Traité de documentation/Le Livre et le Document/Éléments composants du Livre et du Document

Editiones Mundaneum (p. 46-109).

22 ÉLÉMENTS COMPOSANTS DU LIVRE ET DU DOCUMENT.

220 Vue d’ensemble.

1o Éléments matériels.
xxxxSubstance, matière (support, surface).
xxxxForme matérielle (figure), dimensions (format).
2o Éléments graphiques (Signes).
xxTexte.
xxxxÉcriture phonétique (Alphabet).
xxxxNotations conventionnelles.
xxIllustrations.
xxxxImages (Reproductions concrètes).
xxxxxxDessinées (Images à la main).
xxxxxxPhotographiées (Image mécanique).
xxxxSchéma (Diagrammes) (Reproductions abstraites).
xxxxxxÉtablis à la main.
xxxxxxRésultat d’un enregistrement mécanique.
xxxxDécoration du livre.
xxxxxxFigurines, culs de lampe, rinceaux.
3o Éléments linguistiques.
xxxxLangue du livre.
4o Éléments intellectuels.
xxxxLes formes intellectuelles du livre (Exposé didactique ;
xxxxxxxxrhétorique, genres littéraires, formes bibliologiques).
xxxxLes données du livre. (Matière scientifique ou littéraire,
xxxxxxxxres scripta).

Un livre est la réunion de feuilles de papier imprimé. Sur ces feuilles, l’impression, divisée par pages est disposée, recto et verso, de façon à ce que les pages se succèdent en ordre, après la pliure ; car ces feuilles seront pliées plus ou moins de fois sur elles-mêmes selon le format extérieur prévu pour le livre. Puis elles sont assemblées suivant un numérotage, indépendant de la pagination. On nomme ce numéro de feuille la signature de la feuille. Une fois réunies dans leur ordre, on y ajoute, en tête, le titre qui généralement n’est que la répétition de la couverture (le faux titre qui précède ne donne que l’indication du livre), les feuillets contenant la préface, avant-propos, avertissement. On place soit en tête, soit en fin de volume la table des matières. On ajoute les hors-texte, cartes, planches, tableaux, etc. On coud les feuilles, puis on broche, on cartonne ou on relie : C’est le livre.

(Bourrelier).

Un livre est composé de plusieurs éléments : éléments intellectuels (idées, notions et faits exprimés), éléments matériels (substance ou matière disposée en feuilles d’un certain format, pliées en pages) et éléments graphiques (signes inscrits sur la substance). Les éléments graphiques sont le texte et l’illustration. Le texte se compose d’écriture alphabétique et de notations conventionnelles. L’illustration comporte les images, soit dessinées (images à la main), soit photographiées d’après nature (images mécaniques). Les illustrations sont placées dans le texte ou publiées sous forme de planches imprimées au recto seulement, jointes au texte ou mises hors texte, ou réunies en album ou atlas séparé du texte, mais faisant partie intégrante de l’ouvrage.

Le livre peut être envisagé :

1o Comme contenu : les idées qui se rapportent à un certain sujet ou matière, considérés dans un certain lieu et dans un certain temps.

2o Comme un contenant : une certaine forme de livre et une certaine langue en laquelle les idées sont exprimées.

Ces formes, à leur tour, sont de deux espèces : a) la forme de l’exposé objectif, didactique, scientifique, forme susceptible de progrès constant et qui sont comme les moules préparés pour recevoir la pensée ; b) les formes littéraires proprement dites correspondant aux genres et espèces qu’étudie la Rhétorique.

Ces éléments servent de base à la classification.

221 Éléments matériels.

Les éléments matériels du Livre-Document sont constitués par son support, dont les substances peuvent être variées, diverses les formes et dimensions, et distinct le corps même de son enveloppe ou couverture.

221.1 Substance ou support.
221.11 Notions.

1. La principale substance sur laquelle sont portés les signes et qui en constitue le support est le papier.

« L’ère du papier », c’est même une des épithètes qui caractérise le mieux notre époque, mais le papier n’est qu’une des espèces de « matière inscrivante ».

2. Le papier est un moyen de créer et multiplier la surface.

Le papier soulève nombre de questions : La qualité, l’adaptation de différentes sortes aux usages variés auxquels on le destine, la standardisation proposée des formats, celle suggérée de certaine fabrication, les prix en fonction des possibilités de la consommation, les applications inattendues et réminiscentes des papiers et cartons. Le papier et le carton sont dans tous les pays devenus des éléments essentiels de l’organisation actuelle.

221.12 Historique.

1. On a écrit sur pierre, sur métal, sur poterie, sur papyrus, sur parchemin et finalement sur papier.

2. Le Livre de pierre, si solide et si durable, a fait place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. « Ceci tuera cela. »

(Victor Hugo. Notre-Dame de Paris.)

3. Le Papyrus remonte très haut, à 3000 ans avant J. C. soit de plus 5000 ans.

4. Les livres sur papyrus ont du être interdits parce qu’on a écrit des livres en prose exigeant beaucoup d’étendue.

5. Le Parchemin (membrana pergamena). Il doit son origine à une querelle de Bibliothécaires. Pergame et Alexandrie étaient les deux grandes bibliothèques du Temps. Elles rivalisaient pour le nombre des livres. Un souverain d’Égypte, pour enlever aux copistes de Pergame leur matière première, interdit l’exportation du papyrus. À Pergame, on y répondit en perfectionnant un procédé déjà ancien : l’écriture sur peau : parchemin.

6. Le Papier a été inventé cent ans après l’ère chrétienne par un Chinois, Tsaï-Loune surnommé Tchong. Il avait imaginé non plus d’utiliser un tissu tout formé comme le papyrus, mais de produire l’espèce de feutrage qui est le papier, avec des fibres qu’il demandait aux vieux chiffons, aux débris de filets de pêche et même à l’écorce des arbres. Tsaï-Loune trouva, en somme, la méthode générale qui devait se perpétuer jusqu’à nous, dans le procédé de fabrication comme dans la matière première employée.

Le papier était inconnu en Europe jusqu’au XIIe siècle, époque où il fut importé de l’Orient par la voie de la Grèce. Sa préparation fut d’abord concentrée en Italie, en France et en Allemagne au XIVe siècle, et ce n’est que vers le milieu du XIVe siècle, alors qu’il était devenu d’usage presque général, qu’il commença à devenir le rival du velin comme matière du livre.

Le Papier pénétra dans l’Europe chrétienne avant la fin du XIIIe siècle et alors c’était l’Italie qui conduisait le monde. La manufacture de papier ne gagna l’Allemagne qu’au XIVe siècle et ce n’est qu’à la fin de ce siècle qu’elle devint assez abondante et assez bon marché pour que l’impression des livres soit une affaire pratique.

221.13 La fabrication du papier.

1. Le papier a d’abord été fabriqué à la main, dans des appareils dit « forme ». La première machine à papier date de 1828. La fabrication maintenant est continue et aboutit à des rouleaux de papier.

2. Depuis plus d’un demi-siècle, c’est au bois que l’on demande de fournir la matière première servant à la fabrication du papier. Le bois y sert sous forme, soit de pâte dite « mécanique » entrant dans les papiers les plus ordinaires, soit de pâte « partie chimique ». Ce dernier produit provient de la désagrégation du bois par des agents chimiques. Il a beaucoup plus de valeur que les précédents et s’emploie pour fabriquer des sortes de papiers supérieurs.

3. L’industrie de la cellulose et du papier en Suède et Norvège est actuellement en voie de transformation. En raison d’une moindre longévité du papier préparé avec la cellulose du bois par le procédé au bisulfite de chaux, comparée avec celle du papier de chiffons, on tend à remplacer, pour la digestion de la pulpe de bois, le bisulfite par la soude caustique. Celle-ci serait préparée sur les lieux mêmes d’utilisation en prenant du sulfate de soude de fabrication anglaise : ce sel est traité pour soude par un procédé analogue à celui de Leblanc. Ce mode de préparation de la cellulose est donc appelé fort improprement procédé au sulfate. Il donnerait un papier de très bonne conservation.

4. En principe, le papier est composé de cellulose, c’est-à-dire une combinaison dans laquelle entrent 36 grammes de charbon et 41 grammes d’eau.

Le beau papier autrefois se faisait de vieux chiffons de lin et de chanvre, mais les fibres de ces végétaux ont été remplacés par tous les végétaux plus ou moins fibreux ou par ceux dont la tige creuse est désignée sous le nom de paille : riz, maïs, ortie, houblon, genêt commun, bruyère, roseaux de marais, joncs, aloès, agave, bambous, alfa, phormium, tenax, hubuscus, mûrier à papier (broussonetia), arable papyfera, etc. On a été jusqu’à utiliser les tiges de réglisse, de guimauve, de pois, de pommes de terre, les feuilles de chataîgnes, voire même les algues marines.

En Indochine, on imprime sur du papier fabriqué avec du bambou, avec de la paille de riz et du tranh ou herbes à paillottes dont il existe, là-bas, des quantités inépuisables. Le tranh donne un papier très étoffé, très solide ; la paille de riz, au contraire, un papier très blanc mais fragile. On va utiliser les plus qui couvrent en Indochine des milliers de kilomètres, et le « papyrus cyperus », qui au Gabon, produit un papier magnifique. On va utiliser également le « ravinata », le « votoro », le « herana », végétaux très abondants à Madagascar.

On a proposé d’utiliser les feuilles des arbres. Elles se composent d’un tissu vert, le parenchyme soutenu par des nervures. Un broyage suivi d’un lavage permet d’isoler les nervures seules utilisables ; le parenchyme tombe en poussière et peut servir à la fois de combustible. La France importe annuellement 500.000 tonnes de pâte à papier, qu’elle paye cent millions de francs. Or ses arbres laissent choir annuellement de 35 à 40 millions de tonnes de feuilles. Il suffirait de 4 millions de tonnes pour fabriquer tout le papier consommé en France et en outre 2 millions de tonnes de sous-produits utiles.[1]

5. La fabrication du papier a fait des progrès considérables en ces dernières décades. Le progrès a porté sur les machines ; il porte maintenant sur les matières employées. On fabrique du papier au latex de caoutchouc qui, par l’imperméabilité qu’il confère aux feuilles, les met à l’abri de tout rétrécissement. N’étant pas absorbant, il demande moins d’encre ; sa souplesse facilite la pliure du papier.

6. Le film en celluloïd est devenu un support dans la photo et dans le cinéma. Il est en voie d’être remplacé par le film sonore en papier, incombustible, complété par le film photographique en papier.

Le papier a été longtemps le support-roi. Le celluloïd, par le film, a tendu à le détrôner. Mais on entrevoit qu’à son tour le papier pourra bien l’évincer.

7. Ainsi, de compositions en compositions, de substituts en substituts, le papier tend à ne plus être ce qu’il était à son origine, mais sa fonction dominant sa composition, peu importe sa substance, pourvu qu’il puisse le mieux servir soit de support aux signes, s’il s’agit de livres et de documents, soit de support ou de couleurs et de motifs s’il s’agit d’usage décoratif, soit encore de simple protection ou résistance s’il s’agit d’emballage, de couverture ou de confection d’objets.

On sait quel immense problème d’ordre économique pose aujourd’hui le papier, à raison du fait que les forêts s’épuisent, qu’on va les chercher de plus loin. On étudie actuellement, dans les laboratoires, le moyen de substituer au bois et à la pâte de bois, des graminées que l’on pourrait faucher tous les ans, qui seraient, en quelque sorte, comme le papyrus ancien, ce qui permettrait de mettre fin à ces hécatombes de forêts, lesquelles pourraient avoir d’autres destinations.

Nous serions à la veille d’une révolution dans l’industrie du papier. Les perfectionnements techniques ont, depuis la guerre, fait passer la production journalière par machine de 30 à 100 tonnes. Mais on considère maintenant pouvoir demander à la paille un substitut du papier. Le nouveau papier pourra mieux être conservé que l’actuel, auquel une longétivité de quinze ans seulement est assurée. Du nouvel état de chose résultera un déplacement des centres de production du papier, qui sont aujourd’hui au Canada et en Norvège, le pin et le sapin étant par excellence des arbres à papier.

On est arrivé à une sorte de substance unie mais constamment renouvelée. Le papier blanc des usines se couvre de caractères. On le lit. Après usage on le renvoie aux usines d’où, refondu, il ressort en blanc pour servir de substratum à de nouvelles et éphémères inscriptions.

221.14 Espèces de papier.

1. Les papiers sont d’espèces multiples.[2]

Papier vergé. Papier de Hollande. Papier Whatman Velin : il a la transparence et l’aspect de l’ancien vélin véritable. Papier de Chine (fabriqué avec l’écorce de bambou). Papier de Japon. Simili Japon. Papier de ramie. Papier d’Alfa. Papier indien. Papier léger. Papier parchemin. Papier Joseph. Papier végétal. Papier bulle.

2. La durée d’un livre est en rapport étroit avec la qualité du papier dont il est fait : on pourrait classer les livres de bibliothèque en cinq catégories suivant la qualité du papier employé à leur confection.

a) Les livres imprimés sur du papier léger, ordinaire, connu sous le nom d’antique ou « poids plume ».

b) Ceux imprimés sur du papier fortement chargé et bien calandré.

c) Ceux imprimés sur différents genres de papiers d’art ou papiers couchés.

d) Les livres faits en papier d’épaisseur moyenne, sans charge excessive de matières minérales et composés en grande partie de cellulose de bois et de paille.

e) Le papier renfermant plus de 25 % de bois mécanique.

Il existe maintenant des papiers en imitation-couché (supercalandré), si parfaits qu’on peut les utiliser à la place de papier couché. Pour les ouvrages qui réclament beaucoup de texte sous un petit volume, il y a le « papier-bible », appelé en anglais « india-paper ».

3. Les papiers bouffants, mis à la mode par l’Angleterre et l’Amérique, ont l’avantage d’être légers et par conséquent avantageux tant pour leur prix intrinsèque en poids que pour le prix des livres. Les papiers bouffants d’alfa sont souples et s’impriment bien, mais ils encrassent les caractères parce qu’ils sont fort pelucheux et ralentissent le tirage.

4. Le papier indien, rapporté de l’Extrême-Orient en 1841, est fabriqué couramment depuis 1874 par la Oxford University Press. Ce papier est opaque, résistant et très mince. Les ouvrages imprimés sur ce papier atteignent à peine le tiers de l’épaisseur habituelle.

Le papier « biblio-pelure-India » est extrêmement mince, tout en étant résistant. L’épaisseur des volumes tirés sur ce papier n’atteint que le tiers de celle des volumes tirés sur papier ordinaire. Il peut n’atteindre que 28 grammes au mètre carré, tout en étant parfaitement opaque. Le tirage sur ce papier est destiné aux appartements et aux bibliothèques encombrées.

Le papier léger en poids mais non transparent a de l’importance pour les ouvrages de documentation. Par exemple, le papier de l’Annuaire Militaire de la S. D. N. 1928-1929. 5e année, a permis d’augmenter la matière en diminuant le volume de la publication.

Papier mince, très solide pour le Bædeker de Suisse. Doublé en matière sous le même volume. 568 pages plus les cartes ne forment qu’un volume de 25 millimètres.

5. Le papier Hydroloïd « Vi-Dex » ne craint ni les manipulations multiples, ni la moiteur des doigts ; il peut impunément être mouillé, chiffonné et sali ; après lavage et séchage, il ressort intact et utilisable. L’encre ordinaire ne subit même pas les atteintes de l’eau.

221.15 Qualité du papier.

1. Le papier a pour caractéristiques :

a) Le format ou la longueur et la largeur des feuilles ou rouleaux.

b) La force. Ex. 110 gr. le m2.

Papiers extra minces, minces, forts, extra forts, carton.

La mesure du papier s’établit en m2. Ex. : M2 = 43 gr. avec 10 % de charge.

2. Les papiers sont collés ou non collés, couchés ou en frictions. Ils se vendent par rames de 500 feuilles, par mains de 25 feuilles ou au poids par de grandes quantités en fabrication. Pour les ouvrages de luxe, on se sert aussi de papier extra-léger, à la cuve, vergé ou velin.

Il est impossible de fabriquer le papier d’une épaisseur régulière mathématiquement exacte ; toutefois la tolérance des variations entre feuilles d’une même fourniture n’est pas prévue par les conditions générales du Code des usages pour la vente des Papiers. Une large tolérance s’impose dans la comparaison de deux feuilles isolées.

3. La couleur du papier sert à des différentiations nécessaires. La force du papier joue son rôle pour la conservation des documents. Du papier fort est indiqué chaque fois que le livre ou le document est soumis à un dur régime ou qu’il doit durer longtemps. Le papier doit être opaque, c’est-à dire ne pas laisser apparaître le texte par transparence.

Une légère teinte du papier lui enlève sa crudité de blanc mat et repose les yeux du lecteur.

4. Le papier d’après sa destination exige des qualités spéciales : le papier à écrire ; celui destiné à l’édition en général, notamment pour l’impression, l’héliogravure, l’offset : les tirages en couleur requièrent des qualités, la finesse du grain, l’élasticité, l’absorption, l’opacité.

Le couché rend l’impression plus délicate, le vergé lui donne l’aspect plus lourd, le papier lisse donne l’aspect le plus normal aux traits. La couleur du papier et celle de l’encre, parfois les deux peuvent améliorer ou détruire la lisibilité.

5. On a fait des recherches pour créer le papier ignifuge, invention utile pour les documents importants, les testaments, les billets de banque.

6. Dans les laboratoires de Bell-Téléphone, on a poursuivi des recherches en vue de produire un papier de l’épaisseur de quelques millièmes de pouces pour servir d’isolateur dans les installations téléphoniques.

7. Le papier porte des marques dites filigranes, dont l’existence sert à l’identification.

M. Briquet a publié une minutieuse description des filigranes des œuvres xylographiées de la Bibliothèque Royale de Munich et a révélé l’existence de 1363 variations de filigranes.

(Der Papier Fabrikant. Berlin, 1910.)

8. Il existe en Allemagne une réglementation pour les papiers destinés à un emploi administratif de l’État. Le Congrès pour la reproduction des manuscrits (1905) a émis le vœu de voir adopter une réglementation semblable pour les papiers destinés à supporter la reproduction de manuscrits.

En 1886 a été établi à Gross Lichterfelde près de Berlin, un institut pour l’essai du papier. À l’origine, son objet était exclusivement de contrôler tout le papier fourni aux services du Gouvernement prussien. Bientôt, il fut utilisé aussi par les commerçants résidant en Allemagne et même à l’étranger, qui désiraient voir vérifier si leurs papiers étaient conformes aux règles formulées par l’Institut. Celui-ci contrôle la composition, le format, l’épaisseur, le poids, la consistance, le toucher, la résistance à l’humidité et le pouvoir d’absorption, la perméabilité à l’égard de la lumière. Au début, les producteurs allemands se montrèrent hostiles à l’établissement de l’institut. Bientôt cette opposition disparut et l’on reconnaît les avantages des essais officiels du papier. Aujourd’hui on attribue à cet institut une partie du succès du développement de la fabrication du papier en Allemagne.[3]

Un laboratoire officiel d’analyses et d’essais de papier fonctionne au Bureau des Standards, à Washington.

Les questions relatives à la conservation du papier ont été examinées par la Commission de Coopération Intellectuelle. Le New-York Times, pour répondre aux desiderata de la conservation du papier, imprime maintenant une édition spéciale sur « All-Rog Paper ».

La Library Association (London) a formé un Comité pour l’étude des questions relatives à la durabilité du papier.[4]

221.16 Consommation et prix.
221.161 CONSOMMATION.

Pour toute la France, la consommation du papier destiné au livre serait de 180 à 200 mille kg. par jour, celle du papier à journal de 60 mille kg.

Le tiers de la consommation totale du papier pourrait être du papier d’impression ordinaire, tandis que le papier d’emballage comprend environ les deux tiers.

Ces dernières années, la consommation du bois a considérablement augmenté. La superficie du sol en forêt est de 61 % en Russie et de 4 % en Angleterre. Les forêts du Canada et de l’Amérique ont été décimées. Les États-Unis consomment annuellement 90 millions de traverses. On prévoit une famine de bois aux États-Unis et au Canada dans quinze ou vingt ans.

Les États-Unis en 1880, consommaient trois livres de papier à journaux par tête d’habitant chaque année. En 1920, il en consomme 35. Cette année-là, le papier aurait formé un rouleau de 73 pouces de large d’une longueur de 13 millions de milles. Les quotidiens ont une circulation journalière de 28 millions de numéros et de l’Atlantique au Pacifique, il y a plus de 100 quotidiens tirant à plus de 100,000.

Il faut signaler les méfaits de l’industrie du papier au point de vue de la déforestation. Ce sont de véritables forêts qu’il faut, en effet, pour assurer le tirage quotidien de 30,000 journaux, dont quelques-uns s’impriment à plusieurs millions, et celui des 200 volumes, ce chiffre représentant la moyenne de tous ceux qui se publient chaque jour dans le monde. Ces 30,000 journaux, tirant à dix milliards 800 millions d’exemplaires, consomment journellement mille tonnes environ de pâte de bois ; exactement 350,000 chaque année. C’est, avec les livres et les revues, la charge de 37,500 wagons de dix tonnes, traînés par 1,800 locomotives, c’est-à-dire à peu de chose près, l’effectif du matériel d’une grande compagnie, ou encore le plein de 180 paquebots. Et encore, il n’est pas tenu compte des papiers d’emballage, cartons, prospectus, papiers à écrire, etc. Aussi bien, c’est 350 millions de m3 que doit fournir chaque année en Europe la coupe de bois. La France en donne 6.5 millions, l’Angleterre neuf millions, et la Russie, la Norvège, le Canada, les États-Unis fournissent le reste. Mais les États-Unis consomment à eux seuls 900 millions de m3. On coupe donc les arbres, on détruit les forêts pour alimenter tous les jours cette fabrication fantastique. Mais un arbre ne repousse ni en un an ni en dix.

Une semaine de publication d’un des journaux actuels à fort tirage, c’est une forêt qui sombre quelque part.

221.162 PRIX.

L’immense consommation de papier de notre temps en a fait une matière à spéculation économique considérable. Pendant la guerre mondiale, après la guerre, le papier a subi des hausses vertigineuses sans rapport avec les conditions normales du marché. La spéculation et l’âpreté au gain ont été remarquables. La tendance générale aux trusts a trouvé ici des réalisations.

Le papier est tombé de 24 centimes en 1862 à 2 centimes en 1900.

Le papier journal qui avant la guerre se vendait 28 fr. les 100 kg., était en février 1918 à 180 fr.

Le prix du papier est devenu excessif dans les pays où la monnaie a été dépréciée au cours de la guerre. On peut dire, par exemple, qu’en Belgique, alors que le coefficient de dépréciation de la monnaie est de 7, on paie jusqu’à 12, 14 et 15 le papier. C’est immédiatement une entrave à la production.

Le papier qu’on payait en 1914, 30 fr. les 100 kg. en France, y monte jusqu’à 415 fr.

Pendant la guerre, le papier et l’argent manquent.

Quand le papier a manqué en France, en avril 1916, la Presse a sollicité que le Gouvernement obtienne de l’Angleterre un bateau pour aller chercher la pâte nécessaire au Canada.

La disette de papier amena la suppression de l’étendue des journaux. On parla même de supprimer un grand nombre de journaux.

Arrêté français du 2 février 1918 portant restriction à l’épaisseur des papiers à imprimer, au nombre et à la dimension des affiches, aux dimensions des programmes des théâtres, à l’emploi des gros caractères dans la composition des livres.

(Bibliographie de la France, 8 février 1918.)

La cherté du papier conduit à la concision.

Antérieurement, on connut une crise de papier sous la Révolution française.[5]

Le vieux papier a sa valeur. On a payé (octobre 1932) les rognures blanches 125 fr., le bouquin no 1 33 fr., le journal blanc 65, le journal froissé, 26 fr. Par comparaison le journal appelé les bobines se payent 125 fr., le couché blanc supérieur 400, l’impression supérieure 220.

221.17 Usages du papier.

Le Papier a des usages multiples. Son usage pour la documentation (écrire et imprimer), mais ses autres usages multiples aussi : emballage, tentures, matière d’objets usuels (serviettes, nappes, assiettes, plats, gobelets, etc.).

On a tiré du papier des effets mats ou brillants, des loques, des veloutés, des plissés, des grains nouveaux imitant les matières les plus riches, d’une variété insoupçonnée, qui ont fait d’un habillage banal un nouvel élément décoratif. Il a un rôle décoratif. Le papier sert à l’emballage, à la tenture, à la construction de maints objets. C’est une surface souple, simple, pas coûteuse, prête à toutes fins. Le mode de présentation (emballage) exerce une influence prépondérante sur les résultats recherchés par le producteur, le papier assurant aux produits des chances de diffusion sérieuse.

L’usage des boîtes se multiplie avec une variété infinie, à mesure que leur exécution est servie par un matériel mieux adapté. D’autre part, l’emploi du cartonnage publicitaire et même simplement démonstratif et didactique s’est étendu : pancartes, étiquetage, tableaux, des vitrines, formes découpées et autres formules attractives à base de carton. Celui-ci intervient maintenant dans l’enseignement pour les constructions du maître et des élèves. Il intervient dans les démonstrations scientifiques et didactiques. Par lui est rendu possible l’établissement de modèles à destination muséographique.

On a opéré des tissages de fil de papier. L’article produit est la toile pour l’emballage et la fabrication de sacs à chaîne de jute ou alternée avec fils de papier et à trame entièrement en papier. Il est question de fabriquer également des tapis, carpettes, nattes et stores en fil de papier ou combiné avec des textiles.

221.18 Matières supports autres que le papier.

Il n’y a pas que le papier. On écrit partout, on écrit de tout, on écrit sur tout. Sur tout, cela signifie sur toute matière, et quelle est vraiment de nos jours la matière qui n’ait pas été revêtue de signes ou d’images. Les inventions tendent à pouvoir écrire sur toute matière et à pouvoir fixer une marque, fût-ce une simple lettre, un numéro sur toutes choses.

1. On écrit et on imprime sur toile. Ex. albums indéchirables sur toile pour enfants de moins de 5 ans, publiés par la maison Hachette de Paris. Toiles dessinées et peintes avec textes indicatifs pour la confection de poupées. Les tissus ont été aussi des moyens d’écrire, peindre et dessiner. (Voir notamment le Musée des tissus de Lyon). On imprime en 3 ou 4 couleurs sur les sacs de jute à l’aide de rotatives sur lesquelles sont fixés des caractères en simili caoutchouc (système Tyger). Impression directe sur toile pégamoïde de cartes géographiques (système Cremers).

2. Edison avait annoncé un jour l’avènement de livres en feuillets de nickel. (Cosmopolitan Magazine, 1911). Le nickel absorbera l’encre d’imprimerie aussi bien qu’une feuille de papier. Une feuille de nickel d’une épaisseur d’un dix-millième de centimètre est meilleur marché, plus résistante et aussi plus flexible qu’une feuille de papier ordinaire, de celui qui sert couramment dans la librairie. Un livre de nickel épais de 5 centimètres contiendrait 40,000 pages et ne pèserait que 460 grammes. Or, Edison alors se faisait fort de fournir 460 grammes de ces feuilles de nickel pour un dollar et quart.

La ciselure repoussée peut être, au même titre que l’eau-forte et la lithographie, considérée comme un moyen de reproduction artistique. La dinanderie, qui existe depuis le XIIe siècle, est de la ciselure repoussée sur cuivre. On a plus récemment appliqué le même procédé de repoussage à d’autres métaux, même à l’or.[6]

3. L’écriture au tableau noir dérivée de l’écriture sur l’ardoise, joue un rôle réel. La démonstration s’y poursuit en des images, des textes, des équations effacées dès que produites. Un coup d’éponge et le document produit disparaît sans nulle trace que dans l’esprit des auditeurs-spectateurs. Les salles des cours s’entourent maintenant d’une ceinture de tableaux noirs, ou concentrés derrière la chaire, ils y étagent leurs plans superposés et mobiles.

4. On écrit non sur de la lumière mais en lumière. On a créé des lettres lumineuses permettant d’écrire de véritables phrases, quand elles sont placées dans leur cadre électrique. On écrit aussi en lettres au Néon.

5. Pendant la campagne électorale, les trottoirs et les rues sont devenus le support des appels aux électeurs.

6. La firme Savage a créé un projecteur d’un million et demi de bougies, avec lequel elle est parvenue à projeter de la publicité sur des nuages à 2,000 mètres de distance. Les lettres ainsi projetées ont 400 mètres de haut. L’appareil est monté sur wagon et un seul opérateur manœuvre toute la machine.

7. On arrive à imprimer les affichettes sur plaque de zinc résistantes. (Ex. : Compagnie des Messageries maritimes.).

8. On écrit aussi sur la peau. Le tatouage est bien connu. Mais voici que l’hôpital de Delaware, à la suite de confusions regrettables dans l’identité des bébés qui lui sont confiés, fait écrire un numéro sur le dos de chacun d’eux à l’aide d’un schlabone et d’une forte lampe solaire.

La Bibliothèque royale de Dresde possède un calendrier mexicain sur peau humaine.

221.2 Formes, Formats et dimensions du Livre et du Document.

Il y a lieu de distinguer :

1o les formes ou dispositions ;

2o les formats ou dimensions.

221.21 Formes.

1. Le livre a connu des formes très diverses. Il a été successivement en lamelles rattachées les unes aux autres (livres orientaux) ; enroulé (volumen, d’où volume) ; en feuillets distincts reliés ou ligaturés (codex, codices d’où code), la forme qu’il a aujourd’hui.

2. L’histoire du livre montre comment insensiblement d’une forme l’on est passé à une autre forme et sous l’emprise de quelles circonstances la transformation a eu lieu. Ainsi, c’est vers 1263 que le greffier du Parlement, Jean de Montluçon, commença la rédaction du premier Olim. Son travail consista à copier sur des cahiers ou à résumer les décisions anciennes remontant à l’année 1255, qui étaient écrites sur des rouleaux, sur des rôles. Car avant Jean de Montluçon, les greffiers du Parlement, qui semblent n’avoir pas eu de registres, se servaient de rouleaux de parchemins appelés rôles.

3. De nos jours, le livre, le document se présentent sous cinq formes fondamentales.

a) En feuille in-folio (placard, affiche, journal, tableau mural).

b) En volume (codex) relié.

c) En fiche. Morcelé.

d) En pliant (carte dans étui).

e) En rouleau placé dans un étui (plan).

À chacune de ses formes correspondent certains avantages (coup d’œil d’ensemble, document en bibliothèque, accroissement indéfini dans les répertoires).

Les formes nouvelles possibles restent nombreuses, car rien n’indique que l’évolution les ait épuisées toutes.

4. Voici quelques formes caractéristiques données aux documents.

a) L’édition imprimée d’un seul côté (sur une face) permet, soit de découper les différents résumés pour les coller sur des fiches, soit de découper les résumés pour les introduire dans des dossiers sans détériorer ceux placés au dos, soit de prendre des notes au dos de résumés, si on conserve les fac-similés intacts.

Ex. : Bibliographie de l’I. I. B.

b) On a aussi des tirages interfoliés de feuilles blanches. Ex. Enquête ethnographique et sociologique sur les peuples de civilisation inférieure par la Société belge de Sociologie.

c) On a publié des livres formant listes d’adresses gommées à détacher et à donner. Ex. Directory of Libraries United States and Canada ; Wilson Cy Minneapolis.

d) Livres à onglets ou à signets. Ex. : Les livres liturgiques et les livres à lire fréquemment.

e) Albums, atlas à transformations, combinaisons amusantes pour les livres d’enfants, combinaisons didactiques dans les livres de science, tels que les atlas anatomiques ou les albums de machines.

f) La forme livre a été employée pour former diverses collections. Ainsi les albums de timbres, de cartes postales, d’échantillons (broderie, étoffes, crochet, etc.).

g) Livre dont une deuxième partie est reliée de manière à permettre, après l’avoir sortie de la reliure et l’avoir déployée, consultation simultanée avec la première partie. C’est en réalité comme si l’on avait deux livres en un.

Utilité. — a) Livres dont l’index doit être consulté fréquemment, b) Atlas et index géographiques à consulter en cours de lecture, c) Livre avec recueil de planches à emporter, d) Modèles à l’appui des règles décrites.

h) Forme harmonica ou paravent pour un exposé faisant suite.

i) Livres à parties détachables. Ex. Le Guide allemand des chemins de fer.

Les « Guides Bædeker » ne se vendent qu’en volumes complets et reliés. Mais ils sont divisés en parties brochées séparément et qui peuvent se détacher. Dans ce but, on casse le livre au commencement et à la fin de la partie à séparer et l’on aperçoit de la gaze qu’il suffit de couper. Pour mettre ces parties brochées, on vend des couvertures reliées en toile.

j) Les publications sur fiches sont venues créer un nouveau type de documents basé sur une forme matérielle caractéristique.

6) Les innovations de formes et matières des livres et leur protection juridique ont fait l’objet d’études du Bureau Permanent du Congrès international des Éditeurs (Milan 1906).

221.22 Formats.

1. Le format de papier est la grandeur obtenue par le pliage de feuille.

Le pliage du papier conduit à son découpage.

4 pliages donnent à découpage 16 parties.

2. Le pliage des feuilles de papier donne des pages. On obtient successivement par

1 pliage 
 4 pages
2 pliages 
 8 pages
3 pliages 
 16 pages
4 pliages 
 32 pages

Le papier se prête à tous les pliages. Un livre représente du papier plié. Mais la fantaisie des auteurs et des imprimeurs, surtout en matière de publicité, arrive à des dispositifs de pliage variés et parfois surprenants : les pliants, les dépliants. Les grandes cartes pliées indépendantes ou dans les volumes montrent aussi le parti tiré du pliage.

Le pliage des cartes permettra d’obtenir devant soi, toujours la partie de la carte que l’on désire consulter.

3. Dans les ouvrages imprimés les feuilles pliées donnent lieu aux pages ; elles forment cahiers qui sont numérotés pour la facilité de l’assemblage et de la reliure. Ce numéro s’établit en petits caractères en bas de page et porte le nom de signature.

4. La désignation : in-folio, quarto, octavo, etc. prêtent souvent à confusion ; elles n’indiquent pas les dimensions du livre, mais bien le nombre de pages à la feuille de papier.

Un in-folio 
 4 pages
Un in-4o 
 8 pages
Un in-8o 
 16 pages
Un in-16o 
 32 pages

soit 2, 4, 8 ou 16 pages sur chaque face de papier.

En Belgique, (d’après de Ruysscher no 10714) le format de papier commercial appelé coquille en matière de papeterie, varie entre 43.5 × 56.5 et 44 × 56.

En France, il est généralement 44 × 56 et s’appelle également coquille.

En Angleterre, sous le nom de médium, l’on emploie le format 45 × 57 et large post 42 × 53.

En Allemagne, le format varie entre 44 × 56, 45 × 59 et 46 × 59.

5. Les formats anglais sont déterminés par les dimensions suivantes en inches (pouces).

Pott 8vo 
 6 ⅛ × 3 ⅞
Fcap 8vo 
 6 ¾ × 4 ¼
Crown 8vo 
 7 ½ × 5
Demy 8vo 
 8 ¾ × 5 ⅝
Med. 8vo 
 9 ½ × 6
Royal 8vo 
 1 × 6 ¼
Fcap 8vo 
 6 ¾ × 4 ¼
Imp. 8vo 
 11 × 7 ½
Pott 4to 
 7 ¾ × 6 ⅛
Fcap 4to 
 8 ½ × 6 ¾
Crown 4to 
 10 × 7 ½
4to 
 11 ¼ × 8 ¾
 "  
 12 × 9 ½
Royal 4to 
 12 ½ × 10
Imp. 4to 
 15 × 11
Pott Folio 
 12 ¼ × 7 ¾
Fcap Folio 
 13 ½ × 8 ½
Crown Folio 
 15 × 10
Folio 
 17 ½ × 11 ¼
 "  
 19 × 12
Royal Folio 
 20 × 12 ½
Imp Folio 
 22 × 15

xxxxxxxxMusic sizes :

Royal 4to 
 12 ½ × 9 ½
Music 8vo 
 10 × 7
Music 4to 
 13 ½ x 10 ½

6. Le format des livres anciennement s’indiquait sous la forme in 4o, in-16o, etc. Pour avoir plus de précision, on le mesure maintenant en centimètres sous la forme de deux facteurs, le premier celui de la hauteur, le second celui de la largeur Ex. : 28 × 12.

Dimensions approximatives des différents formats :

In-folio 
 45 × 32
In-4o 
 33 × 25
Petit in-4o 
 26.5 × 19
Grand in-8o 
 25 × 17
In-8o 
 22.5 × 14
In-18 
 19 × 12
In-12 
 17.5 × 10.5
In-32 
 16 × 10

Les formats sont quelquefois indiqués conventionnellement. Ainsi, à la Bibliothèque Centrale de Florence et dans beaucoup d’autres, on les a indiqués de la manière suivante :

In-folio = le volume de plus de 38 cm. de haut.
In 4o = le volume de 28 à 38 cm. de haut.
In-8o = le volume de 20 à 28 cm. de haut.
In-16 = le volume de 15 à 20 cm. de haut.
In-24 = le volume de 10 à 15 cm. de haut.
In-32 = le volume ne dépassant pas 10 cm. de haut.

Pour la standardisation des formats, voir no 412.2.[7]

7. Table des formats de papier en fonction du poids. — Le tableau de concordance des formats de papier est basé sur la coquille qui mesure 44 × 56 cm. L’emploi du papier en bobines a introduit l’usage d’une base différente de poids au mètre carré.

Il semble, à première vue, qu’il suffit de savoir ce que le papier pèse au mètre carré ; cependant, les commandes d’imprimés se font au nombre, et par suite, on a besoin de savoir ce que pèse une rame d’un format donné dans le poids indiqué.

Il y a un certain nombre de formules connues, servant dans les deux sens et dont la table permet, soit de contrôler le résultat, soit de connaître immédiatement ce dont on a besoin.

Voici les formules les plus usuelles :

Coquille 44 × 56 
 formule 8,00
Raisin 50 × 65 
 formule 6,10
Jésus 55 × 70 
 formule 5,20
Grand Jésus 56 × 76 
 formule 4,70
Colombier 60 × 80 
 formule 4,15
Grand Colombier 63 × 90 
 formule 3,52

Ex. : La coquille de 8 kilos la rame pèse 8 × 8 = 64, soit 65 grammes au mètre carré. En divisant ce poids de 65 gr. par la formule 6,1, on aura 10 kg. 655 pour la rame de raisin et l’on commandera du 10 kg. 500. On voit combien il est facile de se servir de cette concordance, de ce barème. Le technicien habitué à manier du papier, juge que celui qu’on lui présente est de la force de la coquille 8 kg. la rame. Un coup d’œil lui apprendra que ce papier pèse 65 gr. au mètre carré, que la rame raisin correspond à 10 kg. 550. Il commandera du raisin de 10 kg. 500. On sait que le poids de la rame, au kilo, multiplié par 2, donne, en grammes, le poids de la feuille ; le poids de la feuille, en grammes, divisé par 2, donne le poids de la rame en kilos. Une rame de 8 kg donne 16 grammes à la feuille. La feuille de 20 grammes provient d’une rame de 10 kg.

8. Il y a des formats usuels :

Ainsi, le format ticket.

Le format timbre poste.

On a recherché de meilleurs formats et justifications pour les romans et autres ouvrages portatifs, plutôt destinés à une lecture rapide qu’à une conservation indéfinie.

Par le format du livre, on a cherché le moyen de le tenir d’une main, refermé (lire au lit, en fauteuil, en chemin de fer), plié en deux sans l’abîmer ; on a cherché aussi le moyen de mettre le livre en poche (ex. : les catalogues d’expositions et de musées).

Les formats des photographies n’ont aucun rapport avec le format des publications et répertoires.

Le format cahier scolaire.

Le format a une grande influence sur le coût d’impression. On a calculé que le format coquille imprimé sur deux colonnes donne lieu à un prix d’impression inférieur de plus de la moitié de celui du format roman ordinaire.

Le passé a connu les grands formats, les in-folio. Progressivement, on en est venu aux formats réduits d’aujourd’hui.

C’est Alde Manuce qui, pour faciliter la diffusion de la littérature latine, adopte le format petit in-8o, qu’on n’avait employé avant lui que pour des livres de messe.

Grand ou petit livre. — Ils ont l’un et l’autre des avantages suivant le cas. (Ex. : grand ou petit dictionnaire de langue). Avoir tout réuni en un volume est pratique pour la consultation, mais le volume est lourd, se déplace difficilement et son maniement est plus lent lors de la consultation.

On n’a pas renoncé aux ouvrages minuscules. L’éditeur « Taraporevala de Bombays » publie le Koran, le Bhagavad-Gita, le Khordeh Avesta en petites éditions d’un pouce sur ¾ de pouce, reliées en métal avec verres grossissants.

Il existe une sorte de compétition entre typographes en vue d’établir le livre le plus petit. Les frères Salmin, éditeurs à Padoue, conservent le record avec un volume lilliputien de 10 × 10 × 7 mm. de 208 pages. Il reproduit l’œuvre de Gaedeo à Mme Christina di Lorena (16-16).

L’éditeur Payot publie la Bibliothèque miniature (7 × 10 cm.).

221.3 L’enveloppe du Livre : brochage, rognage et reliure.

Le livre une fois confectionné a trois besoins :

1o que les feuilles n’en puissent être dispersées ; c’est la fonction du brochage ou ligature ;

2o que les pages puissent être lues sans que le lecteur ait à les découper ; c’est la fonction du rognage ;

3o que l’ensemble soit protégé contre les dangers de détérioration ; c’est la fonction de la reliure.

