Traité de la musique/Livre 1/Chapitre 1

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)
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LIVRE PREMIER.
L'auteur, dans le premier livre, définit la musique ; il traite des différentes espèces de mouvements cadencés, qui constituent l'essence de cet art, et de leurs rapports.

CHAPITRE PREMIER.
L’art de déterminer la juste étendue des sons dépend de la musique et non de la grammaire.

1. Le Maître : Le mot modus forme quel pied ? — L'Élève, un Pyrrhique. — L. M. Combien a-t-il de temps ? — L'E. Deux. — L. M. El le mot ùonus quel pied est-ce. — L'E. Le même que modus. — L. M. Modus est donc absolument la même chose que bonus? — LE. Non pas. — L. M. Pouiquoi donc dis-tu que ces deux mots sont identiques. — IJE. Ils sont identiques par le son, quant à la signification ils dillèrent. — L. M. Ainsi tu reconnais qu'on entend le même son, ([tiand on prononce modus et bonus. — LE. Le son produit par les lettres est sans doute différent, à tout autre égard il est i(lenli(iue. — L. M. Eh bien! Quand nous prononçons ponc (jilace), verbe , et pone [ par derrière ) , atlverhe ; n'y a-l-il pas, outre la différence de signification, une nuance dans le son. — LIE. Il y a une nuance très-accusée. — L. M. Et d'où vient-elle, puisque les deux mots se composent des mêmes lettres et des mêmes temps? — L'E. De l'accent, qui n'occupe pas la même place. — L. M. Quel est l'art qui enseigne à faire toutes ces distinctions? — L'E. Je les entends faire ordinairement aux grammairiens et c'est à leur école que je les ai apprises; mais j'ignore si ces règles sont du ressort de la grammaire ou sont empruntées à un autre art. — I. M. Nous verrons cela tout à l'heure : Pour le moment, dis-moi si, en m'entendant frapper un tambour ou pincer une corde deux fois avec autant de rapidité que j'en mets à prononcer bonus et 77iodus , tu reconnaîtrais dans ces sons les mêmes temps? — L'E. Assurément. — L. M. Et tu dirais que c'est là un pied pyrrhique. — LE. Oui. — L. M. Et quel maître, sinon le grammairien, t'a appris le nom de ce pied? — LE. il est vrai. — L. M. Ainsi c'est le granunaiiieu iiui doit apprécier tous les sons analogues ; ou plulùf, trouvant en toi-même l'idée de ces mesures du temps, n'as-lu pas cmprimté au granwnairii.li un iciiue pour ItS dé^ijiner? — L’É. Tu as raison. — L. M. Et ce terme, que la grammaire t’a appris, tu n’as pas craint de l’appliquer à un objet qui, de ton propre aveu, n’est pas du ressort de la grammaire? — L’É. Qu’on n’ait donné un nom au pied que pour marquer la mesure des temps, j’en suis convaincu ; mais pourquoi ne serais-je pas libre d’employer ce terme pour désigner une semblable mesure, chaque fois que je la rencontrerai ? Admettons même qu’il fallût employer, pour désigner des sons qui aient la même mesure, un terme différent et étranger à la grammaire, à quoi bon m’inquiéter des mots quand les choses ont pour moi un sens clair ?

L. M. Ce n’est pas là ma pensée; cependant, comme il y a dans les sons, tu le vois bien, des nuances sans nombre, et qu’on peut y reconnaître des mesures déterminées qui, nous en convenons, ne rentrent pas dans le domaine de la grammaire ; ne penses-tu pas qu’il existe un autre art qui embrasse tout ce qui regarde le nombre et l’harmonie dans les mots? — L’É. Cela me paraît probable. — L. M. Quel est cet art, à ton avis? Tu n’ignores pas sans doute qu’on accorde aux Muses une sorte de souveraineté sur le chant; et c’est là, je crois, ce qu’on nomme la musique. — L’É. Je le crois aussi.