Traité de la lumière/Chapitre II

Gauthier-Villars (p. 27-33).

CHAPITRE II

DE LA RÉFLEXION


Ayant expliqué les effets des ondes de lumière, qui s’étendent dans une matière homogène, nous examinerons ensuite ce qui leur arrive en rencontrant Figure 8 : Réflexion spéculaire de la lumière, expliquée par le principe de Huyghens.
Fig. 8.
d’autres corps. Nous ferons voir premièrement comment par ces mêmes ondes s’explique la réflexion de la lumière, et pourquoi elle garde l’égalité des angles. Soit une surface plane et polie, de quelque métal, verre ou autre corps, A B (Fig. 8), que d’abord je considérerai comme parfaitement unie (me réservant à parler des inégalités, dont elle ne peut être exempte, à la fin de cette démonstration) et qu’une ligne A C, inclinée sur A B, représente une partie d’une onde de lumière, dont le centre soit si loin que cette partie A C puisse être considérée comme une ligne droite ; parce que je considère tout ceci comme dans un seul plan, m’imaginant que le plan, où est cette figure, coupe la sphère de l’onde par son centre, et le plan A B à angles droits, ce qu’il suffit d’avertir une fois pour toutes.

L’endroit C de l’onde AC, dans un certain espace de temps, sera avancé jusqu’au plan A B en B, suivant la droite C B, que l’on doit s’imaginer venir du centre lumineux, et qui par conséquent est perpendiculaire à A C. Or dans ce même espace de temps, l’endroit A de la même onde, qui a été empêché de communiquer son mouvement par delà le plan A B, ou du moins en partie, doit avoir continué son mouvement dans la matière qui est au-dessus de ce plan, et cela dans une étendue égale à C B, faisant son onde sphérique particulière, suivant ce qui a été dit ci-dessus. Laquelle onde est ici représentée par la circonférence S N R, dont le centre est A, et le demi-diamètre A N égal à C B.

Que si l’on considère ensuite les autres endroits H de l’onde A C, il paraît qu’ils ne seront pas seulement arrivés à la surface A B par les droites H K parallèles à C B, mais que de plus ils auront engendré, des centres K, des ondes sphériques particulières dans le diaphane, représentées ici par des circonférences dont les demi-diamètres sont égaux aux K M, c’est-à-dire aux continuations des H K jusqu’à la droite B G parallèle à A C.

Mais toutes ces circonférences ont pour tangente commune la ligne droite B N, savoir la même qui de B est faite tangente du premier de ces cercles, dont A était le centre, et A N le demi-diamètre égal à B C, comme il est aisé de voir.

C’est donc la ligne B N (comprise entre B et le point N, où tombe la perpendiculaire du point A) qui est comme formée par toutes ces circonférences, et qui termine le mouvement qui s’est fait par la réflexion de l’onde A C ; et c’est aussi où ce mouvement se trouve en beaucoup plus grande quantité que partout ailleurs. C’est pourquoi, selon ce qui a été expliqué, B N est la propagation de l’onde A C dans le moment que son endroit C est arrivé en B. Car il n’y a point d’autre ligne qui comme B N soit tangente commune de tous les dits cercles, si ce n’est B G, au-dessous du plan A B ; laquelle B G serait la propagation de l’onde si le mouvement s’était pu étendre dans une matière homogène à celle qui est au-dessus du plan. Que si l’on veut voir comment l’onde A C est venue successivement en B N, l’on n’a qu’à tirer dans la même figure les droites K O parallèles à B N, et les droites K L parallèles à A C. Ainsi l’on verra que l’onde A C de droite est devenue brisée dans toutes les O K L successivement, et qu’elle est redevenue droite en N B.

Or il paraît d’ici que l’angle de réflexion se fait égal à l’angle d’incidence. Car les triangles A C B, R N A étant rectangles, et ayant le côté A B commun, et le côté C B égal à N A, il s’ensuit que les angles opposés à ces côtés seront égaux, et partant aussi les angles C B A, N A B. Mais comme C B, perpendiculaire à C A, marque la direction du rayonFigure 9 : Réflexion spéculaire de la lumière, expliquée par le principe de Huyghens.
Fig. 9.
incident ; ainsi A N, perpendiculaire à l’onde B N, marque la direction du rayon réfléchi ; donc ces rayons sont également inclinés sur le plan A B (Fig. 9).