Pour maintenir ensemble les feuilles de documents de n’importe quel format et former ainsi des unités composées de rang successivement supérieur (documents distincts), il y a toute une série graduée de moyens :

1o Place libre en chemise de papier ou carton correspondant à l’unité supérieure (dossier) ;

2o Reliure mobile sous couverture commune et qu’on pourra facilement défaire, soit par perforation et liens (types dits bibliorapthes ou classeurs, anneaux, agrafes), soit par pression latérale (reliure dite électrique).

3o Reliure fixe aux trois degrés : brochage, cartonnage, reliure proprement dite.

Les trois dispositifs décrits ci-dessus (libre, fixe mobile, fixe) ont des avantages et des inconvénients respectifs : a) rapidité d’emploi ; b) coût de l’outillage ; c) sûreté contre l’éparpillement ; d) protection contre le frottement et l’usure des feuilles ; e) intercalation continue ; f) espace occupé ; g) aspect extérieur.

3o Broché ou relié.[8]

221.31 Reliure.

1. Fonction. — La reliure peut avoir plusieurs fonctions ou utilités.

a) Garantir, préserver ;

b) Orner, embellir ;

c) Évoquer le contenu. Symboles ;

d) Significative : aider à signifier, comme par ex. : reliure de couleurs conventionnelles ;

e) Rendre plus compacte. Un exemple d’extrême condensation obtenue par une bonne reliure est le « Websters New International Dictionary ». Ce dictionnaire comprend 400,000 mots en 2700 pages ne formant qu’un volume.

2. Espèces. — La reliure de l’époque moderne peut être divisée en trois parties :

lo La reliure d’art ;

2o La reliure d’amateur ou de bibliothèque et celle de luxe ;

3o La reliure commerciale et la reliure usuelle (reliure d’éditeur). La reliure commerciale ne date que d’une soixantaine d’années ; elle a pris un développement considérable ; elle relève de l’industrie ainsi que la reliure usuelle qui s’exécute dans un grand nombre d’ateliers et sert à protéger les volumes des bibliothèques de prêt ou les volumes de peu de valeur : les volumes de prix, étrennes, les catalogues, etc.

3. La reliure d’art. — La reliure de notre époque présente certaines caractéristiques. La richesse, la beauté d’une matière de choix unie, polie, au grain fin et serré. La gaieté, l’éclat des coloris des cuirs employés. On les découpe en mosaïque, plus ou moins cubistes, où l’or, l’argent et l’ivoire viennent ajouter une note scintillante et qui chatoie.

On emploie les lettres du titre et celles du nom d’auteur comme unique élément décoratif. On perfore les plats du livre et on laisse apparaître des gardes généralement de cuir à travers ces orifices.

Dans la reliure décorative ainsi conçue, on se souviendra qu’un livre est fait pour être placé sur les rayons d’une bibliothèque, doit porter au dos sa signalisation et que ses plats ne peuvent être ornés d’éléments faisant obstacle à leur insertion dans les séries ou s’abîmant à la manipulation. On tiendra compte aussi qu’une décoration somptueuse et ayant exigé beaucoup de travail s’accommode mal de matière première : veau, velin, quand le maroquin existe. La femme excelle dans la reliure comme dans la toilette.

4. Reliure d’édition. — Jusqu’au milieu du siècle dernier on ne vendra pas de livres reliés en Allemagne ; la reliure était l’affaire personnelle de l’acheteur. En 1882, un libraire de Leipzig eut l’idée d’offrir à ses clients des livres reliés et prêts d’être lus.

5. Procédés de reliure : a) par fil ; b) par perforage ; c) par pression.

Les machines sont venues révolutionner l’art autrefois tout manuel du relieur. Il y a des machines pour plier, brocher, ronder, recouvrir. Une machine pour ronder a fait passer de 500 ou 1000 à 5000 ou 6000 livres par jour. Machine pour recouvrir des livres et des revues, 22,000 en un jour.

6. Matières. — Les matières mises en œuvre dans la reliure ont été le bois, le cuir (parchemin, velin chagrin, basane), les étoffes (soie, velours, toile), le papier.

On a fait des couvertures de revues en aluminium (ex. : Revue de l’Aluminium).

MM. Dun et Wilson[9] ont inventé un nouveau type de reliure pour les périodiques (Nom Fiam). Il consiste en celluloïd non inflammable avec cuir aux angles. La couverture de revue qui est caractéristique et souvent en couleur est visible grâce à la transparence. C est sans bruit, clair, propre et durable.

7. Artifices de reliure. — Voici quelques artifices mis en œuvre dans la reliure.

Les coins protecteurs et la base du livre protégées par des lamelles de cuivre.

Intercalation de pages de couleur pour marquer les divisions.

La reliure en tranches coloriées (dans les collections de codes).

Les signets de couleurs différentes, (id. dans les collections de codes.)

On a proposé à l’American Library Association d’arrêter pour les reliures de livres des couleurs conventionnelles correspondant aux matières traitées (selon la Classification décimale).

8. Conservation de reliures. — La reliure, pour se conserver, a besoin de soins, surtout quand elle est faite en cuir. Le cuir, en effet, se détériore de par sa matière même. Il faut enduits et onguents pour lubrifier les fibres, les rendre souples et résistantes et parce que rendues moins poreuses, les faire résister aux gaz délétères suspendus dans l’atmosphère.

221.32 Conseils pratiques pour la reliure.

a) Ne pas faire relier les livres récemment imprimés.

b) Choisir l’époque propice pour l’envoi d’un train.

c) Laisser au relieur un laps de temps raisonnable.

d) Pas de recueil factice.

e) Gare au rognage ! Respecter les marges.

f) Conserver les couvertures imprimées.

g) Titres à pousser.

h) Modèles à donner au relieur.

i) Collationner les volumes ; défets.

j) Il est utile de porter l’auteur et le titre abrégé sur le dos, sur le plat et sur l’envers de la reliure de manière à reconnaître immédiatement l’ouvrage quel que soit sa position.

k) On trouve dans certaine livres un avis au relieur, ce qui est fort recommandable. (Ex. : Atlas des Enfants, Amsterdam Schneider 1773.)

l) Au point de vue matériel, pour être bien proportionné, un volume ne doit être ni trop épais ni trop mince. Les lourds ouvrages placés debout s’affaissent nécessairement jusqu’à ce que le milieu de la tranche du bas touche la planchette supportant le volume. Les minces plaquettes ont au dos des titres difficilement lisibles. On a été ainsi amené soit à faire deux volumes d’un seul livre trop gros, soit à remettre en un même volume trois ou quatre trop minces plaquettes, En principe, il importe que chaque œuvre distincte conserve son indivisibilité, même après la reliure ; c’est la condition d’un classement rationnel.

m) Les sous titres mal appliqués par l’imprimeur peuvent être rectifiés par le relieur, de telle sorte que l’identification ne soit pas troublée.

n) On peut recommander un solide cartonnage sur lequel est collé le titre même du livre broché, qui conserve ainsi l’aspect donné par l’auteur et l’éditeur.[10]

221.33 Rognage des livres.

Il est désirable que les livres soient remis aux acheteurs rognés (pages préalablement ouvertes). C’est un gain de temps pour tous ; c’est aussi une mesure de protection des livres. On peut faire des tirages spéciaux pour bibliophiles ; pour ceux-ci un volume n’a de valeur que s’il a conservé l’intégralité de ses marges ; alors seulement il pourra le faire relier comme il l’entend.

Une revue de 96 pages ne peut être coupée par le lecteur en moins de 4 minutes, dont la moitié du temps ne se confond pas avec la lecture ; c’est donc pour l’ensemble de 10, 000 abonnés une perte sur le temps de la coupe à la machine (qui exigerait environ 10 heures), de près d’un mois de travail à dix heures par jour.

222 Éléments graphiques : les signes.

222.0 Graphie en général.
222.01 Les signes en général.

Il y a les idées ou choses signifiées et les signes des idées ou choses signifiantes.

1. Le livre est l’expression de la pensée par les signes. Toute pensée qui s’exprime a besoin de signes extérieurs. À la suite de l’évolution, les deux plus importants parmi les signes sont devenus la parole d’une part, l’image de l’autre. La parole a été notée par l’écriture, sorte d’image, dont les principaux types sont aujourd’hui à base phonétique. L’image à son tour, concrète au début, a donné lieu à l’image abstraite dont sont sortis d’abord les idéogrammes et les alphabets et de nos jours les graphiques, les diagrammes, les schémas, les notations dérivant des alphabets ou formés de signes conventionnels.

Dans le Document, dans le Livre, l’écriture, l’image, la notation viennent prendre place et, au stade de l’évolution qui est le nôtre, elles se combinent et s’amalgament en des dispositions et des proportions variées pour, comme à l’origine, mais plus adéquatement, exprimer la Pensée le plus intégralement possible.

Dans l’écriture alphabétique, dit Condorcet, un petit nombre de signes suffit pour tout écrire, comme un petit nombre de sons suffit pour tout dire. La langue écrite fut la même que la langue parlée. On n’eut besoin que de savoir reconnaître et former ces signes peu nombreux et ce dernier pas assura pour jamais les progrès de l’espèce humaine.

2. En dernière analyse tout système de signes repose sur les propriétés physiques des corps qui se manifestent en vibration et sont perceptibles par les sens. Les vibrations sont visibles, audibles ou tactiles. Les dispositifs permettent la transformation des unes dans les autres. Il y a par suite des documents visibles, audibles et tangibles.

Tous les sens ont été utilisés pour les signes. On a imprégné le papier de certain parfum, par exemple pour écarter les mites ; on pourrait donc imaginer des livres destinés à donner des impressions odorantes diverses. On a donné au papier un relief, par exemple un gaufrage, un estampage, un perforage ou encore le pointillage de Braille pour les aveugles ; le livre s’adresse ainsi au sens du toucher. Le rouleau phonographique ou le rouleau du piano mécanique sont destinés à l’audition. Et on a le livre par l’écriture et l’image, c’est-à-dire pour la vue. Ainsi par la vue, l’ouïe, le toucher, le livre est devenu un instrument pour éveiller les sens, à tout moment, dans un ordre suivi, et pour susciter ainsi dans l’esprit un enchaînement d’idées et de sentiments.

3. Les écritures sont de deux formes : alphabétique et idéographique.

1o Un alphabet est une série de signes ou caractères qui probablement ont commencé à être des dessins, mais qu’un long usage a abrégés et simplifiés et qui sont utilisés maintenant comme symboles des sons élémentaires de la voix humaine. Les combinaisons de ces signes, que nous nommons lettres, forment des mots. Ces mots nous nous en servons comme signe des idées et nous les combinons pour former un langage. Comme ces combinaisons sont purement arbitraires et formées par chaque langage par lui-même, elles sont inintelligibles du peuple qui parle un langage différent.

2o Les idéogrammes comme les lettres, ont été des dessins d’abord mais ils sont devenus par long usage de simples marques faites aisément à l’aide de la plume ou du crayon. Ils ne sont plus des dessins mais de pures symboles arbitraires des idées, intelligibles pour les personnes qui les ont apprises et non pour les autres. Les idéogrammes qui n’ont probablement pas commencé à être des dessins, mais qui sont connus du monde entier sont les chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 0.

Les signes mnémoniques existent à côté de l’écriture pictographique. Ex. : Le bâton du messager ; les quippos comme le nœud du mouchoir, les grains du rosaire, les encoches du boulanger.

4. Nous avons besoin d’une théorie générale du signe, chiffre, notation, alphabet, image. Nous avons besoin d’un système graphique universel embrassant tous les signes d’une part, adapté à tous les besoins de l’expression, d’autre part.

Au cours des âges un nombre considérable de signes graphiques ont été créés ; de leur ensemble se sont dégagés progressivement les alphabets. Des divers alphabets se sont dégagés quelques alphabets principaux et la tendance se poursuit vers l’unification sur la base de l’alphabet latin. On entrevoit pour l’avenir un grand système coordonné de signes graphiques s’étendant à tous les langages, à tous les modes d’expression susceptibles d’exprimer la réalité entière perçue et réfléchie par la pensée.

222.02 Symboles. Allégories.

Toute chose sensible qui devient la représentation d’une chose morale, d’un être abstrait, est un symbole. En iconologie et en numismatique, les symboles sont certains emblèmes ou attributs propres à quelque divinité ou à quelque personnage. Les symboles tiennent une grande place dans l’histoire des religions. Le sens est l’âme du signe, c’est l’idée qui se cache sous le mot, dans la phrase ou derrière le symbole. Si le sens est double ou douteux, le mot et le symbole sont des équivoques. Mais il arrive souvent que les deux ou plusieurs sens cachés sous le signe sont subordonnés entre eux, c’est-à-dire que le premier en réveille un second, qui peut même en réveiller un troisième : de là cette distinction en sens littéral et figuré (allégorique, spirituel, analogique, mystique).

Il y a toute une mystique des nombres et des formes élaborée et transmise au sein des mystères de l’Occultisme, de la Magie et de la Religion. Elle trouve son application aux objets, monuments et aux objets rituels. Elle constitue à sa manière toute une écriture, un langage.

1. Il arrive qu’une idée s’associe à un signe particulier et qu’un langage emblématique s’établisse. (Ex. les objets divers que les Malais de Sumatra s’envoient et qui, selon la quantité et la disposition des objets dans le paquet, morceaux de sel, de pomme, de betel, etc, expriment tel ou tel sentiment : l’amour, la haine, la jalousie). Mais il n’y a pas encore là un système d’expression, un moyen d’exprimer indifféremment toutes les idées.

2. La symbologie chrétienne. — C’est une langue conventionnelle. Quand on assiste à un service du culte, chaque objet, chaque geste correspond à une idée, quelle que soit l’opinion professée. Quant à la réalité de ces idées et les relations qu’elles expriment, il faut admettre que le procédé est véridique. C’est une langue par objets, et elle est artistique par le goût des objets.

3. Dans le langage de l’Ego en Théosophie. — Il ne s’agit pas d’un langage au sens ordinaire du mot, mais plutôt d’une communication d’idées, et d’une relation d’expériences au moyen d’images. Ainsi pour l’Ego, un son peut être représenté par une couleur ou une figure géométrique et une odeur par une ligne vibratoire ; un événement historique apparaîtra non seulement comme une image, mais aussi sous forme d’ombre et de lumière, ou encore d’une odeur écœurante ou d’un parfum suave ; le vaste monde minéral ne révélera pas seulement ses plans, ses angles et ses couleurs, mais aussi ses vibrations et ses clartés.

(Eusebio Urban (Judge) The Path, juin 1890.)

222.03 Signalisation.

1. La signalisation a deux raisons d’être.

L’homme s’adresse à l’homme par des gestes, des cris, des appels, des signaux, en dehors de tout langage parlé ou écrit.

L’homme peut dire qui il est ; toutes les choses, les plantes, les animaux, à notre connaissance, ne peuvent le dire. L’homme est donc amené à étiqueter les choses, à apposer sur elles un nom, un sigle, un numéro.

2. De grands systèmes de signaux ont été établis. Ainsi les signaux en mer, dans l’armée, sur les routes. Il y a la signalisation automatique des trains.

Il y a les signaux horaires. La Conférence Internationale de l’Heure de Paris en 1912 a admis en principe que tout point du globe devait recevoir au moins un signal horaire de nuit et un signal horaire de jour, avec un maximum de 4 par 24 heures.

3. Il est de nombreux instruments à bouche d’appel et de signalisation qui ne sont pas des instruments de musique proprement dit, mais sont néanmoins basés sur le même principe. Ainsi les sifflets, cornes et cornets d’appel, appeaux pour la chasse, etc., en corne, bois ou métal. Il y a des instruments d’appel et de signalisation à fonctionnement mécanique, électrique ou luminique.

4. Les signes sonores (l’ouïe) se perdent à distance et chaque fois qu’on s’en sert, il faut les renouveler. Les signes optiques, la vue, au contraire perdurent.

Donc dans l’ensemble ils ont un développement beaucoup plus parfait que la forme parlée.

222.04 Importance de la graphie dans le livre.

Le livre tout entier est formé d’éléments graphiques : écriture, notation, illustration. Tout ce qui touche à la langue, à l’alphabet, à l’orthographe, à la forme de l’écriture, à la disposition des textes, largeur de lignes, marges, blancs, facilite ou retarde la lecture, doit par conséquent être retenu comme facteur du progrès bibliographique. Et à côté du texte, il y a l’image.

222.1 Écriture, Alphabet, Caractères typographiques.

De nombreuses questions se posent au sujet de l’écriture : sa notion, son histoire, ses espèces (alphabets), ses instruments, ses matières, son personnel ; l’écriture chez les divers peuples, l’alphabet phonétique international Les méthodes pour apprendre à écrire. L’art de l’écriture ou calligraphie.

222.11 Notion.

1. L’écriture est l’art de fixer la parole par des signes conventionnels, tracés à la main, qu’on appelle caractères.

L’écriture est la plus merveilleuse des notations : avec 26 signes de l’alphabet latin, ou peut reproduire l’infini des idées, comme avec les 7 notes de la musique, on peut noter la variété illimitée de la musique universelle.

2. Toute écriture s’appliquant sur un support consiste en réalité à y déterminer une coloration. Il s’agit de différencier selon la forme de certains caractères ou dessins, la couleur de l’écriture de celle du support physique qui sert aussi de fond. Cette différence s’opère, soit par incision mettant en jeu l’ombre et la lumière, soit par apposition d’une substance sur une substance (encre, couleur).

Quant à l’impression, tous les procédés eux-mêmes (typographique ou lithographique, caractères ou clichés) reviennent à réaliser un ouvrage soit en creux (gravure sur bois, clichés en métal, à la main ou par des acides), soit en relief (les lettres typographiques réalisées en relief).

3. L’écriture est idéographique ou phonétique. Dans le premier cas, elle représente la pensée, dans le second, elle ne représente que le langage.

L’écriture idéographique est la plus ancienne ; elle peint les idées ou plutôt les choses ; c’est comme une peinture abrégée et plus ou moins conventionnelle, car elle tend à se simplifier avec l’usage. Ainsi l’écriture des Chinois ; nos rebus ; certains caractères hiéroglyphiques. L’écriture phonétique exprime la parole par les syllabes (écriture japonaise) ou par les articulations et autres sons élémentaires qui la composent (écriture alphabétique) ; celle-ci par l’analyse des sons arrive à les exprimer tous et avec un petit nombre de lettres.

4. La disposition donnée à l’écriture sur le papier a quelque chose de fondamental. En principe on peut écrire normalement de gauche à droite et d’en dessus en dessous, mais l’inverse est possible. De droite à gauche, de bas en haut, on peut écrire et commencer par la première page à partir de l’extérieur ou par la page du milieu.

L’écriture de gauche à droite a pour raison d’être l’usage de la main droite. On a observé que le soleil aussi décrit sa courbe apparente de gauche à droite, dans le sens opposé à la rotation de la terre.

En principe, l’écriture est linéaire, car elle suit l’énonciation des sons qui se succèdent dans le temps. La ligne a donc pris trois directions fondamentales : horizontale, verticale et retour. (Boustropheron).

L’écriture pourrait-elle être transformée de simplement linéaire en surface et y aurait-il quelque parti à tirer d’une écriture plurilinéaire à la manière des partitions musicales ou des notations chimiques ? Sur des lignes superposées, ayant même direction, ou sur des lignes prenant d’un point central des directions diverses seraient écrits les développements d’un exposé qui se succèdent aujourd’hui linéairement. La musique est passée de l’homophonie (ainsi le plain-chant, la mélodie) à la polyphonie (plusieurs voix) enrichissant extraordinairement l’unité musicale de temps. Il n’est pas interdit de rechercher un enrichissement analogue de la forme écrite en laquelle s’exprimerait une pensée complexe, de complexité simultanée. Le tableau synoptique, le schéma, la notation moderne de la chimie se rattachent à une telle recherche.

5. L’art de l’écriture et celui du dessin ont des rapports étroits. Par exemple : la miniature et l’ornementation médiévale.

222.12 Histoire.

1. Les rudiments primitifs et anciens du dessin, de la sculpture, de la gravure et même de la peinture, que l’on trouve chez les hommes des cavernes, ont été le premier jalon vers l’écriture, vers le langage peut être, en tous cas vers la civilisation.

L’écriture est passée par trois stades :

a) Représentation figurée des objets et des idées.

b) Représentation altérée et conventionnelle des objets.

c) Représentation phonétique pure des articulations de la voix humaine (écriture alphabétique).

La plupart des peuples se sont attribués l’invention de l’écriture. Les Chinois la rapportaient à leur empereur Fou-Hi. Les Hébreux à Enoch, à Abraham ou à Moïse. Les Grecs tantôt à Mercure, tantôt au Phénicien Cadum. Les Scandinaves à Odin. Les Égyptiens à Thot, leur Hermès.

On a vu successivement : les inscriptions sur pierre égyptiennes, grecques et romaines ; les tablettes sur cire et plomb des Romains (plume et stylet) ; les parchemins persans et turcs ; l’écriture sur feuille de palmier de Ceylan et du Siam ; l’écriture des Japonais et des Chinois (pinceaux) ; les manuscrits sur parchemin du moyen âge avec plume d’oie ; l’écriture avec la plume d’acier (Senefelder).

Il en est pour l’écriture comme pour le langage. Au début, un signe signifie une phrase ou, plus encore, l’image d’une situation ou d’un incident pris dans sa totalité. Puis elle se développe en expression idéographique de chaque signe pris isolément ; vient ensuite l’écriture alphabétique. Des unités de plus en plus nombreuses sont représentées par des signes. (Jespersen.)

2. Hiéroglyphes. — Les anciens Égyptiens employaient pour écrire leur langue des hiéroglyphes. Ce système si caractéristique met en œuvre, pêle-mêle, des figures d’hommes, d’animaux, de plantes, d’astres, en un mot de tout ce qui peut être reproduit. Son nom de « hiéroglyphe » signifie « sculptures sacrées », car de fait à l’époque tardive où les voyageurs qui nommèrent ainsi cette écriture, visitèrent l’Égypte, elle était réservée aux inscriptions des temples. Elle était si intimement liée au paganisme dans la vallée du Nil qu’elle disparut avec lui et que l’on put croire que le secret était à jamais perdu, Champollion, en 1822, en découvrit la clef.

L’écriture hiéroglyphe était proprement monumentale, tant dans l’usage public que dans l’usage privé. Sa cursive, employée dès les temps les plus anciens pour les besoins courants de la vie, reçut le nom d’écriture hiératique ou sacerdotale, à une époque tardive où elle était réservée aux livres saints des temples. Une simplification de l’écriture hiératique elle-même, adoptée à partir du VIIe siècle avant notre ère et devenue l’écriture normale au temps des voyageurs grecs, reçut d’eux l’appellation de démotique ou populaire.

Écriture cunéiforme. — Les Sumériens inventèrent un système d’écriture au début de l’âge du cuivre. Les premiers éléments de cette écriture, purement pictographique, représentaient des objets matériels, schématisés, de face ou de profil. Bientôt, on constate l’insuffisance de ces signes et on invente l’idéographisme ou peinture des idées : l’objet figuré sert de symbole, soit pour d’autres objets matériels, soit pour des idées abstraites, la partie est utilisée pour le tout, la cause pour l’effet et du groupement de plusieurs idées sortent des idéogrammes composés : le signe de l’eau placé dans le signe de la bouche, par exemple, donne l’idée de boire. Ceci est encore insuffisant pour exprimer complètement la pensée ; il faut, en outre, marquer les rapports grammaticaux qui unissent les diverses parties du discours, c’est-à-dire les sons. Les idéogrammes éveillent dans l’esprit du lecteur les noms mêmes des objets représentés : pour plusieurs d’entr’eux on retient seulement la syllabe initiale et on s’habitue à lire indépendamment de la valeur idéographique. Un même signe d’écriture sumérien peut donc avoir plusieurs valeurs distinctes, les unes idéographiques, les autres purement syllabiques ou phonétiques.

Pour faciliter la lecture, on prend l’habitude de placer comme déterminatifs certains idéogrammes devant ou derrière les noms appartenant à certaines classes d’objets, par exemple, l’usage du poisson avant le nom des poissons et parfois on ajoute à un idéogramme son complément phonétique, c’est-à-dire la dernière de ses syllabes. Les Sumériens ont employé plus de 800 signes. Il est parfois tout à fait impossible de reconnaître l’objet primitivement représenté parce que les textes découverts sont pour la plupart écrits sur l’argile et il en est résulté une déformation complète des images. Le roseau dont on se servait pour tracer les signes les décomposait en éléments qui ressemblaient à des coins ou à des clous, d’où le nom d’écriture cunéiforme par lequel nous désignons l’écriture sumérienne, nom d’autant mieux justifié que sur la pierre et les autres matières dures, on prit de bonne heure l’habitude de copier naturellement les signes tels qu’ils étaient formés sur l’argile et l’on finit par abandonner complètement le tracé primitif, d’épaisseur égale, rectilinéaire ou curviligne. L’écriture cunéiforme est formée d’éléments disposés de 7 façons différentes. Les plus usités sont le clou horizontal, le clou oblique de gauche à droite ou coin, et le clou vertical de haut en bas. Elle a été adoptée par les Élamites, habitants du plateau iranien, par les peuples akkadiens, par les Assyriens.

Au début du 3e millénaire, elle est connue en Caucase et sur le plateau d’Anatolie ; plus tard, elle se répand dans les montagnes d’Arménie ; les Perses Acheménides enfin la simplifient et inventent un syllabilaire qui comporte seulement 41 signes. C’est grâce aux textes des Perses que le déchiffrement des cunéiformes a pu être effectué.[11]

Le développement de l’écriture hiéroglyphique, résumée brièvement est : images, mots, utilisation de ces mots pour la constitution de rébus, en transformant les signes ou mots en signes phonétiques à trois articulations ou à deux articulations, dont un petit nombre ont une tendance à s’atrophier, pour donner naissance à des syllabiques proprement dits, ayant une seule articulation consonantique, mais toujours avec l’impossibilité de noter les voyelles qui sont là, cependant, à l’état latent.

Il n’est pas invraisemblable que l’on constatera un jour que la découverte de l’alphabet n’a pas été le résultat d’un développement lent et continu, d’une évolution, mais au contraire le fait d’une indication qui provoqua la brusque « mutation ».[12]

3. L’emploi de l’alphabet a donné à la pensée humaine un essor illimité. Les Phéniciens (autochtones, non sémites et égéens) agglomérés sous le nom de Phéniciens, ont transformé l’écriture cunéiforme syllabique en une écriture alphabétique de 28 signes. (XIIIe siècle avant J. C.)

L’alphabet qui est devenu commun à tous les peuples indo-européens, est d’origine sémitique et dérive de l’écriture égyptienne par l’intermédiaire de l’alphabet phénicien. Il a subi des modifications nombreuses.

Bien qu’on attribue aux Phéniciens l’invention de l’alphabet, il est établi que les premiers signes devenus ensuite des caractères, remontent à la préhistoire. Cadmus aurait importé l’alphabet phénicien chez les Grecs qui le transmirent aux Étrusques et par eux aux Romains. L’alphabet romain est devenu le nôtre, l’alphabet latin. Comme le phénicien, l’alphabet grec n’eut d’abord que 16 lettres. 7 y furent ajoutées ensuite : g, h, k, q, x, y, z. L’alphabet français n’est que de 23 lettres, jusqu’à ce que la distinction de l’i et du j, de l’u et du v fut bien établie (XVIIIe siècle). L’alphabet de l’Inde, le plus parfait, compte 50 caractères disposés non pas au hasard comme le nôtre, mais d’une manière méthodique.

4. Dans le système d’écriture grec, les inscriptions sont le plus souvent gravées sur marbre, sur airain, plus rarement sur plomb. L’écriture est ou rétrograde, ou boustrophède, ou stoichedon. (Chaque lettre était placée sous la lettre correspondante à la ligne supérieure : inscriptions attiques du Ve siècle ou en colonnes (kuonèdon) ; c’est le système chinois et proto-assyrien.) Le plus souvent elle est disposée comme dans nos livres, mais la ponctuation est absente ou capricieuse, les signes manquants toujours et les mots ne sont pas séparés. Les fautes d’orthographe et de gravure ne sont pas rares.

5 Les Runes sont les caractères dont se servaient les Scandinaves et les autres Germains. L’alphabet runique comporte 16 lettres et chacune est l’initiale du nom qu’elle porte et reproduit ordinairement la forme de l’objet désigné par ce nom. Ulphilas, évêque Goth du IVe siècle, a complété l’alphabet runique par quelques lettres et composé l’alphabet gothique, dont il s’est servi pour traduire la Bible. L’écriture gothique moderne date du XIIIe siècle : c’est l’ancienne gothique assujettie à des règles fixes et composée de traits réguliers. Il tend à faire place devant l’alphabet latin, bien que la guerre ait ralenti ce mouvement.

6. Les anciens Turcs (Ton-Kione, tribu des Hioung Nou) avaient des contrats sous forme d’entailles sur une planchette qu’ils scellaient en y marquant l’empreinte d’un fer de lance. C’est de leurs planchettes entaillées qu’ils se servent quand ils font la levée de gens de guerre et des chevaux et quand leurs rois font acquitter l’impôt, qui se compose de bétail, ils délivrent l’acquit par l’apposition d’un scel marqué au fer de lance. (Cahun.)

L’alphabet est indépendant de la langue. Les dialectes des groupes turcs n’emploient pas moins de six caractères d’écriture différents (sans compter les transcriptions avec l’alphabet russe), l’arabe, le syriaque transformé par les Oïgours, l’arménien, le grec, l’hébreu et le chinois, auxquels il faut ajouter l’ancienne écriture dite tchoudique ou runiforme, aujourd’hui reconnue pour turque.[13]

L’écriture nestorienne fut apportée jadis jusqu’au Pe-Lou par le monde chrétien. Elle s’imposa au monde turc et mongol et résista même au boudhisme et à l’écriture chinoise. Ce ne fut qu’après 1450 que l’Église musulmane se vit assez forte pour se passer de cet alphabet et imposer l’écriture arabo-persane. Encore le mongol et le mandchou, l’ont-ils fièrement et bravement conservée. L’écriture chinoise a dévoré et englobé les écritures de l’Inde, de l’Indochine, de la Corée et du Japon.

Les anciens peuples du Pérou ne connaissaient pas précisément l’écriture, du moins suivant notre système phonétique. Mais ils possédaient un nombre respectable de procédés symboliques, comparables à ceux des hiéroglyphes, et grâce auxquels ils pouvaient exprimer sur la trame des étoffes une foule de notions. Ils disposaient également de « Quipus », sorte de cordes à nœuds de plusieurs couleurs, auxquelles on attachait de petits objets et qui servaient aux fonctionnaires de l’État à établir leur comptabilité. En un mot, l’écriture était en voie de formation au moment de la conquête espagnole et la langue quichua pouvait se glorifier d’une littérature orale.

L’écriture que Saint Clément appelle Kyriologique ou expressive, mais qui était imitative, offrait la charpente des mots, sauf les voyelles qui étaient facultatives. La méthode kabbalistique n’employait que des initiales, ce qui les rendait des énigmes analogues aux signes.

7. Ultérieurement, on a pu assister à la naissance d’une écriture. Ce fut celle inventée d’une pièce par un iroquois vers 1818. Les Indiens avaient trouvé sur une personne une lettre dont le porteur fit une lecture inexacte. En délibérant sur cet incident, ils agitèrent la question de savoir si les pouvoirs mystérieux de la « feuille parlante » étaient un don que le Grand Esprit avait accordé à l’homme « blanc » ou bien une invention de l’homme blanc lui-même. Presque tous se prononcèrent pour la première opinion. Mais See-Tnah-Joh, dans une solitude forcée qui suivit le débat, se mit à réfléchir. Il apprit par les cris des bêtes féroces, par l’art de l’oiseau moqueur, par les voix de ses enfants et de ses compagnons, que les sons font passer les sensations et les passions d’une âme dans l’autre. Cela lui donna l’idée de se mettre à étudier tous les sons de la langue iroquoise et bientôt de composer un alphabet de 200 caractères pour les représenter.[14]

8. Des inconnues et des incertitudes existent encore au sujet des origines et de l’histoire de l’écriture. Les travaux se poursuivent, et bien des hypothèses continuent à être discutées.

Des études récentes ont porté sur le classement systématique de tous les éléments d’écriture des populations primitives du globe. M. H. Wirth, en les confrontant, a trouvé que tous ces signes se ramènent à un seul système datant de l’époque paléolitique.[15] Il proviendrait de la division de l’année solaire, les signes de l’alphabet désigneraient les points bi-mensuels du lever et du coucher du soleil en commençant par le solstice d’hiver. L’année étant divisée en 10 mois aux époques les plus anciennes et en 12 mois plus tard, on obtient ainsi 20 et plus tard 24 signes.

Si les prétendues découvertes de Glozel avaient été vraies, il eût fallu conclure qu’une écriture évoluée existait dans les Gaules où seraient venues puiser les civilisations méditerranéennes. Les Phéniciens n’auraient rien inventé du tout. L’écriture des Français serait née sur leur sol. Glozel aurait représenté une grande civilisation européenne qui aurait su s’étendre sur un vaste territoire. Les objets de Glozel, disaient les inventeurs, appartenaient au néolithique le plus ancien ; ils comporteraient des galets avec incision d’animaux et de signes d’écriture, signes qui ont été dès le début de l’histoire des plaques d’argile gravées de signes — au nombre de 120 — analogues aux signes chinois et phéniciens.

Le Clément de St Marcq (Histoire générale des Religions) explique le mécanisme de l’histoire des cinq derniers millénaires par la lutte entre l’alphabet et l’écriture chinoise. Pour lui, l’Au delà a préparé et appuyé la Révolution alphabétique ou chrétienne.

222.13 Espèces d’écriture.

1. Il y a lieu d’envisager : 1o les diverses espèces d’écriture sur la base de l’alphabet latin ; 2o les diverses écritures sur la base d’autres alphabets.

2. À mesure qu’on a écrit davantage s’est affirmé la nécessité des écritures cursives, celles où les caractères d’un même mot sont tracés liés les uns aux autres et sans levée de la main.

Des progrès immenses ont été réalisés avec l’écriture cursive. Écrire plus vite, plus vite. La vitesse a engendré la cursive. Puis le papier lisse, la plume, le stylo, la dactylo ont poussé plus loin la vitesse.

L’écriture anglaise — écriture coulée — et toute la calligraphie ont été ruinées par le stylo : la machine à écrire en détruit la raison d’être.

3. Le plus petit changement de détail transforme entièrement une lettre et ce n’est pas par des courbes bizarres ni par des jambages cassés qu’on peut espérer créer de nouveaux types. Il y a trois genres propres dans la lettre : ce sont le romain, l’italique et le gothique. Il ne faut pas songer à dénaturer le romain. Ces lettres sont dans l’œil des peuples depuis 2000 ans et plus et leur lisibilité dépend de leur pureté de forme.

Le dédoublement de certaines lettres latines est arbitraire. Seinder, par exemple, l’I latin en un « i » et un « ji » ; l’V latin en un « u » et un « vé », c’est modifier l’alphabet d’une langue morte. Cela affecte la récitation de l’alphabet, l’épellation et le classement alphabétique.

4. Lettres. — Nos minuscules, en général, sont imitées de l’écriture caroline. Nos majuscules copient en principe la capitale du temps d’Auguste.

La capitale est toujours imposante. Elle a sa place dans les titres. Il faut envisager la facilité de lecture et la beauté d’un imprimé.

Le choix des signes et des caractères est influencé par leur existence ou non dans les imprimeries et sur les machines à écrire. En Allemagne, le choix des caractères joue un rôle important, antiqua (alphabet latin), Fraktur (gothique). Une complication spéciale y surgit du fait que le Yiddish, qui se rapproche de l’allemand, est composé et imprimé en caractère hébraïque.

222.14 L’alphabet.

Il y a lieu de considérer : 1o les lettres, 2o les accents, 3o la ponctuation, 4o les signatures et les sigles.

1. Les lettres. Ce sont, dans l’alphabet français :
a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v w x y z

Ces lettres ont leurs capitales correspondantes :
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

2. Les accents. — Ce sont des signes qui se mettent sur une voyelle pour en faire connaître la prononciation ou pour distinguer un mot d’un autre. En français il y a trois accents : l’aigu, le grave, le circonflexe.

Certaines langues (par ex. le Tchèque et le Polonais) ont leurs lettres largement accompagnées d’accents diacritiques.

3. La ponctuation. — Elle est faite de signes tels que
. , ; : ’ - ? !

La ponctuation n’existe pas dans les textes anciens. À l’origine il n’y avait ni ponctuation ni séparation des mots. Introduite tard dans l’écriture, la ponctuation sert à marquer les divisions des phrases, la numérotation 1o, 2o, 3o, etc., ou la littéralisation A, B, C, a, b, c, etc. est une sorte de ponctuation des idées elles-mêmes qui se prolonge ensuite dans les autres domaines du livre-document : paragraphes, chapitres, etc.

Le ton, dit le proverbe, fait la chanson. On pourrait ajouter « comme l’habit fait le moine ». La seule écriture ne suffit pas. Le point d’interrogation fait changer le ton. Des langues écrites connaissent le point d’ironie. Les Iroquois terminaient chaque discours par hiso (j’ai dit) suivi de l’exclamation koué à laquelle l’orateur donnait l’intonation voulue, douleur ou enthousiasme guerrier.

Pourquoi ayant imaginé le point d’interrogation, ne pourrait-on développer le système, le généraliser, introduire dans le texte des signes qui accentueraient le sens des phrases par ex. +, ×, etc.

222.15 La connaissance des écritures.

La connaissance des écritures a donné lieu : 1o à la Paléographie ; 2o à la Graphologie sur les données de laquelle sont basées les études sur les faux en écriture.

222.151 PALÉOGRAPHIE.

1. La paléographie est la connaissance des écritures anciennes et de tout ce qui s’y rapporte. Se dit particulièrement de l’art de les déchiffrer.

2. Le domaine de la paléographie a été déterminé par l’histoire, a) La paléographie ne comprend que la lecture des manuscrits, des chartes, des diplômes, accessoirement celle des sceaux. Le déchiffrement des inscriptions tracées sur les monuments, les vases et les médailles relève de l’Épigraphie. b) La paléographie est une partie de la Diplomatique, au sens large, celle qui consiste au déchiffrement du texte, la diplomatique proprement dite ayant son objet d’analyser les textes, d’en déterminer la valeur, la critique et le classement des monuments écrits. À la paléographie appartient donc toute la partie pour ainsi dire extérieure de ces monuments, leur description, l’examen des substances sur lesquelles l’écriture est tracée, celui des matières qui ont servi à tracer l’écriture, des formes des lettres, des abréviations, des sigles, des signatures, des monogrammes, etc. Toutes ces choses peuvent fournir des indices sur l’âge du document examiné, en même temps que le déchiffrement, dernier but de cette minutieuse étude, en découvre le sens.

3. Au point de vue de l’évolution continue du livre, du document, des signes, de l’écriture, des substances et des encres il y a un intérêt réel à ne pas traiter séparément de la graphie « ancienne » (paléographie) et de la graphie moderne (technique du livre). La seconde continue la première et peut trouver en elle bien des éléments arrêtés dans leur développement par les circonstances, mais susceptibles de larges utilisations.

4. Histoire. — La Paléographie est relativement récente. Avant le XVIIe siècle et les premiers travaux des bénédictins, on n’en possédait même pas les premiers éléments : quelques rares érudits, depuis la Renaissance, s’étaient appliqués au déchiffrement des manuscrits et des diplômes ; mais leurs efforts restaient isolés et leur science personnelle. Les archivistes même des abbayes considéraient comme indéchiffrables les textes d’écriture mérovingienne dont les dépôts renfermaient les plus précieux spécimens. Ils consignaient naïvement en note leur complète ignorance. Ainsi se perdirent beaucoup de manuscrits considérés comme uniques. Le Père Papebroeck entreprit au XVIIe siècle de recueillir les quelques règles éparses qui pouvaient servir aux premiers éléments de paléographie ; il les consigna dans la préface du tome II (avril) des Acta Sanctorum et cet informe essai donna à Mabillon l’idée de son célèbre traité De re diplomatica (1681, in fol.). Montfaucon composa une Paléographie grecque (1708, in fol.) donnant les renseignements les plus utiles. Les grands travaux ont été complétés jusqu’à nos jours notamment par Kopp Paleographia Critica (Mannheim 1817, 4 vol. in-8o) ; Natalis de Wailly, Éléments de Paléographie (Paris. 1838, 2 vol. gr. in-4o) ; A. Chassant Paléographie des chartes et des manuscrits du XIe au XVIIe siècle (1847. in-8o), etc.

5. Le déchiffrement. — Le déchiffrement des écritures anciennes rencontre quatre ordres de difficultés : 1o La signification des caractères par rapport à la langue employée ; 2o la détermination des caractères employés ; 3o la forme des lettres à distinguer les unes des autres ; 4o les abréviations ; 5o les signes abréviatifs et les monogrammes.

6. Forme des écritures anciennes. — L’écriture cursive des Grecs était difficile à déchiffrer étant fort irrégulière : les lettres sont inégales, les plus petites sont enclavées dans les grandes, plusieurs sont tout à fait défectueuses et l’absence de tout signe de ponctuation, les mots coupés arbitrairement à la fin des lignes. L’écriture cursive des Romains est plus indéchiffrable encore : elle a un bel aspect, les traits sont élégants et variés, mais il faut la plus grande attention pour isoler les lettres les unes des autres à cause des liaisons, des traits parasites et de la position excessivement inclinée des caractères. Les liaisons des lettres concourent dans une certaine mesure à leur formation et les rendent méconnaissables en les faisant varier à l’infini. De plus, comme dans la capitale, il n’y a aucune séparation entre les mots.

