Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 07


NOTE VII.

SUR LA MÉTHODE DE FONTAINE, POUR LA RÉSOLUTION DES ÉQUATIONS.


Comme on ne fait point usage de cette méthode, qui est d’ailleurs peu connue, je pourrais me dispenser d’en parler ici ; mais le nom de l’Auteur et la manière dont il l’a annoncée m’engagent à en donner une idée abrégée et à examiner les principes sur lesquels elle est fondée. Je la donne, dit-il, pour l’analyse en entier que l’on cherche si inutilement depuis l’origine de l’Algèbre. (Voir les Mémoires de l’Académie des Sciences pour l’année 1747, p. 665.)

1. Cette méthode a deux parties. Dans la première, l’Auteur considère les équations comme composées de facteurs simples, réels ou imaginaires de la forme et contenant un certain nombre de quantités réelles positives et inégales, Il parcourt toutes les combinaisons possibles des différents facteurs qu’on peut former de cette manière, et il cherche, pour chaque système de facteurs, dans les coefficients de l’équation, les conditions qui sont propres à ce système et qui peuvent le distinguer de tous les autres. Il forme ainsi des Tables qui contiennent tous les différents systèmes de facteurs et les conditions qui leur appartiennent, de manière qu’une équation quelconque étant proposée, dont les coefficients sont donnés en nombres, on puisse tout de suite reconnaître quel est le système de facteurs dont elle peut être composée. Ainsi l’on saura sur-le-champ combien elle a de racines réelles inégales ou égales, positives ou négatives, et combien elle en a d’imaginaires, avec la forme de chacune des imaginaires.

2. Pour donner une idée plus nette de ce que je viens de dire à ceux qui ne sont pas à portée de consulter le Recueil des Mémoires de Fontaine, je vais rapporter ici la Table des équations du second degré, avec un précis de la méthode par laquelle l’Auteur l’a construite ; ensuite je ferai quelques remarques sur cette méthode.

Dans les formules suivantes, les lettres et désignent des nombres ou des quantités quelconques positives, et l’on suppose que est toujours une quantité plus grande que .

On voit d’abord dans cette Table toutes les combinaisons possibles des différents facteurs, qui ne peuvent être ici que

Pour savoir à quelle forme d’équations chaque combinaison pouvait se rapporter, on a développé les produits et on les a comparés aux équations, en faisant attention que la quantité doit être plus grande que Jusque-là la méthode n’a de difficulté que la longueur du calcul, et tout l’art consiste à trouver les caractères ou conditions propres à chaque combinaison.

Ces conditions sont de deux sortes les unes sont données par des équations déterminées, comme

ce sont celles qui ont lieu lorsqu’on suppose que la quantité devient nulle ou devient égale à Elles ne sont pas difficiles à trouver, car, comme ces suppositions détruisent une des deux indéterminées en faisant la comparaison des termes résultant du produit des facteurs avec ceux de l’équation, on a une équation de plus qu’il n’y a d’indéterminées, de sorte que, par l’élimination, on parvient nécessairement à une équation de condition ; c’est ainsi que les facteurs égaux donnent la condition

et que les facteurs donnent

Les autres conditions dérivent de celles-ci, en changeant le signe d’égalité dans celui de majorité ou de minorité. Elles résultent de cette considération que, si une fonction des coefficients et est nulle lorsque ou elle sera plus grande ou plus petite que zéro lorsque sera plus grand que ou plus grand que zéro.

Ainsi, comme le système peut résulter de celui-ci

en faisant ou de celui-ci

en faisant la fonction qui est nulle pour ce système-

là, ne le sera plus dans ces deux-ci et l’on trouve que cette fonction est positive pour le système et négative pour le système

L’Auteur suppose comme un principe général que la fonction qui est nulle dans le cas de la coïncidence de deux systèmes sera toujours plus grande que zéro dans l’un et moindre que zéro dans l’autre, et il détermine par un exemple particulier celui des systèmes où elle est positive et celui où elle est négative ; mais cette proposition ne peut pas être admise sans démonstration, et il y a même de fortes raisons de douter qu’elle soit vraie en général.

Dans les cas dont il s’agit, on en peut prouver la vérité, car le système étant développé, donne

donc et par conséquent

quantité toujours positive. De même, le système

donne et

quantité toujours négative. On peut démontrer de la même manière les autres conditions pour les différents systèmes des équations du second degré.

3. L’Auteur a appliqué les mêmes principes et la même méthode aux équations du troisième et du quatrième degré, et il a donné pour ces degrés des Tables semblables à celle que nous venons de rapporter. (Voir le Recueil de ses Mémoires, imprimé en 1764.)

L’étendue de ces Tables augmente en proportion du nombre des combinaisons des différents facteurs, et la recherche des conditions propres a chaque combinaison ou système devient d’autant plus difficile, qu’il arrive souvent que les conditions qui résultent de l’légalité de quelques-unes des quantités , qui sont censées former une série décroissante, ont lieu pour plus d’un système à la fois, et qu’il est alors nécessaire de trouver des conditions pour distinguer ces mêmes systèmes entre eux.

