J’ai observé, dans l’Introduction, que les méthodes de Viète et de Harriot pour la résolution des équations numériques ne peuvent s’appliquer d’une manière certaine qu’aux équations dont tous les termes qui contiennent l’inconnue ont le même signe et le terme tout connu a un signe différent, et j’ai dit qu’on peut toujours ramener à cette forme toute équation, pourvu qu’on ait deux limites d’une de ses racines, lesquelles soient assez rapprochées, pour que toutes les autres racines réelles, ainsi que les parties réelles des racines imaginaires, s’il y en a, tombent hors de ces limites. Comme j’ignore si cette transformation est connue, je crois devoir l’exposer ici, afin que ceux qui désireraient se servir des anciennes méthodes puissent toujours les employer avec succès.
1. Soient les deux limites données ou connues d’une manière quelconque, la limite en moins, la limite en plus. En supposant que soit l’inconnue de l’équation proposée, on fera et, après les substitutions et les réductions, on aura une équation transformée en du même degré que l’équation en qui aura la forme demandée si la limite a est assez près de la valeur de la racine.
Car soient les racines de l’équation proposée en et la racine dont et sont les limites. Puisque on aura
donc les racines de l’équation en seront
Or on a, par l’hypothèse, donc donc la racine sera positive et d’autant plus petite que la différence entre la limite et la racine sera moindre. Ensuite, comme les autres racines sont supposées tomber hors des limites et si on aura aussi nécessairement donc et donc la racine sera nécessairement négative. Si, au contraire, on aura aussi donc et donc sera encore une quantité négative. Donc la racine sera dans tous les cas négative. Il en sera de même de toute autre racine, comme qui correspond à une racine réelle de l’équation en
Mais supposons que et soient imaginaires ; elles seront nécessairement de la forme
et étant des quantités réelles (Note IX) ; donc, faisant la racine deviendra
multiplions le haut et le bas par on aura
Mais on suppose que la partie réelle
tombe aussi hors des limites
et
donc, si
on aura aussi
par conséquent
donc
et, si
on aura aussi
donc
et par conséquent aussi
Donc la quantité
sera dans tous les cas négative.
Donc, puisque et sont essentiellement des quantités positives, la racine deviendra, dans ce cas, de la forme
et étant des quantités réelles, et étant essentiellement positive. De même, en faisant la racine deviendra
et ainsi des autres racines imaginaires.
Donc, en prenant des quantités positives les racines réelles de l’équation en donneront dans la transformée en les racines réelles
et les racines imaginaires de la même équation donneront dans la transformée les racines
Donc la transformée en sera formée des facteurs
Or les deux facteurs imaginaires et donnent le facteur double réel
et ainsi des autres. Donc l’équation en sera
2. Considérons le produit de tous ces facteurs, excepté le premier comme tous les termes de ces facteurs sont positifs, il est visible que leur produit, ordonné par rapport à ne pourra contenir que des termes positifs. Le produit sera donc de la forme
où les coefficients seront tous positifs, sans qu’aucun puisse être nul. Multiplions maintenant ce polynôme par le facteur on aura
pour l’équation en
On voit ici que le dernier terme est essentiellement négatif et que les termes précédents seront tous positifs si l’on a Comme en rapprochant la limite de la racine la valeur de qui est peut devenir aussi petite qu’on voudra, il est clair qu’on pourra toujours prendre telle que l’on ait ce qui rendra tous les termes positifs, excepté le dernier.
On ne doit pas craindre qu’en diminuant ainsi la valeur de les valeurs de diminuent en même temps, de manière à devenir nulles avec car, en faisant ce qui donne la valeur de qui est deviendra
et les valeurs de et qui sont et deviendront
et ainsi des autres.
Donc on est assuré que la substitution de au lieu de donnera une transformée en qui aura la condition demandée, pourvu que la limite en moins soit assez près de la racine dont elle est limite, ce qu’on pourra toujours obtenir en essayant successivement pour des valeurs de plus en plus grandes.
3. On a trouvé dans le Chapitre IV (no 27) que l’équation
a trois racines, deux positives et une négative, et que les deux racines positives sont exprimées par des fractions continues, dont les termes sont et de là on peut former ces fractions convergentes vers les deux racines
On voit d’abord que et sont deux limites de la première racine mais, comme la seconde racine est renfermée entre les nombres et elle se trouve aussi nécessairement renfermée entre les mêmes limites ; on prendra donc les limites suivantes et et l’on fera et par conséquent
Mais, puisque les multiples de ne changent pas les signes de l’équation en on pourra faire simplement
en mettant pour On trouvera ainsi la transformée
qui est, comme l’on voit, à l’état demandé.