222.152 GRAPHOLOGIE.

1. La graphologie tend à devenir une science exacte, dégagée maintenant des prétendues sciences divinatoires. C’est une méthode précieuse d’études du caractère humain. L’écriture est un geste social qui a pour but de communiquer la pensée. Appris par l’imitation, il devient rapidement individuel. La graphologie considère l’écriture comme une succession de petits gestes individuels. Après de très longs et très persévérants efforts (le premier essai d’étude de l’écriture date de 1622), elle est parvenue à classer méthodiquement tous ces mouvements. Une méthode rationnelle, expérimentale, par conséquent scientifique, est actuellement constituée. Le graphologue devient un collaborateur du médecin, de l’éducateur, du juge, du chef d’industrie. Le Collège Libre des Sciences Sociales de France a institué un cours de graphologie. On l’enseigne à l’École de Chartes de Bucarest. Un Congrès international de graphologie, le deuxième, s’est tenu en 1928 à Paris et fut présidé par le professeur Pierre Janet.

2. La graphologie est la science qui permet, par un examen méthodique et approfondi de l’écriture, de pénétrer le secret des caractères avec leur complexité, leurs contradictions, leurs tares. L’écriture, en effet, est révélatrice avec ses mille formes, ses mille manières, ses combinaisons variant à l’infini, enregistrement direct de ces petits gestes non surveillés que le cerveau transmet automatiquement à la main et qui dévoilent l’être intime.

3. L’écriture est étudié tour à tour comme moyen et comme objet d’identification. On voit la personnalité humaine à travers l’écriture comme derrière un voile troué, qui masque presque entièrement certains faits et en révèle d’autres au contraire assez bien. (F. Michaud)

4. Comme il est incontestable dit le Dr Héricourt, que les caractères de la personnalité se dessinent sur le visage, il y a d’autres mouvements, comme ceux du geste, dont l’étude porte un égal intérêt. Personne d’ailleurs ne conteste la valeur de l’allure en général, quand il s’agit de reconnaître une personne dont on ne voit pas les traits. on ne peut nier que les caractères particuliers d’un individu ne se peignent dans le nombre, la rapidité et l’ampleur de ses mouvements. La parole qui diffère selon l’individu, serait utile aussi à étudier dans un but d’analyse psychologique. Au fond de ses études diverses en apparence, on trouve que le sujet est toujours le même. C’est l’activité musculaire sous ses formes diverses. Le jeu de la physionomie, l’allure des bras et des jambes, la manière de parler, ce sont toujours des muscles en action, des mouvements en partie volontaires et conscients, en partie involontaires et inconscients. Or, il est un appareil moteur qui se trouve en relation encore plus intime que les autres avec la fonction cérébrale idéomotrice, et dont le jeu doit être en conséquence un reflet très fidèle des divers modes de cette activité : c’est celui qui prête à l’action d’écrire.

L’écriture est donc un geste, composée d’une multitude de petits gestes. Elle est le jet matérialisé de la pensée.

5. Les écritures paraissent être réellement toutes différentes. On découvre une infinie variété de particularités graphiques, même dans les bâtons des enfants. On arrive à des milliards en calculant les variétés les plus simples que l’on peut produire dans le chiffre 1, le plus simple de tous les signes. (Crépieux-Jamin. Les lois fondamentales de la graphologie). Les variétés graphiques sont attribuées aux variétés de caractères : il y a une relation entre le mot et son expression motrice.

6. Des méthodes perfectionnées ont été imaginées, notamment par Crépieux-Jamin (L’Écriture et le Caractère), par Persifor Frazer (A B C de la Graphologie), par Bertillon (La Comparaison des écritures) par Locard (Technique graphométrique).

7. Autrefois les experts en écriture étaient des calligraphes, des lithographes, des maîtres d’école qui travaillaient dans des conditions matérielles déplorables, avec des instruments insuffisants. Leur procédé consistait à colliger dans les pièces soumises à l’examen des ressemblances purement matérielles de graphisme. Les vérifications se faisaient sans méthode définie, sans règle catégorique, précise. Aujourd’hui les experts en écriture se servent d’instruments de premier ordre : le microscope et la photographie.

8. Expertise des écritures. Faux en écriture. — Depuis qu’il y a des écrits, il y a des faux. Justinien en parle et nous avons toute une littérature sur cette question au moyen âge et dans les Temps modernes. Des incidents célèbres, affaire Dreyfus, affaire Humbert-Crawford, ont donné une importance dramatique aux théories en présence. Toute une science est née pour dépister et découvrir ces faux. La photographie et la microphotographie y ont aidé. Les retouches ont été décelées par la composition chimique différente des encres, l’actinisme différent donnant des nuances opposées à la photographie.

On a recherché le parallélisme grammatique et établi pour former des diagrammes une analyse graphométrique montrant la variation des valeurs angulaires des lettres authentiques et des lettres falsifiées.[16]

9. Des règles ont été tracées par les maîtres de la Société Technique des Experts en écriture et qui sont aujourd’hui enseignées dans ses cours.

222.14 Instruments, encres et spécialistes de l’écriture.

On a écrit avec toutes espèces d’instruments, on s’est servi de toutes espèces de matières pour tracer les caractères ; il y a eu des spécialistes de l’écriture.

222.141 INSTRUMENTS.

1. L’instrument de l’écriture est la plume et le crayon. La plume est placée dans le porte-plume ; le crayon est placé souvent dans le porte-mine, et il est de toute couleur.

Aux instruments de l’écriture sont apparentés les instruments du dessin : règle, équerre, « té », tire-ligne, curseur, pantographe, etc.

2. Antérieurement on a écrit avec le stylet sur la plaque de cire, avec l’arindo ou calame, avec la plume d’oie.

Il n’y a pas plus d’une trentaine d’années, on écrivait encore en Birmanie avec un stylet de fer appelé « Kangit » sur des feuilles de palmier, sans l’aide d’aucune encre. Les feuilles étaient ensuite roulées et placées dans un tube où elles pouvaient, paraît-il, conserver l’écriture intacte pendant des centaines d’années. Cette méthode est encore employée par certains Birmans, spécialement par les prêtres.

3. Aujourd’hui l’emporte le stylo (le stylographe), porte-plume à réservoir, éventuellement avec plume en or ou en iridium.

Le premier porte-plume réservoir a été conçu et réalisé par un capucin savoyard, le F. Candide de Moglard.

On a critiqué l’usage du stylo. « Pour bien penser, il faut bien écrire ». La démarche même de notre pensée, sa recherche de la vérité, le crible qu’elle doit faire de tous les germes d’erreur que contient le raisonnement, se décalquent en quelque sorte sur le mouvement du style, la poursuite du mot juste et la logique des articulations d’une rigoureuse syntaxe. Or, l’instrument de l’écriture influence l’écriture elle-même. L’usage moderne du stylo ne permet pas à l’esprit la halte légère pendant laquelle on plongeait sa plume dans l’encrier, ce qui donnait le loisir forcé de réfléchir sans agir. L’emploi de la plume d’oie avec sa taille intermittente doublait opportunément la durée de ces repos nécessaires. Aujourd’hui on dicte au parlophone : c’est là sans doute le comble de la rapidité, mais elle est trop souvent acquise au prix d’un effrayant relâchement de la pensée. (E. Giscard d’Estaing)

La vieille calligraphie, imposée par des coups de règles sur les doigts s’en est allée. Et l’écriture est tombée en décadence. Les idées sociales à son sujet ont évolué. On a reconnu que la décadence avait commencé par l’introduction de la plume métallique, la plume pointue instrument de martyre pour le jeune enfant, de même que le cahier à réglure multiple. Toute la spontanéité a disparu avec la liberté. L’écriture doit rester dès le début, comme le dessin, l’expression de la personnalité, bien qu’avec des qualités essentielles de lisibilité, d’harmonie et de rapidité.[17] En Allemagne, il y a lieu de signaler la méthode Kuhlmann et la méthode Huliger, ainsi que les nouvelles plumes Sönnecken.

Les plumes ont grande importance. Les éducateurs ont condamné les plumes pointues qui conduisent à la tension nerveuse, puis à la crispation musculaire. Les grosses plumes donnent plus de régularité et de lisibilité à l’écriture. (Ex. : S 21 ou 20 ou 5 de Sönnecken, nos 23, 28, 29 de Mallat.)

Heintze et Blanckertz ont entrepris en Allemagne un mouvement pour la réforme de l’écriture. (Verlag für Schriftkunde. Berlin 44 Georgenkurthstrasse.)

222.142 LES ENCRES.

1. L’encre est le liquide préparé pour écrire, imprimer ou dessiner à la plume.

2. Il y a un grand nombre d’encres différentes. Encre d’imprimerie, pâte composée de diverses matières et notamment de noir de fumée et d’huile de lin. Encre autographique, encre dont on se sert en lithographie pour écrire sur un papier préparé et transporter ensuite sur la pierre ce qu’on a écrit ou dessiné. Encre sympathique, liquide incolore sur le papier et que l’on peut rendre visible en soumettant l’écriture à certaines influences chimiques. Encre de Chine, préparation sèche de noir de fumée qu’on emploie particulièrement dans le dessin au lavis.

3. L’Égypte, semble-t-il, fut la première à étendre l’usage de l’écriture à l’encre sur pierre et bois, aux feuilles de papyrus convenablement apprêtées. Cette invention produisit une grande révolution dans l’art de représenter les idées et les choses. Elle aida à faire passer la peinture d’objets hiéroglyphiques en écritures et signes hiératiques, lesquels de plus en plus simplifiés, donnèrent naissance aux caractères coptes de l’écriture démotique. Les anciens écrivaient à l’encre en même temps que sur les tablettes de cire. Les encres des palympsestes étaient fort résistantes. Après un recul dans la fabrication du IXe au XIIe siècle, on assiste à un progrès continu. Les encres italiennes et espagnoles du XVIe siècle atteignent au plus haut degré de perfection. La décadence commence au XVIIe siècle. De nos jours les encres manquent de longue résistance.

4. En principe, il s’agit, dans l’écriture, de différencier la matière de manière à faire apparaître un signe sur un fond. On procédera soit par coloration (noir ou couleur), soit par différenciation du volume (relief ou incision provoquant éventuellement des ombres). Il y a toute une échelle de la profondeur à la hauteur (lettres superposées). La différenciation de caractères et de textes peut se faire par la couleur.

5. Des livres ont été imprimés en couleurs. Pendant deux siècles, en France et ailleurs, on a imprimé à l’encre rouge et à l’encre noire ensemble.

La couleur rouge fut assez généralement affectée aux titres des livres, à la première lettre d’un alinéa. Dans les rescrits impériaux, la formule de la date est rouge. En Chine, l’usage de l’encre rouge dans les écrits officiels était réservé à l’empereur. On a écrit en bleu, en jaune, en vert.

L’or a été beaucoup employé au moyen âge, principalement du VIIIe au Xe siècle. On possède plusieurs évangiles, des livres d’heures et nombre de diplômes écrits de cette matière. L’or était réduit en encre et étendu au moyen de la plume, ou bien était appliqué par feuilles sur un appareil qui le fixait au velin, ou réduit en poudre, il était aggloméré au moyen de la gomme arabique.

L’expérience apprend que l’impression noir sur blanc vaut mieux que blanc sur noir. La couleur rouge est celle qui accroche le plus nos regards… Le vert est la couleur suivant immédiatement le rouge dans ses effets sur l’attention. Ces faits découlent d’expériences de laboratoire et servent de base à la réclame.

De nos jours les livres d’art et les impressions de bibliophiles ont attaché du prix à la couleur des encres.

On possède le « Livre des quatre couleurs aux quatre éléments, de l’imprimerie des quatre saisons, l’an 4444 », imprimé en rouge, bleu, orange et violet. (Ce qui donne une géométrie en couleurs.)

6. L’encre noire des anciens était composée de noir de fumée, de gomme, d’eau, de vinaigre. Elle fut employée jusqu’au XIIe siècle. On inventa alors l’encre composée de sulfate de fer, de noix de galle, de gomme et d’eau, qui est encore en usage.

7. La consommation d’encre est considérable. L’Allemagne consomme environ 40 millions de quintaux de papier par an. À cette consommation correspond celle de 360,000 quintaux d’encre d’imprimerie. Les plus grands consommateurs sont évidemment les journaux qui, à eux seuls, absorbent 40 % du total des encres. Les autres encres noires (labeur et illustration) n’atteignent pas même 20 % du chiffre total. Par contre, l’emploi des couleurs d’imprimerie représente environ le quart de la consommation totale. Les encres d’héliogravure y participent à raison d’un sixième. La matière colorante ne constitue que le quart du poids des encres employées. Les huiles minérales et huiles de lin composent également un quart du poids total, tandis que pour le reste, ce sont les résines, les dissolvants comme la benzine, le benzol, etc., qui complètent le volume.

Les fabriques d’encres d’imprimerie sont les plus nombreuses à proximité des grandes agglomérations. Berlin, la Saxe et le Hanovre accaparent ensemble 60 % de la production totale de l’Allemagne. La Saxe vend annuellement pour 12.5 millions de marks d’encres ; Berlin pour 7.5 millions et le Hanovre pour 9.7 millions.

222.143 SPÉCIALISTES DE L’ÉCRITURE.

Primitivement, et pendant longtemps, le fait de savoir écrire était la spécialité de quelques hommes. Dans l’antiquité, les écriveurs étaient des esclaves. On a connu un temps au moyen âge où cette formule était d’usage dans les actes : « Et attendu sa qualité de gentilhomme, a déclaré ne savoir écrire ». Le grand cachet de cire, empreinte ou sigle, par la poignée de l’épée, remplaçait alors la signature. Les clercs avaient le privilège du savoir et de l’écriture aussi. Au XIVe siècle, on connut les corporations d’écrivains ; elles étaient privilégiées ; elles comprenaient les peintures et les enluminures ; il y a eu des écrivains jurés, des écrivains publics. Peu à peu, le lire et l’écrire s’étendirent jusqu’aux temps modernes, où l’instruction devint obligatoire et où des campagnes énergiques, comme en Russie et en Orient, s’entreprirent contre l’analphabétisme.

Il y avait au moyen âge les chrysographes ou écrivains en or, les tachygraphes qui écrivaient avec rapidité et les calligraphes qui écrivaient à main posée.

Dans les pays d’occident, il n’y a donc plus d’écrivains publics, bien que le service d’écrire pour autrui s’y continue encore. Il n’y a plus que des écrivains tout court et des « écriveurs ». On définit les écrivains, des hommes qui composent des livres, des écrits destinés à la publicité, des hommes qui écrivent avec art et avec goût ; « écrivailleur » se dit de qui écrit, mais sans grand intérêt, et « écrivassier », de qui a la démangeaison d’écrire.

222.15 Écriture à la main ou à la machine.

L’écriture se fait : 1o à la main (calligraphie) ; 2o à la machine à écrire (dactylographie) ; 3o par des procédés typographiques : xylographie, caractères fondus se composant à la main ; composition typographique à la machine.

222.151 LA CALLIGRAPHIE. ÉCRITURE À LA MAIN.

1. L’écriture à la main est, quant au tracé des lettres, tout un art. La belle écriture, l’art de ceux qui ont une belle écriture se dit la calligraphie.

Autrefois, comme chez les Orientaux encore aujourd’hui, la calligraphie indiquait un art plus relevé.

Les Chinois, les Arabes, les Turcs, les Indiens, les Persans ont porté très haut le goût de la calligraphie. Ils tiennent en grand honneur l’art de peindre l’écriture, d’en tracer les caractères avec un degré particulier d’élégance. Le calligraphe n’y est pas placé beaucoup au-dessous de l’écrivain qui compose un ouvrage d’un beau style.

2. Enluminures. — Les manuscrits qui nous restent sont les témoins de la grandeur et de la décadence de l’enluminure. Longtemps l’Orient conserva le goût et le secret de la peinture appliquée à la décoration des livres. En Occident, l’invasion des Barbares porta à l’art calligraphique, comme à tous les arts, un coup mortel. À partir du XIVe siècle, le goût se rétablit. Les dernières années du XVe et les premières du XVIe siècle virent éclore sous le pinceau des miniaturistes des productions exquises, particulièrement dans les ouvrages liturgiques. Elles allèrent à si haut prix que les princes seuls purent s’en procurer la jouissance. Bientôt après la typographie et la gravure les proscrivent.

3. Calligraphie. — Il y a des exemples modernes et les traditions de la belle écriture se conservent chez quelques-uns.[18]

Léon Bloy un jour de misère, proposa au comte Robertde Montesquiou Fezensac, poète et descendant d’une illustre famille française, de « transcrire lui-même son livre — La Chauve-Souris — sur un vélin fastueux, en écriture divine de moine carolingien, et d’orner chaque page d’exfoliations extraordinaires. » Il ajoutait « me voilà prêt à vous donner un an de ma vie épouvantable, à faire pour vous un chef-d’œuvre, si vous voulez me sauver, car je péris absolument. « Le poète, bien qu’immensément riche et d’une prodigalité vaniteuse, refusa.

4. Le chef-d’œuvre calligraphique a souvent consisté en certaines acrobaties et prouesses scripturaires. Ainsi, le fait d’écrire microscopiquement. Aelien parle d’un homme qui, après avoir écrit un distique en lettres d’or pouvait le renfermer dans l’écorce d’un grain de blé, un autre traçant des vers d’Homère sur un grain de millet. Cicéron rapporte avoir vu l’Iliade écrite sur parchemin pouvant se renfermer dans une coquille de noix. Il y a loin de ces œuvres de patience aux manuscrits latins du IVe siècle dont les caractères avaient une si grande dimension que Saint Jérôme les appelait des fardeaux écrits.

D’autre part des calligraphes se sont ingéniés à tracer des figures de personnes ou d’objets à l’aide de fines lignes d’écriture.

5. Au début l’écriture était angulaire, parce qu’elle était obtenue par les épigraphistes, sculpteurs sur pierre ou graveurs sur bronze qui faisaient les inscriptions. Quand on écrivit plus tard sur des matières où la plume était l’instrument, on put faire les courbes et l’écriture se modifia, elle devint cursive.

6. Une personne quelque peu habituée à manier la plume peut écrire en moyenne trente mots à la minute, ce qui représente avec les courbes et les inflexions, une longueur de 5 mètres ou 300 mètres à l’heure, 3000 mètres dans une journée de dix heures de travail, ou 1095 kilomètres par an. De plus, en écrivant 30 mots à la minute, la plume fait en moyenne 480 courbes et inflexions, soit 28.000 à l’heure, 288.000 par journée de dix heures ou 105.120 kilomètres par an, enlevés à la force du poignet et des doigts…

7. L’écriture lisible demeure un desiderata, surtout pour l’écriture commerciale, l’écriture comptable et l’écriture administrative. Cette lisibilité de l’écriture est difficile à obtenir avec la presse de la vie et l’obligation pour certains d’écrire vite et beaucoup.

C’est une vraie fatigue de lire des écritures différentes. Qu’on se figure par ex., un fonctionnaire ayant à lire tous les jours 100 à 150 requêtes écrites par des pauvres. Qu’on se figure aussi les peines des dactylographes et des typographes. « Il y a quelques années, disait un savant, il n’y avait que deux personnes qui savaient lire mon écriture. Dieu et moi ; maintenant il n’y en a plus qu’une. Dieu. »

8. Un mouvement s’est développé pour amener à se servir des deux mains pour écrire, indifféremment de la droite ou de la gauche. Les mutilations de la guerre ont ajouté aux raisons d’être de l’écriture ambidextre.[19]

222.152 LA DACTYLOGRAPHIE. ÉCRITURE À LA MACHINE.

1. L’invention de la machine à écrire a donné naissance à une technique et un art nouveau, la Dactylographie. Elle est encore tous les jours en progrès.[20]

2. La machine a standardisé, unifié le type d’écriture ; elle a permis d’écrire plus vite, et d’obtenir plusieurs copies à la fois.

Dans les concours de dactylographie, le championnat atteint des 20.000 mots en un temps de six heures et de 17.000 mots en 4 heures. On cite un record de 28.944 mots en 7 heures pour un travail dicté.[21]

3. On a créé des variétés de machines à écrire. Pour marquer les colis, on a commencé par opérer à la main ; puis on s’est servi d’alphabets pochoirs. C’était lent et l’erreur était facile. On a maintenant des espèces de grandes machines à écrire qui perforent les lettres de carton (carton huilé) en forme de pochoirs (Idéal-Stencil machine). On applique ensuite le pochoir sur les colis (jusque 2000 fois). La machine peut perforer jusque 150 pochoirs à l’heure.

222.153 LES CARACTÈRES D’IMPRIMERIE.

1. Les caractères ont toute une histoire. Les premiers étaient gravés sur bois. Gutenberg débuta ainsi. Son but était d’imiter le travail des copistes et de vendre le produit de la presse comme étant le fruit d’efforts calligraphiques. Les caractères étaient gothiques (lettres de forme suivi de lettres de somme). Schoepfer eut l’idée de fondre les lettres. Nicolas Jenson grava des caractères reproduisant des capitales romaines et des minuscules empruntés aux écritures latine, française, espagnole, lombarde et caroline dont la forme se rapprochait beaucoup. Puis les caractères se développèrent : Théobalde Manuce (Alde) introduisit les « italiques », Granjon la cursive. Il y eut le Garamond, l’Elzevir, le Didot, le Bodoni, le Baskerville. Le premier livre contenant du grec imprimé est le Lactance du monastère de Subiaco.

Louis Elzevir (Leyde 1595) fut le premier qui distingua l’I et l’Y consonnes des voyelles J et V. Lazare Zetnet (Strasbourg, 1619) introduisit l’U rond et le J, consonne à queue dans les capitales.

2. Il y a une filiation des lettres de la xylographie à la typographie. La classification de la lettre : a) la gothique : 1. la gothique de forme, 2. la gothique de somme, 3. la bâtarde, type de transition : b) la lettre ronde ou Romain : 1. Elzevir, type et forme de transition, 2. Didot : didot type, égyptienne, latine, 3. antique.

Il y a toute une physiologie de la lettre. Le caractère et sa teinte ont une influence sur la compréhension des textes. La lisibilité des caractères est le desideratum suprême.[22]

3. Les types ou caractères d’imprimerie les plus employés sont les suivants : romain, italique (bâtarde), égyptienne (grasse), anglaise, gothique.

La grandeur des caractères d’imprimerie s’appelle corps. Les corps de lettres les plus usités dans les livres sont les suivants : corps, 6, 8, 9, 10, 12.

4. Les exigences de l’ordre, de la rapidité, de la clarté, qui sont celles de la pensée et de l’information moderne, doivent avoir leurs correspondants dans celles de l’imprimerie. Il faut tenir compte des conditions dans lesquelles est le lecteur. Nos nerfs sont mis à dure épreuve. Nos yeux sont très fatigués par suite du mouvement de la rue, du tourbillonnement de la publicité lumineuse et de la multiplicité des textes que la plupart de nos occupations ou de nos délassements nous contraignent à lire. L’imprimé, le livre, la revue, le journal, indispensables à notre existence, doivent donc apporter des soins spéciaux et ne pas augmenter cette fatigue. Il faut imprimer avec des caractères bien étudiés pour faire de la lecture un agrément et un repos pour les yeux.[23]

Il faut s’élever contre les caractères difficiles à lire. Les caractères doivent être simples et clairs. Pourquoi, lorsqu’il s’agit d’une indication qui doit servir à la communication avec autrui, créer une difficulté.

L’écriture cursive va se différenciant de l’écriture typographique. La condition de l’écriture cursive, c’est la rapidité, qui exige des liaisons ; celle-ci rend l’écriture moins nette. La lettre typographique servant de matrice à des milliards de reproduction, peut être d’une fabrication lente et viser a la parfaite netteté.

La lettre du point de vue typographique a fait l’objet de sérieuses études physiologiques (citons entr’autres celles du Dr Javal). Il faudra en tenir compte dans l’évolution future.

5. Les catalogues de fonderies présentent des modèles remarquables en variétés. Les nouveaux catalogues de types de caractères allemands donnent par ex. les types suivants : la Mainz Fraktur ; l’Ausburger Schrift, tendant vers la latine ; la Secession-Grotesk ; l’Antiqua (Bremen) ; la Cursiv (Hinci) italique ; les écritures calligraphiques ; Neu-Deutsch ; Grasset Antiqua ; Renaissance Antiqua ; Romische Antiqua ; Moderne Grotesk ; Wandmalereien ; Baldur ; Antiken ; Behrenschrift, etc.

Les catalogues français donnent, par ex., les catégories suivantes : allongées, alsaciennes, antiques, antiques allongées, antiques grasses, classiques, égyptiennes, italiennes, latines, blanches, ombrées, maigrettes, anglaises, ronde bâtarde, gothique.

6. Il existe aujourd’hui toute une industrie de la fonderie des caractères. Tandis que les machines à fondre les caractères ne donnaient que 3.000 lettres à l’heure, la Wick Rotations machine en produit 60.000 tout ébarbés et prêtes à être mises en paquets. Le brevet américain fut payé £ 250.000. La machine est surveillée par un homme et un gamin. Elle a été inventé par Frederick Wicks, de Glasgow, simple écrivain et journaliste qui chercha à supprimer le travail de redistribution des textes. La Monotype a repris l’idée sous une autre forme. Elle aussi composant chaque jour sur caractères neufs, évite la redistribution.

7. La durée des caractères dépend de la composition du métal. Des corps 7 et 8 ont souvent reçu deux millions d’impressions lisibles dans les journaux ; la normale est un million, et mainte imprimerie rejette le petit type après 300.000. Pour les travaux courants et les ouvrages soignés, la limite doit être fixée beaucoup plus bas.

222.16 Les systèmes spéciaux d’écriture.

Parmi les systèmes spéciaux et les modalités de l’écriture, il y a lieu de considérer : 1o l’idéographie, 2o la sténographie, 3o la cryptographie, 4o l’écriture des aveugles, 5o l’écriture médiumnique ou spirite ; 6o l’écriture Morse.

222.161 L’IDÉOGRAPHIE.

On entend par idéographie des signes qui expriment directement l’idée et non les sons du mot qui représenterait cette idée : les chiffres arithmétiques sont de véritables idéogrammes.

Tandis que les Chinois abandonnent l’idéographie et adoptent notre alphabet, voila que l’Occident lui reconnaît des avantages et fait des essais pour y revenir.

En apprenant l’écriture et l’orthographe, on n’apprend guère de notions ; et la communication de peuple à peuple reconnaît les obstacles de la langue.

Les néoglyphes, la nouvelle écriture mondiale du Prof. Alex. Sommer-Batek (Prague).

222.162 STÉNOGRAPHIE.

1. Notion. — La sténographie est l’art d’écrire rapidement en abréviations, d’écrire aussi promptement que la parole. Elle a d’abord été dénommée « brachygraphie » et « tachygraphie » ; les Anglais lui ont donné le nom de « shorthand », c’est-à-dire main brève ou courte écriture.

L’art sténographique est une des plus précieuses inventions du XIXe siècle.

Dans l’état actuel de la sténographie, des vitesses de 200, 240 et 250 mots à la minute ne sont pas impossibles (en anglais).

2. L’histoire de la sténographie remonte à l’antiquité. Les Hébreux l’avaient connue, les Grecs en faisaient usage, elle était courante à Rome. Cicéron écrivait par signes inventés par Ennius et qu’il apprit à son affranchi Tiron. Celui-ci les perfectionna (notes tironiennes). L’enseignement s’en répandit et ce devint courant pour les particuliers d’avoir un esclave ou un affranchi qui écrivait à la volée. On les appela d’abord en grec tacheographi, en latin cursores, coureurs à cause de la rapidité avec laquelle ils traçaient les discours. Ces cursores ont été appelés depuis notarii, à cause des notes dont ils se servaient. Le moyen âge a connu la sténographie.

3. En sténographie on supprime tous les accessoires de l’écriture, tout ce que les organes vocaux n’articulent pas, ou ce qui n’est pas perçu par l’oreille. Il n’est pas tenu compte de l’orthographie. On supprime même les simples voyelles. On se sert en outre de signes simplifiés.

4. Le document sténographié prend une place de plus en plus importante. C’est la division du travail. Au travail de la composition littéraire se substitue celui de l’improvisation parlée, laquelle est enregistrée d’autre part par le sténographe. Tous les débats publics, dans les parlements, les conseils, les comités donnent lieu à une formidable littérature. Les méthodes du travail personnel elles-mêmes se transforment sous l’empire de la sténographie. Théodore Roosevelt a donné l’exemple de dicter à ses sténographes ses adresses et messages au Congrès, et les réponses détaillées aux lettres qui lui étaient envoyées. Depuis en Amérique, en Europe ensuite, l’usage des sténographes privés s’est considérablement développé. Ce sont les sténo-dactylographes.

5. Dans les Assemblées et Congrès, il y a une organisation permanente de la sténographie. Le service est ordinairement assumé par deux équipes de deux sténographes qui travaillent à tour de rôle 15 minutes par heure. Aussitôt après la relève, les deux sténographes se retirent pour dicter chacun à des dactylos la moitié de la prise.

6. Il existe un nombre considérable de systèmes de sténographie (Astier, Conen de Prépéan, Aimé Paris, Duployé, Meysmans, Prévost-Delaunay, Stolz, etc.).

La « Brevigraphie », inventée par Raoul Breval, utilise les lettres de l’alphabet et la ponctuation dactylographique ce qui permet de brevigraphier un discours sur une machine à écrire.

7. Sténographie mécanique. — La sténographie est devenue mécanique. D’admirables petites machines ont été inventées (notamment la Sténophile Bivort). Les avantages sont ceux ci :

Absence de toute méthode difficile à apprendre : écriture en lettres alphabétiques ordinaires, facilité d’apprentissage ; lecture possible pour tous ; fatigue nulle ; vitesse illimitée, dépassant de loin la parole humaine ; mécanique simple, légère, peu volumineuse et silencieuse ; possibilité de sténographier en toutes langues et même dans l’obscurité.

On sténographie et on relit parfaitement les langues sans en rien comprendre.

Une fable connue, composée de 70 mots, est écrite en 10 secondes, ce qui donne la vitesse de 420 mots à la minute.

8. Documentation sténographique. — L’Association internationale des Sténographes a formulé le projet de concentration en une Bibliothèque unique de tous les documents dont le caractère commun est d’être le résultat de la sténographie. (Voir les communications faites à ce sujet par M. Depoin à l’I. I. B.).

9. Problèmes. — Il y a trois degrés dans les problèmes à résoudre :

1o Une sténographie personnelle efficace ;
2o Une sténographie lisible de tous ;
3o Un seul système de sténographie.


L’écriture sténographique mentale serait plus rapide que l’écriture alphabétique, de telle sorte que la sténographie ouvrirait la voie à l’écriture et à la lecture rapide.

Il est nécessaire de :

a) formuler les desiderata de la sténographie,

b) étendre toutes les possibilités de signes,

c) établir des écritures pour juger des systèmes,

d) critiquer les systèmes,

e) combiner en un seul les avantages reconnus de tous les systèmes et les perfectionner.

Il existe un grand nombre de systèmes sténographiques. Des efforts sont tentés pour réaliser l’unité sténographique, non seulement par langue, mais même internationalement (revendications formulées par Forel et Broda).

On a déterminé qu’un tableau phonographique complet comporterait environ 150 signes.

222.163 CRYPTOGRAPHIE.

1. La cryptographie est l’art des écritures secrètes. On lui a donné divers autres noms : cryptologie, polygraphie, stéganographie, etc.

2. De tous temps, les gouvernements, les hommes d’État, les ambassadeurs, les hommes de guerre, ont utilisé ce qu’on est convenu d’appeler le langage chiffré. À cet effet, on emploie des clefs, des grilles, des livres à pages repérées, des jeux de cartes, des livres typographiques (Le Scarabée d’Or, d’Edgard Poë).

Pendant la guerre, le Bureau des chiffres à l’État-major français a été chargé de reconstituer le sens de tous les radiogrammes conventionnels.

En diplomatie, le chiffre a dû se développer parallèlement à l’usage du cabinet noir par où les gouvernements auprès desquels les ambassadeurs sont accrédités font souvent passer leur correspondance.

Des hommes de science se sont servi d’écriture secrète. Ainsi Francis Bacon usait probablement de cryptographie comme un moyen d’enregistrement scientifique de vers qu’il destinait à la postérité scientifique. Ces vérités auraient été inintelligibles pour les contemporains ou leur révélation aurait été dangereuse pour lui. (Bacon-Shakespeare. Mercure de France, 15-IX-1922.)

3. Les systèmes usités en diplomatie sont nombreux : méthode de Jules César, japonaise, par parallélogramme, de Scott, du Comte Gronsfeld, de Bacon, etc.

Les combinaisons sont à l’infini. Le déchiffrement se fait par tâtonnement, basé sur une vingtaine de règles (par ex. celle du redoublement des lettres).

4. La clef d’un chiffre est l’alphabet dont on est convenu. On en distingue de plusieurs espèces : le chiffre à simple clef est celui dans lequel on se sert toujours d’un même alphabet pour remplacer les diverses lettres d’une dépêche, et le chiffre à double clef celui où on change l’alphabet à chaque mot. On se sert en outre de nulles, syllabes ou même phrases insignifiantes, que l’on mêle aux caractères significatifs. Pour augmenter encore la difficulté de lire les dépêches en chiffres, on emploie une grille, carton bizarrement découpé à jour qui, dès qu’il est placé convenablement sur les dépêches, ne laisse paraître que les caractères nécessaires ; car les caractères de remplissage n’ont été ajoutés par l’expéditeur qu’après qu’il a eu écrit la dépêche.

Le système d’écriture en chiffres le plus simple consiste à écrire les vingt-quatre caractères de l’alphabet (le j non compris) sur deux lignes horizontales et parallèles. Quand on veut déguiser un mot, il suffit de représenter les lettres de chaque mot par celles qui leur correspondent dans l’autre ligne. Ce n’est guère qu’un jeu d’enfant. Les systèmes usités en diplomatie sont beaucoup plus compliqués.

Autre exemple d’écriture secrète. On a choisi un volume quelconque dont chacun des correspondants possède un exemplaire. On a décidé de faire usage de nombres de 4 chiffres, dont le premier est celui de la page, le deuxième de la ligne, le troisième du mot, le quatrième de la lettre. On obtient, par exemple, le cryptogramme chiffré 6432, 7626, 3214, 8217, 8219, 2314 pour désigner V E R D U N. Ici 6432 signifie 6e page, 4e ligne, 3e mot, 2e lettre.

5. La ressource des alphabets secrets est devenue illusoire car le nombre des combinaisons est borné et d’habiles déchiffreurs finissent généralement par en trouver la clé. Ceci exige de nombreuses connaissances, la possession des langues, une patience à toute épreuve, car ce n’est qu’après une infinité de tâtonnements que l’on peut atteindre le but.

222.164 ÉCRITURE DES AVEUGLES.

1. Braille (1806-1852) créa un nouveau système d’écriture par un petit nombre de combinaisons de points saillants pour la lecture par le toucher. Il l’appliqua à la notation musicale. Foucault y ajouta de nouveaux perfectionnements. Ce système, répandu aujourd’hui dans le monde entier, a détrôné tous les autres. Ernest Vaughan a imaginé une petite imprimerie qui donne une reproduction rapide du texte. Celui-ci, composé d’un côté en lettres romaines, se trouve être par le fait même, de l’autre côté en signes Braille.

2. Le lecteur normal de Braille réalise une lecture courante de 100 à 120 mots à la minute.

3. On a d’abord cherché à donner du relief aux lettres ordinaires. Toutes les écritures ont cédé la place à l’alphabet de L. Braille, aujourd’hui universellement adopté et que les Chinois eux-mêmes ont adapté à leur écriture idéographique. Avec un maximum de 6 points, Braille a réalisé 63 signes parfaitement tangibles. La lecture cependant a des limites et des conditions psychologiques. Le pouvoir séparateur du doigt est infiniment moindre que celui de l’œil. Tout agrandissement fait perdre dans la lenteur de l’examen analytique des consonnes ce qu’on gagne en netteté et clarté.

On a constaté dans un autre domaine, que la persistance des images lumineuses sur la rétine est impuissante à expliquer la reconstitution cinématographique. Il faut faire intervenir la synthèse perceptive, œuvre purement mentale. De même dans la lecture des aveugles. Épeler, c’est fatiguant et rebutant. La synthèse mentale d’éléments tactiles successifs ne peut s’opérer rapidement. La palpation (toucher) est essentiellement active : le doigt ne subit pas l’objet, il l’explore.

4. Des progrès récents très remarquables, bien que non décisifs, ont été faits dans l’écriture pour aveugles ou écriture dont la lecture exclut l’intervention de l’œil (écriture tangible ou sonore). On est en présence de l’optophone de Fournier d’Albe représentant chaque lettre par un motif musical ; d’autre part du visagraphe de Naumburg et du photoélectrographe de Thomas et Coulaud qui fait appel au toucher.[24]

On est parvenu, à l’intermédiaire d’un système photoélectrique, à transformer de l’énergie lumière en énergie mécanique. Sur cette science on a construit des machines à écrire et lire pour les aveugles : l’Optophone (1920), Fournier d’Albe. Une échelle de 5 points lumineux est projetée sur le papier et parcourt la ligne de gauche à droite. De bas en haut, chaque point vibre suivant les fréquences 384, 512, 576, 640 et 768 correspondants aux notes sol, ut, ré, mi, sol (octave de premier). L’image de cette échelle lumineuse est renvoyée sur un poste de sélénium intercalé dans un circuit téléphonique. Le courant téléphonique est modulé par les vibrations lumineuses qui frappent les parties blanches du papier et rendent un son correspondant. Chaque lettre est ainsi répétée par un motif musical. Le visagraphe de Robert Naumburg (1931) et le Photoélectrographe de Thomas et Coulaud font appel au toucher.

222.165 ÉCRITURE MÉDIUMNIQUE OU SPIRITE.

1. Les adeptes du spiritisme et de la métapsychie ont présenté des écrits obtenus par le médium et émanant de personnages morts. C’est l’écriture automatique qui a fait l’objet de recherches physico-psychologiques.

Pour correspondre avec les esprits désincarnés, on a imaginé un tableau portant les lettres de l’alphabet et qu’on appelle le « Ja-Ne ». Il a donné lieu récemment par perfectionnement à un téléphone avec l’au delà.[25]

2. À l’écriture Spirite se rattache la question de la photographie directe de la pensée. Certains n’écartent pas la possibilité qu’un jour, par quelques procédés encore ignorés, la pensée pourra s’enregistrer sans intermédiaire sur quelque plaque ou papier spécialement sensible.

3. La métapsychique et les sciences occultes ont leur manière spéciale d’envisager certains phénomènes, tel le rôle enregistreur du papier. Maeterlinck raconte (L’Hôte inconnu, p. 51) qu’un voyant consulté par sa femme pendant qu’il allait voir les chevaux d’Elberfeld, sur la remise d’un papier de lui fort ancien et sans rapport avec son voyage, décrivit les écuries où il se trouvait. « Faut-il croire que l’aspect de ce que j’allais voir un jour se trouvait déjà inscrit dans ce papier prophétique ou plus simplement et plus probablement que ce papier qui me représentait suffisait à transmettre soit au subconscient d’une femme, soit à Mme M. que je ne connaissais d’ailleurs pas encore, l’image exacte de ce que mes yeux contemplaient à cinq ou six cents kilomètres de là ? »

Le papier serait imprégné du fluide des personnes qui l’ont touché. Explication : « Ou bien le papier réuni au psychomètre et imprégné de fluide humain recèle, à la manière d’un gaz prodigieusement comprimé, toutes les images sans cesse renouvelées, sans cesse renaissantes, qui entourent un être, tout son passé, et peut-être son avenir, sa psychologie, sa santé, ses désirs, ses volontés souvent inconnues de lui-même, toute sa vie en un mot, mystère aussi insondable que celui de la génération, qui transmet, dans une particule infinitésimale, la matière et l’esprit, toutes les qualités et les tares, toutes les acquisitions, toute l’histoire d’une série d’existences dont nul ne peut savoir le nombre. » D’autre part, si l’on n’accepte pas que tant d’énergie puisse se cacher, subsister, s’agiter, se développer et indéfiniment évoluer dans une feuille de papier, il faut nécessairement supposer que de ce même papier rayonne constamment un invraisemblable réseau de forces innommées qui, à travers le temps et l’espace, retrouvent à l’instant même et n’importe où, la vie qui leur donna la vie et le mettent en communication intégrale, âme et corps, sens et pensées, passé et avenir, conscience et subconscience avec une existence perdue parmi la foule innombrable.

Le papier absorberait comme une éponge toute la vie et de préférence la vie subconsciente de celui qui l’écrivit, et dégorgerait dans notre subconscience tout ce qu’il contenait.

222.166 ÉCRITURE MORSE.

L’alphabet Morse est celui qui, par des points et par des traits a standardisé les signes visibles du télégraphe et les signaux audibles de la T. S. F. Largement appliqué et généralisé, il devient la base de communications étendues.

222.167 QUESTIONS DIVERSES.
222.171 Méthode pour apprendre à écrire.

1. Gros problème. Des centaines et des centaines de millions d’humains qui doivent apprendre à écrire, d’où des méthodes en grand nombre. Tout progrès dans les méthodes correspond à un gain de temps dans l’enseignement.

2. Apprendre à écrire se fait en apprenant à lire et réciproquement.

Dans la méthode Montessori, on commence par rendre la main et les doigts exercés à un dessin et plus tard on passe au tracé des lettres. La méthode repose sur un développement de tous les sens, Les doigts sont exercés à suivre le contour de lettres taillées dans du carton recouvert de papier de sable, très sensible au toucher.

