Traité de l’éducation des filles/Avertissement de l’éditeur

Oeuvres complètes de FénelonGauthier Frères et Cie, LibrairiesXVII (p. ix-xv).

I. De l’Éducation des filles[1].

Cet ouvrage, le premier qui soit sorti de la plume de Fénélon, n'étoit point d’abord destiné au public : c’étoit un simple hommage de l’amitié, qui, depuis plusieurs années, unissoit l’auteur à une famille des plus respect tables et des plus distinguées de la cour. Le duc et la duchesse de Beauvilliers, pleins d’estime et de confiance pour l’abbé de Fénélon, crurent que personne n’étoit plus en état que lui de seconder par ses avis la religieuse sollicitude qu’ils désiroient apporter à l’éducation de leur nombreuse famille. Ce fut à leur prière qu’il composa son traité de l’Éducation des filles, un des plus courts qui aient jamais été composés sur une matière si importante, mais qui renferme dans sa brièveté « plus d’idées justes et utiles, plus d’observations fines et profondes, plus de vérités pratiques et de saine morale, que tant de volumineux ouvrages publiés depuis sur le même sujet[1]. » Quoiqu’il ait principalement pour objet l'éducation des filles, les préceptes et les avis généraux qu’il renferme sont souvent applicables aux deux sexes, surtout dans ce premier âge où ils semblent se confondre dans le même nom d’enfant, comme ils font remarquer en eux les mêmes foiblesses et les mémés inclinations.


Après quelques réflexions générales sur l’importance de Lien élever les filles, sur l’influence de cette éducation dans la société, et sur les principaux inconvénients des éducations ordinaires (chap. I et II), l’auteur examine les moyens qu’on peut employer pour éviter ces inconvénients, et les rapporte à quatre principaux. Le premier, est de commencer l’éducation des filles des leur plus tendre enfance (chap. III). « Ce premier âge, qu’on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant, dit Fénélon, celui ou se font les impressions les plus profondes, et qui, pur conséquent, a un plus grand rapport à tout le reste de la vie. » Dès l’âge le plus tendre, on peut travailler utilement à l’éducation des enfants, les accoutumer doucement à la sobriété, leur inspirer l’amour de la vérité et le mépris de toute dissimulation, les prémunir contre la présomption et la vanité, profiter de leur curiosité naturelle et de leurs questions enfantines pour les instruire insensiblement et sans effort.

Le second point, que l’auteur regarde avec raison, comme capital en cette matière, consiste à n’offrir aux enfants que de bons modèles (chap. IV). L’ignorance des enfants et la flexibilité de leur cerveau, dans lequel rien n’est encore imprimé, les rend naturellement souples et enclins à imiter tout ce qu’ils voient : ne laissez donc approcher d’eux que des personnes dont les exemples soient utiles à suivre ; et « comme il n’est pas possible qu’ils ne voient, malgré les précautions qu’on prend, beaucoup de choses irrégulières, il faut leur faire remarquer de bonne heure l’impertinence de plusieurs personnes vicieuses et déraisonnables, sur la réputation desquelles il n’y a rien à ménager ; il faut leur montrer combien on est méprisé, et digne de l’être, combien on est misérable, quand on s’abandonne à ses passions, et qu’on ne cultive point sa raison. »

Le troisième point, sur lequel Fénélon s’étend plus longuement, est l’instruction (chap. V et VI). Rien de plus intéressant que lés détails où il entre, dans cette partie de son ouvrage, sur la manière d’instruire les enfants, de leur faire goûter l’instruction et de leur rendre la vertu aimable ; sur les moyens d’émulation et d’encouragement qu’on peut employer ; sur le choix et l’application des récompenses et des châtiments ; enfin sur les moyens de faire entrer dans l’esprit des enfants les premiers principes de la religion (chap. VII et VIII). Sur ce dernier point en particulier, on trouve ici des développements qu’on chercher oit vainement ailleurs, et qui ne sauroient être trop médités, non-seulement par les pères et mères, mais par toutes les personnes appliquées à l’instruction de la jeunesse.

Le quatrième point regarde le soin de préserver les filles de plusieurs défauts ordinaires à leur sexe, comme sont principalement la mollesse, l’excessive timidité, qui les rend incapables d’une conduite ferme et réglée, la facilité à se répandre en paroles et en discours inutiles, les détours artificieux pour parvenir à leur but, la vanité surtout et le désir de plaire. Pour corriger ce dernier penchant, si naturel aux filles, Fénélon veut qu’on s’applique à leur faire comprendre combien les grâces et les agréments naturels sont inutiles et même dangereux, s ils ne sont soutenus par le mérite et la vertu ; qu’on leur fasse soigneusement éviter la recherche dans les ajustements, l’empressement à suivre les modes, l’affectation du bel-esprit, et tant d’autres petitesses, qui n’aboutissent qu’à rendre une femme méprisable aux yeux de tout homme sage et bien réglé (chap. IX et X).

