Traité de la pesanteur de la masse de l’air/Chapitre IX

Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air
Texte établi par Léon Brunschvicg et Pierre BoutrouxHachette (p. 248-253).
Traité de la pesanteur de la masse de l’air
Chapitre IX.Combien pese la masse entiere de tout l’Air qui est au monde.


Nous apprenons, par ces experiences, que l’Air qui est sur le niveau de la mer, pese autant que l’eau, à la hauteur de 31. pieds deux poulces ; mais parce que l’Air pese moins sur les lieux plus élevez que le niveau de la mer, et qu’ainsi il ne pese pas sur tous les points de la terre également, et mesme qu’il pese differemment par tout : On ne peut pas prendre un pied fixe qui marque combien tous les lieux du monde sont chargez par l’Air, le fort portant le foible ; mais on peut en prendre un par conjecture bien approchant du juste ; comme, par exemple, on peut faire estat que tous les lieux de la terre en general, considerez comme s’ils estoient également chargez d’Air, le fort portant le foible, en sont autant pressez que s’ils portoient de l’eau à la hauteur de 31. pieds ; et il est certain qu’il n’y a pas un demy pied d’eau d’erreur en cette supposition.

Or, nous avons veu que l’Air qui est au dessus des montagnes hautes de 500. toises sur le niveau de la mer, pese autant que l’eau à la hauteur de 26. pieds 11 poulces.

Et, par consequent, tout l’Air qui s’étend depuis le niveau de la mer jusqu’au haut des montagnes hautes de 500. toises, pese autant que l’eau à la hauteur de 4. pieds un poulce, qui estant à peu prés la septiéme partie de la hauteur entiere, il est visible que l’Air compris depuis la mer jusques à ces montagnes, est à peu prés la septiéme partie de la masse entiere de l’Air.

Nous apprenons de ces mesmes experiences, que les vapeurs qui sont épaisses dans l’Air, lorsqu’il en est le plus chargé, pesent autant que l’eau à la hauteur d’un pied huit poulces ; puisque pour les contrepeser, elles font hausser l’eau dans les Pompes à cette hauteur, par dessus celle où l’eau contrepesoit déja la pesanteur de l’Air : de sorte que, si toutes les vapeurs qui sont sur une contrée estoient reduites en eau, comme il arrive quand elles se changent en pluye, elles ne pourroient produire que cette hauteur d’un pied huit poulces d’eau sur cette contrée. Et s’il arrive par fois des orages où l’eau de la pluye qui tombe vienne à une plus grande hauteur, c’est parce que le vent y porte les vapeurs des contrées voisines.

Nous voyons aussi de là que, si toute la Sphere de l’air estoit pressée et comprimée contre la terre par une force qui, la poussant par le haut, la réduisist en bas à la moindre place qu’elle puisse occuper, et qu’elle la réduisist[1] comme en l’eau, elle auroit alors la hauteur de 31. pieds seulement,

Et, par consequent, qu’il faut considerer toute la masse de l’Air, en l’estat libre où elle est, de la mesme sorte que si elle eust esté autrefois comme une masse d’eau de 31. pieds de haut à l’entour de toute la terre, qui eust esté rarefiée et dilatée extrémement, et convertie en cet estat où nous l’appelons Air, auquel elle occupe, à la verité, plus de place, mais auquel elle conserve precisément le mesme poids que l’eau à 31. pieds de haut.

Et comme il n’y auroit rien de plus aisé que de supputer combien l’eau qui environneroit toute la terre à 31. pieds de haut peseroit de livres, et qu’un enfant qui sçait l’Addition et la Soustraction le pourroit faire, on trouveroit, par le mesme moyen, combien tout l’Air de la nature pese de livres, puisque c’est la mesme chose ; et si on en fait l’épreuve, on trouvera qu’il pese à peu prés huit millions de millions de millions de livres.

J’ay voulu avoir ce plaisir, et j’en ai fait le compte en cette sorte.

J’ay supposé que le Diametre d’un cercle est à sa circonference, comme 7. à 22.

J’ay supposé que le Diametre d’une Sphere estant multiplié par la circonference de son grand cercle, le produit est le contenu de la superficie Spherique.

Nous sçavons qu’on a divisé le tour de la terre en 360. degrez. Cette division a esté volontaire ; car on l’eust divisée en plus ou moins si on eust voulu, aussi bien que les cercles celestes.

On a trouvé que chacun de ces degrez contient 50 000. toises.

Les lieuës autour de Paris sont de 2 500. toises ; et, par conséquent, il y a 20. lieuës au degré : d’autres en comptent 26. mais aussi ils ne mettent que 2 000. toises à la lieuë ; ce qui revient à la mesme chose.

Chaque toise a 6. pieds.

Un pied cube d’eau pesé 72. livres.

Cela posé, il est bien aisé de faire la supputation qu’on cherche.

Car puisque la terre a pour son grand cercle, ou pour sa circonference… 360. degrez.

Elle a par consequent, de tour… 7 200. lieuës.

Et par la proportion de la circonférence au Diametre, son Diametre aura… 2 291. lieuës.

Donc, en multipliant le Diametre de la terre par la circonference de son grand cercle, on trouvera qu’elle a en toute sa superficie Spherique… 16 495 200. lieuës quarrées.

C’est-à-dire… 103 095 000 000 000. toises quarrées.

C’est-à-dire… 3 711 420 000 000 000. pieds quarrez.

Et parce qu’un pied cube d’eau pese 72. livres.

Il s’ensuit qu’un prisme d’eau d’un pied carré de base et de 31. pieds de haut, pese 2 232. livres.

Donc si la terre estoit couverte d’eau jusques à la hauteur de 31. pieds, il y auroit autant de prismes d’eau de 31. pieds de haut, qu’elle a de pieds quarrez en toute sa surface. (Je sçay bien que ce ne seroient pas des prismes, mais des secteurs de Sphere ; et je neglige exprés cette precision.)

Et partant elle porteroit autant de 2 232. livres d’eau, qu’elle a de pieds quarrez en toute sa surface.

Donc cette masse d’eau entiere peseroit : 8 283 889 440 000 000 000. livres.

Donc toute la masse entiere de la Sphere de l’Air qui est au monde, pese ce mesme poids de 8 283 889 440 000 000 000. livres.

C’est à dire, Huit millions de millions de millions, deux cent quatre-vingt-trois mille huit cent quatre-vingt-neuf millions de millions, quatre cent quarente mille millions de livres.

  1. Bossut imprime avec raison peut-être : comme en eau.