Des pédagogues ont pensé à faire apprendre à écrire aux enfants directement en se servant de la machine. Le mouvement de celle-ci et l’activité qu’ils peuvent y appliquer intéresse vivement les enfants, à qui ensuite seulement est apprise l’écriture à la main.

Cette idée est assez naturellement venue à l’esprit d’un pédagogue ayant remarqué que tout enfant, à la vue d’une machine à écrire, n’a qu’une idée : la mettre en mouvement. Il tape sur les touches, connaît très rapidement les signes et apprend, en se jouant, à lire et à écrire. De cette manière, on utilise l’instinct du jeu, si vif chez tout être jeune, aux fins de l’éducation. C’est un principe qu’en pédagogie il ne faut jamais oublier. L’expérience a déjà montré qu’après cet enseignement dû à la machine, rien n’est plus facile que d’inculquer à l’enfant les premières notions de l’écriture.

222.172 VITESSE DE L’ÉCRITURE.

1. La main, de moyenne rapidité, trace à peu près un mot par deux secondes, un mot qui, tout compte fait des jambages et des boucles de ses lettres, de leurs courbes et inflexions, mesurerait une longueur de 16 cm. 666…La main « couvre » 5 m. à la minute, à l’heure 300, par jour 3,000 si la journée est de dix heures, et 1095 km. par an.

2. En dactylographie, on a atteint des vitesses de 45.5 à 60 mots par minute.

La reine des dactylos (l’Américaine Rose Fritz) a su atteindre la vitesse de 265 mots à la minute, soit trois à quatre mots à la seconde, à la condition que le texte lui soit connu et que les mots soient de petits mots. Autrement la vitesse tombe à 155. Au fond ce travail ne signifie pas autre chose qu’un copieux récital de piano pour un musicien.

3. La prise sténographique a des vitesses allant de 140 à 180 mots par minute.

4. Au service belge des chèques postaux, on a atteint l’écriture continue de 28000 nombres à l’heure, dont certains de sept chiffres.

222.173 EMPLOI DE L’ÉCRITURE.

Au début, les besoins pratiques de l’écriture ont été fort limités, par ex. pour établir des inventaires, pour des aides-mémoires pour la récitation de rituels. Graduellement le besoin d’écriture s’est étendu. Il se confond avec le besoin de document et se mesure comme lui.

222.174 UNIFICATION DES ÉCRITURES : SYSTÈME UNIVERSEL D’ÉCRITURE.

L’outil élémentaire de notre travail écrit, l’alphabet, n’a pas été immuable dans le passé. Il est le produit d’une longue évolution procédant par simplification successive pour arriver à une plus grande généralisation d’expressions. Pourquoi ne pourrait-il encore évoluer ?

Cinq moyens ont été ou sont à envisager :

1o Un instrument de comparaison et de transformation des écritures ;

2o Le remplacement de petits systèmes alphabétiques par de plus grands ;

3o Une unification des alphabets sur la base de l’un d’eux, l’alphabet latin ;

4o Un alphabet nouveau à la forme rationalisée et standardisée ;

5o Un système général d’expressions unifié et standardisé dont l’écriture elle-même fasse partie.

1o) Alphabet international. — On a travaillé à l’établissement d’un alphabet international pour la transcription a) de tous les autres alphabets, b) de tous les sons parlés quelconques.

a) Les orientalistes ont arrêté en 1894 un alphabet correspondant à leurs besoins.

b) Les Américains ont créé un système de notation phonétique spécial pour l’étude des langues indiennes.

c) La transcription de l’arabe a été établie par la Société asiatique.

d) Parmi les nombreuses méthodes de transcription des langues non écrites, celle de l’abbé Rouseliot, directeur du Laboratoire de Phonétique expérimentale au Collège de France et professeur à l’Institut catholique de Paris, paraît remplir les meilleures conditions de précision scientifique et de simplicité. L’ « Essai de Phonétique » avec son application à l’étude des idiomes africains, par le P. Sacleux, en fait application.

e) L’Association phonétique internationale a créé un alphabet international comprenant tous les sons et destiné à la transcription de toutes les langues telles qu’elles sont parlées.

Il permettrait de transcrire toutes les langues en symboles phonétiques, abstraction faite des orthographes et des alphabets employés.

f) L’Institut national chinois d’Histoire et de Philologie s’occupe d’une extension de l’alphabet phonétique international, en liaison avec l’enregistrement des dialectes chinois, spécialement un système de quasi-graphe « lettres accentuées » (tone-letters). Les systèmes de romanisation de Matteo Ricci et de Nicolas Trigault ont trouvé une place dans la phonologie chinoise à la manière de 36 initiales adoptées du Sanskritt.

2o) Renforcement des petits systèmes alphabétiques. — On a assisté à l’extension même d’alphabets différents sous la forme de quelques grands alphabets et cela parallèlement au mouvement qui a conduit à l’établissement de quelques grandes langues nationales, après le refoulement des patois.

3o) Unification à base d’alphabet latin. — Un grand mouvement s’est manifesté vers l’unification des alphabets sur la base de l’alphabet latin. En effet, on constate que le retour au gothique n’a guère fait de progrès en Allemagne dans ces dernières années.

Les peuples Turco-Tartares de l’U. R. S. S. ont consacré et adopté l’alphabet latin de 1922 qui, a dit Lénine, constitue une révolution pour l’Orient. Et en effet, les peuples du Nord du Caucase et de l’Asie centrale n’avaient pas de langage écrit avant la révolution d’octobre. Dans l’Azerbajoor, on a constaté que la facilité d’assimilation de l’alphabet latin sur l’alphabet arabe était de 7 à 80 % plus grande.

a) C’est l’Association des Orientalistes de Moscou qui s’est occupé du nouvel alphabet turcoman (MM. Barthold, Pavlovich, Menued Zadé). On a analysé l’ancien alphabet arabe et l’alphabet latin et l’on a démontré qu’on ne pouvait remédier à leurs défectuosités qu’en introduisant un nouvel alphabet turcoman, basé sur les caractères latins. Toutes les allusions au fanatisme religieux des masses, et les divers motifs invoqués par les adversaires de la latinisation ne supportent pas la critique ; il faut renoncer à l’alphabet lié avec tout le passé religieux musulman de l’Orient. Les adversaires de l’alphabet latin ont répliqué qu’il fallait aborder cette question avec la plus grande circonspection et prendre en considération les divers degrés de développement culturel et la différentiation des classes parmi les populations turco-tartares. Il a été formellement décidé de créer, près l’Association des Orientalistes, un comité pour l’introduction d’un nouvel alphabet turcoman.[26]

b) Les Slaves employent les uns l’alphabet Cyrillique (Grands Russes, Russes blancs. Ukraniens, Serbes et Bulgares), les autres l’alphabet latin (Tchécoslovaques, Polonais, Croates, Slovènes et Serbes de la Lusace). Les Russes ont agité la question de l’adoption de l’alphabet latin. Les autres nations intéressées ont pris ensuite intérêt à cette question, qui a fait l’objet d’une enquête du périodique bulgare « Blgarska Kniga » (Sofia no 2, 1930).

En faveur de la réforme, on a fait valoir qu’elle mettrait en contact plus intime les nations slaves entre elles ; qu’elle les rapprocherait des civilisations occidentales, que l’alphabet latin était plus simple ; il en résulterait des économies dans la composition typographique et l’impression en général. La majorité cependant, en Bulgarie, s’est prononcée pour le maintien de l’alphabet cyrillique.

L’Académie des Sciences de Leningrad a établi un nouvel alphabet latin. Une conférence de Chinois et de Mongols a été convoquée à Vladivostok en vue de l’adaptation à la langue chinoise en se fondant sur les intérêts de la culture et des lecteurs en général qui ne connaissent que peu l’alphabet latin. Des sons existent en bulgare expressibles seulement en cyrillique. Certains reconnaissent que si la Russie donnait l’exemple, il faudrait suivre.

En Russie il est mené une campagne intensive pour l’introduction de l’alphabet latin. L’alphabet russe y fut introduit par Pierre le-Grand. (Petrus I.)

En Russie même la question n’a pas encore été tranchée. On redoute de voir tomber dans l’inutilisation le million de livres existant dans les bibliothèques et qui auraient été lus comme le sont maintenant les livres en slavon ecclésiastique. Pendant longtemps, il faudrait considérer des millions de Russes comme illettrés jusqu’à ce qu’ils aient acquis la connaissance du nouvel alphabet. On a proposé un moyen terme : employer l’alphabet latin pour une partie de la production des livres, en particulier pour les livres qui s’adressent aussi à l’étranger.

c) L’adoption des caractères latins est déjà réalisée en Turquie. Le premier dictionnaire mixte turc-allemand en caractères latins avec la nouvelle orthographe vient de paraître (composé par Mehmed Ali, 15.000 mots). La réforme est adoptée aussi dans certaines régions de l’Union Soviétique. Le Gouvernement de Chypre lui fait une place. En Perse, la presse le demande.

L’adoption de l’alphabet latin à la place de l’écriture arabe en Turquie est entrée en vigueur partiellement le 1er décembre 1928 et complètement le 1er juin. À cette date, tous les documents officiels ont été imprimés en nouveaux caractères. Les nouveaux caractères vont faciliter l’étude de la langue turque aux étrangers et aider ainsi indirectement au commerce.

d) L’écriture chinoise se compose de 40.000 signes. La Science dans ces conditions est la culture exclusive de la mémoire, c’est à-dire de la partie matérielle de l’intelligence qui ne peut que s’atrophier par un semblable exercice. Une vie d’homme suffit à peine à l’apprendre. L’écriture est encore un obstacle au progrès de la civilisation. Elle a contribué dans une proportion considérable à arrêter l’évolution progressive du peuple.

Il faut connaître plus de trois mille caractères différents pour entreprendre la lecture de l’ouvrage le plus simple, il en faut 40, 000 pour les œuvres de lettrés. Le peuple ne sait donc pas lire. Aussi les Chinois ont-ils ouvert des salles où se tient un personnage qui lit à haute voix les journaux. Puis des rénovateurs sont venus qui ont simplifié l’écriture et les lettrés se mettant résolument à l’œuvre, firent front aux vieux préjugés, qui considéraient comme une honte véritable d’écrire la langue qui se parle et fondèrent des journaux dont la lecture est accessible aux plus humbles. On continue à faire usage de caractères idéographiques, mais les mots ont exactement la même sonorité que le langage oral ; de plus la forme des phrases est celle du discours ordinaire.

Grâce au Dr. Hu Shik, le langage parlé est devenu en Chine, après 1930, le langage écrit, mettant fin à l’isolement intellectuel où se trouvait le peuple, à raison du langage littéraire des lettres. Ce fait permet au mouvement pour l’éducation des masses dirigé par M. Y. C James Yen, à rendre l’enseignement accessible à toutes les classes.

Maintenant des tentatives sont faites pour écrire le Chinois en caractères romains avec 24 lettres auxquelles on devrait ajouter 10 autres, comme par ex. le ñ espagnol qui a son correspondant hollandais flamand dans le nj (méthode de Mgr Poanco o. f. m. Vicaire apostolique de Jenanfoe, Chine).

f) On s’est occupé au Japon de la réforme graphologique. Plusieurs hommes éminents du Japon, ayant à leur tête M. Hayashr, qui fut ambassadeur à Londres et Ministre des Affaires Étrangères à Tokio, s’occupent de la question. Déjà un groupe progressiste publie une revue imprimée en caractères latins. Cet alphabet rendrait des services pour le commerce, mais il est insuffisant pour la langue littéraire.

g) M. Bean a créé en Indo-Chine deux journaux annamites, dont l’un en caractères latins. (Cokner annamite transposé en caractère français.)

h) M. Takanadate, professeur à l’Université de Tokio, a proposé à la Commission des Coopératives Intellectuelles de recommander à tous les pays d’étudier la possibilité d’adopter les caractères latins dans leur langage écrit et lorsqu’il y a des systèmes d’orthographe différents en vigueur, d’unifier l’orthographe le plus possible, conformément à la nature de chaque langue. La Commission s’est prononcée en faveur de l’importance d’une méthode de transcription uniforme des langues à côté de l’écriture nationale en vue d’une meilleure compréhension mutuelle des peuples.

4o Il y a lieu de chercher la rationalisation et la standardisation de l’alphabet.

a) Un mouvement s’est fait jour pour le perfectionnement international de l’alphabet latin : des caractères de plus en plus clairs, la réforme des écritures cursives, dessin nouveau d’alphabets, abandon progressif de certaines lettres comme J et Y.

b) En langue internationale, on a cherché à éviter les signes qui causent des difficultés comme z, y, œ, etc. On se sert de signes simples pour des combinaisons fréquentes de son (x, c, etc.).[27]

c) Les caractères de l’écriture ont évolué depuis trente siècles sans méthode, dit M. Javal et la typographie même présente de sérieux inconvénients pour l’hygiène scolaire. N’est-il pas possible, avec les données de la science actuelle, de faire mieux ?

La réforme de l’alphabet s’étend dans deux directions. Attribution des signes (un signe, un son) et formation de signes.

Un alphabet parfait devrait avoir autant de lettres et de signes complémentaires qu’il y a d’articulations et de sons élémentaires et distincts.

À s’en tenir simplement au graphisme, toutes les lettres sont formées de traits constitués de lignes droites, brisées ou courbes. La sténographie a établi une classification des traits du graphisme et leur a attribué une signification rationnelle que ne connaissent pas les signes arbitraires et traditionnels de l’alphabet.

d) On pourrait enseigner un mode d’écriture classificateur et synoptique, sténographie d’idées et non de mots. La disposition des idées se faisant avec le minimum de mots et le maximum de propriétés devra être relative, étant exprimée clairement et par des positions et des grandeurs de caractères ainsi que par des signes très simples de relation et de classification. C’est ce vers quoi tendent les essais d’idéographie.

5o Nouveaux systèmes d’expression. — Le processus de la formation de l’écriture, aux origines, nous montre vers quoi peut tendre aujourd’hui l’Humanité. L’écriture est née d’un besoin : communiquer et transmettre les faits. L’écriture est née sur plusieurs points à la fois, donnant lieu à plusieurs développements autonomes ; elle ne dérive pas d’une forme primitive unique. Enfin certaines races peu civilisées en restaient à une étape rudimentaire de l’écriture, tandis que d’autres la franchissaient rapidement pour arriver de bonne heure à posséder un système d’écriture complet, pouvant rendre toutes les nuances de la pensée.

De nos jours, nous constatons des perfectionnements partiels de l’écriture, des innovations réalisées dans divers domaines spontanément sous l’empire de trois nouveaux besoins : simplification, généralisation à tous les pays, extension à des idées et des faits plus complexes.

Un nouveau système doit être formé sur la base de l’ancien, accru de toutes les innovations reconnues bonnes et développé d’une manière coordonnée.

Il faut créer une théorie générale de la graphie embrassant tous les cas possibles et s’adaptant toutes les combinaisons possibles qui vont en se multipliant extraordinairement.[28]

Lentement mais sûrement, le mouvement mondial conduit les peuples à avoir besoin d’un système général d’expression. De ce système doit faire partie l’écriture, comme aussi la langue et la documentation. Quelle que soit la lenteur propre au développement d’un tel mouvement, c’est le devoir des hommes de rechercher sans cesse ce qui théoriquement et pratiquement peut y conduire.

222.2 Notation et abréviation.

À côté de l’écriture usuelle prend place une catégorie importante de signes et de conventions : La notation, les abréviations. Le problème se pose aussi d’un système universel de notation.

222.21 Notation.

1) La notation (la forme notée) prend place entre les mots de la langue (texte) et l’image. Elle exprime, sous une forme conventionnelle : 1o des éléments, parties ou aspects (termes) ; 2o leurs rapports entr’eux (formules, questions) ; 3o la classification des éléments et des rapports ; 4o éventuellement leurs nombres et leurs mesures ; 5o l’expression condensée des lois.

2) Arrivées à un certain développement, les sciences créent leur notation. Ainsi, les notations de la mathématique et de la chimie. Cette notation est plus ou moins développée, complète.

3) Une notation intégrale des sciences bibliologiques comprendrait ainsi les cinq ordres d’éléments susdits. Des premières réalisations de la notation bibliologique se trouvent : a) dans l’établissement de la Bibliométrie ; b) dans les formules de la Psychologie bibliologique ; c) dans les Tables de classification bibliographique, principalement dans celles de la Classification décimale.

4) Le nombre : se dit de signes ou ensembles de signes qui représentent une quantité.

Chiffres : Le chiffre est l’expression matérielle d’une grandeur numérique, tout comme le mot est le signe d’une idée. L’un et l’autre répondent au même titre à une opération fondamentale de l’esprit et sont dès lors également indépendants.

Le système universel des unités a pris sa forme scientifique dernière en se fondant sur le centimètre, le gramme et la seconde, et en s’exprimant en la forme des nombres ordinaires suivant la multiplication et la subdivision décimale de toutes les unités (système décimal, système métrique, système C. G. S.).

Le numérotage en toute matière acquiert une grande importance. On numérote les dynasties, les souverains, les Pontifes, etc.

5) La technique a créé une notation propre. Elle l’applique aux plans ; elle l’applique parfois sur la chose elle-même : machine, installation, locaux. Par ex. : la notation relative à l’électricité.

6) La notation chimique représente généralement l’atome d’un corps simple par une lettre symbolique et la molécule de corps composé par des assemblages d’un certain nombre de ces symboles. De nos jours, la stéréochimie a créé un mode de représentation des rapports de composés par des figures à trois dimensions.

La notation chimique a une très longue histoire. Elle subit une transformation radicale avec Lavoisier et Berzelius. Elle poursuit son évolution.

7) la notation musicale naît chez les Grecs. Le moyen âge en perd la clé. Il créa sa notation à lui, ces neumes en « pattes de mouches » (pedes muscarum). Cette « danse de cousin » muckentanz, comme dit Ambros, désignait vaguement la direction vocale sans valeur ni même intervalles précis.

Les neumes étaient des signes de notation musicale, usités d’abord en plain-chant, plus tard aussi dans la musique profane. À leur origine les neumes sont simplement les accents qui en grammaire marquent les inflexions de la voix dans le discours. Leur forme, d’abord cursive et déliée, devient plus large, plus anguleuse pour aboutir à la notation carrée. Chacun d’eux a un nom particulier ; il indique que la voix doit monter, descendre ou se tenir à l’unisson sans toutefois faire connaître la note d’unisson ou le degré précis de descente ou d’ascension : la mélodie est supposée connue par l’usage. Pour suppléer à l’insuffisance de cette notation. Gui d’Arezzo, au XIe siècle, introduisit l’usage de la portée, composée de quatre signes, sur laquelle il échelonna les neumes.

Ultérieurement, on en vint à la forme actuelle de notes correspondant aux temps, aux mesures et aux clés. Le chef d’orchestre dirigeant un grand opéra (de Strauss par exemple) a devant lui une partition allant jusqu’à 27 portées synchroniques correspondant chacune à une des parties, instrument ou voix. Des travaux considérables ont été entrepris d’une part pour traduire en signes musicaux modernes la musique ancienne ou exotique, d’autre part pour substituer un système de notation plus simple et plus rationnel au système devenu traditionnel.[29]

8. Leibnitz dans sa « characteristica universalis » a imaginé un symbolisme pour exprimer toute idée, semblable aux symboles de l’algèbre. Ce symbolisme a été réalisé dans les temps modernes par Boole, Peano, Burali, Whitehead, Russel, etc. (symbolisme logique, mathématique). On a appliqué la logique aux questions les plus controversées de la philosophie ancienne et moderne. (J. Butler, Burke). — Les symboles de l’algèbre et de la logique constituent une langue internationale semblable à l’Esperanto et à l’Interlingua.

9. Système de Notation.

Les chiffres, les lettres et les symboles conventionnels constituent des éléments de notation. Pour établir un système développé de notation avec lettres on dispose des trois systèmes. 1o Les exposants. Ex. Le système de la Bibliothèque Nationale de Paris. Ex. : A1, A2, A3. 2o Les répétitions des lettres. Ex. : AA, BB, CC, etc. 3o La combinaison des majuscules. Ex. : AB, AC, AD, etc.

222.22 Abréviation.

1) Les abréviations consistent dans des suppressions de lettres ou de mots admises par l’usage et remplacées généralement par des signes courts ; on les emploie pour écrire plus vite et en moins d’espace.

Les sigles sont des lettres initiales qui s’emploient comme abréviations d’un mot. Ainsi S. C. R. M. sont les sigles de Sacra, Catholica, Regia, Majestas.

2) Les anciens usaient surtout des abréviations dans les inscriptions : mais ils s’en servaient aussi dans les lois, les décrets, les discours, les lettres et plus rarement dans les manuscrits de leurs ouvrages. Les Hébreux, les Grecs, les Romains se servaient des abréviations. Elles consistaient en une ou plusieurs lettres d’un mot, pour représenter ce mot. Voilà pourquoi Cicéron (signa verborum) les appelait singulœ litterœ, d’où l’on a fait siglœ, sigles. Il y a deux espèces de sigles : les sigles simples, qui désignent chaque mot par la seule lettre initiale, comme D. M. S. (Dis manibus sacrum), les sigles composés qui, après la lettre initiale, présentent une ou plusieurs lettres du mot, comme CS (consul), COSS (consulibus), S. P. Q. R. (Senatus Populusque Romanus), AM (Amiens). Le mot grec par exemple K. A. P. A. I. (tête) faisant allusion aux cinq chefs de l’Église grecque, est composé des initiales de Constantinople, Antioche, Rome, Alexandrie et Jérusalem. D. O. M. se traduit Deo Optimo Maximo.

Il existe à la Bibliothèque Nationale de Paris un manuscrit, connu sous le nom de Virgile d’Aper, dans lequel plusieurs fragments de Virgile sont écrits en sigles. En voici le premier vers : Tityre, t. p. r. s. f., pour Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi. De telles abréviations ne s’employaient sans doute que pour tenir lieu de passages trop connus, dont on ne voulait pas se donner la peine de faire la copie entière ; autrement, elles seraient incompréhensibles. Chevillier, dans L’Origine de l’imprimerie de Paris, en donne un exemple tiré de la Logique d’Occam. On jugera par ce spécimen des singuliers rébus que les copistes donnaient à deviner : Sic hic e fal sm qd simplr a e pducibile a Deo g a e. Et silt hic a n e g a n e pducibile a Deo. Ce qu’il faut lire ainsi : Sicut hic est fallacia secundum quid simpliciter : A est producibile a Deo. Ergo A est. Et similiter hic : A non est Ergo A non est producibile a Deo. Certains sigles embarrassent surtout les paléographes : ce sont ceux qui abrègent les noms propres.

L’emploi des sigles a été continué de nos jours. Dans certains, on double la lettre pour marquer le pluriel, ainsi MM (Messieurs), PP (Pères). Les sigles sont fréquemment employés en anglais. En ces temps derniers surtout depuis la guerre mondiale, on les a multipliés en toutes langues. On a ainsi formé des mots conventionnels (ex. : U. R. S. S.) dont les syllabes, consonnes et voyelles, sont empruntées aux divers mots composant un nom, en particulier celui d’une association, d’une institution ou d’une firme.

3) Dans des travaux comparés et de synthèse, quand il s’agit de comparer, compléter, reviser les résultats de divers auteurs, d’en composer un exposé unique, collectif, coopératif, on a poussé l’abréviation jusqu’à représenter les ouvrages cités chaque fois en référence, par la simple initiale du nom des auteurs.[30]

Les abréviations sont une cause d’obscurité. Par exemple, dans les ouvrages d’histoire naturelle, le nom des auteurs en abrégé à la suite des termes taxonomiques.

Dans les livres scientifiques on écrit les longues expressions répétées à quelques lignes d’intervalle par les sigles de leurs principales lettres. Ex. : aksl, Altes Kirilulige slavisch.

4) Les abréviations jouent un rôle en Bibliographie.

En principe, elles ne sont pas désirables, puisqu’elles peuvent exiger du lecteur de se référer des abréviations à la Table de celles-ci.

Mais on a fait valoir qu’il y a là une économie matérielle qui peut chiffrer et qu’il s’agit encore plus de faire gagner du temps à ceux qui manient beaucoup d’indications bibliographiques. Il y a donc lieu d’organiser les abréviations et cela dans une double direction : dans chaque science et dans chaque paye d’abord ; dans tous les pays et entre toutes les sciences ensuite.

5) L’abus qui a été fait des abréviations les a fait proscrire par le législateur moderne. C’est pourquoi elles sont interdites en Belgique, notamment dans les actes de l’État civil, dans le Livre journal, dans les actes notariés et dans les copies de pièces. (Art. 42 du Code Civil, 65 du Code de Commerce, 24 de la loi de Ventôse, an XI).

222.23 Autres signes usuels.

Il existe un grand nombre de signes conventionnels utilisés en documentation. Avec les signes de correction typographique, les signes de soulignage et d’annotation de livres et de documents, etc.

Les signes suivants et d’autres possibles sont employés pour renvoyer aux références placées en marge ou au pied des pages. Lorsqu’ils sont épuisés, on peut faire usage de signes doublés.

* astérisque.
croix.
double croix.
section.
parallèle.
paragraphe = marque montrant qu’il y a un changement dans le sujet de discours.
doigt, index = attention, important.
l’Obèle, signe que l’on rencontre dans les anciens manuscrits. L’obèle marque la répétition des mêmes phrases et les mots surabondants ou les fausses leçons.
222.24 Notation universelle.

1. À parcourir les publications à cinquante ans de distance (1882-1932), il y a incontestablement un nouvel aspect de la page texte. Celle-ci était formée presque entièrement de texte compact, fait de caractères typographiques, à la première de ces dates. Voici que le texte maintenant est de plus en plus éliminé et refoulé, produisant un double effet en sens inverse : avec les images, les publications deviennent accessibles par un plus grand nombre de personnes : avec les schémas, les cartes, les diagrammes, les notations scientifiques, les formules mathématiques, le texte s’adresse à des lecteurs de plus en plus spécialisés.

2. Ainsi naît tout un nouveau langage graphique, langage composite, fait de l’emploi simultané de ces divers moyens d’expression. Il suffisait autrefois d’apprendre à lire les caractères alphabétiques. Il faut maintenant apprendre à lire, à comprendre les autres modes d’expressions graphiques. Et il y a de nouveaux « illettrés », et une sorte de nouvel analphabétisme. Avec les modèles des choses, avec leur représentation à la fois figurée plus concrètement et plus abstraitement, les problèmes reçoivent une compréhension meilleure et plus claire, les définitions sont plus précises, les différents êtres, états, phénomènes sont mieux séparés et classés, leurs rapports sont mieux déterminés. Finalement tout se mesure et les conséquences des mesures apparaissent sans difficulté.

3. Peut-être sommes-nous sur la voie d’une méthode universelle d’expression. Elle combinerait en elle l’essentiel de ce que nous donne : a) la considération logique des rapports et des systèmes de rapports ; b) la terminologie rationnelle ; c) la notation (symbolisme, algorithme) ; d) les procédés du calcul et des équations mathématiques ; e) la classification ; f) les formes de la documentation. Tout ce qui existe actuellement à l’état séparé dans ces six ordres d’idées qui s’étendent à la linguistique, à la mathématique, à la logique, à la documentation, ne serait plus considéré que comme des cas particuliers d’une théorie générale.

4. On aurait ainsi une notation pour l’ensemble de connaissances sur l’Univers et la Société. Ce serait là un progrès immense. Longtemps on a considéré les formules de Riemann, développées par Einstein, comme un échafaudage de symboles mathématiques, une ingénieuse algèbre. Voici qu’on est porté à y voir un des précurseurs d’une figuration de tout ce que comprend le vaste monde. La notation recevrait un développement universel parallèle à celui de la classification et du schéma.

222.3 Illustration.

1. L’illustration du livre et du document prend la forme d’images réelles, d’images schématiques et de motifs décoratifs. Le mot illustration est un terme générique qui s’applique à l’ensemble des vignettes et dessins que contient une œuvre, abstraction faite de ses espèces, de sa qualité et de son nombre. Ce terme comprend donc toutes les formes de présentation, tous les documents autres que les textes. Il correspond au mot anglais « Picture ».

2. L’histoire de l’illustration du livre est marquée par les étapes suivantes :

a) L’enluminure ou peinture des livres : une des principales expressions de l’art du moyen âge. Elle est une source de renseignements sur la peinture des siècles primitifs ; c’est un art d’une minutie extrême ; Westwood (paléographe anglais) a compté à la loupe sur une surface d’un demi centimètre carré 158 enlacements d’un mince ruban de couleur, bordé de traits blancs, sur un fond noir. Art complexe, essentiellement conventionnel.

d) Dès 1423, gravures populaires en bois, origine même de l’imprimerie. Les premiers imprimeurs désirèrent voir les produits de leurs presses rivaliser autant que possible avec les œuvres des anciens calligraphes et enlumineurs. Cela les conduisit naturellement à intercaler des images dans leurs publications. Les livres à images, imprimés d’un seul côté et où le texte n’est que l’accessoire des figures, ont même précédé les livres où l’image n’est que l’ornement, l’éclaircissement, l’illustration du texte.

c) XVe siècle. Gravure en taille douce (métal) inspirée de l’art du nielleur, mais le bois reste pour le livre.

d) XVIIe et XVIIIe siècle. Gravure en métal.

e) XVIIIe siècle. Lithographie.

f) XIXe siècle. Gravure sur bois (buis debout). Photogravure. Trois couleurs.

À partir du XIXe siècle paraissent les grands illustrés, les magazines à gravures abondantes qui, en chaque pays, au nombre de plusieurs, apportent chaque mois, chaque semaine, voire chaque jour l’illustration graphique des événements d’actualité. Les journaux quotidiens ont fait une place aux clichés et paraissent abondamment illustrés.

Les journaux de mode ont été parmi les premiers à publier des illustrations.

3. Les plus grands artistes de tous les temps ont apporté leur contribution à l’illustration des livres. Certains artistes dessinateurs et graveurs se sont particulièrement distingués comme illustrateurs.

4. Jamais on a tant illustré de livres et jamais autant. Bien plus, jamais tant d’artistes n’ont travaillé ou prétendu à l’ornement d’un texte. Tous s’y mettent depuis 20 ans.

En Allemagne, l’illustration du livre est devenue si considérable qu’on l’a appelée « Illustrationsseuche » (épidémie de l’illustration).

Notre temps, dit Neurath, est près d’être appelé l’Époque des yeux. La démocratie moderne a commencé avec le discours, la presse, le livre. Aujourd’hui, c’est le cinéma, l’affiche réclame, le magazine illustré, l’exposition.

Le livre en fait devient de plus en plus un composé de textes et d’illustrations. Quelle est la meilleure de ces combinaisons ? 1o Insertion des illustrations dans le texte. Mais il ne faut pas que le texte soit tellement coupé, fragmenté par tant de reproductions, séparé en tronçons quasi invisibles par d’innombrables hors textes, qu’on ait peine à s’y retrouver. D’autre part, il est difficile à faire coïncider sans complication ni monotonie les illustrations types avec les textes qui les commentent. 2o Publication à part du texte suivi avec un système de références commodes d’un volume d’illustrations et de planches. 3o Publication sous forme de monographies sur feuilles, l’image étant la base, et le texte étant son commentaire.

222.31 Images réelles.

1. Notion. — L’image est une figure représentant une chose et obtenue par le procédé de quelqu’un des arts du dessin.

2. La surface réfléchissante devenue le miroir et la glace ont étendu la vision de l’homme. D’abord il a pu se voir lui-même, puis il a pu disposer sa vision dans des conditions plus pratiques, par réflexion d’angle, en angle comme dans les lunettes astronomiques.

Condillac instruisait sa statue en lui présentant des images et des sons.

3. Espèces d’images réelles représentant des objets, leur apparence physique réelle ou interprétée artistiquement, les dessins à la main multipliés éventuellement par les procédés de reproduction et les images obtenues par la photographie, qui elles aussi peuvent être reproduites typographiquement ou lithographiquement, la photographie servant aussi à reproduire le dessin à la main lui-même. Dessin et photographie peuvent être documentaire ou artistique ; ils peuvent avoir en vue l’illustration ou la décoration du livre ; être insérés en lui ou faire l’objet de document distinct, séparé.

Il sera traité sous 253 de la photographie, des estampes, gravures ; sous 272 des procédés de reproduction.

3. Théorie scientifique.

a) En physique, l’image est la reproduction d’un objet par l’effet de certains phénomènes d’optique : un miroir reflète une image, la photographie fixe l’image de la chambre obscure, il se forme dans chaque œil une image d’un objet. L’image regardée dans le miroir ou dans l’eau paraît renversée.

b) On distingue l’image réelle de l’image virtuelle. L’image réelle est celle qui est formée en un lieu autre que celui qu’occupe l’objet, par le concours de rayons déviés par la réfraction ou par la réflexion, comme celle qui se forme en avant des miroirs concaves. L’image virtuelle est celle qui n’est pas due au concours effectif des rayons lumineux. L’œil en reçoit l’impression par une erreur des sens qui fait supposer l’existence de l’objet sur le prolongement en ligne droite des rayons déviés, comme celle que l’on perçoit en arrière de tous les miroirs.

c) Il y a en physique (optique) une théorie de la production des images ; en physiologie une théorie de la perception des images, en psychologie une théorie de l’association des images, en pédagogie une théorie éducative des images. La Bibliologie requiert une théorie de la transmission des connaissances par l’intermédiaire d’images de mieux en mieux faites, de plus en plus multipliées et répandues au maximum.

d) Dans une image : (paysages, portraits ou scènes de mœurs), il ne s’agit pas de relations exprimées, comme dans le langage (proposition, sujet, verbe, attribut) mais bien des relations implicites. Car ou bien l’image exprime des relations préexistantes en l’esprit dans lequel elles sont déjà traduites en mots ; ou bien l’image tracée à l’origine est traduisible ensuite en mots.

Les relations et les éléments de l’image sont soutenus par les objets figurés, par les propriétés qu’on leur y attribue (grandeur, forme, couleur), par les rapports de position qu’ils y occupent. L’image est de perception simultanée, alors que le langage parlé ou écrit est de perception successive. Cependant l’esprit ne saurait percevoir instantanément. L’esprit doit analyser les relations incorporées implicitement dans l’image et ensuite, ayant ainsi compris, il peut désormais se servir de l’image comme de substitution de la synthèse comprise, substitution dans laquelle il est à tout moment capable de retrouver tous les éléments analysés, et d’autres encore.

4. L’image et la mystique.

1o À l’origine l’image revêt un caractère magique, mystique, sacré. L’image n’est pas seulement une représentation. Elle est quelque chose de l’être représenté ni-même. (L’envoûtement, le double.) L’image participe du même caractère mystique que le nom de certains êtres qui ne peut même être prononcé. (Le nom de Dieu, l’Évangile qui est sacré, la Messe qu’on ne peut lire en langue vulgaire, ordinaire, etc.)

2o L’image « mentale » d’un objet est une réalité particulière, à côté de la réalité de l’objet ; il s’agit de la décrire exactement, de telle sorte que, de la seule description, se déduisent les propriétés particulières de l’image, qui l’opposent à l’objet physique et à la forme de l’image.

3o Paracelse disait que « l’homme se transfigure dans l’objet contemplé ou imaginé par lui ». Dans l’objet contemplé, parce qu’il reflète tous les progrès réalisés sous l’impulsion de l’espèce humaine ; dans l’objet imaginé parce que là, l’homme peut donner libre cours aux anticipations de son imagination et créer une image répondant à ses aspirations les plus hautes et à ses notions les plus précieuses de la perfection et de l’harmonie.

4o Les méditations connues et dirigées sur une image matérielle par sa forme même, son aspect sensible, deviennent le point de départ d’une suite d’autres images internes qui procurent un certain état mystique, la présence sentie d’un culte religieux.[31]

5o « Tout objet réduit d’une dimension à une autre ne peut jamais être reproduit d’une façon exacte. Le dessin d’une maison n’aurait que peu ou pas de signification, si nous n’avions jamais vu une maison ; nous n’y verrions que des lignes et des ombres, il ne nous suggérerait aucune idée. Un dessin sur une surface plane réduit un objet de trois dimensions à deux dimensions ; les tableaux représentatifs des périodes des mondes et des globes dans les ouvrages ésotériques, la réalité représente de quatre à sept dimensions et il s’agit d’interpénétration. Le dessin ici est analogue à la représentation du fonctionnement d’une montre en alignant les différentes roues sur un même plan. Les tableaux des réalités hyper-évoluées doivent être conçus spirituellement, sinon au lieu d’éclairer le sujet ils sont cause de confusion. »[32]

6o Dès que l’instinct du merveilleux eut fait admettre à l’homme l’existence d’êtres surnaturels, il éprouva le besoin de les représenter au moyen de figures sensibles, et il leur prêta l’aspect, les gestes, la physionomie des êtres vivants qu’il avait sous les yeux. Bientôt même il s’habitua à identifier les êtres divins qu’il avait conçus avec les images qu’il avait essayé d’en faire. De là le culte des images ou des idoles (idolâtrie signifie le culte des images).

De tous temps l’Église et les religions organisées eurent à s’occuper des images. Le rôle du double chez l’Égyptien ; l’interdiction des images aux Hébreux par Moïse. Les Grecs ne croyaient pas à la nature divine d’une statue de Diane ou de Jupiter, mais attribuèrent subtilement à certaines idoles vénérées des vertus tout à fait merveilleuses. Dans l’Église primitive, les images ne furent pas d’abord honorées publiquement. Vers le IIIe ou le IVe siècle l’Église commença à relâcher sa sévérité à cet égard. Les Musulmans attaquèrent les Chrétiens sur ce point et prohibèrent les images. Des Chrétiens d’Orient manifestèrent la même répulsion ; un empereur les soutint, le Pape les anathémisa. Le culte des images a triomphé, mais les protestants iconoclastes modernes, les attaquèrent sur ce point.

7o Dans l’Église catholique romaine, on se sert donc d’images et de statues, tandis que dans les églises d’Orient les statues sont défendues. La doctrine catholique concernant la vénération des images a été formulée par le Concile de Trente en 1563. Les honneurs et la vénération leur sont dus, non parce qu’elles-mêmes sont divines ou possèdent quelque attribut particulier, mais à cause des honneurs dus à ceux qu’elles représentent, à leurs prototypes. Chez les Grecs, le culte des images est dit la dulia (vénération secondaire) par opposition à la latria (culte suprême) qu’on ne peut offrir qu’à Dieu seul.

8o Les millions d’images répandues partout et consacrées à l’écriture sainte ne représentent ni les dieux, ni leurs personnages dans les vêtements de l’époque (comme le croit la masse ignorante), mais suivant une conception idéalisée qui répond au goût d’artistes postérieurs. Les écoles de peinture italienne ont exercé l’influence prépondérante ; cela vient de ce qu’au moyen âge l’Italie était non seulement le siège des Papes qui gouvernaient le monde, mais de ce qu’elle produisait aussi les plus grands peintres, sculpteurs, architectes qui se mettaient à leur service.

5. Dessin.

« Le dessin, dit Léonard de Vinci, c’est une imitation de ce qui est visible, faite avec des lignes. On entend par le dessin non seulement la forme particulière des corps, mais encore l’analogie de toutes les parties qui en forment l’ensemble, qu’on appelle proportion. L’ensemble est ce qui présente à la vue l’union de toutes les parties d’un corps dans la proportion qui lui est propre, et sa perfection naît des rapports et de l’harmonie des mouvements. »

6. Dessin et photographie.

Le crayon des artistes qui savent voir et comprendre est doué de souplesse, de facilité, d’élégance, de ce don de simplification, de cette qualité essentielle qu’on appelle touche spirituelle et légère. Ils ont le talent de dire beaucoup avec peu de moyens.

Mais la photographie vient en aide aux artistes. Les épreuves photographiques sont pour eux un recueil incomparable d’informations, de notes précises mille fois supérieur aux croquis du dessinateur le plus alerte et le plus exercé.

Dessin et photographie se complètent. Il est des objets que la photographie rend imparfaitement.

7. L’enseignement et le dessin.

L’écriture de nos jours se double de dessin. Pourquoi ne pas savoir dessiner comme on sait écrire.

« De tous les exercices qu’on peut imaginer pour provoquer la spontanéité de la pensée, le plus naturel, le plus logique et le plus fécond est le dessin. »[33]

« Développer l’œil et la main par le dessin, c’est développer le sens de l’observation, le raisonnement, la sensibilité, c’est développer les instruments mêmes de l’intelligence, c’est donner à celle-ci un moyen de s’exprimer, d’extérioriser la vision intérieure, en des formes, car le dessin, c’est l’idée rendue visible. Dessiner, c’est créer. »

« Le dessin est roi dans les écoles en Amérique ».

La petite princesse Elisabeth d’Angleterre prend ses premières leçons de piano au moyen d’une nouvelle méthode : les touches sont indiquées par diverses images d’animaux.

(Miroir du Monde, 5 mars 1932. p. 295.)

8. Perspective.

1o L’invention du dessin perspective a été une découverte immense pour la technique de la représentation. La troisième dimension n’a été représentable qu’à partir de ce moment. De quand date-t-elle ?

2o Le premier effort fait pour représenter la réalité sphérique par un plan a été la perspective. Si l’on n’avait pas trouvé ce premier mode de représentation, un autre mode greffé sur celui-là rendrait d’immenses services. Il faut donc dégager le problème, les conditions, les éléments de sa solution.

Géométrie descriptive.