Les derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à l’instruction des femmes et des gouvernantes appelées à suppléer ou à seconder les mères dans l’éducation de leurs enfants (chap. XI, XII et XIII). Tout ce qu on a jamais écrit de plus raisonnable et de plus solide pour l’instruction des mères de famille, sur la manière de conduire leurs enfants, de traiter leurs domestiques, de régler l’intérieur de la maison, de surveiller tous les détails du ménage, se trouve ici réuni en quelques pages, mais avec cet intérêt et ce charme inexprimable dont le secret semble réservé à Fénélon. Chacun de ses avis et de ses préceptes est éclairci par des détails et des exemples qui en rendent la vérité sensible ; qui en mettent, pour ainsi dire, la pratique sous les yeux du lecteur ; et qui supposent dans l’auteur un esprit d’observation et de sagesse, une profondeur de vues et de réflexions, un sentiment des usages et des convenances que très-peu d’écrivains ont possédés dans un si haut degré.

Quelque haute idée que le duc de Beauvilliers eut déjà conçue des rares talents de l’abbé de Fénélon, le traité de l’Éducation des filles lui découvrit dans son vertueux ami des trésors de sagesse et de lumière qu’il n’avoit pas encore aperçus. Dans un ouvrage destiné à l’instruction d une seule famille, il ne tarda pas à voir un livre élémentaire, qui convenoit également à toutes les familles ; et il crut rendre à la société un service des plus importants, en lui faisant part des sages instructions dont il voyoit chaque jour, dans sa propre famille, les plus précieux résultats. Ses espérances ne furent pas trompées. Le traité de l’Éducation des filles, publié pour la première fois en 1687 (Paris, I vol. in-12), fut accueilli de tous côtés avec les plus grands applaudissements, et acquit aussitôt à l’auteur cette haute réputation qui l’appela deux ans après à l’importante fonction de précepteur des princes.

Cet ouvrage, si généralement applaudi dans le principe, est du petit nombre de ceux dont la réputation, loin de diminuer, s’accroît avec le temps. Il n’est personne qui ne souscrive encore aujourd’hui au jugement du célèbre Rollin, qui regardoit le traité de l’Éducation des filles comme un livre excellent[2], et qui recommandoit aux parents « de le mettre entre les mains du maître » à qui ils confient leurs enfants[3]. » Aussi en a-t-on fait Une multitude d’éditions en France et dans les pays étrangers. Parmi ces nombreuses éditions, on doit distinguer celle de 1696 (Paris, I voL in-12,), revue et corrigée en plusieurs endroits par l’auteur lui-même, et celle de 1715, dans laquelle on publia, pour la première fois, les Avis de Fénélon à une dame de qualité sur l’éducation de sa fille. Nous ignorons à qui et dans quel temps cette lettre a été écrite ; mais on peut certainement la regarder comme un excellent abrégé de l’ouvrage.

Après avoir soigneusement collationné le texte sur les éditions de 1687 et de 1696, nous l’avons confronté avec une copie authentique, corrigée en plusieurs endroits par le duc de Beauvilliers. Cette copie n’est, à la vérité, qu une première ébauche, perfectionnée depuis, Jet considérablement augmentée, par Fénélon. Nous y avons cependant remarqué un passage fort abrégé dans les éditions imprimées, et qui nous a paru digne d’être conservé en note. C’est un portrait de la femme forte', d’après le XXXI.e chapitre du livre des Proverbes. Fénélon, frappé de la beauté de ce portrait, l’avoit d’abord développé assez longuement dans une espèce de paraphrase ; mais il se borna depuis à une simple traduction, vraisemblablement parce que sa paraphrase lui parut trop longue, eu égard au plan de son ouvrage. Nous croyons qu’on nous saura gré d’avoir conservé le premier travail de Fénélon[4], qui offre un beau développement Page:Fénélon - Oeuvres complètes, Tome XVII, 1830.djvu/18 Page:Fénélon - Oeuvres complètes, Tome XVII, 1830.djvu/19

  1. a et b Hist. de Fénélon, liv. I, n. 22 :. liv. III, n. 49.
  2. Supplément au Traité des études, pag. 41
  3. Traité des études, tom. iv, liv. VI, 2e. partie , chapit. iii.
  4. Voyez le dernier chapitre de l’ouvrage, pag. 97 de ce volume.