Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 05


NOTE V.

SUR LA MÉTHODE D’APPROXIMATION DONNÉE PAR NEWTON.


Comme la méthode de Newton pour la résolution approchée des équations numériques est la plus connue et la plus usitée, à cause de sa simplicité, il est important d’apprécier le degré d’exactitude dont elle est susceptible ; voici comment on peut y parvenir.

1. Soit l’équation générale du degré

dont on cherche une racine. La méthode dont il s’agit demande qu’on connaisse d’avance une valeur approchée de la racine cherchée ; en désignant cette valeur par on fera et l’on aura par cette substitution une équation transformée en qui, à commencer par les derniers termes, sera de la forme

où les quantités seront des fonctions de qu’on trouvera tout de suite par les formules du no 8, en changeant en ainsi l’on aura

Comme doit être, par l’hypothèse, une quantité assez petite, étant la différence entre la vraie racine et la valeur supposée de cette racine, les puissances seront de fort petites quantités auprès de par conséquent, les termes affectés de ces puissances seront eux-mêmes nécessairement très-petits à l’égard des premiers termes puisque, les coefficients ne peuvent jamais devenir fort grands, étant des fonctions sans dénominateur ; ainsi, en réduisant toute l’équation à ces deux termes, on en tirera une valeur approchée de qui sera Appelons cette valeur approchée de on pourra faire par la même raison, dans l’équation en la substitution de à la place de et négliger ensuite dans la transformée en les termes qui contiendront le carré et les puissances plus hautes de cette transformée, étant ainsi réduite aux deux premiers termes de la forme donnera sur-le-champ Cette quantité étant nommée on substituera à la place de dans la dernière transformée, et l’on en aura une nouvelle en d’où l’on tirera de même la valeur de et ainsi de suite.

De cette manière, on aura les approximations vers la vraie valeur de la racine cherchée.

2. Voilà la méthode telle que Newton l’a donnée dans la Méthode des fluxions ; mais il est hon de remarquer qu’on peut se dispenser de faire continuellement de nouvelles transformées, car, puisque la transformée en est le résultat de la substitution de au lieu de dans l’équation en et que la transformée en est le résultat de la substitution de au lieu de dans la transformée en il s’ensuit que cette transformée en sera le résultat de la substitution immédiate de à la place de dans la même équation en par conséquent, elle ne sera autre chose que la première transformée en en y changeant en et en d’où il s’ensuit qu’ayant trouvé l’expression générale de en on aura celle de en y substituant au lieu de et par la même raison on aura la valeur de en substituant au lieu de et ainsi de suite.

Donc, en général, si dans l’expression de en on substitue pour un terme quelconque de la suite convergente vers la racine cherchée, on aura la quantité qu’il faudra ajouter à ce terme pour avoir le terme suivant.

La méthode qui résulte de cette considération est, comme l’on voit, plus simple que celle de Newton c’est celle que Raphson a donnée dans l’Ouvrage intitulé Analysis æquationum universalis, imprimé à Londres en 1690 et réimprimé en 1697. Comme la méthode de Newton avait déjà paru dans l’édition anglaise de l’Algèbre de Wallis en 1685, et qu’elle a été ensuite expliquée en détail dans l’édition latine de 1793, on peut être surpris que Raphson n’en ait pas fait mention dans son Ouvrage, ce qui porterait à croire qu’il la regardait comme entièrement différente de la sienne ; c’est pourquoi j’ai cru qu’il n’était pas inutile de faire remarquer que ces deux méthodes ne sont au fond que la même présentée différemment.

3. Maintenant il est clair que la bonté de la méthode dont il s’agit dépend de cette condition que, si est une valeur approchée d’une des racines de l’équation proposée, sera une valeur plus approchée de la même racine ; c’est donc ce qu’il faut examiner.

Soient les racines de l’équation

cette équation, comme on l’a vu dans la Note II, peut-toujours se mettre sous la forme

Mettons à la place de et développons les termes suivant les puissances de on trouvera, pour les deux premiers termes ces valeurs de et

d’où l’on tire

et par conséquent

Supposons que soit la racine que l’on cherche et que soit une valeur approchée en plus ou en moins, sera le défaut ou l’excès de la valeur sur la véritable et sera le défaut ou l’excès de la valeur corrigée et il faudra, pour la bonté de la méthode, que la quantité soit toujours plus petite que la quantité abstraction faite des signes de ces quantités, et, par conséquent, que la quantité soit toujours plus grande que abstraction faite des signes.

4. Faisons, pour abréger,

on aura, par la formule trouvée ci-dessus, pour la valeur de

donc

D’où je conclus que, si la valeur de est du même signe que celle de la valeur de sera encore du même signe, et que la condition dont il s’agit aura nécessairement lieu.

Mais, si les deux quantités et sont de signes contraires, alors, pour que la condition ait lieu, abstraction faite des signes, il faudra que l’on ait

or, de l’équation précédente on tire

donc il faudra que

soit une quantité positive et, par conséquent, que l’on ait la condition

Comme la valeur de dépend des autres racines qui sont inconnues, il est difficile, peut-être même impossible, de trouver a priori un caractère pour juger si la condition dont il s’agit est remplie ou non.

Il est aisé d’ailleurs de former a posteriori des équations où cette condition n’aura point lieu, en prenant les racines de manière que quelques-unes des différences soient fort petites et de signes différents ; et, si et par exemple, sont imaginaires et de la forme et il n’y aura qu’à prendre peu différent de et fort petit. Alors la valeur corrigée au lieu d’être plus près de la vraie valeur de la racine que la valeur de s’en éloignera au contraire davantage.