Toute la géométrie descriptive est consacrée à l’étude des projections : projection octogonale sur deux plans, projection oblique, conique, sphérique, globulaire, stéréographique. C’est la base de la perspective et du dessin perspective. C’est la théorie des ombres, de la dégradation et de leur représentation. C’est la technique de la stéréotomie.

La cartographie met en œuvre diverses espèces de projections : a) Mercator ; b) stéréoscopique ; c) conique ; d) Flamsted ; e) Flamsted modifié ; f) projections polaires.

9. Caricature.

La caricature est l’art d’exprimer une idée par le dessin.

La caricature (satyre, humour) constitue un département important de documents.

Le nom de Debucourt, Daumier, Monnier, Gavarni, Forain jalonnent un siècle de la caricature française. Celle-ci a donné lieu à une Exposition (1932) et au Salon des Humoristes.

222.32 Images schématiques.

1. Distinctes des images donnant des choses leurs apparences réelles (images physiques et concrètes), il y a celles qui en donnent la figure idéologique, images intellectuelles et abstraites. Les premières conduisent aux secondes par d’insensibles transitions.

Pour l’assimilation des matières par l’esprit sont utiles des schémas, comme sont utiles des tableaux synoptiques et des plans de matières traitées.

2. Les images schématiques comprennent : a) les schémas proprement dits ; b) les graphiques ou diagrammes qui traduisent en lignes (courbes), en surfaces, en blocs les données numériques des mesures et des statistiques.

3. Diagrammes. — Par des traductions de chiffres, lignes et figures de documents de grande proportion, on obtient des diagrammes qui, pour approximatifs qu’ils soient, sont cependant pleins d’intérêt.

Les diagrammes sont des dessins géométriques qui servent à démontrer une proposition à résoudre, un problème, à représenter le rapport de situation de choses, ou à figurer d’une manière graphique la loi de variation d’un phénomène.

Les diagrammes sont donc constitués par des courbes qui traduisent en lignes les nombres mesurant les phénomènes. Deux courbes de même échelle comparées entre elles montrent en leur différence un rapport auquel à son tour peut être donné la forme d’une troisième courbe directement comparable aux deux autres. Ex. Le diagramme de Rueff, corrélation entre la courbe du chômage et celle qui représente les rapports des salaires aux prix de gros.

Le diagramme, figure géométrique, a une forme qui varie avec les données représentées. On peut concevoir l’établissement d’un appareil qui donne du phénomène un diagramme analogique dont toute la configuration varie avec les transformations mêmes du phénomène. Les propriétés du diagramme peuvent être étudiées mathématiquement, par la trigonométrie notamment. Elles peuvent donner lieu à des mesures qui seront celles des phénomènes et à un enregistrement photographique donnant lieu à pellicule cinématographique.

Les résultats d’une recherche peuvent avantageusement être mis sous la forme de diagrammes. Ex. Van t’Hoff et ses élèves ayant ainsi déterminé les lois de la cristallisation des sels de mer, les ont mis sous la forme de diagrammes triangulaires (stéréochimie).

L’Harmonigramme est le tableau chronologique de l’ensemble des réalisations à prévoir pour un certain travail à enlever à une date fixe. C’est un instrument de prévision, de coordination et de contrôle grâce auquel la direction et ses collaborateurs ont constamment sous les yeux l’ensemble des opérations particulières à réaliser. L’enchaînement et la concomitance de toutes les opérations y sont intuitivement motivés. Aucune mémoire humaine ne pourrait se substituer à cet instrument synoptique qui permet de conduire méthodiquement et avec sûreté des milliers d’opérations. Exemple : Le tableau chronologique de l’Exposition de Bruxelles 1935 comprend 85 colonnes verticales pouvant contenir près de 3,200 fiches et indiquant les diverses catégories de travaux. Elles sont coupées par des colonnes horizontales permettant de suivre mois par mois la réalisation de chacun des travaux projetés, depuis son début jusqu’à sa fin. — L’Harmonigramme transcrit donne le résultat de l’analyse d’un dossier administratif et donne l’image de sa vie.

4. Les graphiques sont aussi des dessins simplifiés. Ils constituent un langage, le langage de la ligne. Dans toute étude où la forme prend de l’importance (par ex. la Zoologie), l’art du dessin annote les caractères et se lie étroitement à la statique, à la mécanique et à l’anatomie animale. Il donne, des formes à ces trois points de vue, une compréhension prompte et sûre.

En matière de botanique, on a publié, en Hollande, des descriptions qu’on a appelées des « penportraits ». Au lieu d’avoir des diagnoses excessivement détaillées, d’un seul coup d’œil on a, dans ces ouvrages, des descriptions, des plans qui donnent bien l’équivalence des diagnoses. C’est alors, non plus à un texte que l’on a recours, mais à la vision directe, schématique.

5. Les graphiques d’organisation des organismes (entreprises, administrations, instituts, secrétariats) ont pour but de rendre visible d’un coup d’œil : a) la composition du système : ses organes, son rôle, sa composition, son organisme ; les opérations et l’ordre dans lequel elles doivent être exécutées ; les organismes accessoires ; b) les liaisons entre les différentes parties du système et certaines de ces parties et l’extérieur de l’organisme. Ces liaisons sont un des buts principaux du graphique ; c) les fonctions et les noms des exécutants ; d) l’ordre chronologique des tâches et travaux ; e) les diverses modalités utiles à connaître pour la conduite du travail.[34]

6. L’art d’établir des schémas (la schématique) doit devenir une branche de la bibliologie ; elle est, en tant que celle-ci, la théorie de l’enregistrement et de l’exposé méthodique des connaissances scientifiques.

La place du schéma dans le livre est indiquée par le tableau suivant :

Livre
texte (écriture)
image
concrète
réelle   dessinée
   
abstraite fictive
mécanique (photo, calque, enregistrement automatique).

La marche progressive de la constitution d’un langage schématique commun consiste en ceci : a) trouver une expression diagrammatique pour l’exposé de toute idée ; b) obtenir l’accord collectif sur des schémas bases de manière que les études faites une fois serviront pour toutes ; c) faire que sur le schéma collectif de base chacun indique ce que son travail apporte de neuf, soit comme addition, soit comme modification. Il suffirait de donner des couleurs conventionnelles à ce qui est général et connu, aux particularités individuelles et aux conclusions propres au travail.

7. Le Gesellschaft und Wirtschaft Museum de Vienne a produit une véritable renaissance des hiéroglyphes de l’idéographie (Wiener methode). Dans le domaine de la statistique sociale, il a formulé ce principe : « Ce que l’on peut exprimer en images et en couleurs ne doit pas l’être en signes alphabétiques ». La réalisation répondit aux nécessités de la visualisation et de l’esthétique.

8. Il faudra, dans les imprimeries, établir des cases pour la composition typographique des diagrammes et des cartogrammes. Si de telles cases existaient et si des indications pour leur utilisation étaient formulées et répandues, les auteurs trouveraient certes le moyen d’exprimer ou de préciser beaucoup d’idées en s’en servant sans devoir recourir à des clichés spéciaux dont le prix est généralement prohibitif.

222.33 Motifs décoratifs.

1. L’illustration est une chose, la décoration en est une autre. Composition pittoresque et composition décorative.

2. La calligraphie au moyen âge employait des ornements, des miniatures, des vignettes de toute nature.

À son début, la gravure sur bois, dite alors taille d’épargne, était exécutée sur des bois ligneux, filandreux, hêtre ou sapin, à l’aide d’un seul outil, le canif. Les tailleurs d’Ymaiges s’efforçaient à rendre simplement le dessin tracé sur le bois ; ils y mettaient pas mal de science et toute leur âme : leurs naïfs fac-similés n’ont jamais été surpassés.

Ce que nous appelons l’adaptation typographique est recherchée aujourd’hui comme une bien rare qualité. En ce temps, elle était venue d’elle-même, un jour où le graveur avait tracé le dessin et la lettre sur le même bloc. L’instinct et le goût firent le reste : jamais images plus franches et vigoureuses n’épousèrent plus harmonieusement le texte.

Malheureusement, au cours du XVIe siècle, une autre recherche vint altérer le caractère propre de la gravure sur bois. Les graveurs voulurent rendre les effets de perspective aérienne des tableaux, ils imitèrent les travaux séduisants de la gravure sur cuivre, au burin, qui se développait parallèlement. La taille se resserra continuellement, compromettant le résultat de l’impression.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, la gravure sur cuivre se substitua à peu près complètement dans le livre à la gravure sur bois. L’eau-forte, surtout, à ces brillantes époques, obtint un succès considérable. Par sa facture grasse et le charme de sa vivacité, elle atteint admirablement son but : l’arabesque jaillit spontanément sur la page, l’illustration directe, alerte, suit le texte rapidement en de gracieuses fantaisies, tandis que le noir doré de la morsure s’accorde délicieusement à la couleur des fontes en réalisant une parfaite unité. Pendant la Révolution, le beau livre disparaît complètement, et toutes les tentatives du XIXe siècle ne parviennent pas à renouer les bonnes traditions des siècles précédents. Au point de vue illustration, les différentes techniques de la gravure se confondent ou se heurtent ; la gravure sur bois qui végète tristement s’est faite interprétative, elle est dite « en ton » et cherche à traduire par des teintes toutes les nuances du modèle. D’ailleurs, le buis a remplacé les bois de fil, sa matière parfaitement homogène, résistante et plastique, se prête à toutes les virtuosités du burin… mais, hélas, l’habileté n’a jamais remplacé l’Art.

La gravure sombra dans le métier, et l’apparition de la photographie devait achever la débâcle.

3. C’est vers le milieu du XVIe siècle que la taille-douce fut introduite dans le livre. Les premières gravures de ce genre ont une facture rigide imposée par l’outil. — Jacques Callot et Abraham Bosse arrivèrent pourtant à donner au burin une souplesse extraordinaire qui, en modifiant la technique de la gravure, préparait l’avènement de l’eau-forte. — Au XVIIe siècle, les grands maîtres portèrent l’art de l’eau forte à sa plus haute perfection et, suivant l’inoubliable exemple de Christophe Plantin qui fit appel à Rubens pour ses illustrations, tous les nouveaux éditeurs accordèrent leur préférence à la gravure sur cuivre. — Au règne de Louis XIV — l’âge d’or du burin — l’eau-forte arrive à son plein épanouissement et l’école de Simon Vouët décore le livre de reproductions ou d’improvisations mordues généreusement.

Sous Louis XV, l’engouement pour l’eau-forte est complet. C’est le temps où tout le monde fait de l’eau-forte et Madame de Pompadour, elle-même, n’hésite pas à y tremper ses jolis doigts. — Le livre s’enrichit de vignettes gracieuses, légères, de rocailles, de broderies d’arabesques et des charmantes compositions des maîtres et petits maîtres du XVIIIe siècle dont les impressions d’un blond doré s’harmonisent si bien avec les fontes élégantes de l’époque. — Au XIXe siècle, l’invention de la photographie entraîna la décadence de la gravure, précipitant celle du livre.

(Tattegrain.)

4. Notre temps est porté à supprimer les ornements. Il n’en aime pas moins les formes belles, bien proportionnées, harmonieusement riches de couleur ; il les trouve notamment dans la nature. Le modernisme évolue rapidement, on peut déjà considérer avec recul le modernisme d’après 1900, 1910, 1920 et 1925.

5. On a posé la question : Un livre doit-il être uniquement décoré ou doit-il contenir des personnages ? Contre la figuration de personnages on allègue qu’il y a un grand danger de leur donner corps. Chaque lecteur le fait avec son tempérament et son goût. Il faut un artiste de génie pour imposer sa conception du personnage. (Ex. Gustave Doré a créé Gargantua, Naudin a incarné Le Neveu de Rameau, Brouet Les Frères Zemganno.) Un ornement, un paysage accompagneront au contraire le texte sans entrer en lutte avec lui. Ainsi le faisaient les éditeurs français du XVIIe siècle. Ceux d’après-guerre y reviennent pour les éditions demi-luxes ou livres purement typographiques.[35]

Fernand Lot a dit de Gustave Doré : « Traducteur du rêve des plus hauts poètes de tous les temps, il n’a pas été au-dessous de sa tâche. Il a su même si bien y ajouter son propre rêve que sans lui désormais, Cervantes, Dante et l’Arioste seraient appauvris ».

6. Il y a toute une géométrie des tracés basée notamment sur les projections et la perspective. Il y a une composition décorative par combinaison de points, lignes, plans et jeux de fonds.

Le monogramme est un signe emblématique composé de lettres enlacées ou liées et qui expriment le nom propre d’une personne.

7. Il faut applaudir aux progrès réalisés par les procédés photomécaniques. Au point de vue documentaire, le domaine de la science est des plus vastes et elle n’a aucun intérêt à en franchir les limites. Par contre, le domaine de l’art appartient aux artistes et le livre d’art a besoin de spécialistes conscients. Le livre est un conseiller, il guide, il inspire, il instruit. Le beau livre est, en outre, un précieux ami. Il faut pouvoir l’aimer sans arrière-pensée et pour cela aucun détail ne peut en être négligé.

222.4 La page. — L’esthétique du Livre.

1. Notion. — De la mise en œuvre des divers éléments graphiques résulte la page ainsi que l’aspect qu’elle prend : page texte, page illustration ou page mixte.

Les éléments de la page sont : a) les caractères typographiques ; b) les illustrations ; c) la décoration ; d) la justification (largeur du texte d’où largeur des marges) ; e) la place donnée aux éléments, les colonnes ; f) les blancs, les marges ; g) la mise en page. On a traité précédemment des trois premiers points.

La mise en page est au livre document ce que la mise en scène est au théâtre.

Chaque partie du livre, chaque espèce de livre, chaque partie de chacune des espèces donne lieu à un type de présentation de la page imprimée. Ces types combinent des éléments communs avec des éléments qui leur sont propres.

La disposition de la page a été étudiée minutieusement, à la fois en vue de faciliter la lecture d’une part et de répondre aux desiderata de l’esthétique d’autre part. La pratique et la bibliophilie deviennent lois. La page est destinée à être vue (lue). Le mécanisme de la vision est donc en jeu. Les lois de l’optique et de l’occulistique sont à dégager et à observer avant tout.[36]

2. Historique. — La page texte d’après les époques présente un aspect très différent : Grèce : compact, pas de ponctuations. Moyen âge : enluminé. Renaissance : gloses, commentaires. Moderne : illustration et rubrication.

Les premiers livres imprimés étaient parfaits à tous les points de vue, depuis le papier jusqu’à la reliure qui a tenu pendant des siècles. Ce fut suivi ensuite d’une période d’hésitations et de décadence relative de l’art typographique que l’on peut caractériser parfaitement par les productions si laides que l’on connaît bien. Au commencement du XXe siècle, il y eut dans l’imprimerie une renaissance au point de vue artistique.

De nos jours, il s’est fait une réaction du style des imprimés publicitaires, des affiches, sur le style des livres et la composition. La mise en vedette des éléments est devenue de ce chef plus osée.[37]

3. Les caractères typographiques. — Il existe des signes numérotechniques qui ont plus de 4000 ans d’existence, des signes « alphabétiformes ».

Lorsque la forme de l’édition est fixée dans ses grandes lignes, la première chose à faire est de choisir un caractère dont la physionomie soit en rapport avec l’esprit du texte. Cet accord entre l’œuvre littéraire et sa notation typographique est absolument nécessaire, car le lecteur en sera toujours influencé, même à son insu. La principale qualité à rechercher est la parfaite lisibilité et il est toujours dangereux d’adopter une fonte nouvelle, insuffisamment éprouvée.

Éviter le texte tout entier en capitales. Le bas de casse est plus lisible que les capitales. L’ensemble composé en capitales peut attirer l’attention, mais à la lecture la fatigue vient vite. La différenciation des grandeurs et des types de caractère est d’une grande ressource pour distinguer les diverses espèces de données dans un texte. Par ex. le principal du secondaire ; le résumé du corps même de l’ouvrage ; les rubriques du texte lui-même ou des notes.

4. Lignes. — La composition typographique s’opère en lignes continues. On pourrait, si l’on voulait, lui donner la forme de certaines figures.

Dans l’« Élan » de 1926, Osenfant s’est appliqué à des recherches typographiques (psychotypie). Il essaya d’adapter l’expression optique des caractères d’imprimerie au sens des mots. Il conclut : L’effet produit par les « formes sensibles » est puissant même quand il s’agit des signes conventionnels ; les formes sensibles ne sont pas conventionnelles, mais impératives.

5. La justification. — La largeur des pages a cette importance qu’elle permet des dispositions synoptiques ajoutées à la clarté du texte, rend aisée et rapide la référence à toutes les parties du sujet.[38]

Il est des conditions physiologiques imposées aux livres par nos organes. On sait combien est pénible la lecture des longues lignes exigeant un repérage difficile à chaque extrémité et à chaque commencement.

Les journaux ont ouvert la voie à la justification physiologique et rationnelle et en particulier le journal anglais. Des journaux présentent de front 7 colonnes de 5.5 cm. (L’Indépendance Belge). La fiche 12.5 × 7.5 est donc équivalente à la largeur de deux colonnes de journal. Dans le livre on a souvent établi deux colonnes, quand il était de grand format. La Société des Nations produit une quantité de textes imprimés souvent rebutants à lire parce qu’ils ne répondent pas à ces conditions. Les documents de la S. D. N. si difficiles à lire ont des lignes de 14 cm. ⅔, presque plus larges que trois colonnes de journal.

Les revues s’essayent à des caractères de plus en plus petits et à des justifications de plus en plus étroites. Ex. : Le Mouvement Communal (Bruxelles) imprime fréquemment ses pages (19 × 25) en trois colonnes, petit caractère, sans filet séparatif.

6. La mise en page. — Toute une mise en page avec des colonnes, des demi-colonnes, des retraits a été réalisée pour rendre un texte plus clair, plus rapidement assimilable, pour permettre de se reporter plus vite et plus directement à un passage déjà lu ou à découvrir.

Ex. : Les sections du Conseil d’État français faisaient des rapports qu’on imprimait à mi-marge avec celui du Ministre. — Les Tables de la Classification Décimale, édition française et édition anglaise, ont réalisé des mises en page bien équilibrées.

De la mise en page relève la manière de couper les articles de journaux en renvoyant leurs suites plus loin, et la manière de disposer les articles de revue pour faciliter le découpage à l’aide d’un seul exemplaire.

Un exemple de disposition typique d’un texte est donné par les notices bibliographiques imprimées sur fiches et en général par de nombreuses formules dites administratives.

7. Les marges. — Les marges sont l’espace blanc qui apparaît sur les côtés du texte d’un livre ou d’un dessin. Une proportion des marges aux textes, des blancs aux noirs, s’impose. Les marges sont parfois utilisées pour les rubriques annonçant les sujets traités, pour des ratures, pour les références aux textes de base. De larges marges servent aux notes marginales du lecteur.

8. Les colonnes. Le sens de direction du livre. — La colonne divise les pages d’un manuscrit ou d’un imprimé par le milieu au moyen d’un blanc ou d’une ligne qui les sépare de haut en bas. La page peut être divisée en plusieurs colonnes. Ainsi, la page des journaux, des dictionnaires et des grandes encyclopédies, celle des éditions polyglottes.

Les livres orientaux se feuillettent de gauche à droite, les livres occidentaux de droite à gauche. On peut disposer les pages soit dans le sens horizontal par rapport à la reliure, soit dans le sens vertical.

Il est déplaisant d’avoir à changer le sens de lecture et de vision d’un livre, album et atlas. S’efforcer d’imprimer toutes les planches dans le même sens, de manière à n’avoir pas à retourner le livre.

9. L’esthétique du livre. — La présentation typographique doit faire l’objet des soins les plus attentifs. C’est dans le choix des caractères pour titres, sous-titres et rubriques, c’est dans le sectionnement des masses en alinéas bien équilibrés que résident en grande partie les conditions de la belle et bonne page écrite ou imprimée.

La simple typographie est un art véritable par la stricte proportion des caractères et des titres, par l’ordonnancement des blancs, par tous ces détails dont la réunion produit cette chose exquise et rare : un beau livre.

Les grands principes que William Morris a engagés à observer sont les suivants. Il importe de ne rien négliger pour faire du bon ouvrage avec du matériel irréprochable, ce qui constitue l’unité du livre n’est pas la page isolée ; mais la double page du livre ouvert, les deux masses de texte n’étant séparées que par un étroit espace au pli de la feuille ; la largeur des marges doit croître dans l’ordre suivant : la tête, les côtés, la base. Morris attachait une importance capitale à l’espacement, non seulement quant à l’assiette de l’œil de la lettre sur la base, mais aussi quant à la distance entre les lettres d’un même mot, les mots d’une même ligne, les lignes d’une même page. Il nous a démontré que même sans le moindre essai d’ornementation un livre peut devenir une œuvre d’art, pourvu que les caractères en soient bien dessinés sur une base carrée, qu’ils soient de même nature et rapprochés dans la composition sans « blancs inutiles ». Morris voulait que l’illustration, soit planche, soit ornementation, fit partie intégrante de la page et fut comprimée dans le plan du livre.

Ainsi l’esthétique au point de vue typographique est l’art qui consiste à donner aux travaux que l’on exécute le sentiment qu’ils doivent exprimer. L’esthétique est la science qui permet d’établir les principes et les règles de la beauté. Pour qu’une œuvre d’art appliqué soit digne de fixer l’attention, elle doit répondre aux trois conditions suivantes : a) remplir son but ; b) avoir employé logiquement les matériaux dont elle est composée ; c) être conçue dans une forme d’art qui reflète l’époque dans laquelle l’œuvre a été créée. Pour le livre, les deux premiers points sont du domaine de la technique typographique. Le troisième point est du domaine des arts appliqués.

Des artistes, des illustrateurs collaborent à la confection du livre par la création de lettres ornées, entêtes, culs de lampe, illustrations de tous genres. Le livre peut donc être de l’art appliqué. Lorsqu’il est illustré, il ne peut plus être isolé des arts plastiques. Les artistes du livre ont souvent été les inspirateurs des diverses formes d’ornementation ; ils ont aidé à la création des styles, c’est-à-dire à celle de la forme graphique du caractère d’un peuple à une certaine époque.

Dans le passé, le livre a appliqué à son illustration le style de son époque. À notre époque, il existe un style moderne adéquat aux exigences de notre temps, auquel chaque peuple créateur a déjà imprimé son genre propre. Le livre sera de ce style nouveau, style très compliqué, mais si savant et d’une grande saveur artistique lorsqu’il est traité par un homme de talent.[39]

Le livre a réalisé le problème de l’art appliqué, de l’art uni à l’industrie et qui incorpore une pensée, un sentiment, une harmonie aux choses d’usage quotidien. Ce problème, qui est très passionnant, se présente pour le livre dans des conditions spéciales : sa multiplication. Le livre est une pensée qui a été réalisée.

Certains éditeurs excellent à donner à une simple plaquette toute l’importance d’un livre, tant par l’emploi des fontes d’imprimerie judicieusement choisies que par sa disposition graphique et par l’adjonction d’illustrations ou d’ornements propres à en accuser et à en relever la décoration.[40]

Mais l’art appliqué au livre n’a pas toujours été judicieusement réparti. « Les ouvrages les moins destinés à demeurer dans les bibliothèques, ces milliers d’opuscules boiteux sur des questions de petite érudition provinciale ou ces romans de cape et d’épée tard venus, sont d’ordinaire les mieux imprimés et les plus soignés, au rebours d’autres plus importants composés en tête de clou et dont le papier s’effrite. » (Bouchot. Le Livre, p. 238.)

223 Éléments linguistiques. Les langues.

Les documents pour la plupart sont constitués d’éléments linguistiques ; ils sont exprimés en une certaine langue ; ils sont une traduction en signes alphabétiques des mots du langage.

Il y a quatre termes à rappeler ici : a) la Réalité ou Universalité des choses existantes ; b) la Pensée qui conçoit la réalité et en organise la connaissance scientifique ou qui partant de la réalité en combine les conceptions selon les possibilités de l’imagination ; c) le Langage qui exprime la pensée ; d) la Documentation qui enregistre et fixe le langage.

La Documentation est donc intéressée par tout ce qui touche à la langue. Or, le mouvement des langues est complexe ; il soulève un grand nombre de questions : ce qu’est la langue, quelles en sont les espèces et les variétés, d’où elles viennent, comment elles évoluent et se transforment.

Tout perfectionnement dans le langage en apportera un au livre. De là l’intérêt pour : a) le développement de la langue ; b) le développement de la littérature ; c) les langues internationales artificielles qui font un progrès considérable ; d) la réforme orthographique qui s’impose de plus en plus à mesure que se démocratise l’enseignement et que les masses des peuples sont appelées à la connaissance de l’écriture et de la lecture ; e) les récentes réformes : extension prise par l’étude des langues, nombre de ceux qui parlent certaines langues, simplification des langues, de leur orthographe, de leur écriture ; influence des mouvements politiques (nationalité) et des mouvements économiques (affaires) sur le mouvement culturel dont la langue est une des expressions ; influence de la langue écrite sur la langue parlée, notamment sur sa fixation, traductions.

223.1 Notions.

1. Rapport entre Réalité, Langage, Science. — Un lien génétique existe entre le langage, la réalité et la science. « En thèse générale, dit Condillac, l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite. En effet, l’art de raisonner se réduit à l’analyse et les langues sont les seules méthodes analytiques vraiment parfaites. Les hommes commencent à parler le langage d’action aussitôt qu’ils sentent et ils le parlent alors sans avoir le projet de se communiquer leurs pensées. Ils ne forment le projet de parler pour se faire entendre que lorsqu’ils ont remarqué qu’on les a entendus, mais dans le commencement ils ne projettent rien encore, parce qu’ils n’ont rien observé. Tout alors est donc confus pour eux dans leur langage et ils n’y démêleront rien tant qu’ils n’auront pas appris à faire l’analyse de leurs pensées. » — En d’autres termes : a) chacun a une expérience propre ; b) chacun rapporte son expérience en des termes généraux qui constituent sa langue ; c) les termes généraux de chacun se confrontent et, par l’intermédiaire du langage, les expériences se mettent en commun ; d) l’annotation de l’expérience et des documents, par l’intermédiaire du langage commun, généralise et coordonne l’expérience et la langue particulière en général.

Pour les Pythagoriens, dont étaient Platon et, dans une si large mesure, les premiers Pères de l’Église, le moindre être n’est que la réalisation de la pensée divine. (In principio creavit Deus cœlum et Terram. In principio erat Verbum.) Ils appelèrent logos la pensée divine et considérèrent la nature comme un discours interminable de paroles divines, comme le grand souffle en vertu duquel les idées se transforment dans la musique des paroles. Comme corollaire la pensée humaine est à la parole, comme la pensée divine est à la création. Ne pourrait-on prolonger cette comparaison jusqu’à la Documentation ?

2. La langue et l’être humain. — La langue tient au fond de l’être. Ce n’est pas qu’une forme fortuite que l’on pourrait modifier sans modifier le contenu même de ce qu’elle saisit ou exprime. Toute expérience qui se produit dans la vie psychique de l’homme a son caractère déterminé par le caractère de la langue. La langue n’exprime pas seulement coordinations logiques, telle une forme algébrique d’une valeur uniforme et universelle, mais encore des contenus émotionnels qui sont au plus haut degré personnels. Et cela, non seulement au point de vue de l’homme pris individuellement, mais encore dans le sens de ce qu’on pourrait appeler les personnalités collectives. Car la communauté des langues ne relie pas seulement les choses individuelles, elle relie également la collectivité de cette communauté humaine avec tout le passé dans lequel cette collectivité s’est formée. Le soin des mots, leurs affinités émotives caractéristiques, les tournures et les structures idiomatiques, la littérature dans laquelle tout cela s’est fixé fortement le sédiment spirituel d’un long passé culturel commun. Nulle part ce qu’on a appelé le subconscient collectif ou encore la « mémoire collective » de l’espèce n’existe de façon plus vivace et plus expressive que dans la langue, et l’expression « langue maternelle » montre bien qu’il s’agit ici d’une collaboration intime de l’hérédité biologique et sociale.[41]

Le Langage est humain en ce sens qu’il n’existe que par les hommes et entre les hommes. Il intervient à trois moments : a) langage intérieur (on pense largement avec des mots et des signes) ; b) langage parlé à l’aide de sons ; c) langage écrit reproduisant les sons du langage parlé ou les signes.

3. Le vocabulaire. — Toute une édification intellectuelle se poursuit à la base des mots. D’après les phrases les mots prennent un sens spécial. Mlle Desœuvres a donné la liste de 2903 mots appartenant au vocabulaire d’un enfant de sept ans (le développement de l’enfant de 2 à 7 ans). D’après L. et E. Aufroy, le vocabulaire suit une progression ascendante de 4900 à 19800 mots de 7 à 14 ans. (Bulletin de la Société Binet.)

L’impossibilité de transférer la pensée est absolue et insurmontable. Celui qui écoute peut seulement par une inférence de sa propre pensée conclure que celui qui parle a pensé à la même chose que lui. Ce qui passe dans la parole entre les deux personnes est simplement un son, dégagé de tous les sens. Les paroles participent donc de cette double nature : avoir un sens, être un son.

Chaque homme adulte est le dépôt vivant d’une connaissance profonde du langage. Non seulement il possède un vaste emmagasinement de mots, mais il est en quelque sorte un artiste dans la manière de les employer.[42]

4. Maîtrise de la langue. — Un Japonais a dit : La langue n’est pas seulement vivace, elle est une créature douée de la plus délicate sensibilité. Elle dirige l’homme bien plus qu’elle n’est dirigée. L’homme peut être libre de prononcer le premier mot, mais il est moins libre quant aux mots suivants : le prestige de la langue commence à agir et à entraîner la pensée.

5. La Linguistique et la Philologie. — La Linguistique est l’étude de la phonétique et de la structure (morphologie, syntaxe) des langues (dialectes, idiomes) en vue de la classification systématique et de la déduction des lois générales qui s’en dégagent. L’élément dominant chez le linguiste est l’esprit de comparaison et de synthèse. La Philologie s’attache à étudier d’une façon approfondie une langue ou une famille de langues ; elle en critique les documents, s’efforce de les situer dans le temps et dans l’espace, et d’en expliquer le sens profond, d’en déterminer l’auteur et d’en vérifier l’authenticité (critique et herméneutique). Elle étudie la grammaire de la langue ou des langues dont elle s’occupe, aux différentes périodes de leur évolution, elle retrace l’évolution phonétique, morphologique et syntaxique (grammaire historique), l’évolution lexicologique dans ses travaux sur l’étymologie (dictionnaire étymologique). Enfin, elle étudie la genèse, la transformation, l’évolution des genres littéraires et de la littérature en général, aussi bien d’une langue en particulier que d’un groupe de langues (histoire littéraire). Elle compare aussi les différentes littératures du monde dans les études générales (histoire littéraire comparée). Pour atteindre ces différents buts, la Philologie a recours à différentes sciences auxiliaires. L’élément dominant chez le philologue est le sens historique et le culte du beau. La philosophie du langage est l’exposé des conclusions de la linguistique et de la philologie en tenant compte des résultats acquis dans le domaine des différentes sciences qui s’y rapportent.[43]

La linguistique est la science du langage en tant que phénomène naturel. Elle est alliée à l’étude scientifique des diverses langues existantes ou ayant existé : Philologie comparée, étymologie scientifique, phonologie, glossologie, grammaires comparées, idiomographie, philologie ethnographique. (Sur les rapports de la Linguistique avec la Bibliologie, voir no 152.)

6. Psychologie. — Pour Meillet (caractères généraux des langues germaniques), la philologie comparée est fondée sur ce principe psychologique : pour rendre compte des transformations, il fait appel à des tendances ou « principes actifs de changement ». La réalité de ses tendances se mesurant à la réalité de leur manifestation dans les faits, il n’y a pas d’inconvénients à postuler leur existence avant même qu’elles se traduisent dans les données, ainsi que leur persistance après même leur dernière manifestation selon l’ordre chronologique.

7. Division du langage. — Raoul de la Grasserie a donné les divisions naturelles suivantes de chaque langage normal.

  SYLLABUSCOPIE (La syllabe) PRÉMIASCOPIE (Le mot) PRATERSCOPIE (La phrase soit simple soit composée)
Phonologie. Gamme des phénomènes, quantité, genèse, croissance, décroissance. Harmonie vocalique, accent tonique, apophonie, périphonie. Accent des proclitiques et enclitiques, liaisons.
Morphologie. Différentiation dans les langues monosyllabiques. Lexicoscopie, racine, réduplication, composition, dérivation, variation vocalique, formes du genre, du nombre, de la détermination, du temps. Grammatoscopie, déclinaison et conjugaison, soit synthétique par flexion interne ou externe, ou variation vocalique, soit analytique par préposition.
Idéologie. Différentiation du sens des mots, au moyen des différents sons.
Différentiation de la partie du discours auquel un mot appartient, d’après l’ordre des monosyllabes.
1o Concept et emploi du genre, du nombre, de la détermination, du temps.
2o Concept et emploi des différentes parties du discours.
3o Concept des idées et leur application aux mots ou sensitiques.
1o syntaxe d’emploi, emploi de la déclinaison et de la conjugaison, des prépositions, etc.
2o Syntaxe d’accord.
3o Syntaxe d’expression des relations par l’ordre obligatoire des mots.

8. La Grammaire. — a) La grammaire se définit l’art qui enseigne à parler et à écrire correctement. Elle est née longtemps après la poésie et l’éloquence. Les premières traces qu’on en trouve en Occident sont éparses dans Platon et Aristote ; elle ne commençait à former une science à part que lorsque les philosophes d’Alexandrie et de Pergame s’en occupèrent en analysant la langue grecque. La plus ancienne grammaire est due à Denys le Thrace, élève d’Aristarque. Vers la fin du XVIIIe siècle seulement parut la première grammaire philosophique due à Arnauld et désigné souvent sous le nom de Méthode de Port-Royal Au XIXe siècle. S. de Sacy produisit sa Grammaire Générale. On possède de nos jours des grammaires de toutes les langues, y compris celles des peuple, primitifs dont les linguistes ont étudié le parler.

b) Certains grammairiens (James Harris) ont ramené les dix espèces de mots auxquels l’analyse ramène tout le discours à deux grandes classes : 1o les mots significatifs par eux-mêmes ou principaux ; comme il n’existe que des substances et des attributs (adverbe, adjectif, participe-adverbe), les mots ne peuvent être que substantifs (noms, prénoms) ou attribut, (adverbe, adjectif, participe-adverbe), 2o les mots significatifs par relation ou accession. Ils servent à mieux désigner ou déterminer les êtres (définitifs), soit à unir entr’eux les êtres ou les faits (connectifs : articles, pronoms démonstratifs, possessifs, indéfinis, la conjonction et la préposition que certaines langues remplacent au moyen de la déclinaison).

Les idées de durée, de temps, d’espace dans leur acceptation métaphysique donnent des formes au langage. La pensée analysée dégage les modes de propositions qui sont ou perceptives (indicatif des verbes) ou volitives (autres temps).

223.2 La Parole et l’Écrit.

1. La Parole. — La parole est une voix articulée qui exprime quelque idée proprement dite. La voix articulée est celle qui résulte de l’émission non seulement de voyelles, mais encore de consonnes, et par conséquent de syllabes. La parole selon la pensée de saint Augustin est le premier et comme le roi des signes : « Verba obtinuerunt principatum significandi ». La parole seule est pleinement vivante, l’écriture est morte et ne revit que par l’interprétation, comme Platon l’a déjà remarqué.

Eloquentia, en latin, signifie l’art de bien dire ce qu’on a à dire. Au delà de la littérature, de l’expression et de l’exprimée, il y a l’« ineffable » : parvenir par la méditation à des zones de pensées dépassant le niveau de l’expression verbale où toute pensée rétrécie par l’expression perd immédiatement sa qualité. Alors, le rôle de la suggestion commence.

Élargir de plus en plus la parole — non pas véritablement en cercles ni ondes concentriques — car les ondes à la surface de l’eau s’engendrent par chocs et restent à la surface, tandis que la parole et l’élargissement de la parole doit se faire par lien et c’est l’image de la spirale, la spire de la parole s’élargissant, s’élevant toujours plus.

2. La parole sacrée. — La parole jusqu’à nos jours a conservé quelque chose de mystérieux et de supérieur.

Dieu a été défini le Verbe : « Et Deus creat Verbum ».[44]

Les quatre lettres hébraïques I. H. W. H. correspondent à l’idée de Dieu. (Jehovah, traduit Kurios dans la version des Septantes et Dominus dans la Vulgate.) De grandes discussions ont été soulevées sur la manière de prononcer ce mot. En réalité, la véritable prononciation était connue du grand prêtre seul ; elle a fini par se perdre. On aurait même pris l’habitude de ne plus prononcer du tout l’« ineffable » tétragramme et de lui substituer directement Adonaï ou comme chez les Samaritains, le mot schema littéralement « le nom ».

Keyserling montre, dans tout ce qui vient de l’esprit, un en comportement qui paraît paradoxal à notre âme terrestre, sorcellerie, magie, verbe, symbole lui semblent s’imposer à notre monde comme des pensées inquiétantes venues d’ailleurs.

3. Conversation et conférence. — La conversation roule sur n’importe quoi et comporte tous les genres ; elle se dit des entretiens journaliers. L’entretien roule sur des choses importantes et a lieu entre deux ou un petit nombre de personnes. Le dialogue, c’est l’entretien ou la conversation qu’un auteur fait tenir à ses personnages dans ses livres ou même sur la scène. Dans un sens plus général, le dialogue c’est l’entretien considéré du point de vue littéraire. La conférence faite sur les sujets les plus importants développés soit avec fantaisie, soit didactiquement. Le colloque est un entretien qui porte sur des sujets religieux et auquel prennent part ordinairement des personnages ayant qualité à cet effet. Les paroles préparées donnent lieu au discours, à l’oraison, au sermon, au panégyrique, à l’homélie, au prône, à la harangue, à l’allocution, au plaidoyer.

b) Les causeurs, les conteurs, race à peu près disparue depuis l’imprimerie et surtout grâce à la multitude des journaux, ont joué un rôle important dans les sociétés qui nous ont précédé. Ce sont les rapsodes dans la Grèce, les bardes dans la Gaule, les Scaldes dans le Nord. Ils sont les gardiens des traditions, ils disent aux guerriers les nobles faits de leurs ancêtres, ils montrent aux peuples les histoires merveilleuses de leur origine. Quand son rôle héroïque est terminé, quand l’écriture a fixé les traditions dont il est le dépositaire, il ne disparaît pas pour cela ; il se borne à amuser ceux qu’auparavant il instruisait et alors commencent ces contes, ces anecdotes, qui vont sans cesse se répétant et s’augmentant et formant une phase nouvelle qui n’est pas la moins curieuse dans l’histoire de l’esprit humain. Les conteurs à Rome, dans les pays d’Orient, ont souvent été chargés de détourner le peuple du souvenir de sa liberté perdue. Des Kalifes ordonnèrent que chaque café eut son conteur. Au Japon les conteurs ont encore un grand rôle. Au moyen âge, en France, ce furent les jongleurs, les troubadours, les trouvères, les ménestrels et ils vont de château en château, d’habitation en habitation. Plus tard ce furent les fins causeurs des salons et des dîners, dans une société qui se réjouissait d’être spirituelle.

Madame de Staël (de l’Allemagne), a écrit :

« Le genre de bien-être que fait éprouver une conversation ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation ; les idées ou les connaissances qu’on peut y développer n’en sont pas le principal intérêt, c’est une certaine manière d’agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu’on peut, de jouir à l’instant de soi-même, d’être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l’accent, le geste, le regard, enfin de produire à volonté comme une sorte d’électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l’excès même de leur vivacité et réveille les autres d’une apathie pénible. »

Les Conférenciers ont aussi leurs managers, organisant les tournées. On a assisté aux États-Unis à la faillite retentissante d’un de ces managers (M. James Pond), avec un passif de près de 7.000 livres sterling. C’est que la Radio a concurrencé considérablement les conférences d’hommes connus.

4. Discours. — Le mot discours a deux sens : la parole que l’on énonce, le papier écrit qu’on lit. L’orateur qui parle affronte la tribune pour les débats les plus ardus, les mains vides, fort seulement de son intelligence, de sa mémoire et de ses certitudes, est sûr de sa voix, de ses gestes, de sa pensée. Il sait ce qu’il veut faire et ce qu’il doit dire. L’orateur qui lit est celui qui, tout de cabinet, s’effraie de la lumière des assemblées. Les idées, les faits, le raisonnement, l’enchaînement de pensées peuvent alors être totales et s’imposer la certitude de n’énoncer que du réfléchi ; mais alors ni improvisation, ni intuition, ni illumination ; une technique sèche, terne, sans vie.[45]

Elocution « Actor and Elocutionist », disent les Anglais.

Ossas-Lourié : « La faculté oratoire est un art inférieur. Les habiles savent en user pour captiver les médiocres qui s’intéressent moins à l’idée qu’à la fabrication, même absurde, pourvu qu’elle flatte leurs désirs et leurs penchants. L’orateur ne produit pas, ne crée pas, il imite, répète ; il n’est jamais créateur, toujours vulgarisateur. »

La justesse de cette affirmation est très contestable. Beaucoup d’orateurs créent.

