Traité sur les apparitions des esprits/II/24

CHAPITRE XXIV.

Exemple d’un Martyr excommunié rejetté
hors de la terre.

ON lit dans les Menées des Grecs au 15 d’Octobre, qu’un Religieux du déſert de Sheti ayant été excommunié par celui qui avoit ſoin de ſa conduite pour quelque déſobéiſſance, ſortit du déſert, & vint à Alexandrie, où il fut arrêté par le Gouverneur de la ville, & dépoüillé du Saint habit, puis vivement ſollicité de ſacrifier aux faux Dieux. Le Solitaire réſiſta génereuſement, & fut tourmenté en diverſes manieres, juſqu’à ce qu’enfin on lui trancha la tête, & l’on jetta ſon corps hors de la ville pour être déchiré par les chiens. Les Chrétiens l’enleverent pendant la nuit, & l’ayant embaumé & enveloppé de linges précieux, ils l’enterrerent dans l’Egliſe comme Martyr, en un lieu honorable ; mais pendant le ſaint Sacrifice, le Diacre ayant crié tout haut à l’ordinaire : que les Cathécumenes & ceux qui ne communient pas ſe retirent, on vit tout à coup ſon tombeau s’ouvrir de lui même, ; & le corps du Martyr ſe retirer dans le veſtibule de l’Egliſe : après la Meſſe, il rentra dans ſon ſepulcre.

Une perſonne de pieté ayant prié pendant trois jours, apprit par la voix d’un Ange, que ce Religieux avoit encouru l’Excommunication pour avoir déſobéi à ſon Supérieur, & qu’il demeureroit lié, juſqu’à ce que ce même Supérieur lui eût donné l’abſolution. On alla donc auſſitôt au déſert, & l’on amena le ſaint Vieillard, qui fit ouvrir le cercueil du Martyr, & lui donna l’abſolution ; après quoi il demeura en paix dans ſon tombeau.

Cet Exemple me paroit fort ſuſpect. I. Du tems que le déſert de Sheti étoit peuplé de Solitaires, il n’y avoit plus de perſécuteurs à Alexandrie. On n’y inquiétoit perſonne, ni ſur la profeſſion du Chriſtianiſme, ni ſur la profeſſion Religieuſe ; on y auroit bien plûtôt perſécuté les Idolâtres & les Payens. La Religion Chrétienne étoit alors dominante & honorée dans toute l’Egypte, ſur-tout à Alexandrie. 2. Les Religieux de Sheti étoient plûtôt Hermites que Cénobites ; & un Religieux n’y avoit pas l’autorité d’excommunier ſon Confrere. 3. Il ne paroît pas que celui dont il s’agit, ait mérité l’Excommunication, du moins l’Excommunication majeure, qui prive le Fidele de l’entrée de l’Egliſe, & de la participation des ſaints myſteres. Le texte Grec porte ſimplement qu’il demeura obéiſſant pendant quelque tems à ſon Pere ſpirituel ; mais qu’enſuite étant tombé dans la déſobéiſſance, il ſe retira des mains du Vieillard ſans cauſe légitime, & s’en alla à Alexandrie. Tout cela mérite ſans doute l’Excommunication même majeure, ſi ce Religieux quitta ſon état, & ſe retira du Monaſtere pour vivre en ſéculier ; mais alors les Religieux n’étoient pas comme aujourd’hui liés par les vœux de ſtabilité & d’obéiſſance à leurs Supérieurs réguliers, qui n’avoient pas droit de les excommunier de la grande Excommunication. Nous en parlerons encore ci-après.