De même, si l’on prend pour l’autre racine les limites et en faisant et et on aura la substitution
ou bien, en mettant simplement au lieu de
et l’on trouvera la transformée
qui a aussi la forme demandée.
Les limites que nous avons employées ont conduit directement aux transformées que l’on cherchait ; mais, si l’on avait pris, par exemple, pour la première racine les limites et qui ont également la propriété qu’aucune autre racine ne s’y trouve comprise, puisque l’autre racine positive est moindre que on aurait eu ce qui aurait donné la substitution
ou bien, en mettant pour
et l’on aurait trouvé la transformée
qui n’a pas encore la forme demandée, parce que la racine positive se trouve trop grande.
Mais, sans recourir à une nouvelle substitution en augmentant la valeur de il suffira de diminuer toutes les racines d’une même quantité en faisant et chercher ensuite par des essais une valeur de qui satisfasse aux conditions qu’on demande. On aura ainsi cette transformée
et il s’agira de prendre positif et tel que et On voit tout de suite que satisfait, et l’on a la transformée
qui est la même que la transformée en trouvée d’abord.
4. Nous avons vu dans l’Article III du Chapitre V (no 72) que, si et sont deux fractions convergentes vers une des racines de l’équation en la transformée en qui doit servir à trouver la fraction suivante, résulte directement de la substitution de au lieu de dans l’équation proposée. Faisons on aura
Cette substitution est, comme l’on voit, analogue à celle que nous avons employée ci-dessus, en prenant et pour les deux limites que nous avons nommées et
Or, comme deux fractions consécutives sont elles-mêmes des limites alternativement plus grandes et plus petites que la racine cherchée, et qui se resserrent continuellement, il s’ensuit que les transformées qui répondent aux fractions plus petites que la racine approcheront de plus en plus d’avoir les conditions nécessaires pour pouvoir être de la forme proposée ; et les transformées intermédiaires auront la même propriété, en y substituant au lieu de car, si l’expression de devient par cette substitution
La différence entre les deux fractions et étant lorsque cette différence sera devenue moindre que la plus petite différence entre les racines de l’équation proposée, c’est-à-dire moindre que la limite (Note IV), on sera assuré qu’il ne pourra tomber entre ces fractions qu’une seule racine ; mais, à l’égard des parties réelles des racines imaginaires, il ne sera pas facile de s’assurer a priori qu’elles tombent hors de ces fractions, à moins de former l’équation dont les racines seraient et de chercher ensuite une limite plus petite que chacune de ces racines, pour la comparer avec la même différence
Au reste, quoique les fractions consécutives fournissent des limites qui se resserrent de plus en plus autour de la même racine, il est possible que les transformées n’acquièrent jamais la forme dont il s’agit, par la raison que, les deux limites se resserrant à la fois, la racine positive peut aller en augmentant au lieu de diminuer. Mais, lorsqu’on sera parvenu à des fractions entre lesquelles il n’y aura qu’une seule racine réelle et aucune des parties réelles des racines imaginaires, il suffira de diminuer toutes les racines de la transformée correspondante d’une même quantité qu’on pourra trouver par quelques essais, comme on l’a vu plus haut.
Lorsqu’une équation est réduite à la forme dont nous parlons, c’est-à-dire que tous ses termes ont le même signe, à l’exception du dernieir terme tout connu, on fera passer ce dernier terme dans le second membre, et l’on pourra en extraire la racine à peu près comme dans les équations à deux termes où il n’y a qu’une seule puissance de l’inconnue seulement on aura besoin de plus d’essais et d’épreuves, à raison des différentes puissances de l’inconnue qu’elle contiendra.
Ainsi, par exemple, si l’on a l’équation du troisième degré
dans laquelle sont supposés des nombres positifs, en la mettant sous la forme
on voit que, au lieu d’extraire simplement du nombre la racine de la puissance il s’agit d’en extraire celle de la somme des puissance : et, si est la partie de cette racine déjà trouvée et le reste, on aura
et par conséquent
formule qui répond à celle-ci
sur laquelle est fondé le procédé de l’extraction de la racine cubique.
Prenons l’équation trouvée plus haut
la formule sera ici
Il est d’abord facile de voir que le premier chiffre de la valeur de ne peut être que faisant donc on trouvera En prenant la nouvelle valeur de sera et l’on trouvera