Traité sur les apparitions des esprits/II/34

CHAPITRE XXXIV.

Examen du ſentiment qui veut, que le Démon
puiſſe rendre le mouvement à un
corps mort.

NOus ne pouvons approuver ces ſentimens des Juifs, que nous venons de propoſer. Ils ſont contraires à notre ſainte Religion & aux dogmes de nos écoles. Mais nous croyons que l’eſprit qui a animé Elie, par exemple, s’eſt repoſé ſur Eliſée ſon diſciple ; & que l’eſprit ſaint qui animoit le premier, anima auſſi le ſecond, & même S. Jean-Baptiſte, qui ſelon la parole de J. C. eſt venu dans la vertu d’Elie pour préparer les voies au Meſſie. Ainſi dans les prieres de l’Egliſe, on prie Dieu de remplir ſes fideles de l’eſprit des Saints ; & de leur inſpirer l’amour de ce qu’ils ont aimé, & l’horreur de ce qu’ils ont haï.

Que le Démon, & même un bon Ange, par la permiſſion ou le commandement de Dieu, puiſſent ôter la vie à un homme ; la choſe paroît indubitable. L’Ange qui apparut à Sephora[1] comme Moïſe revenoit de Madian en Egypte, & qui menaça de mettre à mort ſes deux fils, parce qu’ils n’étoient par circoncis, de même que celui qui mit à mort les premiers nés des Egyptiens[2], & celui qui eſt nommé dans les Ecritures, l’Ange exterminateur, & qui frappa de mort les Hébreux murmurateurs dans le déſert[3], & celui qui voulut mettre à mort Balaam & ſon âneſſe[4] ; enfin celui qui mit à mort les ſoldats de l’armée de Sennacherib, & celui qui frappa les ſept premiers maris de Sara fille de Raguel[5], & enfin celui dont le Pſalmiſte menace ſes ennemis[6] : & Angelus Domini perſequens eos.

S. Paul parlant aux Corinthiens de ceux qui communioient indignement[7], ne dit-il pas que le Démon leur cauſoit des maladies dangereuſes, dont pluſieurs en mouroient ? Ideò inter vos multi infirmi & imbecilles, & dormiunt multi. Croira-t’on que ceux que le même Apôtre livra à Satan[8], ne ſouffrirent rien dans leur corps ; & que Judas ayant reçu du Fils de Dieu un morceau trempé dans la fauſſe[9], & Satan ayant entré dans ſon corps, ce mauvais Eſprit ne troubla pas ſes ſens, ſon imagination, ſon cœur, & ne le conduiſit point enfin à ſe détruire, & à ſe pendre de déſeſpoir ?

On peut croire que tous ces Anges étoient de mauvais Anges ; quoi qu’on ne puiſſe nier, que Dieu n’emploie auſſi quelquefois les bons Anges pour exercer ſa vengeance contre les méchans, & même pour châtier, corriger & punir ceux à qui Dieu veut faire miſéricorde, comme il envoie ſes Prophêtes, pour annoncer de bonnes & de mauvaiſes nouvelles, pour menacer & pour exciter à la pénitence.

Mais nous ne liſons nulle part, que ni les bons ni les mauvais Anges ayent jamais de leur autorité ni donné ni rendu la vie à perſonne. Ce pouvoir eſt réſervé à Dieu ſeul[10] : Dominus mortificat & vivificat, deducit ad inferos & reducit ; le Démon, ſelon l’Evangile[11], dans les derniers tems, & avant le jugement dernier, fera par lui-même, ou par l’Ante-Chriſt & par ſes ſuppôts, des prodiges capables d’induire à erreur, s’il étoit poſſible, même les Elus. Dès le tems de Jeſus-Chriſt & de ſes Apôtres, Satan ſuſcita de faux Chriſts & de faux Apôtres, qui firent pluſieurs miracles apparens, qui reſſuſciterent même des morts ; du moins on ſoûtenoit qu’ils en avoient reſſuſcité. Saint Clément d’Alexandrie & Hegeſippe font mention de quelques réſurrections opérées par Simon le Magicien[12] ; on dit qu’Apollonius de Thyane reſſuſcita une fille qu’on portoit en terre. Si l’on en croit Apulée[13], Aſclepiade rencontrant un convoi, reſſuſcita le corps que l’on portoit au bûcher. On aſſûre qu’Eſculape rendit la vie à Hippolyte, fils de Theſée, à Glaucus fils de Minos, à Capanée tué à l’aſſaut de Thebes, à Admete Roi de Pheres en Theſſalie. Elien atteſte[14] que le même Eſculape rejoignit la tête d’une femme à ſon cadavre, & lui rendit la vie.

