, n’ayent été uſitées dans l’Antiquité, & que bien des gens n’y ayent ajoûté foi, & n’en ayent follement redouté les efforts.

Lucien raconte les effets[4] de la magie d’un certain Hyperboréen, qui ayant formé un Cupidon, avec de la terre, lui donna la vie, & l’envoya quérir une fille nommée Chryſéis, dont un jeune homme étoit devenu amoureux. Le petit Cupidon l’amena, & le lendemain au point du jour la Lune que le Magicien avoit fait deſcendre du Ciel, y retourna. Hécate qu’il avoit évoquée du fond de l’enfer, s’y enfuit, & tout le reſte de cette ſcene diſparus. Lucien ſe moque avec raiſon de tout cela, & remarque que ces Magiciens, qui ſe vantent d’avoir tant de pouvoir, ne l’exercent pour l’ordinaire qu’envers des gueux, & le ſont eux-mêmes.

Les plus anciens exemples de dévouement ſont ceux qui ſont marqués dans l’Ancien Teſtament : Dieu ordonne à Moïſe de dévouer à l’anathême les Cananéens du Royaume d’Arad[5]. Il dévoue auſſi à l’anathême tous les peuples du pays de Chanaan[6]. Balac Roi de Moab[7] envoie vers le Devin Balaam pour l’engager à maudire & à dévouer le peuple d’Iſraël. Venez, lui dit-il par ſes députés, & maudiſſez Iſraël : car je ſai que celui que vous aurez maudit & dévoué ſera maudit, & que celui que vous aurez beni, ſera comblé de bénédictions.

Nous avons dans l’Hiſtoire des exemples de ces malédictions, de ces dévouemens, & des évocations des Dieux tutelaires des villes par l’art magique. Les Anciens tenoient fort ſecrets les noms propres des villes[8], de peur que venant à la connoiſſance des ennemis, ils ne s’en ſerviſſent dans les évocations leſquelles, à leur ſens, n’avoient aucune force à moins que le nom propre de la ville n’y fût exprimé. Les noms ordinaires de Rome, de Tyr & Carthage, n’étoient pas leur nom véritable & ſecret. Rome, par exemple, s’appelloit Valentia, d’un nom connu de très-peu de perſonnes ; & l’on punit ſéverement Valerius Soranus, pour l’avoir révélé.

Macrobe[9] nous a conſervé la formule d’un dévouement ſolennel d’une ville & des imprécations qu’on faiſoit contre elle, en la dévouant à quelque Démon nuiſible & dangereux. On trouve dans les Poëtes payens un grand nombre de ces invocations & de ces dévouemens magiques pour inſpirer une paſſion dangereuſe, ou pour cauſer des maladies. Il eſt ſurprenant, que ces ſuperſtitieuſes & abominables pratiques ſoient paſſées juſques dans le Chriſtianiſme, & ayent été redoutées par des perſonnes, qui en devoient reconnoître la vanité & l’impuiſſance.

Tacite raconte[10] qu’à la mort de Germanicus, qu’on diſoit avoir été empoiſonné par Piſon & par Plautine, on trouva dans la terre & dans les murailles des os de corps humains, des dévouemens, & des charmes ou vers magiques, avec le nom de Germanicus gravé ſur des lames de plomb enduites de ſang corrompu, des cendres à demi-brûlées, & d’autres maléfices, par la vertu deſquels on croit que les ames peuvent être évoquées.

  1. Theocrit. Idyl. 2.
  2. Horat. ſerm. lib. I. Sat. 81.
  3. Virgil. Eclog.
  4. Lucian. in Philopſ.
  5. Num. xiv. 49. xxj. 3.
  6. Deut. vij. 2. 3. Deut. xij. 1. 2. 3. &c.
  7. Num. xxij. 5. & ſeq.
  8. Plin. l. 3. c. 5. & lib. 28. c. 2.
  9. Macrobius, lib. 3. c. 9.
  10. Taoit. Ann. l. 2. Art. 69.