L’Auteur ne donne aucune règle générale sur cet objet ; il se contente d’essayer successivement les fonctions les plus simples des coefficients de l’équation, jusqu’à ce qu’il en trouve une qui soit nulle dans le cas commun à deux systèmes, et qui soit plus grande que zéro dans l’un et plus petite que zéro dans l’autre.

C’est ainsi, par exemple, que, ayant trouvé pour l’équation

que les deux systèmes

ont la même équation de condition

il cherche une fonction de la forme

telle qu’elle soit dans le cas commun de et qu’elle soit pour le premier système et pour le second ; il trouve celle-ci

qui satisfait à ces deux conditions.

Quoique l’Auteur soit parvenu à trouver ces fonctions pour tous les cas des équations du troisième et du quatrième degré, on peut douter qu’il soit possible de les trouver en général dans les équations des degrés supérieurs ; du moins il n’est pas démontré qu’il existe toujours nécessairement des fonctions qui aient ces propriétés ; ainsi la théorie peut être aussi en défaut de ce côté.

4. Au reste, on peut trouver directement les conditions précédentes, car, si l’on suppose que l’équation

ait un facteur double il n’y aura qu’à diviser le polynôme par on trouvera le quotient et le reste

alors il faudra faire séparément

d’où l’on tire

Cette valeur, substituée dans la première équation, donne

ce qui est la condition commune aux deux systèmes.

Maintenant, comme le quotient forme le facteur inégal de l’équation, on fera

donc, puisque par l’hypothèse on aura

Mais, en substituant la valeur de , on a

d’un autre côté, il est facile de s’assurer que, pour les deux systèmes, on a

car le système donne

comme il résulte du développement ; donc

et, comme pour l’autre système il n’y a qu’à changer en on aura de même

Donc les conditions pour les deux systèmes seront simplement

comme Fontaine l’a trouvé.

5. Mais les conditions mêmes qui résultent de l’égalité de quelques-unes des quantités , ne sont pas toujours particulières aux systèmes dans lesquels ces égalités ont lieu, comme Fontaine le suppose, ce qui détruit un des principaux fondements de sa théorie.

Par exemple, il trouve dans le troisième degré que, pour l’équation

la condition

est particulière au système

et doit le distinguer de tous les autres. Mais j’ai reconnu que cette condition a lieu aussi pour tout système de la forme

qui se rapporte à la même formule d’équation, lorsque ce qu’on peut aussi prouver a priori.

Ainsi, si l’on a l’équation

comme elle satisfait à la condition dont il s’agit, puisque, en faisant on a

on pourrait conclure de la Table de la page 546 du Recueil des Mémoires de Fontaine que cette équation a trois facteurs de la forme

et que par conséquent elle a deux racines imaginaires, tandis qu’elle a au contraire les trois facteurs réels

On doit dire la même chose de la condition

que Fontaine trouve (p. 568) pour le caractère commun des deux systèmes

appartenant à la formule

Cette condition n’est pas particulière à ces deux systèmes ; elle a lieu aussi dans tout système de la forme

appartenant à la même formule d’équations (p. 552), pourvu que l’on ait c’est ce qu’on peut trouver a priori, mais ce détail nous mènerait trop loin.

6. On peut conclure de ces observations qu’il n’est pas toujours possible de trouver les conditions qui distinguent chaque système de facteurs de tous les autres, en ne considérant dans les quantités qui entrent dans ces facteurs d’autres rapports que ceux d’égalité ou d’inégalité, suivant la théorie de Fontaine. Mais, quand on le pourrait, le travail pour les trouver dans les degrés au-dessus du quatrième serait immense et ne serait pas même utile pour l’a résolution numérique des équations, comme nous allons le montrer en examinant la seconde partie de la méthode.

7. Dès qu’on aura trouvé, comme l’Auteur le suppose, la forme de chaque facteur de l’équation proposée, il n’y aura plus qu’à déterminer les valeurs des quantités , qui entrent dans ces facteurs, et qu’on sait être toutes positives et inégales ; et voici comment il s’y prend. Il développe les produits des facteurs, et, les comparant à l’équation proposée, il a autant d’équations qu’il y a d’indéterminées il élimine toutes ces quantités, hors deux qu’il se propose de déterminer il a ainsi deux équations entre ces deux quantités ; il fait la plus grande de ces quantités et la plus petite et, éliminant il a une équation homogène en et dans laquelle il substitue pour et pour

Il suppose d’abord il a une équation en dans laquelle il fait successivement jusqu’à ce qu’il trouve deux résultats de signe contraire ; alors il fait étant le plus petit des deux nombres qui ont donné des résultats de signe contraire ; donc

Il fait ensuite et, dans l’équation résultante en il cherche de même deux substitutions qui donnent des résultats de signe contraire ; nommant le plus petit des deux nombres, il fait donc

Il continue de la même manière en faisant égal à la dernière valeur de à l’avant-dernière, à la dernière valeur de et à l’avant-dernière.

Substituant ensuite successivement ces valeurs de et dans l’expression rationnelle de qui résulte des deux équations, on a celles de et d’autant plus exactement que les opérations sur et ont été poussées plus loin.