Au moyen âge, la prédication était douée d’une efficacité intérieure et d’un succès du dehors qui touchaient au miracle. Quelques exemples : Le franciscain Berthold de Ratisbonne (milieu du XIIIe siècle) aurait eu des auditeurs évalués de 60.000 à 200.000. Vincent Ferrier, né à Valence en 1346, Dominicain, parcourut presque en entier l’Espagne, la France, l’Italie, l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. Dans tous ces voyages il ne cessait de prêcher. « Des foules immenses de populations le suivaient et les grands volaient à sa rencontre. Il emmenait avec lui des prêtres pour entendre les confessions et célébrer les offices, des chantres et des orgues, des notaires pour rédiger les actes nécessités par des réconciliations entre ennemis, des hommes éprouvés pour soigner les vivres et les logements. Ce n’était pas un homme, mais un ange qu’on croyait entendre. »[46]

Le Vendredi Saint les franciscains en Alsace prêchaient six à sept heures, il se faisait un grand commerce de guides à l’usage de prédicateurs ruraux, « Dormi secure » (Dormez tranquillement, prédicateurs, 36 éditions) et « Dictionnaire des Pauvres ».

La Parole entrave dans le téléphone, l’amplificateur, le phono, le radio, des instruments extraordinaires.

La compétition ainsi se poursuit entre la parole basée sur l’ouïe et l’écriture basée sur la vue. C’est à qui aura l’usage plus facile, plus précis, ira plus vite, plus sûrement, plus agréablement, directement et économiquement.

5. Débats. — Les débats ont une importance considérable dans les pays de libre discussion. Toute une procédure des débats a été instaurée au cours de l’Histoire parlementaire. Deux faits entr’autres la caractérise : d’une part la procédure écrite y est étroitement unie à la procédure orale et à chaque phase des débats correspondent des types des documents : proposition, rapport, résolution ; les débats donnent lieu à des comptes rendus, in extenso, sténographiés ou dactylographiés. D’autre part la procédure interparlementaire s’est à ce point internationalisée que fondamentalement elle est à peu près la même partout, elle a pu servir de type lorsque des hommes se sont rencontrés dans les grands congrès internationaux, qu’ils ont même organisé une Union interparlementaire et fondé la Société des Nations.

Dans la recherche de la vérité ou dans la défense des intérêts par voie d’arguments, toute affirmation est susceptible d’être discutée et de donner lieu ainsi à débat. Au cours du débat (contestation, altercation, controverse, litige) sont présentées les objections, les réfutations, les réponses. La contestation est le refus d’accéder à une allégation ou aux prétentions de quelqu’un.

Des efforts ont été faits de tout temps pour améliorer les discussions orales. Les temps anciens ont connu des formes très bien ordonnées pour la discussion des thèses théologiques et philosophiques, pour les débats religieux (les colloques). Et là aussi l’alliance du document et de la parole a trouvé d’heureuses réalisations. De nos jours, le besoin de débats approfondis et bien ordonnés se fait grandement sentir.[47]

6. Écrire et parler. — Ainsi, le langage prend la forme de l’écriture. L’écriture à son tour transforme la langue. La documentation a des desiderata relatifs à la langue.

Parole et écriture sont cependant choses différentes. La pensée parlée a ses lois, la pensée écrite a les siennes. C’est une erreur de vouloir modeler l’une sur l’autre. La concision, possible dans l’écrit bien réfléchi est difficile dans les expressions parlées. La brièveté du temps de parole est opposée aux développements possibles en parlant. Par contre un rôle y est dévolu aux gestes et aux démonstrations. Mais l’écrit avec son illustration a pour lui la précision.

Cormenin l’a bien dit : « Les discours écrits ne font point d’effet à la tribune, les discours improvisés ne font pas d’effet à la lecture. » Longtemps en Angleterre, il était interdit de lire un discours, il fallait l’improviser. Le rythme de la phrase parlée est différent de celui de la phrase écrite. Le style aussi diffère. Tantôt il faut être plus bref, plus direct, tantôt au contraire plus explicite.

« La nécessité d’un ordre rigoureux ne s’impose pas au professeur qui parle elle devient évidente pour celui qui écrit. Le lecteur a sous les yeux le commencement et la fin, il suit le raisonnement : pas moyen de tricher. Vous pouvez enseigner un cours écrit ; quand vous le rédigez, un cours oral ne tient généralement plus debout. »

(Bouasse)

Dans la causerie, la pensée, sans s’astreindre à un ordre logique rigoureux, peut se dérouler en agréables méandres. Dans la phrase parlée, surtout dans la phrase oratoire, il y a une facilité de compréhension provenant du ton. Rien que la hauteur du débit annonce déjà l’importance relative des diverses parties de la phrase. Ceci n’existe pas pour la phrase écrite où tout paraît « recto-tono ». D’autre part, le ton de voix est analogue à un accord : Là telle note appelle forcément les autres (do, mi, sol… do). Ici le ton suspensif annonce forcément une suite qui viendra.

Le domaine écrit se circonscrit encore d’une autre manière. On l’a précisé récemment en tentant une délimitation entre l’ethnographie et le folklore.

« En général, a-t-on dit, l’ethnographie couvre toutes les activités sociales des primitifs, et chez les civilisés elle ne s’étend qu’à ce qui correspond aux stades des règles et des institutions. C’est-à-dire à ce qui conserve par des écrits. Au contraire, le folklore couvre chez le civilisé le domaine des usages, coutumes et traditions qui se conservent par des moyens oraux. Chez les primitifs, toutes les acquisitions et organisations sociales sont conservées et transmises par la tradition orale. Par leur étude, ethnographie et folklore se confondent. Chez les civilisés on distingue : les acquisitions et organisations sociales sont conservées et transmises par des moyens écrits ou imprimés et enseignés (domaine de l’ethnographie), ou elles sont conservées et transmises par la tradition orale (domaine du folklore). »[48]

7. Les crieurs. — Les annonces et réclames qu’il importait de faire au public ont longtemps été lues à haute voix par un crieur de profession au milieu de groupes rassemblés ou peuple rassemblé à son de trompe, dans certains cas convoqué par le bruit d’une pelle à feu frappée avec une clef de fer. À partir de 1830 en France, les avis émanant de la municipalité (échenillage, corvées, tirage à la conscription) ont été annoncés au roulement de tambour. Ailleurs la sonnette est intervenue.

223.3 Historique, Évolution.

1. Le langage a une longue évolution. Tout lui est mouvement. L’évolution du langage est nécessaire en général.

Elle se poursuit simultanément dans un double sens : Segmentation des idiomes en langues spéciales et en dialectes ; développement des langues nationales et refoulement des patois.

Chez certains peuples la langue est si instable qu’il ne faut que quelques années pour ne plus la reconnaître.

La transcription phonétique des chansons populaires produit de précieux documents pour l’étude des langues.

2. Une même langue présente des variations d’après le temps, les lieux et les milieux où elle est parlée et écrite. On distingue généralement la langue aux diverses époques de son existence en langue vieille ou ancienne, en langue moyenne et en langue nouvelle ou moderne. Pour les temps modernes, on distingue aussi la langue classique, unifiée, officielle ou littéraire. On distingue enfin les divers dialectes, patois ou idiomes locaux qui sont différents d’après les régions et les temps.

3. Depuis le commencement, les langues se sont fait la guerre ; elles ont rivalisé comme les races et se sont mêlées comme les sangs. La terre a entendu plus de 2000 idiomes primitifs ou dérivés, vivants ou morts, illustrés par une littérature ou barbares.

4. Chaque peuple a eu sa langue, sa poésie et sa littérature. Ces biens ont eu le même sort que leurs possesseurs. Un peuple s’emparait-il d’une riche contrée pour y fonder un empire durable et florissant, sa langue ne tardait pas à se développer avec les connaissances, les mœurs et les institutions. Ce peuple, au contraire, vaincu par les ennemis du dehors et la corruption du dedans, s’affaissait-il sur lui-même, le langage tombait en ruine avec lui et ses riches matériaux servaient à constituer de nouveaux édifices.

5. À l’intermédiaire du livre et du document se poursuit la lutte des langues. Une langue ne s’étend que si elle est l’organe d’une civilisation douée de prestige. Ainsi la « Koiné ionienne attique » a remplacé tous les autres parlers grecs. Ainsi le latin l’a emporté sur les parlers barbares ; l’espagnol et le portugais sur ceux des peuples de l’Amérique du Sud ; l’anglais sur ceux des peuples de l’Amérique du Nord. La multiplication des « langues communes », dans l’Europe d’aujourd’hui, et cela en un temps où il y a au fond unité de civilisation matérielle et intellectuelle, est une anomalie.[49]

Le phénomène « interlingua » se poursuit ; il y a eu dans le passé des langues communes intermédiaires, il pourra en naître dans l’avenir.

6. L’antiquité civilisée a connu la prédominance du grec ; au moyen âge tout est en latin ; plus tard, la réaction s’opère : les parlers nationaux deviennent des langues littéraires ; par ex. Dante et Luther renoncent à écrire en latin pour se servir de la langue vulgaire qu’ils purifient et développent.

7. Dans la lutte des langues le latin ne perd pas ses avantages. Il continue à être employé dans l’Église catholique ; il fait l’objet des études dites d’Humanités. Le Congrès international de Botanique a encore imposé le latin comme langue obligée de diagnose. On a recherché à moderniser le latin (latin sans flexion). Récemment la grande firme allemande Siemens et Halske, après avoir installé ses hauts parleurs et appareils de radio dans la cathédrale de Spire — l’antique sanctuaire qu’illustrèrent les saint Bernard, Conrad et Frederick Barberousse —, en donnent une description illustrée sous ce titre bien moderne « De Amplificatoribus in œde spirensi institutis ». Si haut parleur était traduit amplificator et microphone microphonum, les « Spezialbahnsprecher » se disaient Tubi, et les « Siemens Bändehenmikrophon » s’exprimaient Laminatum. De l’ensemble était-il dit « Effectus autem est 200 Watt ».

En Allemagne a été fondée en 1933 Societas Latina et sa revue en latin (München, G. Horth). Peano et ses collègues dans Schola et Vita font campagne pour le latin simplifié sans flexion.

8. Une œuvre lente mais formidable se poursuit sous nos yeux : la refonte systématique du langage. Elle s’étend : 1o aux ensembles linguistiques d’une part, en constante évolution ; 2o à la création d’une langue internationale ; 3o aux ensembles désignés conventionnels, qui vont en se multipliant, depuis les symboles mathématiques jusqu’à la nomenclature de la chimie.

223.4 Espèces de langues.

1. On distingue les langues de plusieurs manières. 1o d’après le lieu où elles sont parlées (asiatiques, africaines, américaines ou océaniennes) ; 2o d’après leur dérivation en familles dont les principales sont ; a) les langues sémitiques : hébreu, arabe ; b) les langues aryo-européennes : du midi, sanscrites, iraniennes (zend), pélasgiques (grec, latin), celles du nord : celtiques, germaniques, slaves.

2. On a posé cette question : la civilisation a-t-elle tout à gagner à la multiplication de foyers de culture, notamment à la revision des langues et des littératures régionales ? On enseigne aujourd’hui en finlandais à Helsinski, en esthonien à Tallin ; en lithuanien à Kaunas, en letton à Riga, alors que le russe y dominait seul il y a vingt ans. La science et l’unité humaine ne sont elles pas compromises par cette dispersion d’efforts et par cette surabondance de moyens d’expression ? (Th. Ruyssen.)[50]

223.5 Langue littéraire.

Certains écrivains ont inventé quelquefois pour eux-mêmes une syntaxe et une grammaire. On a été amené à poser le principe que le style ne doit pas sortir des traditions normales de l’activité intellectuelle.

(Gonzague True.)

Gustave Flaubert, écrit M. Brunot, avait la tête pleine de l’idée d’un style irréalisable qui « devait être rythmé comme les vers, précis comme le langage des sciences, qui nous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où notre pensée voyagerait sur des surfaces lisses comme lorsqu’on file dans un canot avec bon vent arrière. Forçat du verbe, sentant ton premier jet lâche et même incorrect, il cherche dans une angoisse de chaque jour cette forme que personne n’a jamais possédée, s’acharnant sur une page, raturant, s’interrompant pour se remettre à l’école des grands écrivains de tous les temps, puis se réappliquant à la tâche, toujours inassouvi, toujours rugissant et de son impuissance et de la pauvreté des matériaux que la langue lui fournit ». Il déclamait ses phrases, les écrivait au tableau noir et s’estimait heureux lorsque, après dix heures de travail acharné, il avait écrit soixante lignes dont il était à peu près satisfait.

Ce qui ne peut s’exprimer directement le sera par la voie détournée de la suggestion. Pour un véritable talent la suggestion est beaucoup plus puissante que l’expression directe (par ex. transférer aux choses les qualités des hommes et aux hommes celles des choses.[51])

Des poètes ont analysé les instruments de travail, les modes d’expression favoris, le choix des mots pour leur sonorité, leur valeur plastique, images, symboles, allégories. D’autres ont examiné l’architecture de leur œuvre : l’esprit du poète qui choisit, organise, ralentit ou précipite l’expression poétique.[52]

223.6 Orthographe.

1. L’art d’écrire correctement se disait orthographia, qui en français donne orthographie, ancien synonyme d’orthographe. Ce terme exprime l’art d’écrire les mots d’une langue correctement, c’est-à-dire avec les caractères et les signes consacrés par l’usage.

Le latin, le grec, l’italien, l’espagnol s’écrivent comme ils sont parlés. Il n’en est pas de même du français et de l’anglais.

2. L’orthographe française est fort compliquée et cela pour plusieurs motifs. Il y a l’écriture des mots en eux-mêmes et le rôle qu’ils jouent dans le discours. Au lieu de correspondre à la prononciation comme c’est son rôle naturel, l’orthographe dépend de l’étymologie dont elle s’écarte néanmoins très arbitrairement et très fréquemment ; de l’analogie qui est constamment violée ; de l’usage surtout qui est presque toujours abusif, souvent incertain et contesté. À ces causes de confusion, il convient d’ajouter les vices de l’alphabet français où l’on trouve : 1o le double emploi de c, ç et s, de e, è, ai et ei, de f et ph, de g et j, de s et z, etc. ; 2o le double rôle de h, ch, et. Enfin l’étonnant abus des lettres nulles qui hérissent un nombre immense de mots. À toutes ces difficultés dues à l’orthographe d’usage s’ajoutent celles de l’orthographe de règle. Il y a en français une multitude de règles et une innombrable quantité d’exceptions. C’est avant tout une langue de nuances. Aucune autre peut-être n’a autant de moyens de varier la pensée à l’aide de certains procédés de syntaxe, qui malheureusement sont souvent fort subtils. Écrivains, lexicographes se perdent dans des détails insignifiants et que l’on ne parvient pas à régler d’une manière sûre. Ex. : l’emploi des majuscules, l’usage du tiret, la formation du pluriel dans les mots composés, les règles du participe passé.

Après trois cents années d’existence, l’Académie française a fait paraître récemment sa grammaire toujours retardée. Elle a soulevé une tempête de protestations. L’orthographe est exigée partout mais non toujours obtenue. « Faire des vers sans mettre l’orthographe, a dit le P. Petit, c’est porter un habit brodé sans avoir de chemise ». Napoléon ne connaissait pas l’orthographe, ni avant lui, Henri IV, Louis XIV, le Maréchal de Richelieu.

3. Pour presque toutes les langues, il existe un mouvement réformateur : en français, en anglais, en allemand, en néerlandais, etc. Des ouvrages paraissent en orthographe simplifiée.[53]

4. Depuis le XVIe siècle des efforts nombreux ont été faits en vue d’une réforme de l’orthographe française. Ils ont rencontré de l’opposition.

L’orthographe, disent les opposants, est une forme conventionalisée de l’écriture. Elle a l’avantage de s’imposer aux irrégularités des dialectes et aux changements historiques des sons. Elle lie les forces et les expressions d’une civilisation. Sans orthographe ou avec une orthographe phonétique, Shakespeare et la Bible ancienne seraient des œuvres étrangères pour les Anglais d’aujourd’hui. Le langage littéraire comme lien d’une civilisation et voix d’une nation doit être regardé d’abord comme un langage écrit, bien qu’il ne doive pas rester sans relation avec le parler pour devenir vivant.

Les grammairiens ont donc tenté un effort systématique pour établir un moyen de relation commun et bien authentique entre les communautés à dialectes divers d’une nation.

M. Brunetière a adressé à la réforme deux reproches : elle changerait la « figure » des mots et en altérerait l’« harmonie » et, ce faisant, elle transformerait le français en une sorte de volapük. M. Renard réplique qu’au XVIe et XVIIe siècle l’orthographe avait une autre figure, que dans les éditions d’aujourd’hui on la modernise et que Brunetière lui-même, dans son édition des « Sermons » de Bossuet, n’a pas respecté l’ancienne orthographe.

À la fin du XVIIIe siècle, l’Académie a simplifié en bloc 5.000 mots sur les 10.000 que comptait la langue. Et nul ne protesta.

5. Pour l’anglais, nulle académie n’a la garde de son orthographe. Depuis cinq siècles l’anglais s’est simplifié et perfectionné. Le Dr Murray, éditeur du « New English Dictionary », édité par la Clarendon Press, a fait beaucoup avec ses collègues pour fixer en dernier lieu l’orthographe.

La Spelling Reform Association a fait aux États-Unis le plus grand effort pour simplifier l’orthographe anglaise. Elle poursuit cet idéal : avec 42 caractères différents écrire les 42 sons distincts de l’anglais.[54]

Antérieurement l’Association Phonétique internationale a établi un alphabet pour la notation de toutes les langues. (Voir aussi l’ouvrage Melvil Dewey. Seer Inspirer Doer 1851-1931).

6. Graphisme et phonétisme. — La lutte qui intéresse beaucoup le livre, demeure ouverte entre ceux qui imposent l’orthographe étymologique et ceux qui préconisent l’orthographe phonétique.[55]

C’est la typographie en dernier ressort qui décide de l’orthographe réformée.

Certains pensent que la réforme radicale de l’orthographe française, comme au XVIe siècle, est impossible pour l’Académie. Tous les livres imprimés antérieurement deviendraient du même coup illisibles et le sacrifice serait trop grand.

Les néo-espérantistes déclarent que la langue est faite d’abord pour les yeux ensuite pour l’oreille, et revendiquent le maintien de la forme orthographique des mots. Ils estiment que 90 fois sur 100 le graphisme jouera le grand rôle.

7. Dans les langues autres que le français et l’anglais, la réforme de l’orthographe se poursuit.

Ainsi, l’orthographe serbe a été fixée par Karadjitch au XIXe siècle selon le principe phonétique ; les Croates-Slovènes ont gardé la tradition étymologique, mais Gay, au XIXe siècle aussi, a perfectionné pour eux les caractères latins en y ajoutant les signes jusqu’alors spéciaux au tchèque.

8. Toute insuffisance d’un système réagit toujours sur les autres systèmes. Ainsi on a laissé s’établir l’orthographe au petit bonheur. Phonétique par essence, l’écriture s’est faite étymologique. D’où ces conséquences. a) On a inventer une orthographe phonétique pour la sténographie et la « sténotype » (machine à sténographier) en fait l’emploi. Au dactylo ou au typo à opérer alors le redressement de l’écriture phonétique en écriture orthographique. b) La transformation de la parole énoncée (le son) en un texte lisible (imprimé) est concevable à l’intermédiaire d’appareils électriques, mais rendue impossible par suite de la non concordance entre le son et l’orthographe. Déjà on a réalisé aux États-Unis cette expérience. Un reportage de match de boxe décrit au téléphone à un typo (monotype) qui compose directement à toute vitesse, au clavier, la bande de papier perforée génératrice des textes fondus, générateurs à leur tour de la composition à placer sous les presses.

Est en cause ici toute la lexigraphie. Cette phrase : La documentation internationale au service d’une civilisation mondiale contient quatre mots dont aucun n’était admis par l’Académie française avant 1878. C’est l’idée de là qu’elle fait ainsi aux mots internationale et civilisation ; le mot mondial n’a été admis par l’Académie qu’en 1931 ; le mot documentation demeure exclu du français académique.

223.7 Langues internationales.

1. Le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol sont des langues dites internationales à cause de leur grande diffusion. Le français a été longtemps la langue diplomatique. L’anglais a reçu un traitement égal au français à la Société des Nations. Tous les documents y sont publiés dans les deux langues.

Les ouvrages publiés ou traduits en anglais auront dans une immense population un très grand débit. Ce sera pour les écrivains et les traducteurs un encouragement que ni l’allemand ni le français ne pourront offrir. Le tiers de la population du globe comprendra bientôt l’anglais.

Le nombre de langues de grande circulation a augmenté : l’arabe, le russe, le japonais ont acquis ce même caractère.

2. Langue internationale. — L’homme n’est plus satisfait des langages spontanés que la tradition lui a légués. Il veut rationaliser le langage d’abord dans le sens de l’internationalité, ensuite dans celui de la systématisation logique.

Le langage pensé, parlé ou écrit s’est formé lentement au cours des âges. Il présente ces trois caractéristiques fondamentales : a) il est constitué en unités indépendantes, différenciées et « incompréhensibles » les unes des autres parmi des groupes d’hommes plus ou moins nombreux ; b) il a évolué tantôt en se différenciant, tantôt en s’unifiant suivant que les communautés humaines étaient ou non en rapports fréquents et constants les unes avec les autres ; c) il comprend des données spontanées ou empiriques, inhérentes à l’état des connaissances d’acquisition et d’invention des hommes et des données rationnelles ou susceptibles de raisonnement, d’invention et de discipline volontaire.

Dans l’état de civilisation universelle auquel est arrivé l’Humanité et qu’il importe de voir développer maintenant, une langue universelle est désirable.

Le langage peut naître de trois processus : a) du simple mélange de langues entr’elles. Ainsi il advint largement dans le passé. Mais des siècles, voire des millénaires, paraissent nécessaires, à cet effet ; b) de la prédominance d’une langue existante. Ainsi il advint de certains dialectes dans chaque langue nationale, du grec et du latin dans l’antiquité. Mais les luttes nationales qui s’étendent jusqu’au langage s’opposent à semblable absorption et la civilisation nouvelle devrait être faite d’éléments empruntés à toutes les natures, l’instrument de son expression doit être aussi égale et commune.

Dans le langage comme dans la Documentation, il s’opère une différentiation entre : ce qui est spontané, familier et ordinaire : langage vulgaire ; ce qui est cultivé, imagé, esthétique : langage littéraire ; ce qui est rationnel et précis : langage scientifique. Les trois langages tels qu’ils sont actuellement constitués, se parlent, mais les deux derniers, les littéraire et scientifique, s’écrivent de plus en plus.

Il y a lieu d’élaborer rationnellement et de répandre efficacement un langage universel. De nombreuses tentatives ont été faites depuis trois siècles. Elles ont chacune mis en lumière des éléments précieux, soit en formulant mieux certains desiderata, soit en présentant des solutions de plus en plus adéquates à ceux-ci. En forme finale, on tend vers une élaboration nettement consciente du langage synthétique : une Pasilalie permettant de tout dire internationalement, une Pasigraphie permettant de tout écrire.

Une langue internationale est le complément indiqué d’une civilisation universelle. Les hommes appartenant à une même unité auront à se comprendre les uns les autres. La langue internationale devrait être choisie par un corps qualifié et être enseignée obligatoirement dans les écoles. Il y a un grand nombre de langues internationales, il en naît tous les jours. La plus répandue et la plus populaire est l’esperanto. Des études ont été poursuivies en vue de créer une langue philosophique et scientifique universelle.

Un grand mouvement, s’est produit pour une langue internationale. Au moyen âge et jusque dans les temps modernes, la langue de la Rome, anciennement adoptée par l’Église et consacrée par le Droit (droit romain) était la langue commune de toute l’intellectualité, enseignée dans les écoles. De nos jours l’effort s’est porté sur une langue artificielle dont le vocabulaire soit formé de racines ayant un maximum d’internationalité et dont la grammaire soit simplifiée et régularisée jusqu’à ne comprendre que quelques règles sans exception. L’esperanto est la plus répandue des langues internationales. Né il y a 45 ans, il a pris un grand développement. Il est répandu dans le monde entier et il continue à progresser. Il y a dans chaque pays des congrès nationaux annuels d’espérantistes et une organisation internationale fortement constituée.

On a estimé à environ 125.000 le nombre des espérantistes du monde. Ce nombre comprend beaucoup d’hommes de culture très simple.

Les espérantistes sont répandus dans 100 pays. Ils sont organisés en 1776 associations locales, dont 632 associations professionnelles.

L’esperanto a apporté de nouvelles possibilités à la documentation. a) Livres et documents édités en esperanto et disposant de ce fait d’un rayon de présentations, b) Résumés des ouvrages et des travaux en esperanto, c) Bibliographie dont les rubriques et les titres soient traduits en esperanto et combinés avec la classification décimale.[56]

3. Les applications de l’esperanto se font nombreuses. Des revues polonaises, lithuaniennes, japonaises donnent des résumés en espéranto. Les actes de la Conférence internationale « Vrede door Religie » (La Haye, 31 juillet 1928) ont paru en deux versions dans le même volume, hollandaise l’une, espéranto l’autre. Les orateurs avaient parlé chacun en leur langue et ils avaient été traduits immédiatement. Certains s’étaient exprimé, directement en espéranto.

Les applications de l’espéranto à la documentation ont fait l’objet des Travaux du Centra Officejo (Paris) et en particulier ceux de son président, le général Sébert.[57]

4. Dans la lutte pour la langue internationale unique, on a fait valoir les desiderata plus complexes de la langue en sciences, arts et politique. Les uns veulent une langue simple prête à être immédiatement employée. Les autres envisagent la nécessité d’un Institut International interlinguistique qui créerait en collaboration une telle langue.[58]

L’Espéranto et l’Ido sont en compétition, mais l’espéranto a l’organisation de propagande la plus puissante. Deux tendances se disputent au sein de l’espéranto, l’une met la langue nouvelle au service des intérêts et de l’idéologie réformiste et bourgeoise ; l’autre organise le développement et l’application de l’espéranto pour la lutte révolutionnaire.

Des centaines de projets de langue internationale existent et de nombreuses études sur ce sujet, de nombreux projets approfondissent chaque jour le problème.[59]

223.8 Terminologie scientifique spéciale.

La terminologie scientifique est devenue fort spécialisée et difficile à comprendre pour les non initiés. Elle complique la lecture des ouvrages. Le problème d’une terminologie scientifique et universelle est posé. (Voir les considérations présentées au no 122.)

2. Dans la vie courante, on a fréquemment recours à l’usage de noms spéciaux. Ainsi, pour le nom de sociétés commerciales, on exprime Liège-Namur-Luxembourg par Linalux ; la Serma dénomme la « Société d’Électricité de la Région de Malmédy ». Il est aussi des familles de sigles : le « Syndicat d’études et d’entreprises au Congo » se dit Synkin, mais il est en relation avec Symaf qui a elle même pour filiales régionales Symor, Symetame et Syluma. Des noms sont aussi empruntés à des qualités. La soie artificielle à l’acétate de cellulose se dit Setilose ; Çalin pour cela lint ; Durobor, nom de la Cie internationale de Gobeleterie inébréchable (dur au bord).

3. La nomenclature ancienne est une cause de confusion. Que de temps gagné si l’on pouvait réformer la nomenclature. Quoi, par exemple, de plus simple à faire comprendre que la détermination de la position géographique par la longitude et la latitude. Et pourtant les complications s’accumulent à raison des termes employés et des conventions qui manquent de simplicité. Méridien alors que longitude signifie la même chose. Division du cercle en degrés et non décimalement. Expression de la mesure du méridien en lieues et non en kilomètres. Répartition de degrés de latitude en deux séries de 90° et de ceux de longitude en deux séries de 180°, au lieu d’avoir une notation unique de 0 à 360° qui supprimerait les déterminations subséquentes des degrés en N. S. E. O., ce qui embrouille les esprits.

4. Leibnitz dans sa Characteristic Universalis imagina, pour exprimer toute idée, un symbolisme semblable à celui de l’algèbre. Ce symbolisme a été réalisé dans les temps modernes par Boole, Peano, Whitehead, Russel, etc.

223.9 Divers.
223.91 Traductions.

1. Les ouvrages donnent lieu éventuellement à des traductions en plusieurs langues. Ann Vickers, le nouveau roman de Sinclair Lewis, l’auteur de Babbitt, a été publié simultanément le même jour en 17 langues.

2. La Commission de Coopération intellectuelle a demandé que soit signalé, pour être traduit en plusieurs langues, le meilleur livre de chaque pays. Elle a aussi fait procéder à un « Index Traductionum ».

3. Les éditions polyglottes combinent plusieurs langues en un même ouvrage. La Bible polyglotte de Plantin est un exemple typique. On a publié des œuvres classiques de traduction en deux colonnes intralinéaires ou infra-marginales.

Pendant la guerre, Rizoff, Ministre de Bulgarie à Berlin, a publié un ouvrage en quatre langues juxtaposées, traitant des frontières historiques de la Bulgarie.

4. Les traductions d’ouvrages scientifiques sont souvent des adaptations à un nouveau public, elles sont ainsi mises à jour de recherches récentes.

223.92 Signalisation.

La signalisation est une forme de langage, mais qui s’exprime à l’aide d’instruments matériels. Les signes sont à l’état de repos ou de mouvement. Par ex. : la signalisation des routes, des chemins de fer, de la navigation, des langues. La signalisation des contrebandiers entr’eux. Les signaux sont optiques ou acoustiques ou tous deux à la fois : les uns et les autres peuvent être fixes ou mobiles.

On a établi des signalisations à tort et à travers. Nous sommes entourés de signaux. C’est la tour de Babel de la signalisation. Une standardisation, une corrélation s’impose : Une Signalisation Universelle.

223.93 Corrélations de la langue.

La langue a de nombreuses corrélations. Dans un cours récent à la Sorbonne reproduit sous le titre de « L’Homo Loquens » (Annales de l’Université de Paris, mai 1931. p. 218-233). M. Léon Brunschwig a donné une belle synthèse des conceptions à travers l’histoire du langage, de ses rapports avec la pensée et avec la logique, et incidemment avec la classification.

224 Éléments intellectuels. Les formes d’exposés.

224.0 Vue d’ensemble.

1. Les éléments intellectuels, ce sont les idées (conceptions, sentiments, activités, imaginations), ce sont les formes dans lesquelles s’expriment les idées (exposés scientifiques et didactiques d’une part, exposés littéraires et artistiques d’autre part). Le domaine des Sciences et de l’Enseignement a été et vraisemblablement ira en s’étendant immensément, celui des Lettres et des Arts aussi. En même temps la corrélation deviendra de plus en plus étroite entre la pensée et son expression. Le Livre écrit a rendu possible la concentration d’esprit nécessaire pour produire des œuvres approfondies, équilibrées, riches de substance et impeccables de forme. La mémoire du créateur livrée à elle-même n’aurait jamais pu atteindre ce résultat ; la pensée est si subtile, si fugitive qu’il faut savoir la fixer. L’ère des improvisations des premiers poètes est bien close. Mais qu’on songe à ce que l’algorithme, pur système de signes et de symboles, a été pour les mathématiques et on concevra l’importance de ces formes bibliographiques et documentaires. De plus en plus précises, mieux enchaînées les unes aux autres, elles se présenteront comme des moules tout préparés pour recevoir la pensée, pour l’exprimer avec un maximum de force, de clarté et par conséquent d’efficience. Ces formes, ces moules, seront le résultat de l’effort collectif, additionné et progressant. Joints à la préoccupation de mieux classer les idées, de diviser les textes pour faire davantage ressortir le classement et les rapports, ils feront de plus en plus, du livre, un langage supérieur entièrement réfléchi, se superposant au langage normal des relations usuelles qui, lui, est tout spontané. Un tel langage sera l’instrument adéquat à l’édification des immenses architectures d’idées que constitueront de plus en plus nos Sciences, nos Enseignements, nos Lettres et nos Arts, partis, eux aussi, du savoir et du faire primitif pour s’élever jusqu’à l’intelligence et l’action raisonnées.

Ainsi entrevu, le Livre devient le moyen d’élaboration de la pensée humaine, la concrétion de cette pensée à ses degrés les plus élevés. La Bibliologie ne se borne plus à être technologique. Elle devient, on l’a vu, psychologique, pédagogique, sociologique.

2. Dans la présentation du sujet ici, il y a lieu de distinguer les questions suivantes : a) les règles de la composition littéraire en général, le terme littéraire s’étendant ici à tout ce qui est lettre ou écrit, donc à la science et à la technique non moins qu’à la littérature. La composition littéraire est dite aussi Rhétorique ; b) le style en général ; c) les divers types d’exposés ; d) les diverses espèces d’ouvrages ou formes de livre ; e) l’ensemble de livres qu’on peut distinguer en scientifiques d’une part et littéraires d’autre part.[60]

3. La forme d’un livre est très différente selon qu’il s’agit d’une œuvre littéraire ou d’une œuvre scientifique. Fantaisie et imagination dans un cas ; rigueur scientifique et rationalisation dans l’autre. Cependant les formes d’exposés, qu’elles soient littéraires ou scientifiques, ont de commun de nombreux éléments qu’il convient d’examiner ensemble.

4. Les formes représentent les diverses structures bibliologiques en lesquelles les matériaux sont ordonnés. Les formes peuvent être considérées en leur état simple, « élémentaire », fondamentales : elles sont alors des parties ou des aspects des ouvrages. Elles peuvent aussi, en se combinant, constituer la forme des ouvrages eux-mêmes en leur totalité et comme telles être définies les « formes des formes ».(Pour l’énumération et le détail des diverses formes, on se référera à la Classification décimale. Tables des subdivisions communes de formes.)

5. La forme du livre n’est pas arbitraire. Elle est largement commandée par des besoins, voire par des buts à atteindre. Mais, comme il arrive presque toujours, ce sont des besoins très limités immédiats qui ont commandé toute cette évolution. Ces besoins on peut les définir ainsi : 1o enregistrer complètement et facilement ; 2o faire retrouver aisément le document ; 3o faire lire rapidement.

La forme du livre est le résultat de l’œuvre collective comme le contenu même. Quand on étudie le livre point par point, élément par élément, forme par forme, on constate l’immense et le séculaire effort qu’il a fallu pour créer ce qui aujourd’hui nous paraît si simple que nous ne saurions guère l’imaginer autrement. Aussi ne pouvons-nous deviner tout ce que l’avenir nous réserve encore dans ce domaine des formes du livre.

6. La forme du livre est distincte de sa substance, les données qu’il contient sont relativement indépendantes. Des données de différentes sources (différents auteurs, différents pays) peuvent être comparables au point de vue de la forme, car elles se rapportent à un même objet, au même temps, et parce qu’elles sont exprimées de la même manière. Malgré cela, ces différentes données peuvent fort bien n’être pas comparables, relativement au fond, certaines étant le fruit d’une observation consciencieuse, d’un raisonnement logique, et d’autres au contraire résultant de la fantaisie et de l’invention de toutes pièces. Ce serait commettre une erreur de les amalgamer, comparer, additionner.

7. Deux problèmes sont à traiter séparément : celui des méthodes et de l’organisation de la recherche scientifique ; celui des méthodes et de l’organisation de l’expression donnée aux résultats de cette recherche (livre, documentation). Ce dernier problème consiste notamment à examiner quelles sont les qualités de forme requises pour que les données scientifiques, après avoir figuré dans des documents particuliers, puissent être réunis dans des livres généraux (Encyclopédie universelle). Ainsi les données peuvent se rapporter les unes à un objet, à un fait, à un phénomène déterminé, les autres à un groupe de faits, d’objets ; les unes étant exprimées en telles unités de mesure, les autres non, etc. Elles peuvent être rédigées de telle sorte que la juxtaposition des textes, leur confrontation, leur addition sont impossibles. En combinant ces différentes données, on commet de nouveau une erreur et même en certain cas la diversité de forme est si apparente, si vivante, qu’il devient absurde de vouloir tenter un rapprochement, grouper le tout en une même colonne, un même tableau.

On voit donc que les exigences de forme et de fond sont différentes et peuvent être étudiées séparément. Les exigences de forme sous un certain aspect sont même plus essentielles que les autres chaque fois qu’il s’agit de coordonner des travaux très étendus comme le sont les travaux internationaux et ceux qui portent simultanément sur les domaines de plusieurs sciences ou branches d’activité.[61]

8. Jusque récemment le livre était synthétique : de vaste ensemble historique descriptif, instructif ou sentimental ou lyrique. Ainsi les épopées, les gros livres religieux. Puis il est devenu analytique, pour tendre à redevenir à la synthèse rationnelle.

9. Deux états d’esprit sont en présence : les uns sont en faveur d’une véritable fixation de l’exposé, dans des grandes lignes tout au moins, et susceptible d’être exprimé en des principes et des normes. Les autres redoutent cette fixation et proclament la liberté.

La Bruyère disait : « Entre toutes les expressions de la pensée, il y en a une qui est la meilleure ». Lors de la lutte des Classiques contre les Romantiques, il s’est trouvé un académicien pour dire que les genres en nombre et en texture étaient déterminés d’une manière immuable. Mais l’immuabilité des formes n’existe pas et leur systématisation à outrance ne va pas sans inconvénient. Les formes d’exposé ont des moments. Quand elles sont créées elles aident puissamment à l’ordre dans les idées ; plus tard elles deviennent tyranniques et compriment souvent la pensée.

Il faut donc proclamer le droit à la libre recherche dans tous sens. (Pareto.)

Le positivisme ayant été préoccupé de liaison et de coordination de faits et de données intellectuelles a constitué un grand embarras au libre mouvement des diverses sciences. (de Ruggiero.)

On possède d’ailleurs des exposés scientifiques qui ne refondent pas systématiquement la science mais qui touchent à toutes ses parties pour les rénover et les conduire dans des voies nouvelles. Ex. : L’œuvre de Poincaré.

Les écrits sont de diverses sortes, comme les pensées : celles qui s’efforcent d’être objectives, impersonnelles (scientifiques) ; et celles qui visent à condamner (plaidoyers) ; ceux qui cherchent à amuser (œuvres littéraires). Que de discours, d’articles de journaux, de brochures de propagande, qui consistent à travestir les choses, en passant sous silence, en exagérant, en mettant à une place inexacte, en inventant, en niant.

224.1 Technique de la Composition littéraire. Rhétorique.

1. Notion. — La rhétorique est la théorie de l’éloquence, celle-ci définit l’art de persuader. Elle recherche l’essence de l’éloquence et résout en formules, en préceptes ce qui, dans un beau discours, paraît être l’instinct du génie. Ainsi la rhétorique procède expérimentalement. Elle a été faite d’après les chefs d’œuvre oratoires comme la Poétique d’après les épopées et les tragédies. Elle prend place entre la Grammaire et la Logique et doit se souder naturellement à la Documentation.

La Rhétorique peut être conçue en grande partie comme une science rationnelle en voie de constant développement et perfectionnement. Car les chefs-d’œuvre ou exemples dont elle se déduit sont eux-mêmes issus d’une série d’opérations logiques et naturelles de l’esprit humain. La Rhétorique recherche cette suite d’opérations, l’analyse, se rend compte de leur valeur, la traduit en formule.

Toutes les œuvres de l’esprit s’accomplissent par trois opérations : 1o la recherche des idées (dite aussi invention) ; 2o l’ordre dans lequel elles doivent se produire (dite aussi disposition) ; 3o l’expression (dite aussi l’élocution). Bien que distinctes, ces trois opérations dépendent pourtant étroitement l’une de l’autre.

« En effet, si l’esprit a réuni avec soin tous les éléments qui doivent entrer dans le corps de l’ouvrage, s’il a déterminé par un examen approfondi leur existence relative et leur rapport de génération, ces éléments s’uniront en vertu de leurs affinités réelles et trouveront d’eux-mêmes leur enchaînement naturel ; de plus, par une conséquence rigoureuse, l’intelligence maîtresse des matériaux de l’œuvre qu’elle médite, assurée de l’ordre dans lequel ils doivent se disposer, les produire au dehors avec une expression puissante et colorée qui reflétera ses clartés intérieures et l’animera de sa chaleur. »[62]

2. Historique. — Aristote, dégageant la rhétorique de toutes les subtilités scolastiques, l’a fondée non sur des artifices mais sur des principes universels ; il l’a définie, l’art de parler de manière à convaincre, ou la dialectique des vraisemblances et il lui a donné pour base le raisonnement. Son but est d’enseigner que la langue de l’orateur n’est autre que celle du raisonnement et que le meilleur style est celui qui vous apprend le plus de choses et qui nous les apprend le mieux.

Qu’on se représente ce que fut la rhétorique pour les anciens et pour les humanistes. Presque une science encyclopédique. Il fallait un effort pour distinguer le fond de la forme. (Cicéron, De Oratore I, IV, 17).

Est enim eit scientia comprehendenda rerum plurimarum, sine qua verborum volubilitas inanis atque irridenda est ; ipsa oratio conformanda non solum electione sed etiam constructione verborum ; et omnes animorum motus, quos hominum generia natura tribuit, penitus pernoscendi, quod omnis vis ratio que dicendi in earum qui audiunt mentibus at sedandis ant excitandis exprominenda est.

Un humaniste comme Montanus, par exemple, doit préciser que la rhétorique n’est qu’une adéquation et un ordonnancement des moyens aux fins qui permet d’obtenir des formes expressives amples, tout en exigeant « un solide bagage idéal, émotionnel et volitif, doit reconnaître la distance qui sépare les disciplines scientifiques de l’art de la parole ».

3. Traités. Les traités de rhétorique sont nombreux. Ceux des grecs, dont le principal est celui d’Aristote, ceux des latins anciens dont celui de Cicéron, ceux de la Renaissance dont celui d’Érasme, ceux du XIXe siècle dont les traités de V. Leclerq, Gérusez, D. Ordinaire, Édouard Laboulaye.[63]

Le professeur des lettres part d’un texte qui est une réalité complexe, et le fait analyser aux points de vue grammatical, logique, intellectuel, esthétique ; il fait trouver par les élèves des lois ou règles correspondant à ses diverses particularités ; il en fait faire des applications variées.[64]

De la méthode littéraire : journal d’un professeur dans une classe de première (746 p. couronné par l’Académie, 6e édition). Ce livre n’est ni un manuel ni un recueil. C’est une sorte de cinématographe où le lecteur peut voir et entendre travailler ensemble le professeur et ses élèves : préparation des devoirs, correction, explication, commentaires. C’est l’art de travailler, la méthode, le savoir faire.

