Traité des sièges et de l’attaque des places/38

DIFFÉRENCE DES MINES.

Définition des mines. Je crois qu’il ne sera pas inutile d’expliquer ici ce que c’est que mine directe, mine double ou faite en T, mine triple ou treflée.

On n’en fait guère de quadruples dans les siéges ; cependant on en pourrait faire, et même de quintuples et de sextuples si on voulait ; mais cela serait long et de peu d’utilité.

La mine directe est celle qui n’a qu’une chambre et qu’une galerie ; par conséquent, celle-ci établit sa chambre pour l’ordinaire à la racine des contreforts, quand il y en a, et emploie plus de poudre à proportion que les autres. Fig. 2, A, pl. 17.

Mine double ou en T, est celle qui, après avoir percé l’épaisseur du revêtement, se sépare en deux rameaux égaux, qui, s’étendant derrière ledit revêtement, vont chercher la racine des deux contreforts voisins, dans la solidité desquels on chambre. Fig. 1, B, pl. 18.

Avantages des mines triples pour faire brèche. Mine triple ou treflée, est celle où, non content de deux fourneaux séparés, on en pousse un troisième dans les terres, qui va chercher le derrière des contreforts ; celle-ci en embrasse ordinairement trois, et procure un grand éboulis de terre et une profonde excavation quand elle réussit bien. Ces fourneaux doivent être faits en égale distance les uns des autres quand on le peut ; mais les porte-feux doivent être nécessairement égalés avec une grande justesse ; autrement, il y aurait danger que celui de quelqu’un des fourneaux ne s’étouffât, comme il arrive assez souvent : c’est à quoi on ne saurait trop apporter de circonspection. On charge ordinairement de quelques sacs de poudre le fourneau du milieu plus que les deux autres. Fig. 3, C, pl. 17.

On y peut ajouter plus de fourneaux, mais je tiens qu’en voilà assez pour une brèche raisonnable ; en tout cas, les planches 18 et 19 proposent plusieurs plans qui serviront à secourir l’idée de ceux qui en voudront davantage.

Au reste, la conduite des galeries ne doit pas être directe ; il faut du moins la briser deux ou trois fois carrément ou à angle droit, pour avoir plus de facilité à bien bouchier, et faire même des feuillures de 4 ou 5 pouces de large, et autant d’enfoncement dans les endroits qui pourraient servir pour aider à leur fermeture.

Les chambres doivent être proportionnées à la quantité des poudres que vous y voulez employer, ce qui est à peu près réglé par la table ci-devant, pour toutes sortes de mines, grandes et petites ; quant à la figure des chambres, les rondes ou carrées sont celles qui leur conviennent le mieux.

Il faudra en unir le fond le mieux qu’on pourra, et donner quelque rehaussement à son cul de four, et la bien nettoyer.

Quant aux manières de les charger, il faut, en premier lieu, prendre garde que le fond de la chambre ne soit pas trop près de l’eau.

En second lieu, de l’enfoncer d’un pied ou un pied et demi plus que la galerie si le terrain le permet.

En troisième lieu, de les bien nettoyer, et préparer ce qui doit servir à leur fermeture.

Et en quatrième lieu, avoir des augelets et saucisses prêtes et bien faites ; celles-ci sont de longs boudins de toile, de grosseur à passer un œuf de poule, qu’on remplit de poudre de manière qu’elle y soit bien continue, et non trop pressée. Tout cela étant prêt, on charge.


On a autrefois employé trois moyens pour charger Manières de charger les mines. les mines : le premier, avec des barriques entières, arrangées dans les chambres, dont, en ôtant les chapes, on débouchait les bondons, rompant aussi quelques douves et répandant un peu de poudre entre-deux.

Cette méthode était fort incommode dans les lieux étroits, et ne donnait pas une assez bonne disposition à l’embrasement des poudres.

On l’a quittée pour charger avec des sacs à terre remplis de poudre, qu’on arrange par tas dans la chambre, le mineur ayant soin de donner un coup de couteau à chacun pour les ouvrir, et de répandre de la poudre entre-deux. Plusieurs pratiquent encore celle-ci.