Mais en considérant la démonstration précédente, l’on pourrait dire qu’il est bien vrai que B N est la tangente commune des ondes circulaires dans le plan de cette figure ; mais que ces ondes, étant dans la vérité sphériques, ont encore une infinité de pareilles tangentes, savoir toutes les lignes droites qui du point B sont menées dans la surface du cône engendré par la droite B N autour de l’axe B A. Il reste donc à montrer qu’il n’y a point de difficultés en ceci ; et par la même raison l’on verra pourquoi toujours le rayon incident et le réfléchi sont dans un même plan perpendiculaire au plan réfléchissant. Je dis donc que l’onde A C, n’étant considérée que comme une ligne, ne produit point de lumière. Car un rayon visible de lumière,Figure 10 : Réflexion d’un faisceau lumineux.
Fig. 10.
quelque mince qu’il soit, a toujours quelque épaisseur ; et partant pour représenter l’onde dont le progrès fait ce rayon, il faut au lieu d’une ligne A C, mettre une figure plane, comme dans la figure suivante le cercle H C (Fig. 10), en supposant, comme on a fait, le point lumineux infiniment éloigné. Or il est aisé de voir, en suite de la précédente démonstration, que chaque petit endroit de cette onde H C, étant parvenu jusqu’au plan A B, et engendrant de là chacun son onde particulière, celles-ci auront toutes, lorsque C sera arrivé en B, un commun plan qui les touchera, savoir un cercle B N pareil à C H, et qui sera coupé par le milieu, et à angles droits, par le même plan qui coupe ainsi le cercle C H et l’ellipse A B.

L’on voit aussi que lesdites sphères des ondes particulières ne peuvent point avoir d’autre commun plan touchant que le cercle B N, de sorte que ce sera un plan où il y aura beaucoup plus de mouvement réfléchi que partout ailleurs, et qui pour cela portera la lumière continuée de l’onde C H.

J’ai dit aussi dans la démonstration précédente, que le mouvement de l’endroit A de l’onde incidente ne s’est pu communiquer au delà du plan A B, ou du moins pas entièrement. Où il faut remarquer que, quoique le mouvement de la matière éthérée se communiquât en partie à celle du corps réfléchissant, cela ne peut altérer en rien la vitesse du progrès des ondes, duquel dépend l’angle de réflexion. Car une légère percussion doit engendrer des ondes aussi vite qu’une très forte, dans une même matière. Ce qui vient de la propriété des corps qui font ressort, de laquelle nous avons encore parlé ci-dessus, savoir que peu ou beaucoup pressés ils se restituent en des temps égaux. Partant dans toute réflexion de la lumière, contre quelque corps que ce soit, les angles de réflexion et d’incidence doivent être égaux ; nonobstant que ce corps fût de telle nature qu’il ôtât une partie du mouvement qui fait la lumière incidente. Et l’expérience montre qu’en effet il n’y a aucun corps poli dont la réflexion ne suive cette règle.

Mais ce qu’il faut surtout remarquer dans notre démonstration, c’est qu’elle ne demande pas que la surface réfléchissante soit considérée comme un plan uni, ainsi qu’ont supposé tous ceux qui ont tâché d’expliquer les effets de la réflexion ; mais seulement d’une égalité telle que peuvent composer les particules de la matière du corps réfléchissant, mises les unes auprès des autres, lesquelles particules sont plus grandes que celles de la matière éthérée, comme il paraîtra par ce que nous dirons en traitant de la transparence et de l’opacité des corps. Car la surface consistant ainsi en des particules mises ensemble, et les particules éthérées étant par dessus, et plus petites, il est évident qu’on ne saurait démontrer l’égalité des angles d’incidence et de réflexion par la ressemblance de ce qui arrive à une balle poussée contre un mur, de laquelle on s’est toujours servi. Au lieu que dans notre manière la chose s’explique sans difficulté. Car la petitesse des particules du vif argent, par exemple, étant telle qu’il en faut concevoir des millions dans la moindre surface visible proposée, arrangée comme un amas de grains de sable, qu’on aurait aplani autant qu’il en est capable, cette surface alors devient égale comme un verre poli à notre égard ; et quoiqu’elle demeure toujours raboteuse à l’égard des particules de l’éther, il est évident que les centres de toutes les sphères particulières de réflexion, dont nous avons parlé, sont à peu près dans un même plan uni, et qu’ainsi la commune tangente leur peut convenir assez parfaitement pour ce qu’il faut à la production de la lumière. Et c’est ce qui seulement est requis, dans notre manière de démontrer, pour faire l’égalité desdits angles, sans que le reste du mouvement réfléchi de toutes parts puisse produire aucun effet contraire.