4. Rhétorique ancienne et technique moderne de la composition littéraire. — La rhétorique, telle que l’enseignaient les anciens, comprenait les éléments les plus variés, elle déterminait à la fois les lois de la composition et les lois du style ; elle confinait à la logique par l’étude de la dialectique et du raisonnement, à la mimique par celle du geste et de la diction, mais en général tout cela n’était que pure forme. Elle enseignait la meilleure manière d’habiller les idées sans fournir une idée, en donnant au contraire le moyen de suppléer par toutes sortes d’artifices au manque d’idée. Elle pouvait faire fleurir une éloquence toute en surface, mettre de l’ordre et de la méthode dans des riens, exposer intarissablement des choses qui ne valent pas la peine d’être dites.

Exorde, exposition, prévision, preuves, réfutation, récapitulation, péroraison, c’était toute la rhétorique et l’on n’en sortait pas. En réalité toutes ces parties se retrouvent dans les discours spontanés, les moins étudiés. Mais la rhétorique ancienne consistait précisément à les dissimuler à recouvrir le squelette de muscles et de peau.

Mais voici que depuis l’antiquité la science a fait son œuvre. C’est elle toute entière qui correspond à la partie invention ; et pour une partie c’est la mathématique moderne qui offre la forme d’énonciation la plus avancée. Il n’en demeure pas moins que l’idée de rationaliser le discours comme la langue, comme la pensée, fut une pensée géniale des Grecs et qu’en possession des moyens nouveaux dont nous disposons, nous avons à reprendre cette œuvre en l’élargissant. C’est notamment une des tâches de la Documentologie.

224.2 Le style.

1. Le style est un résultat. — C’est l’homme, a dit Buffon ; c’est aussi l’époque ; c’est la matière traitée. — Impondérable, indéfinissable, parce que tout en tenant dans la réalité, il exprime à sa manière ce lien de toutes les choses, suivant qu’explicitement ou tacitement, en termes déployés ou par ellipse et syncope, l’écrivain tend à faire éprouver l’unité concrète et synthétique du champ traité.

Le style, dit Covturat, c’est l’ordre que l’on met dans l’expression de la pensée. C’est aussi le fait d’exposer les notions avec clarté en les classant, en dépit de l’énorme fourmillement d’idées qui jaillit dans l’esprit de qui écrit. Le style est la forme d’exposé, ou plus exactement, chacune de ses formes a son style.

2. Il y a diverses espèces de style : le style simple, le style tempéré, le style sublime. L’aristocratie de France, berceau de la langue française, s’imagina de hiérarchiser son vocabulaire, comme elle hiérarchisait le peuple de France lui-même. Il y eut des mots nobles, des mots bourgeois, des mots roturiers, d’autres frappés d’interdit, comme le nom de certaines parties du corps humain.

En Chine, il y a sept espèces de style : antique, littéraire, fleuri ou mondain, commun, demi-vulgaire, familier et épistolaire.

3. Chez les moralistes, particulièrement chez les moralistes français, l’observation des choses se condense en une maxime, une réflexion, une pensée. (Pascal, Vauvenargues.)

Parlant de Taine, Bréder et Hasard (Histoire de la Littérature française illustrée. § II, p. 240), s’expriment ainsi : « La solidité de la pensée, la logique lumineuse du développement se réflètent dans son style avec une limpidité absolue ; il n’est pas jusqu’à l’aspect typographique qui ne témoigne dès les premiers regards de cette rigoureuse ordonnance : le petit tiret s’ajoutait aux points et aux virgules pour séparer le théorème initial, puis les différentes parties de la démonstration, puis la conclusion ; toutes les cases tracées dans le domaine d’un chapitre se trouvent remplies également et l’on continue à voir se dessiner ces cases même pleines. »

Anatole France demande le « sarclage » de la page écrite, il veut que l’on arrache le chiendent des que, qui, qu’on, dont, que soient bannis le point, la virgule, le tiret. On écrit, ajoute-t-il, selon son rythme et le format usuel de son papier. Il faut écourter les épithètes, supprimer la « potinière », se garder de l’ampoule, du pathos. « Rien n’est aisé comme de tonner, de détonner et d’étonner. » « Une pièce qui serait applaudie à chaque vers tiendrait le spectateur vissé toute la nuit sur son strapontin. »

Former des phrases organiques ayant un axe autour duquel tourne et s’ordonne la pensée, avec un rythme, un nombre, une harmonie, tout ce qu’un style soutenu suppose de réflexions, des richesses intimes de forte éducation classique, de capacité de synthèse, d’ordre enfin.

Remy.

Chaque auteur a son dictionnaire et sa manière ; il s’affectionne à des mots d’un certain son, d’une certaine couleur, d’une certaine forme et à des tournures de style, à des coupes de phrases où l’on reconnaît sa main.

J. Joubert.

Sujet, verbe, régime direct ou indirect, les inversions, les figures de rhétorique, quelques images, la phrase était linéaire : elle devient volumétrique, elle se monte étroitement sur l’objet tel qu’il est rêvé par l’émotion et de manière qu’il apparaisse dans sa racine et dans sa fleur, dans l’instant et dans la durée. (Delhorbe sur Ramuz.)

Amplifions, disons qu’elle devient dynamique.

Pour bien écrire, il faut trois qualités :

a) la correction (non barbare) éviter barbarisme, solécisme, gallicisme ;

b) la clarté (non obscure) propriétés des termes et simplicité naturelle de la construction ;

c) l’élégance (ni plat, ni vulgaire) : élégance, de eligere, consiste à choisir des mots, des locutions et une construction de phrase qui rendent la pensée avec plus de grâce ou de force.

4. De nos jours les poètes se sont exclus eux-mêmes de la foule en grand nombre. Ils ont voulu raffluer, quintessencier, suggérer et non émouvoir, cérébraliser et faire de leur art une science intellectualiste et non un sacerdoce sensible. D’où sont nés souvent l’obscurcisme, l’hermétisme, l’incohérence. Les poètes sont devenus étrangers à la masse, parlant une langue incompréhensible au service de pensée et bien souvent puérilement vide. Mais en raffinant, ils ont atteint aussi des formes supérieures d’expression de la pensée et il faut savoir gré de leur effort.

5. Le style télégraphique des nouvelles de Presse habitue les esprits à la concision dans la clarté. La Presse de tout pays en cette dernière année s’est vue obligée de présenter en de courts cablogrammes les données très complexes des grandes négociations politiques et économiques. Il y a eu là un autre effort trop méconnu.

6. Le style peut être élevé tout en restant accessible : qualité rare. Les Français ne croient pas qu’il y ait matière si difficile qui ne puisse être présentée au public dans une forme facile, familière et courante. La clarté française.

224.3 L’Exposition, les Exposés.

1. Notions. — Tout document est un exposé de données, faits et idées. Cet exposé est plus ou moins bien ordonné, clairement formulé, fortement stylé. Le progrès est toujours possible dans une présentation plus lucide, une coordination plus exacte, un équilibre plus harmonieux des données doctrinales. Il l’est aussi dans une description plus adéquate des éléments.

« Il y a des gens, dit Pascal, qui voudraient qu’un auteur ne parlât jamais de choses dont les autres ont parlé ; autrement on l’accuse de ne rien dire de nouveau. Mais si les matières qu’il traite ne sont pas nouvelles, la disposition en est nouvelle. Quand on joue à la paume, c’est une même balle dont jouent l’un et l’autre ; mais l’un la place mieux. J’aimerais autant qu’on l’accusât de se servir de mots anciens : comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours, par une disposition différente ; aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par de différentes dispositions.

2. Des genres d’œuvres. — Il y a trois grands genres d’œuvres : a) le genre didactique, où l’on se contente d’exposer les principes des arts et des sciences ; b) le genre philosophique, où on démontre ces principes ; c) la critique où on en fait l’application aux arts et aux ouvrages existants.

a) Genre didactique. — On appelle didactique, tout ouvrage qui a pour objet principal et essentiel d’instruire. Le terme indique les compositions où l’on se borne à enseigner les principes des arts et des sciences à ceux qui sont censés les ignorer. Les qualités sont l’exactitude et la concision.

b) Genre philosophique. — On appelle philosophique tout ouvrage qui tend à exposer et à démontrer les principes des sciences. Toute démonstration logique consiste à déduire une ou plusieurs conclusions certaines d’une vérité connue (syllogisme, enthymème, dilemme). Dans toute démonstration il s’agit avant tout de poser nettement l’état de la question, c’est-à-dire de faire connaître ce que l’on suppose certain et ce que l’on prétend démontrer. Cet exposé doit se faire d’une manière rigoureuse et par des définitions logiques. Bien établir la question et ne jamais s’en écarter, définir exactement les termes et leur conserver partout la même acceptation : telle est la première règle de toute discussion.

Une œuvre philosophique doit présenter un raisonnement suivi et complet. L’ensemble ou du moins chaque partie instable de l’ouvrage peut se résumer en un syllogisme général dont la conclusion forme la proposition de cette partie, et dont les prémisses sont développées et prouvées à leur tour par d’autres syllogismes qui se subordonnent et s’enchaînent les uns aux autres jusqu’à la démonstration complète. La démonstration d’une de ces prémisses, pour être claire et distincte, exige souvent qu’on l’entreprenne par parties, c’est-à-dire qu’on établisse des divisions : c’est particulièrement dans ce cas que la forme sèche et nue du raisonnement peut ou doit apparaître en tête de l’ouvrage, afin de projeter sa lumineuse clarté jusque dans les profondeurs les plus reculées du raisonnement. Une logique rigoureuse doit lier toutes les parties d’un ouvrage et dessiner clairement les divisions. Établies sur ce principe, les divisions seront aisément complètes sans rentrer les unes dans les autres, exactes sans excéder les limites du sujet. Ces limites sont déterminées par la proportion générale de l’ouvrage.

(R. P. Broeckaert.)

Il y a deux méthodes de démonstration. a) La méthode synthétique : elle suppose de la part de celui qui écrit une connaissance préalablement complète du sujet où il n’a plus rien à se démontrer à lui-même, rien à rechercher. Ce qu’il possède, il le compose (sun, tithêmi), en fait un édifice régulier où l’idée simple et générale forme la base, où ensuite l’idée particulière et concrète forme les détails et les accessoires. b) La méthode analytique (ana-luo) est le procédé de celui qui est à la recherche de la vérité : il faut qu’il décompose (analyse) son sujet, qu’il en détaille les objets particuliers, qu’il les examine et les rapporte les uns aux autres, qu’il en déduise enfin l’idée simple, générale, abstraite. Le principe ainsi trouvé par l’analyse devient la base de la synthèse.

c) Genre critique. — On appelle critique l’œuvre qui tend à juger une autre œuvre et à examiner comment elle répond ou non à des principes posés en critères (Voir no 274.)

L’exposé peut être 1o une présentation des faits, 2o un jugement des faits. 3o une défense ou une attaque.

La documentation peut revêtir la forme objective, commentée et à dialectique serrée ou la forme pamphlétaire adoptée par les critiques d’un état de chose donné ou par les protagonistes des innovations.

3. Degrés divers dans l’exposé. — L’exposé d’une même question, notion, science, peut être fait selon des degrés divers.

a) Le premier ordre de degré est relatif à la longueur de l’exposé. Celui-ci, au point de vue idéologique, est proportionnel au caractère général ou détaillé de l’idée ; au point de vue littéraire, il dépend du caractère implicite ou explicite, délayé ou concis de l’expression ; au point de vue documentaire, il dépend de l’extension matérielle du document.

b) Le deuxième ordre de degré est relatif à l’état mental de ceux auxquels s’adresse le document (âge, formation scolaire, classe souche, spécialiste). On distingue ici les degrés préparatoire, élémentaire, moyen, supérieur, spécial. (Voir no 155.)

Dans un travail déterminé, il faut savoir se limiter.

Il faut distinguer l’exposé complet (traité, encyclopédie) de l’exposé particulier (ouvrage, article).

Un exposé complet n’est pas toujours nécessaire ni désirable.

Un exposé particulier a un but, une occasion. Place doit lui être faite à côté de l’exposé complet.

En remontant jusqu’à la source, il y a lieu de se demander ce qu’il faut documentaliser. On répondra : tout ce qui a trait aux questions dont l’ensemble constitue la structure de la science envisagée, ou tous les faits importants, noyés aux yeux d’un témoin non prévenu dans la masse des faits accessoires.

En principe cependant, un livre scientifique doit être complet (complétude). Même un livre ayant en vue les études premières, celles dont tout le reste découle, doit comprendre à la fois l’exposition des éléments et celle des théories qui s’en dégagent. D’ailleurs la définition entre les uns et les autres est souvent similaire.

Il semble aussi qu’il faille distinguer trois sortes d’esprit auxquels correspondent trois sortes d’ouvrages : a) pour les analystes, spécialistes, la monographie descriptive ; b) pour les systématiques, universalistes, le traité ; c) pour les synthétistes, théoriciens, l’exposé théorique.

La matière est présentée dans trois espèces d’exposé :

1o Exposé littéraire : pittoresque, narratif, successif, simultané (impressions esthétiques et appels au sentiment).

2o Exposé personnel : visant un lecteur ou une catégorie de lecteurs (ad hominen), ne traitant pas ce qu’on sait qu’ils connaissent déjà. La lettre est le type de ces exposés.

3o Exposé systématique : objectif, didactique, la matière présentée pour elle-même et complètement, sans égard à la catégorie de lecteurs ni à l’impression esthétique.

À un autre point de vue, il y a deux grandes catégories d’écrits. Les écrits destinés à faire avancer la science (contenant des faits scientifiques nouveaux). Les écrits destinés à vulgariser et répandre la science. Parallèles à la publication dite scientifique.

Il y a lieu de laisser l’érudition à la portée de ceux qui ont le désir de savoir, le désir de s’instruire, qui ont le goût de la nature, de l’art, des choses vraies, utiles ou belles.

En général, la vulgarisation scientifique est impossible pour qui ne participe pas lui-même à l’édification de la science. Il importe de porter d’emblée au cœur des problèmes soulevés et de présenter l’explication nette exigeant du lecteur l’effort qu’on est en droit d’attendre de lui. « Autrement, il n’y a que délayage de l’ensemble des vérités acquises à l’état de douceur mielleuse ».

(Edgard Heuchamp.)

Le Scientific American a ouvert un concours destiné à récompenser l’auteur qui saura le mieux, en moins de 3,000 mots anglais, exposer d’une manière claire et non technique la théorie d’Einstein. L’Illustration (Paris), à son tour, a publié un exposé complet sans un seul mot technique, dû à M. Charles Nordmann (28 mai 1921).

c) Le troisième ordre de degré se rapporte à la complexité des données : a) manière d’incorporer dans une rédaction un fait ou une idée simple ; b) manière de combiner un nombre de données dans un ensemble : un ouvrage ; c) manière de combiner dans un ensemble divers ouvrages ; d) manière de concevoir la combinaison les uns avec les autres de l’ensemble des ouvrages.

224.4 Le Plan.

Un livre, a dit Taine, est une subordination de rapports généraux à un rapport particulier.

Le Plan est à la base de tout exposé systématique (scientifique, didactique). Il consiste essentiellement en classification et ordre mis dans les idées (voir Classification sous no 412.3). La difficulté provient d’une part de la complexité des sujets traités et de la multiplicité des points de vue sous lesquels ils peuvent être envisagés ; d’autre part de l’entrecroisement constant de ces points de vue. Le plan a pour but d’apporter ordre où il y aurait confusion et enmêle. Toute chose considérée (être, phénomène, événement, question) se présente dans un complexe d’autres choses : corrélation, répercussion, enchaînement de causes et d’effets. Tout document y relatif participe à la même complexité et le plus petit exposé traite de points secondaires en même temps que du point principal. En conséquence on y trouve forcément des données que ne révèle pas son titre, expression du sujet principal, ce qui dans les opérations du classement et de la catalographie entraîne à une pluralité d’indices et de notices.

« Le problème fondamental, dit Bouasse, se pose : Comment distribuer les matériaux ? En série. Le choix des séries est subordonné à la condition de n’introduire les idées que (le plus possible) les unes après les autres, au fur et à mesure des besoins, de manière que le lecteur se familiarise immédiatement avec elles sans risque de les confondre. Le choix des séries est encore subordonné (dans les sciences) à la facilité plus ou moins grande de se représenter matériellement les théories et de les illustrer par des expériences. »

Dans un livre bien construit, on aperçoit le squelette qui forme le support de l’argumentation générale et qui montre son harmonie et sa consistance. C’est tout l’opposé de ce que recommandent les rhétoriciens de masquer le squelette par l’art des transitions insensibles.

Les ouvrages didactiques attachent beaucoup d’importance au « plan d’étude ». On dresse un plan d’avance pour l’étude de chaque objet. (Ex. Alexis, Géographie.)

224.5 Classification ou ordres des Exposés.

1. Les principaux ordres d’exposé sont : 1o l’ordre des matières ; 2o l’ordre géographique ou topographique (distribution dans l’espace) ; 3o l’ordre historique ou chronologique du développement ; 4o l’ordre alphabétique (par exemple les biographies).

Un livre aussi peut être considéré comme une marche : un point de départ et un but vers lequel on progresse.

2. C’est un problème général en documentation que de déterminer les rapports entre les divers ordres de classement : matière, lieu, temps, forme et langue. Chacun de ces ordres constitue en lui-même une succession dont la ratio de la progression lui est propre, et c’est erreur de réduire en fragments cet ordre que d’y introduire, à chaque échelon, les documents d’un autre ordre.

3. L’étude d’un sujet, la préparation et la rédaction d’un ouvrage pourront se permettre avec diverses catégories de formes de document. Par ex. : le texte, les illustrations, les listes bibliographiques, les listes chronologiques, les extraits anthologiques d’ordre littéraire, les notes explicatives détaillant les documents justificatifs (Poésie sur le sujet). On peut établir les données de ces formes différentes en plusieurs séries documentaires distinctes constituées en fiches ou dossiers séparés ; on peut aussi réaliser un exposé unique combinant toutes les formes : l’illustration étant placée en regard ou au milieu du texte, les notes et la bibliographie disposées en notes inframarginales, les citations ou extraits poétiques ou littéraires, les faits chronologiques et les documents insérés à leur place dans le texte lui-même.

L’étudiant et l’auteur, bien avertis des différences scientifiques de ces diverses formes, choisiront celui de ces modes qui leur conviendra, mais ils se souviendront de l’adage latin « Electa una via excluditur altera ». Le choix d’une méthode excluera l’autre.

224.6 Ordres d’exposition.

Il faut distinguer trois ordres d’exposition : 1o l’ordre de démonstration, il peut n’appeler que fort tardivement une notion d’une utilité connue ; 2o l’ordre de découverte, historique dans l’ensemble de l’humanité ou chronologique dans la vie du chercheur ; 3o l’ordre d’initiation ou d’enseignement.

L’ordre d’exposé est bien distinct de l’ordre d’invention. L’auteur qui communique sa pensée ne doit pas forcément obliger le lecteur de refaire avec lui, en ses zigzags, le chemin qu’il a dû lui-même se frayer à travers l’inconnu. Le terrain une fois reconnu par le pionnier, la route pour d’autres peut être directe. L’ordre d’exposé scientifique doit avoir pour objectif l’utilisation des données : celles-ci, en leur existence documentaire, doivent devenir aussi maniables que des instruments dans un cabinet de physique, des matières dans un laboratoire de chimie.

D’autre part, il peut être utile dans l’enseignement d’initier de bonne heure à des notions faciles à comprendre, mais dont la démonstration rigoureuse prend place après une longue suite d’autres démonstrations. Ainsi par exemple, en mathématique, la notion de la fonction pour être bien comprise, peut être placée au frontispice de la science. « L’inconvénient est mince, car s’il peut être agréable pour la satisfaction complète de l’esprit, de posséder ainsi une définition globale et synthétique, nous cherchons en vain qu’elle peut être l’utilité, soit au point de vue de l’enseignement, soit à celui d’une compréhension générale des choses, pour celui qui cherche à acquérir une simple initiation préalable. » (A. Laisant. La mathématique, p. 28.)

On doit pouvoir lire un livre dans un autre ordre que celui des pages, afin de pouvoir comparer. Ainsi, dans un livre d’histoire tout ce qui concerne l’art, ou l’industrie dans un livre d’art, tout ce qui concerne l’art d’un certain siècle ou chez un certain peuple. La notation bibliographique des chapitres contribuera à cela.

Une même matière, pour des buts différents, peut être diversement distribuée et ces ordres se trouvent successivement dans le même ouvrage. Ainsi les programmes, catalogues des universités. On y trouvera la distribution des cours de trois manières : par matière, par professeur et par jour et heure de la semaine.

On devrait pouvoir lire un livre scientifique en le parcourant et en éliminant facilement du regard tout ce qui n’intéresse pas.

« L’utilité des séries artificielles ou transposées n’est pas douteuse. C’est à elle que nous devons nos arts et notre industrie. Dans les recueils scientifiques il est souvent commode d’abandonner l’ordre naturel des faits et des idées et de lui en substituer un autre ; tel est le cas des dictionnaires. » (Proudhon.)

224.7 L’exposition dans la science.

1. Historique. — L’exposition scientifique est la dernière venue dans l’évolution des formes : c’est dans les temps récents qu’elle a commencé à faire concurrence aux formes, à l’antique, oratoire ou sentencieuse, patriotique ou philosophique. L’exposition scientifique est caractérisée par l’objectivité, la simplicité, la clarté, la méthode.

2. Notion. — Exposer un sujet scientifique, c’est le circonscrire (sa place parmi les autres sujets) ; le définir (ce qu’il a de spécifique) ; l’analyser (de quoi il se compose).

3. Fondement. — « La science n’a d’intérêt que par son bloc. Nos explications étant purement verbales (en ce sens que nous sommes capables seulement d’énoncer sous le nom de principe, une proposition qui contient un grand nombre de faits), la science des particuliers devient une pure définition de mots. On ne peut concevoir le rôle de l’explication physique que sur des ensembles. — Suivant que vous commencez l’exposition par tel ou tel bout, le système des explications se transforme complètement. Ce qui était fait d’expérience devient définition de mot ; inversement ce qui était incontestable comme définition de mot devient à démontrer comme fait d’expérience. Nos philosophes sont peu familiers avec ces notions, pour nous élémentaires ; elles ne sont ni dans Aristote ni dans Lachelier. Qu’ils apprennent que, suivant le cas, les mêmes propositions intervertissent leur ordre de préséance ; par suite, que leur certitude (apparente) change de nature. Ils voudront bien se rappeler que l’explication en physique est la comparaison de fait avec les échelons d’un sorite développé d’une manière indépendante. »[65]

4. L’exposé comparable à une architecture d’idées. — La division d’un discours — qui va ainsi de la simple phrase à l’alinéa, au paragraphe, à la section, au chapitre — est d’importance primordiale. Il s’agit de faire comprendre au lecteur l’architecture de l’édifice intellectuel qui lui est proposé : il s’agit aussi de lui permettre de s’intéresser à telle partie et non à telle autre. Il doit pouvoir être distrait sur tel détail mais reprendre intérêt à telle autre partie, sans que le fil soit perdu.

La caractéristique du livre d’être une « architecture d’idées », de données intellectuelles, conduit à prendre en considération l’énorme révolution accomplie de nos jours par l’architecture elle-même. Il est impossible de se désintéresser désormais de l’évolution des concepts architecturaux. La guerre redonnant une faveur nouvelle à l’esprit technique et aux solutions catégoriques, l’architecture se tourna vers les solutions de la science dédaignées jusqu’alors au profit des recherches dites artistiques et qui n’étaient souvent que décoratives, partant parasitaires. Des formes neuves, insoupçonnées sont alors apparues, fruit de la tendance générale vers la civilisation rationnelle, où s’efforce notre génération. L’architecture nouvelle utilise aussi les matériaux nouveaux (pierre, brique, bois, fer, béton, acier, paille comprimée, béton de cendres, verre). Elle vise à l’insonorisation, à l’aération du gros œuvre, à l’utilisation de l’espace. La régularisation de l’architecture et sa tendance à l’urbanisme total aident à mieux comprendre le livre et ses propres desiderata fonctionnels et intégraux.[66]

Tout ce qui dans l’exposé écrit n’est pas ordonné selon la logique produit une distorsion de l’esprit, d’autant plus troublante, pénible, inefficiente, que l’esprit a davantage pris conscience de l’ordre logique.

Les qualités exigées dans les ouvrages scientifiques sont : a) la justesse dans les pensées : elle est le fruit d’une étude sérieuse ; b) la méthode dans le développement : elle consiste surtout à ne pas mêler les objets distincts de l’enseignement dans les sujets un peu compliqués, à établir et à respecter les divisions naturelles ; c) la clarté dans l’expression : elle veut que l’auteur se mette en garde contre les entraînements de l’imagination ; d) le sentiment des proportions, si important dans la composition d’un ouvrage.

5. Analyse de l’exposé. — La forme de l’exposé consiste avant tout dans une disposition des éléments : a) toute phrase peut être ramenée à un type (sujet, adjectif, verbe, adverbe, complément) ; b) tout raisonnement (suite de phrases) a un syllogisme ; c) tout exposé (suite de raisonnements) a un type littéraire ou scientifique ; d) tout livre (suite de tels types) a un type d’architecture livresque.

On a la graduation suivante : la syllabe (phonème), le mot, la phrase simple, complexe (plusieurs proportions), l’alinéa (plusieurs phrases).

À la base de l’ordre des mots dans la phrase, il y a ce qu’on nomme la construction grammaticale. Deux facteurs la déterminent : l’ordre des idées et l’harmonie des sons. Les Hébreux dans leur langue pauvre ont suivi l’ordre des idées, les Grecs et les Latins ont souvent fait sacrifier à l’harmonie des sons la clarté d’un style simple et direct. Le moderne latin et les anglo-saxons font des constructions directes, les germaniques rejettent le verbe à la fin.

6. Formes intellectuelles fondamentales. — On peut dégager les formes intellectuelles suivantes, que les mathématiques ont singulièrement précisées, mais qui sont susceptibles de généralisation à tous les domaines des sciences.

Une théorie forme un enchaînement continu. — Un axiome est une vérité évidente par elle-même. — Une proposition ou théorème est une vérité qui a besoin d’une démonstration pour devenir évidente. — On donne le nom de principe à une ou plusieurs propositions qui se rapportent à une même théorie. — Une hypothèse est une supposition. — Une règle est l’indication de la marche à suivre pour arriver à un résultat désiré. — Un système (ex. en arithmétique, du grec systema, assemblage) est un ensemble de conventions sur un même sujet. Ex. : système métrique, système de numérotation. — Un problème est toute question à résoudre. La résolution d’un problème comprend la solution, (indication des opérations à faire pour arriver au résultat demandé) et le calcul (exécution des opérations indiquées par la solution).

7. Une science. — Toute science a des faits, un objet, un programme ou but, des théories, des méthodes.

On peut rédiger l’exposé dans l’ordre suivant : définition, proposition, prévisions, conséquences, règles, remarques, exercices, problèmes.

« À côté ou au-dessous des travaux d’érudition, il faut à toute science des exposés synthétiques, oraux et écrits. Pour de pareils exposés, les idées générales sont nécessairement au premier plan, les faits au second, alors qu’au contraire, dans l’enseignement érudit, il faut, comme disait Fustel de Coulanges, une année d’analyse pour autoriser une heure de synthèse. »

(Salomon Reinach.)

8. Desiderata. Recommandations. — Les recommandations, suggestions et desiderata suivants sont proposés pour une claire exposition : 1° la pensée sera divisée ; 2° les parties seront reliées les unes aux autres, formant « chaîne », chaque point étant un problème ou un aspect spécial du sujet traité. Parfois ces points sont strictement classés, parfois ils sont réunis par les liens d’un raisonnement bien articulé ; 3° elles seront classées ; 4° exprimées en termes adéquats, précis, concis, vivants ; 5° disposées en divisions numérotées ; 6° chaque division sera rubriquée ; 7° elle sera susceptible de se condenser en une proposition énoncée clairement ; 8° la pensée toute entière pourra donc être liée à un résumé intégral formé de l’ensemble des propositions particulières exprimé dans les divisions du développement ; 9° termes précis, répéter les mêmes mots plutôt qu’un équivalent ; 10° phrase construite simplement, sans inversion, courte ; 11° exposé direct, enchaînement des idées directs sans incidences (dégression) ; 12° système logique de division et subdivision apparaissant bien nettement tout en soignant la rédaction littéraire ; 13° l’illustration, réelle et schématique ; 14° les références d’une partie à l’autre de l’exposé ; 15° présenter éventuellement dans le texte les données générales et renvoyer les notes de toute espèce dans une seconde partie. Quelquefois l’auteur fait un exposé synthétique, à l’occasion d’une polémique, mais renvoie à un appendice les notes où la discussion reprend ses droits. Un savant aux idées synthétiques, après avoir produit beaucoup d’idées particulières, finit par incorporer ses études particulières à un ouvrage général[67] ; 16° indiquer les sources bibliographiques. Au point de vue de l’exposition la méthode scientifique veut des renvois confirmatifs au bas des pages ou à la fin du volume. Indication des sources exactes de l’affirmation produite. La science devient liste, inventaire, tableau numérique. Ex. classification du spectre, des étoiles : catalogue du Harvard College Observatory ; 17° donner des résumés. Il y a l’exposé, le résumé de l’exposé et parfois le résumé du résumé[68] ; 18° établir des tableaux. Les données de la science tendent de plus en plus à être « tabulisées », à prendre la forme de tableaux soit en colonnes correspondant aux caractéristiques ou parties à relever, soit en schémas systématiques.

9. Observations complémentaires.

a) La méthode scientifique (en écrivant), dit de Candolle, consiste à donner sur chaque question d’abord les faits, ensuite le raisonnement, enfin les conclusions, sans dissimuler au lecteur ce qui paraît obscur ou incertain, mais le grand public n’aime pas cette méthode. Il veut qu’on débite d’une manière hardie, en posant certains faits ou certains principes comme démontrés et qu’après on l’intéresse par le développement de détails et de conséquences.

b) On est amené à rechercher maintenant un procédé pour rendre apparente la structure du livre que cachaient les auteurs anciens et pour qui le livre passe comme le bâtiment à la phase ; la vérité des matériaux apparents. — Montrer la structure par le dessin du plan (développement synoptique, décimalisation et rubricage). Idée mère ou proposition, preuve, notes, bibliographie ; textes différents d’après la nature des matériaux.

c) L’art d’exposer doit s’inspirer de l’art d’enseigner et des progrès qu’il a réalisés. Inversement l’art d’enseigner doit faire une place capitale à l’art d’exposer.

« Avec des procédés d’enseignement plus expéditifs, une sévère économie d’efforts stériles, on apprendrait le grec en trois ans et le latin en deux. En érudition comme en pédagogie, la solution du problème est identique : il faut perfectionner l’outillage de la transmission du savoir, accroître le rendement sans exagérer l’effort, augmenter le travail utile par la suppression des frottements qui le gaspillent. L’esprit humain qui est la plus souple des machines, se prête admirablement à des transformations de méthodes quand il est entre les mains d’ingénieurs qui connaissent ses aptitudes et ses résistances. Le jour où la pédagogie, qui n’est encore qu’un art, sera devenue une science positive, le problème de la surcharge des programmes n’alarmera plus que les timides et les indolents. »

Boissacq, citant Salomon Reinach.

d) L’exposé par l’image. Il y a une méthodologie de l’exposé par l’image.

e) On peut aussi développer le sujet de la manière suivante : 1° de simples points énumérés, bien distincts, sans lien dans la rédaction mais avec connexité implicite ; 2° des informations sans préoccupation d’ordre (type dictionnaire et encyclopédie) ; 3° un raisonnement selon un des modes typiques (syllogisme, dilemme, sorite, etc.) ; 4° la systématisation-classification rigoureuse.

f) Il y a des manières diverses de traiter un même sujet : a) des parties ou l’ensemble ; b) sommairement ou en détail ; c) sous un angle étroit ou un angle large ; d) toutes choses présentées au même rang ou en mettant en évidence le fait le plus saillant ; e) selon un ordre strict de classement (matière, temps, lieu, etc.) ou un ordre dispersé ; f) les données présentées simplement et sèchement en elles-mêmes, ou se détachant sur un arrière-fond d’interprétation, de comparaison, d’idées générales destinées à les faire ressortir et à montrer leurs connexions.

g) Autres recommandations : 1. Examiner tous les problèmes que pose ou peut poser le sujet considéré. 2. Développement sur les à-côtés de ces problèmes. L’étayer d’une documentation abondante, choisie, classée, expliquée. 3. Présentation méthodique des divers cas d’espèce. 4. Pour chaque question faire un résumé historique, puis indiquer les opinions des auteurs, conclure par son opinion propre.

10. L’exposé dans les diverses sciences. — Chaque science a non seulement sa terminologie propre, mais des méthodes rigoureuses d’exposition et dialectique. Il s’agit de ne pas faire disparaître l’énoncé des faits et de propagation essentielle, dans les parties de considérations enchevêtrées sans ordre.

a) Philosophie. Il est des œuvres d’un caractère géométrique dont les parties sont tellement liées entr’elles qu’elles se refusent à toute analyse, qu’elles tomberaient en poussière aussitôt qu’on veut les disséquer, membre à membre, articulation à articulation. Ainsi la Logique de Hégel (1812-1816).

b) Droit. La forme d’exposé donnée aux pièces judiciaires, les « attendus » et les « considérant » sont de solides armatures, des formules qui guident la pensée, la protègent et la défendent.[69] Les lois prescrivent un ensemble de « formalités » auquel les dites données se conforment pour avoir une solidité.

c) Mathématique. Bien souvent des considérations de méthodes et de principes sont associées à des applications et des calculs, d’où difficultés pour les commençants d’en saisir la filiation naturelle. Il est utile de les réunir en un corps de doctrine séparé, où l’enchaînement devient plus sensible. (Ex. ce qu’a fait Freycinet pour le calcul différentiel.)

d) Sciences naturelles. Les sciences naturelles sont arrivées à des types d’exposé qui correspondent bien à tous les degrés de développement d’une idée et de son énoncé. On peut à propos des animaux, par exemple, trouver soit une description complète, soit quelques mots de diagnose à son sujet, soit la simple indication de sa place au milieu des genres voisins. On a créé des types morphologiques et en remontant à ceux-ci, on peut trouver la description précise et détaillée de sa conformation intérieure, sauf des différences secondaires qui n’altèrent point sa constitution essentielle et qui indiquent les diagnoses par lesquelles ont le fait dériver du type.

e) Botanique. Elle répartit ses matières en quelques types d’ouvrages. Les flores (simple catalogue ou ouvrages méthodiques où sont décrits les végétaux indigènes). Les ouvrages généraux, où sont réunis en un corps d’ouvrage toutes les plantes disposées méthodiquement et décrites d’une manière claire et concise (synopsis, prodromus, nomenclature). Les monographies où les auteurs ne font connaître qu’une seule famille.

f) Technique. La technique ou science de l’action toujours directe et toujours pressée, s’expose de plus en plus en des formes directes instructives, dépouillées de l’inutile.

Description d’une donnée à l’aide d’une figure (Ex. : A. Guillery : Manomètre d’enregistrement avec contrôle permanent de ses inductions. Académie des Sciences, 2 juillet 1928). Résultats exposés à l’aide de tableaux (Ex. E. Rothée et A. Hee : Sur les propriétés magnétiques des zones stratigraphiques de la vallée du Rhin. Académie des Sciences, 2 juillet 1928.)

Tableaux des Associations de normalisation de divers pays, notamment ceux de la Deutsche Normenausschuss. Description de brevet d’invention avec l’obligation par l’inventeur de rédiger sa revendication en forme imposée.

g) Architecture. On trouve ici les types d’ouvrages suivants : les œuvres architecturales ; les monographies des monuments les plus beaux : on voit souvent dans cette analyse l’enrichissement de données nouvelles de portée générale (ex. : Penrose). Tous les édifices d’une ville d’art. Tout ce qui touche une famille d’édifices (églises, palais, maisons, etc.) Les éléments et la théorie de l’architecture (ex. les murs, les voûtes, les escaliers).

h) Histoire. On distingue ici trois grandes catégories de formes : 1° les sources (documents proprement dits) ; 2° les travaux critiques sur les sources et qui sont simplement préparatoires ; 3° les travaux de construction qui varient entr’eux d’après le but de l’œuvre, et par suite la nature des faits, façon de diviser le sujet, c’est-à-dire d’ordonner les faits, la façon de les présenter, la façon de les exprimer, le style.[70]

11. Examen des ouvrages particuliers quant aux principes d’exposé. — Un grand travail reste à faire : l’examen scientifique et pratique des ouvrages particuliers au point de vue de leur forme et des principes d’exposé mis en œuvre,

Ce travail doit porter sur les grandes œuvres du passé et sur les œuvres qui paraissent ou jour le jour ; c’est donc un travail continu : c’est la véritable observation bibliologique, tandis que d’autres, par l’expérimentation bibliologique, consisteront dans l’élaboration des ouvrages en pleine conscience et connaissance des principes de l’exposition.

Des ouvrages célèbres présentent d’intéressantes caractéristiques, positives ou négatives, quant aux formes d’exposé. Ceux d’entre eux qui manquent d’ordre dans l’exposé font mieux comprendre la valeur même de l’ordre, mais en même temps ils sont peut-être plus près de la vie, qui en soi n’est guère ordonnée. Voici quelques exemples :

a) Le dialogue de Platon, « Parménide », dit Victor Cousin, demeure un des ouvrages de Platon dont il est le plus difficile de déterminer le vrai but et de suivre le fil et l’enchaînement à travers les mille détours de la dialectique éléatique et platonienne. Longtemps la vraie pensée de Platon est restée un problème. Est-ce un grand exercice de dialectique, où le sanctuaire mystérieux où se cache, derrière le voile de subtilité presque impénétrable, la théorie des idées ?

b) Le Coran est illisible deux fois pour un occidental. Une partie de son inintelligibilité est due à son arrangement. Dans la préparation de l’édition « canonique », on n’a fait aucun essai pour présenter chronologiquement les matières ; des révélations de différentes périodes ont été souvent mêlées les unes aux autres en une seule dans le même chapitre. Le principe général de l’œuvre a été de placer d’abord les chapitres les plus longs et ensuite les plus courts. Or, les premières révélations étant souvent contenues dans les chapitres les plus courts, on peut dire que la meilleure manière de lire le Coran est de commencer par la fin. Son inintelligibilité provient aussi de l’esprit désordonné du Prophète qui, dans la partie historique de ses révélations, mêlaient les choses. Le contraste est frappant avec la Bible où l’ordre historique est suivi. Le Coran parle d’Adam, d’Abraham, de Jésus, de Moïse et des autres sans ordre et sans qu’on puisse ressusciter l’ordre dans lequel ils apparaissent dans la suite des temps.

c) L’Imitation de Jésus Christ présente un texte peu suivi et peu cohérent : les préceptes qui en constituent la substance sont disséminés dans tout l’ouvrage, confondus avec les éléments de mysticité et les règles spéciales à la vie monastique.

d) L’œuvre de Nietzsche cet curieusement morcelée en une infinité de pensées, d’axiomes, de critiques à l’adresse de tous les philosophes. Elle constitue une série de documents précieux, d’idées nouvelles et des thèses d’une implacable logique. (Thoran Bayle.)

e) Le souci de répondre perpétuellement à des objections qui le plus souvent se répètent sous des formes diverses et ne sont pas toujours indispensables à l’exposé de la thèse, affaiblissent l’œuvre de certains philosophes. Ainsi Le Dantec et William James.

Beaucoup d’auteurs d’œuvres modestes se sont grandement préoccupés de soigner la forme d’exposé au contraire de ces exemples célèbres. On trouve chez eux, explicitement ou en germe, bien des innovations susceptibles de généralisation, bien des formes devenues susceptibles de devenir des « espèces ».[71]

12. Exposé par les méthodes de l’Idéographie et des Symboles. — a) Selon l’ordre chronologique, les premiers symboles sont les chiffres 0, 1, 2, etc., dont l’origine est très ancienne. Suivent les symboles des opérations arithmétiques +, — (a. 1500), × (a. 1600)… les relations = (a. 1550), ) (a. 1650). les nombres e, π (a. 1700)… Pendant le dernier siècle les symboles Σ, π, lim, mod, sgn, E,… ont pénétré dans l’usage commun.

Ces symboles permettent d’exprimer complètement quelques propositions :

xxxetc.

b) En général on se sert des symboles mathématiques pour exprimer les parties d’une proposition, lesquelles doivent être accompagnées du langage ordinaire, pour former des propositions complètes.

La partie réservée au langage ordinaire, plus petite dans quelques travaux d’analyse, était encore grande dans les ouvrages géométriques. Le calcul barycentrique de Möbius, la science de l’extension de Grassmann, les quaternions de Hamilton, pour ne citer que les théories principales, permettent maintenant d’opérer sur les objets géométriques comme on opère en algèbre sur les nombres.

c) La logique mathématique à son tour étudie les propriétés des opérations et des relations logiques qu’elle indique par des symboles.