Moyen le meilleur. Mais la meilleure de toutes est de planchéier de madriers, si l’on peut, le fond de la chambre ; de répandre bien également sur ce plancher un pouce d’épais de paille, recouverte par un tapis de sacs à terre vides, pour empêcher que la poudre ne prenne trop tôt l’humidité ; après quoi on la verse en tas, comme un monceau de blé, qu’on empêche de toucher aux bords de la chambre, par les raisons que dessus, en continuant de les garnir tout autour de paille et sacs à terre pour éviter l’humidité.

Celui qui conduit la charge est ordinairement un officier des mineurs, un sergent, ou du moins un caporal, qui doit avoir grand soin d’introduire le bout de la saucisse dans le milieu des poudres, afin qu’elle puisse porter son feu également ; observant encore de la contenir en cet état par le moyen d’une broche ou cheville de bois, de trois ou quatre pouces de long et de cinq ou six lignes Pl. 16. Fig. 14. de diamètre, dont il la perce de part en part en dedans de la chambre et le plus près qu’il peut des madriers, pour l’arrêter et empêcher qu’on la puisse arracher en la tirant par l’autre bout, ou que la violence du feu de la poudre dans toute la longueur de la saucisse, ne fasse cet effet.

Après cela, on renferme sa suite dans l’augelet qui est conduit jusqu’à l’entrée de la mine, observant de tenir toujours le milieu tant que l’on peut.

La mine une fois chargée de la quantité de poudre qu’on y veut mettre, on travaillera à la boucher, et c’est ce qu’il y a de plus important à faire dans cette conduite, et où il faut que les maîtres mineurs paient de plus d’adresse et de savoir-faire.

Bourrage de la mine. La mine se ferme par des bouts de madriers fort épais, joints l’un à l’autre et bien contrebutés ; on maçonne tout le vide avec de gros moellons et du fumier qui leur sert de mortier, serrant les joints Pl. 17.
Fig. 2, 3, 4.
avec quantité de coins de bois faits exprès et battus à la masse, et on traverse souvent la galerie de madriers bien étrésillonnés, ce qui s’observe dans toute sa longueur : à la portée de la chambre, et au premier retour, on se barre avec encore plus de soin avec des madriers bien contrebandés d’étais, et on continue de maçonner avec la même application jusqu’au trois ou quatrième retour qu’on ferme toujours de même, prenant sur cela toutes les précautions possibles ; et toujours prendre garde à ce que les augelets ne se dérangent point, et que la saucisse soit bien conduite et tenue sèchement.

Quand on juge que la mine est suffisamment bouchée, on en demeure là, et pour lors on établit le foyer ou la lumière de la mine, qu’on couvre soigneusement en attendant l’ordre d’y mettre le feu.

Préparatifs pour l’assaut. Pendant que la mine se bouche, on fait les préparatifs de l’assaut, si on y en veut donner un. Soit cela ou un logement en brèche, il faut avoir de grandes provisions de matériaux et d’outils dans les places d’armes prochaines ;

Que les batteries de canon, de bombes et de pierriers, soient pourvues pour tirer au moins 50 ou 60 coups par pièce ;

Un gros détachement de grenadiers prêts, avec ceux qui les doivent soutenir ; et tous les travailleurs nécessaires, garnis d’outils, de matériaux, etc., le tout placé, arrangé et bien instruit de ce qu’ils auront à faire, avec un détachement de 100 travailleurs à la tête, pour déblayer et réparer promptement les désordres que la mine pourra faire aux têtes plus avancées de la tranchée.

Toutes choses étant prêtes, il faudra commencer par faire retirer les troupes peu à peu et sans bruit, hors la portée des éclats de la mine, ce qui ne se peut faire qu’estimativement, car quelquefois elle éclate loin, et d’autres fois elle ne fait que renverser.

Les troupes étant retirées, il faudra aussi faire retirer les sentinelles, et ne laisser que quatre ou cinq fusiliers bien dispos pour escorter la retraite du mineur ; cela fait et disposé, lui envoyer ordre d’y mettre le feu et se retirer.