Mais quand on auroit des certitudes pour tous les faits que nous venons de citer, je veux dire, quand ils ſeroient atteſtés par des témoins oculaires, bien inſtruits, déſintereſſés, ce qui n’eſt point, il faudroit ſçavoir les circonſtances de ces événemens, & alors on ſeroit plus en état de les conteſter, ou d’y donner ſon conſentement : car il y a toute apparence que les morts reſſuſcités par Eſculape ne ſont que des perſonnes dangereuſement malades, auxquelles cet habile Médecin a rendu la ſanté. La fille reſſuſcitée par Apollonius de Thyane n’étoit pas réellement morte ; ceux mêmes qui la portoient au bûcher doutoient qu’elle fût décédée. Ce qu’on dit de Simon le Magicien, n’eſt rien moins que certain ; & quand cet Impoſteur par les ſecrets de la Magie auroit fait quelques prodiges ſur des perſonnes mortes, ou réputées telles, il faudroit les imputer à ſes preſtiges, & à quelque ſubtilité qui aura ſubſtitué des corps vivans ou des Fantômes aux corps morts, à qui il ſe vantoit d’avoir rendu la vie. En un mot nous tenons pour indubitable, qu’il n’y a que Dieu ſeul qui puiſſe donner la vie à une perſonne réellement morte, ſoit immédiatement par lui-même, ou par le moyen des Anges, ou des Démons exécuteurs de ſes volontés.

J’avoue que l’exemple de cet enfant de Dalhem eſt embarraſſant. Que ce ſoit l’ame de l’enfant qui ſoit retournée dans ſon corps pour l’animer de nouveau, ou le Démon qui lui ait ſervi d’ame, l’embarras me paroît égal : on ne voit dans tout cet événement que l’ouvrage du mauvais Eſprit. Dieu ne paroît pas y avoir aucune part. Or ſi le Démon peut prendre la place d’une ame dans un corps nouvellement décédé, ou s’il peut y faire rentrer l’ame qui l’animoit avant ſon décès, on ne pourra plus lui conteſter la puiſſance de rendre à un mort une eſpéce de vie ; ce qui ſeroit une terrible tentation pour nous, qui ſerions portés à croire, que le Démon a un pouvoir, que la Religion ne nous permet pas de penſer que Dieu partage avec aucun Etre créé.

Je voudrois donc dire, ſuppoſé la vérité du fait, dont je ne vois aucun lieu de douter, que Dieu pour punir le crime abominable du pere, & pour donner aux hommes un exemple de ſa juſte vengeance, a permis au Démon de faire dans cette occaſion ce qu’il n’a peut-être jamais fait, & ne fera jamais, de poſſéder un corps, & de lui ſervir en quelque ſorte d’ame, pour lui donner l’action & le mouvement pendant qu’il a pû conſerver ce corps ſans une trop grande corruption.

Et cet exemple peut admirablement s’appliquer aux Revenans de Hongrie & de Moravie, que le Démon remuera & animera, fera paroître & inquiéter les vivans, juſqu’à leur donner la mort. Je dis tout ceci dans la ſuppoſition que ce qu’on dit des Vampires ſoit veritable : car ſi tout cela eſt faux & fabuleux, c’eſt perdre le tems que de chercher les moyens de l’expliquer.

Au reſte pluſieurs Anciens, comme Tertullien & Lactance[15], ont crû que les Démons étoient les ſeuls auteurs de ce que ſont les Magiciens en évoquant les ames des morts. Ils ſont, diſent-ils, paroître des Fantômes ou des corps empruntés, & faſcinent les yeux des aſſiſtans, pour leur faire prendre pour vrai ce qui n’eſt qu’apparent.


  1. Exod. iv. 24. 25.
  2. Exod. xij. 12.
  3. I. Cor. x. 10. Judith. viij. 25.
  4. Num. xxij.
  5. Tob. iij. 7.
  6. Pſ. xxxiv. 5. 6.
  7. I. Cor. II. 30.
  8. I. Tim. I. 20.
  9. Joan. cap. 13.
  10. I. Reg. ij. 6.
  11. Matth. xxiv. 24.
  12. Clem. Alex. Itinerario. Hegeſippus de Excidio Jeruſalem, c. 2.
  13. Apulei Flondo. lib. 2.
  14. Ælian. de animalib. lib. 9. c. 77.
  15. Tertull. de anim. c. 22.