5. Il n’y a donc que le premier cas où l’on puisse établir un caractère certain pour le succès de la méthode ; car il est visible que, si la quantité est à la fois plus petite que chacune des racines de l’équation proposée ou plus grande que chacune de ces racines, en regardant, comme on le doit, les quantités négatives comme plus petites que les positives et les plus grandes négatives comme plus petites que les moins grandes, alors la quantité sera nécessairement de même signe que la quantité et si, parmi ces racines, il y en a d’imaginaires de la forme il en résultera dans les termes

qui se réduisent à

quantité qui sera aussi de même signe que si est en même temps plus petit ou plus grand que

D’où l’on peut conclure, en général, que l’usage de la méthode dont il s’agit n’est sûr que lorsque la valeur approchée est à la fois ou plus grande ou plus petite que chacune des racines réelles de l’équation et que chacune des parties réelles des racines imaginaires, et que, par conséquent, cette méthode ne peut être employée sans scrupule que pour trouver la plus grande ou la plus petite racine d’une équation qui n’a que des racines réelles, ou qui en a d’imaginaires, mais dont les parties réelles sont moindres que la plus grande racine réelle ou plus grandes que la plus petite de ces racines.

Pour que les valeurs corrigées successivement approchent toutes de plus en plus de la vraie valeur de la racine, il faudra prendre pour première valeur approchée une quantité plus grande que la plus grand des racines si c’est celle-ci qu’on cherche, ou plus petite que la plus petite racine si l’on cherche la plus petite ; alors toutes les valeurs corrigées successivement seront aussi plus grandes que la plus grande ou plus petites que la plus petite des racines, et la condition nécessaire pour la convergence aura constamment lieu pour toutes ces valeurs, puisque et seront toujours de même signe, en prenant pour chacune de ces mêmes valeurs.

6. Lorsque toutes les racines de l’équation sont réelles, il est facile de reconnaître si la première valeur approchée est plus grande ou plus petite que chacune des racines ; car, en mettant l’équation sous la forme

et substituant pour elle deviendra

seront, dans le premier cas, des quantités positives, et, dans le second, toutes négatives donc, dans le premier cas, on aura une transformée en dont tous les termes seront positifs, et, dans le second cas, cette transformée aura ses termes alternativement positifs et négatifs.

Réciproquement, si les termes de la transformée en sont tous positifs, il est évident qu’il n’y aura alors aucune valeur positive de qui puisse satisfaire à l’équation ; par conséquent, les valeurs réelles de seront nécessairement négatives ; donc, les racines de l’équation en étant il faudra que ces quantités soient toutes négatives ou imaginaires ; donc la quantité sera nécessairement plus grande que chacune des racines réelles de l’équation, quand même elle aurait des racines imaginaires.

On prouvera de la même manière que, si les termes de la transformée en sont alternativement positifs et négatifs, la quantité sera nécessairement plus petite que chacune des racines réelles, soit qu’il y ait des imaginaires ou non.

7. Mais, dans le cas où l’équation a des racines imaginaires, on ne pourra pas s’assurer de la même manière que la quantité sera en même temps plus grande ou plus petite que chacune des parties réelles de ces racines ; je ne vois pas même qu’on puisse s’en assurer autrement que par le moyen de l’équation dont ces parties réelles seraient racines. Or si

on a

ainsi l’équation dont sera une des racines ne peut être que celle qui aura pour racines les demi-sommes des racines de la proposée, prises

deux à deux, et qui, par la théorie des combinaisons, montera au degré

Ayant formé cette équation par les formules que nous avons indiquées plus haut (Note III), on y substituera à la place de l’inconnue et, si la transformée a tous ses termes positifs ou alternaivement positifs et négatifs, on sera assuré que le nombre sera plus grand ou plus petit que chacune des valeurs de , et par conséquent aussi que chacune des parties réelles des racines imaginaires.

8. Newton n’a appliqué sa méthode qu’à l’équation

que nous avons résolue (no 25). Il suppose d’abord, dans le Chapitre IV, et, substituant à la place de il a la transformée

d’où il tire il fait ensuite il a la nouvelle transformée

d’où il tire il continue en faisant il vient la transformée

d’où il déduit et ainsi de suite

Ainsi les valeurs convergentes de sont

dont la dernière est exacte à la dernière décimale près (numéro cité).

Dans ce cas, la série est, comme l’on voit, très-convergente, On peut, en effet, s’assurer a priori, par ce que nous avons démontré, que cela doit être ainsi.

Car nous avons vu (numéro cité) que les deux autres racines de cette équation sont imaginaires, et qu’en les représentant par on a à très-peu près

donc, puisque, outre la racine que l’on cherche, il n’y a que ces deux racines imaginaires, on aura dans ce cas

Or, étant on a

mais, étant à très-peu près on a

d’où l’on voit d’abord que et sont de signes différents, et qu’ainsi, pour que la première correction de soit juste, il faut que la condition

ait lieu. Or on trouve

de sorte que la condition dont il s’agit est amplement satisfaite. Ainsi on est assuré que la première valeur corrigée approchera davantage de la vraie valeur de la racine. En prenant cette valeur pour on a

donc, et étant maintenant de même signe, les corrections suivantes approcheront toutes de plus en plus de la vraie valeur de la racine cherchée.


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