Explosion de la mine. Sitôt que la mine a fait son effet, les officiers d’artillerie de toutes espèces regagnent leurs batteries et raccommodent incessamment ce qu’il peut y avoir de gâté ; tous les gens commandés retournent à leurs postes, et la première chose qu’on y fait est de parcourir toute la tête des tranchées et le passage du fossé avec les travailleurs commandés, et rétablir ce que l’effet de la mine y a gâté ; pendant cela, on fait reconnaître la brèche, et les batteries se tiennent en état de battre, suivant les ordres qu’elles en ont eus, pour achever de l’aplanir, empêcher les ennemis de s’y présenter et les inquiéter dans leurs retranchemens ; les gens commandés pour faire feu bordent les logemens, et après avoir rangé les sacs à terre, ils passent les armes entre-deux, et se mettent en état de faire feu sur tout ce qui paraîtra du rempart.

Toutes ces mesures étant bien prises et sagement exécutées, il sera bien difficile que l’ennemi se puisse présenter en grosses troupes au soutien de ces brèches, et encore plus qu’il y puisse tenir, non plus qu’à ses retranchemens.

Maxime constante de Vauban. Pour cela, il ne se faut pas presser ni rien entreprendre étourdiment, mais se conduire selon la disposition où on verra les choses, et toujours par les voies les plus sûres ; car deux ou trois heures de plus ou de moins n’avancent ni ne reculent guère les affaires d’un siége, et coûtent quelquefois bien du monde quand elles sont mal employées et qu’on se presse trop.

Logement sur la brèche. Les choses étant donc rétablies et toutes en état, il y aura deux partis à prendre : celui de se loger de plein saut sur le haut des brèches, poussant de vive force tout ce qui s’y présentera, ou de s’y prendre comme il a été proposé pour les brèches à canon, page 145 de ces Mémoires.

Que si l’entreprise paraît trop dure et hasardeuse, il vaudra mieux rattacher encore une fois le mineur et recommencer à canonner, pour donner toute l’étendue désirable aux brèches, qui est un parti préférable à tous les autres et que l’ennemi ne soutient presque jamais, et cependant gagner toujours terrain.

Fin des mines. Voilà, à mon sens, le chapitre des mines suffisamment expliqué, à l’aide des dessins contenus dans les planches 16, 17, 18 et 19.

Il y aurait encore deux autres explications à faire, qui seraient celles des contre-mines et l’usage Mention du Traité de la défense. des mines dans les démolitions ; mais le premier regardant la défense des places, et l’autre leur démolition, je remets celui-là à un traité que je ferai, peut-être, sur la défense. Pour le second, je m’en remets à la capacité des mineurs du roi, qui ont toute Vauban ne s’occupera pas des démolitions. l’intelligence nécessaire pour les mines où il ne s’agit que de démolir.

Si l’exécution du contenu en ces Mémoires, tant en ce qui regarde l’usage des mines que celui du canon et des bombes, est fidèlement observée et bien conduite, on pourra s’assurer que l’ennemi sera bientôt forcé de battre la chamade, quelque opiniâtre qu’il puisse être.

Les places ne font plus une longue résistance. On ne va plus, à beaucoup près, si loin, et nous ne voyons point de place de ce temps-ci qui se laisse pousser à cette extrémité.

La défense de celles qui sont attaquées de la sorte devient trop dangereuse pour pouvoir durer si long-temps : quand les attaques y sont menées méthodiquement, les assiégés y doivent perdre trois hommes contre les assiégeans deux ; nous avons fait plus d’un siége où cela s’est vu, sans qu’elles fussent menées avec tant d’art qu’il en est ici proposé : la raison en est claire.

La tranchée ne se fait point à découvert dès qu’elle commence à devenir dangereuse ; il ne se fait point de grosses attaques qui exposent un grand monde à la fois, et la garde ne se monte que de cinq ou six jours l’un ; au lieu que les assiégés, quelque bonne conduite qu’ils puissent tenir, Règle de service par tiers dans une place assiégée. ne peuvent pas se dispenser d’avoir le tiers de leur monde en garde, l’autre au bivouac, et la plus grande partie de l’autre occupée aux retranchemens, réparations, et au service du canon, ce qui les expose presque continuellement ; de sorte que de trois jours il y en a du moins deux où on peut dire que les deux tiers de la garnison souffrent beaucoup ; la bonne disposition de nos batteries de toutes espèces les allant chercher partout ; et l’on peut dire qu’il n’y a pas un seul endroit dans toute la partie de la place opposée aux attaques, qui ne soit très-dangereux, ce qui ne se peut sans souffrir de grandes pertes.