Pour en donner un exemple, je vais rapporter celui que l’on trouve dans les Mémoires de l’Académie de 1747, p. 672.

Soit l’équation

comme elle se rapporte à la formule en faisant si l’on examine les conditions relatives à cette formule dans la Table donnée ci-dessus, on trouve que celle-ci

a lieu ; d’où l’on conclut que les deux facteurs sont de la forme

On a donc, en développant, et

Soient on aura donc

savoir

où l’on fera et

Soient :

1o donc substituant ces valeurs, on a

faisant jusqu’à on a des résultats négatifs ; mais donne le résultat donc donc

2o donc et l’on a l’équation

Ici donne le résultat donne donc et de là

3o donc et, substituant, on a l’équation

Faisant jusqu’à on a des résultats négatifs ; mais donne le résultat donc et de là

et ainsi de suite.

8. Telle est la méthode d’approximation que Fontaine a donnée sans démonstration dans son Mémoire de 1747 et qu’il a redonnée de même dans le Recueil de ses Mémoires. Elle suppose, comme l’on voit, que l’on peut toujours, par la substitution des nombres au lieu de dans les différentes équations en trouver deux nombres qui donnent des résultats de signe différent, ce qui, par ce que nous avons démontré dans le Chapitre I (no 5 et suiv.), n’a lieu qu’autant que ces équations ont des racines positives dont la moindre différence est plus, grande que l’unité. D’après cette considération, il est facile de trouver des exemples où la méthode de Fontaine sera en défaut.

Soit, par exemple, l’équation

qui se rapporte à la formule en faisant La Table de la page 547 du Recueil des Mémoires de Fontaine donne ces trois conditions

pour le système

lesquelles se trouvant remplies ici, il s’ensuit que ce système est celui de l’équation proposée.

Pour trouver les trois quantités positives et inégales , on comparera le produit des facteurs

avec l’équation donnée ; on aura ces trois équations

Éliminant on aura et les deux autres équations deviendront :

et, faisant on aura

Enfin, éliminant on aura une équation homogène du sixième degré en et réductible à cette forme

Maintenant on fera, suivant Fontaine, et l’on supposera dans la première opération ce qui donne

l’équation sera donc

et il faudra faire successivement jusqu’à ce que l’on trouve deux valeurs de qui donnent des résultats de signe contraire, ce qui n’arrivera jamais, les résultats étant toujours positifs, comme il est facile de s’en convaincre par la simple inspection de l’équation. Ainsi la méthode sera en défaut dès la première opération.

Il est aisé de voir qu’on ne peut avoir des résultats négatifs qu’en donnant à une valeur intermédiaire entre et Par exemple, en faisant on trouve le résultat mais cela est contraire à l’esprit de la méthode de Fontaine, qui suppose que et sont toujours des nombres entiers. D’ailleurs, si l’on voulait admettre pour des nombres fractionnaires, il serait bien plus simple d’opérer immédiatement sur l’équation proposée, en cherchant deux valeurs de l’inconnue qui donnent des résultats de signe contraire ; mais la connaissance de la forme des facteurs, qui est l’objet des Tables de Fontaine, devient inutile pour cette recherche, et la difficulté du problème demeure en son entier.

Nous remarquerons encore que, puisque dans la première opération on fait l’équation en sera toujours, généralement parlant, d’un degré plus haut que l’équation proposée, car, si et sont deux racines réelles, les racines de l’équation en seront tous les quotients qu’on peut former en divisant une racine par l’autre ; de sorte que, si est le degré de la proposée, sera celui de l’équation en laquelle sera d’ailleurs nécessairement du genre des réciproques.

Mais si, étant une racine réelle, était la partie réelle de deux racines imaginaires, alors serait le quotient d’une racine divisée par la demi-somme de deux autres racines, et l’équation en serait du degré

9. Au reste, comme l’équation en et que l’on trouve par le procédé de Fontaine est nécessairement une équation homogène, elle n’a, à proprement parler, qu’une seule inconnue et la substitution de à la place de et de à la place de revient à substituer immédiatement à la place de l’inconnue de cette équation ; or cette formule est l’expression générale des fractions convergentes qui résultent d’une fraction continue, dans laquelle représente successivement les dénominateurs de cette fraction, et sont les deux fractions successives qui précèdent la fraction comme il résulte de la théorie connue des fractions continues. Ainsi il paraît que l’ontaine a cherché à exprimer le rapport entre les quantités et qui est le même que celui entre les quantités et par les fractions convergentes dépendantes des fractions continues ; mais la difficulté consiste à déterminer les valeurs de lorsque la fraction n’est donnée que par une équation. [Voir ci-dessus l’Article IV (no 78).]

Je me suis un peu étendu sur l’analyse de la méthode de Fontaine, parce que je ne connais jusqu’à présent que deux Auteurs qui en aient parlé, d’Alembert dans l’Encyclopédie, au mot Équation, et Condorcet dans l’Histoire de l’Académie des Sciences pour les années 1771 et 1772, et que l’un et l’autre se sont contentés de jeter des doutes sur cette méthode sans donner les moyens de l’apprécier.


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