La logique mathématique a été successivement développée par Leibnitz, Lambert, Boole, de Morgan (1850), Schröder (1877), Mc Coll (1878), Bertrand Russel. On peut en retrouver des germes jusque chez Aristote.

d) Peano a créé une idéographie qui résulte de la combinaison des symboles logiques avec les algébriques.[72] Il a écrit entièrement en symboles quelques théories mathématiques et certains auteurs l’ont suivi. Ailleurs on s’en est tenu seulement pour énoncer sous forme plus claire des théorèmes. En général cette idéographie est considérée par ses créateurs comme l’instrument indispensable pour analyser les principes de l’arithmétique et de la géométrie, et pour y démêler les idées primitives, les dérivés, les définitions, les axiomes et les théorèmes. On s’est aussi servi pour construire de longues suites de raisonnement, presque inabordable par le langage ordinaire.

Peano a essayé de réunir en un seul volume les propositions écrites entièrement en symboles et qu’il appelle « formules ». C’est son « Formulaire de Mathématique » dont il a donné trois éditions successives (t. I, en 1892-1895 ; t. II, en 1897-1899 ; t. III en 1901), Ce dernier comporte 230 p. Il est le fruit d’une précieuse collaboration avec divers savants, et contient quantité d’indications historiques et bibliographiques. Le Formulaire est toujours en construction, tous les développements étant continuellement publiées dans la Revue de Mathématique.

Les termes du langage mathématique connus remontent à plusieurs milliers. Il s’est accru pendant les siècles. Il était de 1,000 environ sous Archimède, et arrive à 17,000 dans le vocabulaire publié par M. Muller en 1900, sans compter les noms appartenant à la Logique. Il ne convient point, dit Peano, d’ériger tous ces mots en symboles ; il les a exprimés par environ 100 symboles.

Dans le langage ordinaire, on a plusieurs formes pour représenter une même idée indiquée dans le formulaire par un symbole unique et chaque symbole a un nom. Mais on lit les symboles et les ensembles de symboles, sous une forme qui s’approche du langage ordinaire. Un peu d’exercice permet de lire ainsi facilement les formules.

Le formulaire est divisé en §§. Chaque § a pour titre un signe idéographique. Les signes se suivent dans un ordre tel que tout signe se trouve défini par les précédents (à l’exception des idées primitives). Un § quelconque contient les propositions qu’on exprime par le signe du § et par le précédent. Ces derniers servent à classer les propositions du §. En conséquence on trouve dans le formulaire la place d’une proposition déjà écrite en symboles à peu près comme on trouve la place d’un mot dans un dictionnaire. Toute proposition est indiquée par un nombre qui a une partie entière et une partie décimale, dans le but de faciliter l’interpolation. Le signe placé devant un texte indique le changement de la partie entière.

e) Des efforts devraient être tentés dans d’autres sciences que les mathématiques, pour y introduire l’idéographie et parallèlement d’autres exposés précités ainsi celui à la manière du Formulaire des Mathématiques. On conçoit l’utilité qu’il y aurait à traiter ainsi notamment les sciences, la sociologie, aujourd’hui champ de bataille dans toutes les directions.

Il n’est pas inutile de rappeler ici cette pensée de

Proudhon. « Il faut distinguer phraser de prouver, avant d’exiger des auteurs de telles conditions de certitude, il faut apprendre à ceux qui lisent, aussi bien qu’à ceux qui écrivent ce que c’est que phraser et ce que c’est que prouver. Tout le fatras, l’obscurité, les contradictions, l’entortillage, les inextricables prologues, les sophismes brillants et les séduisantes chimères dont nos livres regorgent ; toutes les incertitudes de l’opinion, les bavardages de la Tribune, le chaos dans les lois, l’antagonisme des pouvoirs, les conflits administratifs, le vice des institutions, viennent de notre misérable logique, de notre langage anti-sérielle.

Je veux que l’écrivain, plus ami de la vérité que de la gloire de bien dire, plus désireux de me convaincre que de me surprendre, sans négliger l’élégance du style, la forme de la pensée, la rapidité de l’exposition, fasse briller à mes yeux, dans une pénétrante analyse, le rapport des termes qu’il compare ; qu’il m’en fasse toucher du doigt la formule ; qu’il justifie de la propriété et de la suffisance de son point de vue ; que par la puissance des divisions et des groupes, par la magie des figures, il me montre, pour ainsi dire in concreto, la vérité de ce qu’il affirme ; surtout que dans la conclusion il ne dépasse jamais le champ de la série.

Il faut distinguer, phraser et prouver. »

(Cf. le n° 159. L’évolution simultanée des instruments intellectuels. 222.24 Notation Universelle.)
224.8 L’exposé et les formes intellectuelles dans la littérature.

En principe, de par son objet propre, la Littérature se distingue de la Science ; mais dans la réalité, la distinction n’est pas toujours facile à déterminer et en pratique elle n’est pas toujours observée.

L’objet immédiat de la poésie est de séduire, celui de l’éloquence est de persuader, celui de l’histoire est de décrire les faits vrais pour en instruire les hommes. L’objet de la Science et de la Philosophie est de chercher la vérité dans la réalité et dans les choses, et d’étendre le domaine de nos connaissances sur elles.

Les formes littéraires existent en grand nombre et entremêlent leurs éléments. On peut distinguer les formes élémentaires, la prose et la poésie, les genres proprement dits. Force est ici de se borner à quelques observations générales, laissant tout le développement aux Traités de Littérature.

Les formes élémentaires. — Les principales formes élémentaires sont la narration, la description, le dialogue. L’unité de pensée s’exprime dans la proposition. Suivant le sens et la manière d’être, la proposition prend des noms spéciaux : la Sentence est une proposition qui renferme un grand sens ; l’Axiome est une vérité première évidente par elle-même ; le Proverbe est une sentence devenue populaire ; l’Aphorisme est une sentence ou un précepte scientifique, qui résume en peu de mots de grandes vérités ; l’Apophtegme est un dit mémorable. La Narration est la partie du discours qui comprend le récit des faits ; l’exposition la précède et la confirmation la suit. On distingue ; 1) la narration oratoire : elle exprime le fait sous le point de vue le plus favorable à la cause ; 2) la narration historique : elle doit exprimer l’exacte vérité, mais ne le fait pas toujours ; 3) la narration poétique : elle est laissée à l’imagination du poète.

Poésie, Prose. — La prose et la poésie s’appliquent à presque tous les genres. De l’inspiration naquit la poésie (langage des dieux). Entre la poésie et la prose, il y a plus qu’une distinction fondée sur la mesure, la cadence et l’observation des autres règles poétiques. Ces deux formes de la parole répondent surtout à deux manières bien différentes de sentir et d’exprimer le vrai et le beau. On distingue les poésies lyriques, épiques ou héroïques, dramatiques, didactiques ou philosophiques, élégiaques, pastorales ou bucoliques, érotiques, satyriques, descriptives. Au point de vue du rythme et de la mesure, on distingue 1) la poésie rythmique. On y observe la cadence et le nombre de syllabes, mais non les quantités, car elles sont toutes réputées égales ; telle est la poésie moderne en général et celle aussi des Orientaux. 2) La poésie métrique. Elle repose sur la quantité des syllabes dont les unes sont brèves et les autres longues : ainsi la poésie grecque, latine, allemande.

Les genres littéraires. — Les principaux genres littéraires sont la poésie, le roman, le théâtre, l’histoire et la critique. Peu à peu, au cours des temps, ces genres se sont constitués. Puis les grands courants de la vie et de la pensée les ont transformés ; constamment il y a eu influence de chaque genre sur les autres.

L’Épopée. — À l’origine des peuples on trouve bien souvent des récits légendaires et poétiques, remplis d’actions héroïques et merveilleuses. Ainsi le Mahabharata et le Ramayana chez les Hindous, le Chah Nameh chez les Persans, l’Iliade et l’Odyssée chez les Grecs, la Chanson de Roland chez les Francs, les Niebelungen chez les Allemands. Il est des poèmes épiques qui ne marquent plus les origines d’une littérature, mais qui se rapportent de précédents : la Pharsale de Lucain, l’Énéide de Virgile, la Divine Comédie de Dante, la Jérusalem délivrée du Tasse, le Paradis perdu de Milton, la Messiade de Klopstock, la Franciade de Ronsard, le Télémaque de Fénélon, les Martyrs de Châteaubriand.

On donnait autrefois le nom de poème épique au récit d’une grande action nationale. On lui donne aujourd’hui celui d’encyclopédie poétique d’une civilisation (Charles Hillebrand, Études italiennes) L’Iliade, c’est la guerre de Troie et c’est le contraste entre le monde asiatique et européen. La Divine Comédie, c’est la lutte entre le Pape et l’Empereur.

« Pour composer une épopée, dit Lalo, voici la recette. On écrit vingt-quatre chants, contenant quelques dieux aux enfers, quelques-uns au ciel, voire un en purgatoire si l’on est bon catholique, un songe ou au moins un sommeil, une prophétie, un ou deux dénombrements de quoi que ce soit ; enfin une bataille. Ce récit doit être essentiellement noble et métaphorique : en vers si l’on peut ; si l’on ne peut pas, en prose poétique. »

5o Le Roman. — De tous les genres littéraires, c’est le roman qui est devenu au cours du XIXe siècle le genre littéraire par excellence. S’il est inférieur à la poésie pour l’expression directe du sentiment, il la dépasse de beaucoup quand il s’agit d’en donner une analyse détaillée ou de développer des idées philosophiques ou artistiques, et aucun genre, pas même le drame ou la comédie, ne peut rivaliser avec le roman pour la peinture de milieux historiques ou contemporains,

6o Le Discours. — Toute parole d’une certaine longueur prononcée en public et avec une certaine méthode. L’orateur doit plaire, instruire et persuader. Les discours offrent la même variété que les genres d’éloquence : religieux, parlementaire, académique. Les rhéteurs divisent le discourt en sept parties : exorde, proposition, division, narration, confirmation, réfutation, péroraison.

7o La Dissertation. — Est un discours philosophique qui diffère des compositions oratoires proprement dites en ce qu’il se borne à établir un point de doctrine par la voie du raisonnement, sans s’attarder à persuader en faisant appel à l’imagination et à la sensibilité. Analyser, exposer, déduire toutes les raisons qui vont à la même conclusion, réfuter les adversaires, être soi-même invincible ou irréfutable : c’est là toute la dissertation.

8o Le Journal intime. — Des écrivains tiennent leur journal (Amiel (16, 000 pages), Mauriac, Gide, Barrès, de Vigny, Pierre Lougi, Katherine Mansfield). Pour certains, la fonction du journal est de nourrir l’œuvre et ils ne publient à l’état brut que des résidus, les pages qu’ils n’ont pas transformées en œuvres d’art, leurs carnets sont alors des recueils de notes qui servent pour leurs œuvres. Pour d’autres, le journal est bien le miroir de l’âme intérieure de qui l’écrit : une œuvre qui possède ses lois et son climat propre.

Le journal de Albert Schumann commencé le 12 septembre 1840, le jour de son mariage et où lui-même et sa femme devaient, alternativement chaque semaine, écrire tout ce qui les aurait touché tous deux dans leur vie conjugale. (Publié dans les Annales de Paris, 1932.)

9o Biographie. — Elle peut prendre des formes variées : dire l’histoire de la personne ; être un exposé purement objectif de ses doctrines ou de ses opinions successives ; considérer la personnalité comme un document psychologique de valeur exceptionnelle. Les biographies seront mêlées à l’Histoire générale ; on a développé récemment le genre « biographie romancée » où la vérité objective, s’associe aux fictions de l’imagination.

10o L’Énigme. — De nos jours, l’énigme n’est guère qu’un jeu d’esprit. Mais les Anciens, et surtout les Orientaux, dont la langue abonde en images, l’employaient souvent pour exprimer des pensées plus ou moins profondes. L’Écriture a gardé le souvenir de quelques énigmes de Salomon, de Samson, etc. Dans la légende grecque nous trouvons l’énigme du Sphinx, celle d’Ésope. Longtemps négligée, l’énigme fut cultivée au XVIIe siècle par Boileau et par l’Abbé Cottin. Aujourd’hui nous la voyons remplacée par la charade, le logogriphe, le rébus.

225 Éléments scientifiques ou littéraires du livre :
Les données de l’exposé
.

1. Le contenant. — Les éléments considérés précédemment sont ceux du « contenant » ou « forme » dans le sens large du mot (éléments matériels, graphiques, linguistiques, intellectuels). Les éléments considérés ici sont ceux du « contenu » ou « fond ». Ce sont les éléments scientifiques ou littéraires, les données mêmes de l’exposé faits et idées.

Derrière le Livre « contenant », il y a le « contenu », la Littérature au sens large, (les lettres, la « chose littéraire » : Res litteraria. Materia Bibliologica. Res scripta, l’Encyclopédie immatérielle des connaissances).

En fait, la matière des livres, c’est tout ce qui est constaté et pensé, senti et éprouvé, voulu et proposé. La division de la matière en scientifique, littéraire, pratique ou d’action sociale est relativement récente. Il y a eu au début confusion et mélange, puis lente différenciation. Cette matière n’a d’autre limite que la Pensée humaine, laquelle, elle-même, n’a en principe d’autres limites que la Réalité universelle.

Les traditions orales ont fini par être écrites comme les coutumes ont été rédigées ; les chansons populaires transcrites, les paysages, sites, les industries, les choses photographiées ou filmées.

À grands traits on peut répartir les livres produits dans les catégories suivantes : ouvrages anciens, ayant une valeur par eux-mêmes ou comme sources de l’Histoire ; ouvrages littéraires ; ouvrages scientifiques ; ouvrages techniques et professionnels ; publications administratives officielles ; publications commerciales.

2. Contenu de la masse des livres. — À quoi sont consacrés ces millions d’ouvrages, ces centaines de millions de documents écrits chaque jour, à la vie plus ou moins durable ou éphémère et dont, ne fût-ce que d’un instant et sur un point particulier, l’effet est venu s’inscrire dans la Réalité Universelle ? Tout le Travail de l’Intelligence aboutit à des pensées, à des unions, des combinaisons, des cycles de pensées, constituant les systèmes, les théories, faits des vérités, d’erreur, d’opinion. Il aboutit en un mot à des Idéologies qui tendent, par synthèse et élimination, à une mentalité Universelle et Humaine.

Pour se rendre compte de ce que contient la masse des livres, il y a lieu : 1o d’en faire une statistique classée ; 2o d’envisager les causes générales de la production ; 3o de suivre les grands courants de la pensée à travers les âges. Il nous faut une histoire des sciences, des connaissances, signalant toutes les innovations, toutes les idées dites révolutionnaires qui ont chacune été le point de départ d’une efflorescence d’œuvres nouvelles. Car une idée s’exprime par une pléiade d’hommes en un courant de livres ; ex. la Renaissance, la critique religieuse, les grands courants modernes. Chaque mouvement a créé un livre prototype : ce livre une fois créé, il s’est développé, réédité, continué d’édition en édition. Ex. les livres sacrés, les œuvres des grands philosophes, les dictionnaires de langue, les encyclopédies, les recueils d’inscriptions, etc.

Qu’y a-t-il dans la masse des livres ? Quel spectacle aurions-nous si, par un miracle bibliographique, il nous était donné tout à coup de pouvoir les lire en même temps dans toutes leurs parties, sur toutes leurs pages ? La première chose qui frapperait serait la répétition ; puis le dépassement de beaucoup d’assertions désormais sans valeur ; puis encore la futilité et la petitesse extrêmes de quantités de questions traitées ; enfin la manière inadéquate et inefficiente dont la plupart des exposés sont présentés. Mais bientôt frapperait la grandeur de l’œuvre accomplie, la liaison et l’enchaînement qu’offre la matière traitée par toute la succession des livres.

3. La Pensée bibliologique universelle. — La matière des livres, au sens large, est dite la matière littéraire. En fait, c’est tout ce qui est constaté et pensé, senti et éprouvé, voulu et proposé. La division de la matière en scientifique, littéraire, pratique ou d’action sociale est relativement récente. Il y a eu au début confusion et mélange, puis lente différentiation. Cette matière n’a d’autre limite que la Pensée humaine, laquelle elle-même n’a en principe d’autres limites que la Réalité universelle.

Il n’y a en réalité qu’une seule Pensée. Cette pensée circule à travers la société humaine (toutes les générations, tous les pays) par un échange perpétuel. Elle prend partiellement et momentanément sa fixation dans les Livres. L’analogie ici est réelle avec les forces physiques qui se ramènent en réalité à une seule, laquelle circule par un échange perpétuel dans la nature morte aussi bien que dans la nature animée et s’incorpore dans les divers corps.

La portion de la Pensée humaine incorporée dans les livres constitue la matière bibliologique en général. Celle-ci a pour caractéristique additionnée d’être : 1o pensée ; 2o exprimée ; 3o écrite ; 4o en correspondance plus ou moins adéquatement avec la Réalité extérieure.[73]

C’est toute une longue évolution qui a conduit au point actuel. Comment on est arrivé à faire de toute la matière de la pensée une matière bibliologique, à réaliser la concentration des connaissances en sciences bien systématisées à prendre conscience des problèmes et à les poser clairement, à créer des méthodes pour les résoudre. Cette évolution passe de l’homogène à l’hétérogène (expression de Spencer) de ce qui est un, semblable, confus au début, à ce qui se diversifie, se ramifie, se spécialise progressivement.

4. L’Érudition. — a) Avoir de la littérature se dit de celui qui a lu beaucoup de livres, les meilleurs surtout, et a conservé dans sa mémoire les impressions que cette lecture a produites sur l’esprit. b) L’érudition suppose en plus avoir lu les commentaires qu’on a fait des livres, avoir comparé les diverses éditions, connaître le temps où vivaient les auteurs, les sources où ils ont puisé, etc. Le terme érudition (Gelehrte Bildung, Gelehrsamkeit) a été borné par l’usage au savoir littéraire dans tous les genres. Il comprend, outre l’histoire littéraire et la connaissance des langues et des livres, l’histoire des peuples, tant anciens que modernes, l’archéologie, la numismatique, la chronologie, la géographie, la partie historique de toutes les sciences, c) Le savoir et la science indiquent plutôt la connaissance des choses que celles des livres ; mais savoir est absolu généralement dans sa signification ; science est plus précis et suppose une étude plus approfondie.

5. Le Développement de l’Érudition. — Les développements successifs de l’Érudition présentent un très grand intérêt. « Tous les travaux isolés entrepris pendant des siècles par des érudits qui n’en prévoyaient pas la destination finale, viennent se réunir comme des ruisseaux se jettent dans un fleuve et concourir à un but commun digne des plus grands efforts. »[74]

Ils indiquent par quelle suite d’efforts elle est parvenue à acquérir tant d’importance.

a) Aristote fut un observateur et un penseur, il laissa une œuvre de vaste érudition et la mit au service de la science. Ses disciples, à part Théophraste, négligèrent la science, se perdirent dans les détails ou se bornèrent au rôle de commentateur.

b) Chez les Romains on trouve aussi beaucoup de commentateurs et de scoliastes, avec trois érudits remarquables : Varron (Antiquités humaines et divines), Pline l’ancien (Histoire naturelle) et Aulu Gelle (Nuits antiques). Varron composa environ 80 ouvrages formant ensemble plus de 580 livres. Aulu Gelle donne le premier modèle de l’érudition littéraire, de la science des textes, des rapprochements ingénieux.

c) Après la destruction de l’Empire romain, les lettres se retirèrent en Orient. L’esprit créateur manqua. Ce fut une érudition mesquine, étroite, sans portée, à la mesure des esprits byzantins, pour qui des discussions puériles tenaient lieu de vie intellectuelle. Toutefois la Bibliothèque, composée au IXe siècle par le patriarche Photius, reste un modèle. C’est l’analyse de 280 ouvrages de poésie, d’éloquence, de théologie, de philosophie et de linguistique : extraits et jugements. Le recueil de Sindas (XIe siècle) à la fois lexique, encyclopédique et biographique, est une compilation sans méthode.

d) L’Érudition moderne naquit en Occident, peu de temps avant que la prise de Constantinople par les Turcs ait fait émigrer en Italie les savants et les lettrés. Ils ont nom de Chrysoloras, Bessarion, Théodore Gaza, Lascaris, George de Trebizonde, Philelphe, Pogge, Ange Folitien.

e) Puis vint la découverte et les progrès de l’imprimerie. Le travail des érudits consista à retrouver, à publier et à réparer les débris des lettres et des sciences anciennes, gâtées en tant d’endroits par l’ignorance des esprits. Beaucoup de ces hommes furent les premiers comme imprimeurs (Alde Manuce). Les vastes et précieux répertoires intitulés : « Trésor de la Langue latine » et « Trésor de la Langue grecque ». Érasme, Scaliger, Casaubon, Guillaume Budé, créateur de la Bibliothèque de Fontainebleau, berceau de la Nationale et créateur des chaires libres de latin, de grec et d’hébreu, origine du Collège de France. — Juste Lipse, Montaigne, Rabelais.

f) Au XVIIe siècle, l’emploi des formules et des citations, l’appareil pédant qui ne disparut que graduellement (Molière, qui crée le type de Vadius dont l’original était Ménage).

La véritable érudition étend son domaine : André Duchesne crée l’historique de France ; les frères de Sainte Marthe firent fonder la Gallia Christiana, continuée par Haureau. Philippe Labbe publie la Collection des Conciles, Baluze les capitulaires rois de France, le Père Menetrier fonda la science héraldique, les Augustins avec le P. Anselme étudient les généalogies des Rois de France, les Bollandistes commentent les Acta Sanctorum. Les Bénédictins préparent de grands travaux historiques et littéraires, avec Jean Mabillon, et son Traité de la diplomatie discernant les vrais des faux diplômes ; Richard Simon fait une première exégèse de l’Ancien Testament.

Édition de « Nouveaux instruments utiles aux linguistes, aux littérateurs, aux historiens » de Elzevir, celle ad Useum Delphini, la collection des Variorum ; la Byzantine du Louvre, la Bibliothèque des Pères, les Bibles polyglottes. Du Cange publie ses Glossaires du latin et du grec du moyen âge, Heinsius écrit sur les poètes latins, les Vossius sur les historiens de l’Antiquité. Graevius publie son Thésaurus des antiquités romaines et Gronovius celui des antiquités grecques.

g) À la fin du XVIIe siècle commencent à être publiés, sous forme de dictionnaires, des ouvrages pour vulgariser certaines parties de l’érudition : le Grand Dictionnaire de Moreri (1674), le Dictionnaire historique et Critique de Bayle (1695), continué par Chaufepié et Prosper Marchand. Montfaucon enseigne la Paléographie Grecque Dans son Antiquité expliquée, il donne un résumé complet des connaissances alors acquises en archéologie grecque, latine juive, gauloise. Don Rivet aidé de ses confrères de la Congrégation de Saint-Maur, entreprend l’Histoire littéraire de la France. En France, l’Académie des Inscriptions s’ouvre aux érudits. Fabricius, Burmann, Brunck, Ernesti, Heyne, Reiske, Wolf. Schneider, Muratori, etc., enrichissent par d’incessantes recherches, par des publications de plus en plus parfaites, le trésor de l’Érudition.

h) Au XIXe siècle les travaux sont continués sous l’impulsion de la force acquise et par le génie d’hommes aux larges vues d’ensemble. Les progrès réalisés par l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie en philologie, en exégèse, en histoire. Publication du Magasin encyclopédique de Millin. Les hiéroglyphes sont déchiffrés par Champollion, progrès dans la possession des langues et des littératures orientales (Sylvestre de Sacy, Chezy, Abel de Remusat, E. Quatremère, Eugène Burnouf, etc.) L’érudition possède les signes graphiques, les grammaires, les traductions d’œuvres littéraires, philosophiques ou sacrées, propres à faire pénétrer dans le génie des civilisations lointaines. L’étude historique et archéologique se poursuit. De grandes collections d’auteurs grecs et latins, du moyen âge, sont réédités ; les documents et mémoires sur l’histoire se multiplient. La critique s’organise sur des bases de plus en plus sévères et opère une revision dans tous les domaines. Aidée des découvertes archéologiques, les fouilles notamment, elle donne à l’histoire une base solide qui la rapproche des sciences exactes. Les travaux de linguistique conduisent à la philologie comparée. Les croyances et les religions sont elles-mêmes soumises à un examen serré.

6. Extension de la Materia Bibliologia.

a) La matière littéraire s’étend toujours. L’exotisme a pénétré toutes les littératures nationales. On va maintenant jusqu’aux littératures indigènes. Après l’art nègre, au tour de la littérature nègre. Depuis quelques années, l’Institut international des langues et civilisations africaines a organisé parmi les africains de toute race des concours de littérature dans leur propre langage. Ces compositions ont été traduites (André Remaison : Draeh, le livre de la Sagesse noire, orné de nègreries, par Pierre Courtois, Paris, Édition d’Art H. Piazza).

Il y a aussi un immense bavardage, caquetage, coassement.

b) En art, en critique, en littérature, en poésie, en psychologie, il n’y a pas, il ne doit pas y avoir de sujet réservé. Aucun domaine ne doit rester inexploré aux investigations de l’esprit et de la création humaine.

c) Les sujets traités ou pouvant être traités sont innombrables, comme les éléments qui constituent le monde et les rapports entre ces éléments. Deux exemples en feront saisir l’étendue. Pour étudier la situation respective les uns à l’égard des autres de 60 pays, envisagés sous huit rapports différents à l’intervalle de dix en dix années, pendant le dernier siècle écoulé, il y a lieu de traiter (60 × 60 − 60) × (8 × 8 − 8) × 10 = 17, 912, 200 données. Les 60, 000 questions énoncées dans la Classification décimale, envisagées dans leurs rapports les uns avec les autres dans les 3, 000 lieux mentionnés et à 10 moments différents du temps, donnent plus de 10 quintillions de possibilités.

7. Livres faits, livres à faire.

Un livre représente un ensemble d’idées et de faits classés dans un certain ordre. On pourrait par la classification et la bibliographie tracer une carte très intéressante des livres faits et des livres restant à écrire ou possibles. En telles langues existent tels livres, en d’autres pas (livres possibles) ; de même en telle science on a étudié telle question à telle époque, ou en tel pays, ou sous tel aspect ; on n’a pas fait une étude intégrale de tous les pays, époques ou aspects ; ou bien on n’a pas fait de même dans d’autres sciences.

8. Contenu d’un livre.

Un livre qui expose une thèse contient nombre de notions intéressantes et souvent peu connues, étrangères au sujet lui-même, mais servant à étayer une démonstration.

Un livre ainsi est une contribution au sujet qu’il traite : une contribution aussi aux autres sujets.

Il y a grand intérêt à dégager ces notions de l’ensemble avec lequel elles ont été amalgamées pour la première fois et de les placer dans leurs séries propres respectives. À cette œuvre s’emploient les analystes, les critiques, les commentateurs, les synthétistes.

  1. E. PERRIER : « Le monde vivant ». Le Temps, 10 juin 1918.
  2. Cim. Petit amateur de livres. 1. Papier.
  3. Essais de fournitures de bureau pour l’administration des postes d’Allemagne. (L’Union Postale. Berne novembre 1927, p. 336.)
  4. PAQUET T. Le Papier et sa Conservation. Bulletin Le Musée du Livre. 1925. 61.
  5. Écho de Paris, 26 mars 1916.
  6. L’artiste portraitiste A. Guaisnet.
  7. Cim : Petit manuel de l’amateur de livres. Paris, Flammarion. (II, Le Format, p. 57-90).
  8. Il paraît maintenant un Annuaire International de la Reliure ancienne et moderne (Jahrbuch der Einbandkunst) von Hans Londbier und Erhard Klette ; Zweiter Jahrgang 1929. Le Dr. Schreiber a proposé un répertoire d’illustrations concernant les reliures.
  9. Bellevie Bindery Falkirk, Scotland.
  10. Cim : Petit manuel de l’amateur de livre. III.
  11. M. Petit. — Histoire générale des peuples. La Mésopotamie, p. 22.
  12. Jean Capart : Quelques découvertes récentes relatives à l’histoire de l’alphabet. Bull. Classe des lettres de l’Académie de Belgique. 1920, n° 7-8, p. 408.
  13. Léon Cahun. Introduction à l’Histoire de l’Asie, p. 36.
  14. Catholiques des Pays-Bas, 16 juillet 1830.
  15. Hermann Wirth. Der Aufgang der Menscheit Eugen Diederich, Jena.
  16. Voir les belles études du Dr Locard, directeur du Laboratoire de police technique de Lyon. L’auteur en a donné un résumé dans la Revue générale des Sciences, 30 juillet 1922.
  17. R. Dottrens. L’enseignement de l’écriture, nouvelles méthodes (Paris, Delachaux et Niestle).
  18. Développement des maîtres calligraphes anglais du commencement des premiers scriptoria monastiques du moyen âge à la domination de l’écriture commerciale du XIXe siècle. The english writing-masters and their Copying Book 1570-1800. A biographical dictionary and a Bibliography by Ambroise Hesh with an introduction on the development of Handwriting by Stanley Morisson. Cambrigde-Universty Press, 1931.
  19. F. Garin : Comment écrire des deux mains. Guide pratique pour les mutilés, les gauchers, les droitiers. Paris, Nathan. — Voir aussi les travaux de Mlle Kipiani.
  20. Code technique de la dactylo. (Revue sténographique belge, 15 avril 1932, p. 99.)
  21. L’art de dactylographier, (Gerard G. L., L’organisation, p. 24.)
  22. Marius Audin : L’Histoire de l’Imprimerie par l’Image.
  23. Voir les récentes études de la « Linotype » et de son caractère Ionic, qui apporte, avec plus de clarté et de soutien pour l’œil, une capacité de 13 % de texte en plus, sur moins de papier.
  24. Pierre Henri : « Une application de la photoélectricité ». Revue scientifique, 23 avril 1932, p. 239.
  25. Voir Bulletin de la Société Métaphysique de Belgique, 1932.
  26. Bulletin d’information no 27 de la Société pour les relations intellectuelles.
  27. Baudoin, Marcel. Nécessité d’un alphabet international. Bull. Inst. Inter. Bibliogr., 1900. v. p. 155-188.
  28. La combinaison des moyens d’expression n’a-t-elle pas donné lieu récemment à un cours de sténographie mécanique de l’esperanto, par T. S. F.
  29. Travaux de Tirabassi ; Travaux de Hautston.
  30. Ex. Decroly : Développement du langage parlé chez l’enfant, p. 19.
  31. Le Berneucherner Bund dirigée par Wilhelm Stählin (Munster).
  32. Max Heindel. Cosmologie des Rose-Croix 1925, p. 201.
  33. Jean Delville. — La défense de l’art. 1932.11.1.
  34. Voir notamment le graphique de l’organisation du Contrôle Budgétaire établi par MM. F. Greiner et A. Martynoff. Bulletin du Comité National belge de l’Organisation scientifique, 15 juillet 1932, p. 88.
  35. Raymond Hesse : Le livre d’après-guerre et les Sociétés de Bibliophiles.
  36. a) Dr. Javal — La lecture et l’écriture.

    b) Cock. — Les Annales de l’Imprimerie, oct. 1910 p. 133.

  37. Le Manuel de Géographie des frères Alexis offre des types caractéristiques d’emplois de textes variés et subordonnés.
  38. Exemple : Liquidators Index and Summary of the Companies act and Winding of Rules, 1929 ; by J H. Senior and H. M. Prak. London. Sir Isaac Pitman.
  39. L. Titz. — L’esthétique du livre moderne. Publication du Musée du Livre, XIII, 1910
  40. Voir notamment : Anatole France. Discours prononcé au cimetière de Montmartre le 5 octobre 1902, Paris, Édouard Pelletan, 22 p. in-4o.
  41. Henri De Man. Nationalisme et Socialisme. Équilibre, mai 1932, p. 26.
  42. Gardiner, Alan H. — 1932. The Theory of Speech and Language. Oxford, Clarendon Press.
  43. Classification décimale, division 4, Observation L. p 282. On a donné de la Philologie les définitions suivantes : Boeck, la connaissance de ce qui est reconnu, c’est-à-dire de ce qui est apprécié, de ce à quoi on attribue de la valeur. Naville : c’est la science des œuvres durables dans lesquelles l’homme a incorporé avec art la vie de son esprit (œuvre littéraire et œuvre d’art) — (donc durée et valeur). C’est une science historique, mais aussi une science économique. Salomon Reinach : la philologie embrasse l’étude de toutes les manifestations de l’esprit humain dans l’espace et dans le temps. Elle se distingue aussi de la psychologie proprement dite qui étudie l’esprit au moyen de la conscience, indépendamment de l’espace et du temps, dans son essence et non dans ses œuvres.
  44. « Saint est Dieu, le père de toutes choses… Tu es saint, toi qui a constitué les êtres par la Parole… Reçois le pur sacrifice verbal de l’âme et du cœur qui monte vers toi, ô inexprimable, ô ineffable, que le silence seul peut nommer. » (Hermes Trimégiste.)
  45. Parmi les parlementaires vivants, M. Poincaré, ancien Président de la République, écrit ce qu’il va dire. M. Caillaux n’a rien devant lui.
  46. Mœller : Histoire de l’Église, III, p. 39 et 53.
  47. Voir les débats des Tribunes libres, tel que le Rouge et le Noir en Belgique. Les débats organisés au Palais Mondial avec cadre du débat fixé d’avance, annonce à l’assemblée (un objet, une méthode, des conclusions) avec apport sous les yeux d’une documentation largement visualisée empruntée au Musée mondial et à l’Atlas universalis ou préparée pour y être reversée ensuite.

    Modern Debate Practice by Waldo O. Willhoft, London Pittman.

  48. Albert Marinus : Ethnographie. Folklore et Sociologie, p. 21.
  49. Meillet, A. — La méthode comparative en linguistique historique.
  50. Le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. Revue de métaphysique et de morale. 1933.
  51. Boillot : Sur l’affiche de Ulen pour la plume Waterman.
  52. Paul de Reul : L’art et la pensée de Robert Browning. Bruxelles, Lamertin 1929, 527 p.
  53. Della Rocca de Vergalo. La réforme générale de l’ortografe. Paris, Lemerre. 5 fr.
  54. Dewey, Melvil, Simpler Spelling : Reazons and Rules (In Decimal classification, edition 12th 1927, p. 49).
  55. Paul Reuner. Gutenberg Jahrbuch 1930, p. 338-343.
  56. Des propositions intéressantes ont été faites par M. Vseevolhold Cheshichhin (Niizhnij-Noovgorod) dans l’ordre de la langue internationale, comme pasigraphie :

    a) Employer indifféremment les radicaux des grandes langues de circulation internationale en y ajoutant les désinences grammaticales de l’esperanto et en séparant le radical de la désinence par des points, dont le nombre correspond par convention à chaque langue. Ex. :

    Chieno. Chien (français) substantif.

    b) Employer les indices chiffrés de la classification décimale comme radicaux exprimant les concepts et les combiner avec les désinences grammaticales de l’esperanto.

    Ex. : 599.725 oj Chevaux.

    c) Compléter cette dernière notation par un hiéroglyphe chinois.

    d) Obtenir à volonté une correspondance conventionnelle entre les chiffres de la classification décimale et les syllabes désignant les notes de la musique soit 1 = ut, 2 = ré, 3 = mi, 9 = de, 0 = hha.

    soit cheval-oj ou 599.725 oj Soldedesire soloij.

    Les notes pourraient être chantées comme dans certains langages anciens.

  57. Voir Publication de l’Institut International de Bibliographie.
  58. Voir propositions W. Jezierski, Schola et Vita, 1931, no 1-3, 1932, no 1-2, p. 92.
  59. Couturat : Histoire de la langue internationale. — E Wüster : Internationale Sprachnormung in der Technik. Un linguiste autorisé, comme Otto Jespersen, a construit à son tour une langue artificielle, le Novial (International Language G. Allen Union, 1928).
  60. Tout ce qui concerne la Littérature est classé ci-après ainsi que tout ce qui concerne les Écrivains. Pour l’étude des formes, voir aussi ce qui est dit sous Formules, Bilan et Méthodes pédagogiques.
  61. Cf. en ce qui concerne la comparabilité statistique, U. Ricci : Les bases théoriques de la statistique agricole. 1914. p. 7.
  62. Géruzet. — Cours de littérature conforme au plan des études rhétoriques (1852).
  63. Marmontel : Éléments de littérature. — Laharpe : Cours de littérature. — Batteux : Principes de littérature. — Blair : Leçons de rhétorique. — Baldensperger : La littérature. Création, Science, Durée. — Broeckaert (R. P.) : Le guide du jeune littérateur.
  64. My class in Composition, de Bézard, adopté par Phillis Robbins.
  65. H. Bouasse. Introduction du tome III du Cours de Physique.
    Sur les conditions et les exigences de la science, voir n° 152.1.
  66. Voir les œuvres d’Henry van de Velde, de Le Corbusier, d’Alberto Sartori (Éléments de l’architecture fonctionnelle. Tormo Hoepli. 678 reproductions).
  67. Voir à titre d exemple : Freemantle. Comparative politics.
  68. Victor Cousin : Du vrai, du beau et du bien, 23e édition, p. 660.
  69. Voir « Une Croisade », Journal des Tribunaux (Bruxelles. 2 février 1902).
  70. L’Histoire de France de E. Dermot (cours moyen, 1re année, éducation civique, histoire de la civilisation, 144 p.) Voici un type de livre moderne pour l’étude de l’histoire. Les 2000 ans d’histoire sont divisés en 69 leçons, conduisant des Gaulois à l’année 1911. Chaque leçon ne comporte qu’une page. Elle a son titre général. Elle est divisée en trois, quatre ou cinq points rubriqués et numérotés. Les mots typiques, ceux qu’il faut retenir sont imprimés en italiques. Un résumé encadré et en italiques ; un questionnaire achève la page ; en regard un croquis, dans le texte, s’il y a lieu, une carte, des portraits caractérisés avec une légende et un récit, lecture illustrée se rapportant à l’un des faits visés dans la leçon. Il est lui-même divisé par point. À la suite du récit, sous le titre « à souligner », l’indication des pointe du récit à relever et qui éclairent l’histoire des mœurs et les progrès de la civilisation. In fine une chronologie donnant cent dates, divisée par périodes et en trois caractères, romains, italiques, égyptiennes, pour faire mieux ressortir les faits caractéristiques. Ce petit volume cartonné se vendait 90 centimes.
  71. Voici quelques exemples :
    xxxxxa) En ce qui concerne les sciences pures, mathématique, chimie, physique, botanique, zoologie, etc., C. A. Laisant a entrepris chez Hachette une collection d’ouvrages rédigés pour les années de l’enfance et tendant à son initiation. Ces petits livres (Initiation mathématique, etc.) s’adressent aux parents désireux d’initier leurs enfants, tout en les amusant et en les intéressant par des observations effectives, aux rudiments des différentes sciences, dont la connaissance est devenue, dans une époque de progrès comme celle où nous vivons, d’une nécessité presque absolue.
    xxxxxb) Dans les Tables de logarithmes du service géographique de l’armée, pour éviter les chances d’erreur et de fatigue, on a adopté le perfectionnement suivant : Les caractères sont d’un type nouveau et leur disposition dans les nombres ne peut laisser place à la confusion. Le papier a été teinté pour amoindrir pour les yeux l’effet de la lumière réfléchie ; il est légèrement jauni pour toutes les tables, sauf pour certaines de teinte bleue pour les faire reconnaître de suite. (Imprimerie Nationale. 1889.)
    xxxxxc) Manuel Astruc. « Formulia » : Notions de 7 sciences appliquées à l’automobile. La chimie, la physique, la mécanique, la trigonométrie, l’algèbre, la géométrie, l’arithmétique sont mises à contribution.
    xxxxxd) Voici les « Tables nautiques » de C. Cornet (Gauthier Villars). « Les deux tables de cet ouvrage, dit l’auteur, permettent de résoudre le triangle sphérique avec sûreté et rapidité ; elles ont été étudiées pour éviter les erreurs, faciliter les entrées, éviter de feuilleter. »
    xxxxxe) E. Cottet. Leçons et exercices d’analyse à l’école primaire. Livres d’exercices avec des points à la place des mots, à remplacer par les élèves.
    xxxxxf) Dans « La femme a ses raisons… », par Charles Oulmont. L’auteur présente le journal intime de ses deux héros en texte juxtaposé sur deux colonnes. Il souligne ainsi d’amusante façon les malentendus qui se glissent dans ce ménage.
    xxxxxg) Jules Laforgue, sentant passer en lui un flux tumultueux de sensations, d’idées, d’impressions fugitives, ne savait mettre de l’ordre dans tout cela et jetait tout pêle-mêle dans des poèmes amorphes où, à travers des obscurités laborieuses, passaient, çà et là, des éclairs de génie.
    xxxxxh) Certains auteurs dispersent à travers tous leurs ouvrages sous forme de réflexions éparses ou mélangées à d’autres faits, leurs idées qui, si elles étaient condensées didactiquement en un chapitre spécial, dessineraient avec forme leur conception. Le lecteur par suite est obligé de reconstituer lui-même la théorie et de relire ensuite l’ouvrage inspiré par cette théorie. Il y a là une commodité de lecture à réaliser.
  72. Peano a imaginé que toute théorie soit redite en symbole. Cela, dit-il, exige une analyse profonde des idées qui figurent dans cette branche ; avec les symboles, on ne peut pas représenter des idées non précises. Il condense toutes les idées et proportions diverses, grâce à cette notation. Il réalise un formulaire classé dont chaque proposition est exprimée par une formule. Il classe les propositions dans l’ordre de combinaison en suivant l’ordre de série des symboles. Il donne aux propositions un numéro décimal pour permettre les interpolations.
  73. Le magnifique discours de Hofmannsthal, testament de ce grand poète, sur l’Écrit, domaine spirituel de la Nation.
  74. Voir des vues détaillées sur ce développement dans les grands dictionnaires généraux et spéciaux.