Il ne se faut donc pas étonner si les places se rendent plus tôt qu’elles ne faisaient autrefois ; la quantité de dehors qu’elles ont de plus, dont la défense fatigue et consomme bien du monde, et les avantages que les attaques prennent sur elles, bien plus considérables que du passé, affaiblissent tellement les garnisons qu’il n’y en a guère (et j’ose dire pas une) qui soit assez hardie pour se commettre à une dernière affaire, dont le mauvais succès, presque certain, les exposerait à être taillées en pièces.

Voilà nos attaques conduites à leur fin par les voies les plus courtes, les plus raisonnables et les moins ensanglantées qui se puissent mettre en usage.

Les principes sur lesquels je me suis fondé sont puisés dans ceux de la fortification même, qui en suppose le système régulier comme le plus parfait, et auquel tout ce que l’on fait doit se rapporter, autant que les différentes situations le peuvent permettre.

Je l’ai imité en supposant un front de place régulier, régulièrement attaqué par un terrain plein et uni, qui n’est avantagé de rien dans un endroit plus que dans l’autre. Ce n’est cependant pas à dire que cela se trouve partout, il s’en faut bien ; il est même très-rare de rencontrer de pareilles places et de pareilles situations. La plupart tiennent bien quelque chose du régulier, mais beaucoup plus de l’irrégulier, parce que les villes ayant été bâties et fermées de murailles, ou fortifiées à l’antique avant que la fortification moderne fût en usage, on a profité, autant que l’on a pu, de ce Des places irrégulières. que la vieille avait de meilleur, pliant, accommodant, et même altérant les règles de la nouvelle fortification en faveur de ce que l’on a trouvé de bon de la vieille. C’est ce qui fait qu’on trouve peu de fortification de grandes places qui soit régulière ; tout est plein d’irrégularités et de pièces accommodées à la situation, hautes ou basses, plates ou coupées de rivières, ou accommodées à ce qu’il y a de vieux fait, et très-souvent selon le caprice de ceux qui les ont bâties. On prend seulement garde qu’il n’y ait rien de contraire aux bonnes maximes de la fortification, et c’est le mieux qu’on puisse faire ; et tout cela se réduit à observer que toutes les pièces se flanquent bien, que la ligne de défense ne soit point trop longue, que les parties se soutiennent l’une l’autre et se puissent entre-communiquer, et que tous les parapets soient à preuve du canon, et ces mêmes pièces environnées de fossés et chemins couverts, palissades, etc.

Quand tout cela est à peu près observé, le reste tombe dans des règles fort communes pour lesquelles on n’a souvent eu que de faibles attentions.

Or, tout ainsi que la diversité des situations contraint souvent les règles de se relâcher, et même de céder et d’admettre des figures fort bizarres, qui ne laissent pas d’avoir du bon, il arrive aussi que le fort et le faible des places se présentent fort diversement, et que les accès à ces mêmes places y causent une infinité de diversités par la manière dont la fortification se présente aux attaques : par le haut et le bas des accès ; par les entrecoupemens de leurs avenues ; par la bizarrerie des couverts qui les environnent ; par la multiplicité des dehors bâtis en différens temps, et par des génies fort différens ; par rétrécissement des espaces qui peuvent nous y conduire ; et par je ne sais combien d’autres accidens de terrain, qui accompagnent presque toujours les vieilles fortifications.

Il faudrait autant de règles qu’il y a de places, si on voulait proposer leurs attaques toutes instruites et corrigées ; c’est ce que nous n’entreprendrons pas de faire, cela nous mènerait trop loin : nous nous contenterons de proposer dans ce qui nous reste à dire, une certaine quantité de places de différentes figures, comme autant d’exemples capables de nous donner les ouvertures nécessaires à l’instruction de celles qui peuvent avoir quelque rapport avec elles.