Traité sur les apparitions des esprits/II/26

CHAPITRE XXVI.

Exemples de perſonnes qui ont donné des ſignes
de vie après leur mort, & qui ſe ſont
retirées par reſpect pour faire place à de
plus dignes.

TErtullien rapporte[1] un exemple dont il avoit été témoin : de meo didici. Une femme qui appartenoit à l’Egliſe, à qui elle avoit été donnée pour eſclave, étant morte à la fleur de ſon âge, après un ſeul mariage & fort court, fut apportée à l’Egliſe. Avant qu’on la mît en terre, le Prêtre offrant le Sacrifice, & élevant les mains dans la priere, cette femme qui avoit ſes mains étendues ſur ſes côtés, les leva en même tems, & les joignit en forme de ſuppliante, puis après la paix donnée, ſe remit en ſon premier état.

Tertullien ajoûte, qu’un autre corps mort & enterre dans un cimetiere, ſe retira à côté pour donner place à un autre corps mort, qu’on vouloit enterrer auprès de lui. Il rapporte ces exemples à la ſuite de ce que Platon & Démocrite diſoient, que les Ames demeuroient quelque tems auprès de leurs corps morts, qu’elles préſervoient quelquefois de corruption, & faiſoient encore croître leurs cheveux, la barbe & les ongles dans leurs tombeaux. Tertullien n’approuve pas le ſentiment de ces Philoſophes : il les réfute même aſſez bien ; mais il avoue que les exemples dont je viens de parler, ſont aſſez favorables à cette opinion, qui eſt auſſi celle des Hébreux, comme nous l’avons vû ci-devant.

On dit qu’après la mort du fameux Abélard[2], qui avoit été enterré au Monaſtere du Paraclet, l’Abbeſſe Eloïſe ſon Epouſe étant auſſi décédée, & ayant demandé d’être enterrée dans le même tombeau, Abélard à ſon approche étendit les bras, & la reçut dans ſon ſein : elevatis brachiis illam recepit, & ita eam amplexatus brachia ſua ſtrinxit. Ce fait n’eſt certainement, ni prouvé, ni vrai-ſemblable. La Chronique dont il eſt tiré, l’avoir apparemment pris de quelque bruit populaire.

L’Auteur de la vie[3] de ſaint Jean l’Aumônier, qui fut écrite incontinent après ſa mort par Leonce Evêque de Naples, ville de l’Iſle de Cypre, raconte que ſaint Jean l’Aumônier étant mort à Amathunte dans la même Iſle, ſon corps fut mis entre ceux de deux Evêques, qui ſe retirerent par reſpect de part & d’autre pour lui faire place, à la vûe de tous les aſſiſtans : non unus, neque decem, neque centum viderunt, ſed omnis turbha, quœ convenit ad ejus ſepulturam, dit l’Auteur cité. Métaphraſte qui avoit lû la vie du Saint en Grec, rapporte le même fait.

Evagre de Pont[4] dit qu’un ſaint Solitaire nommé Thomas, & ſurnommé Salus, parce qu’il contrefaiſoit l’inſenſé, étant mort dans l’Hôpital de Daphné près la ville d’Antioche, fut enterré dans le cimetiere des étrangers ; mais tous les jours on le trouvoit hors de terre éloigné des autres corps morts, qu’il évitoit. Les habitans du lieu en informerent Ephrem Evêque d’Antioche, qui le fit tranſporter dans la ville en ſolennité, & l’enterra avec honneur dans le cimetiere ; & depuis ce tems-là le peuple d’Antioche fait tous les ans la fête de ſa tranſlation.

Jean Moſch[5] rapporte la même hiſtoire ; mais il dit que ce furent des femmes enterrées près de Thomas Salus, qui ſortirent de leurs tombeaux par reſpect pour le Saint.

Les Hébreux croyent ridiculement, que les Juifs qui ſont enterrés hors de la Judée, rouleront ſous terre au dernier jour pour ſe rendre dans la terre de promiſſion, ne pouvant reſſuſciter ailleurs que dans la Judée.

Les Perſes reconnoiſſent auſſi un Ange de tranſport, qui a ſoin de donner aux corps morts la place & le rang à proportion de leurs mérites ; ſi un homme de bien eſt enterré dans un pays infidèle, l’Ange de tranſport le conduit ſous terre auprès d’un homme fidéle, & jette à la voirie le corps de l’infidéle enterré dans une terre ſainte. Les Mahométans ſont dans la même prévention : ils croyent que l’Ange de tranſport plaça le corps de Noë, & enſuite celui d’Ali, dans le tombeau d’Adam. Je ne rapporte ces rêveries que pour en faire voir le ridicule. Quant aux Hiſtoires racontées dans ce même Chapitre, on ne doit pas les recevoir ſans examen : car elles demandent confirmation.

  1. Tertull. de animâ, c. 5. pag. 597. Edit. Bamelii.
  2. Chronic. Turon. inter opera Abælardi, pag. 1195.
  3. Bolland. t.2. pag. 315. 13. Janur.
  4. Evagrius Pont. lib. 4. c. 53.
  5. Jean Moſch. prat. ſpirit. c. 88.