Traité de Porphyre, touchant l’abstinence de la chair des animaux/Préface

Traité de Porphyre, touchant l’abstinence de la chair des animaux
Traduction par Jean Levesque de Burigny.
(p. 3-12).

PRÉFACE.


L’Ouvrage de Porphyre touchant l’Abſtinence de la chair des Animaux nous a paru ſi ſingulier & ſi digne d’être lû, que nous avons crû employer utilement notre tems, en mettant ce Livre à portée d’être connu de tout le monde.

Le projet de retrancher aux hommes par religion un de leurs plus grands plaiſirs & cette eſpèce de nourriture ſans laquelle ils ne croyent pas que le genre humain puiſſe ſubſiſter, suppoſe du moins un grand amour pour la perfection.

Ceux qui contrediſent les opinions reçûes, préciſément pour être ſinguliers, s’attirent l’attention du Public, ſans ſouvent en être dignes : mais ceux qui s’éloignent des ſentiments ordinaires dans le deſſein de rendre les hommes plus ſages, méritent qu’on leur donne audience.

C’étoit certainement l’intention de Porphyre dans l’Ouvrage de l’Abſtinence, dont on donne la Traduction. Nous ne prétendons ni approuver ſa méthode, ni juſtifier ſes preuves. Nous ne regardons ce traité, que comme une Diſſertation curieuſe remplie de paradoxes, dans laquelle on trouve des faits ſinguliers, des raiſonnemens bizarres, mêlés de quelques principes que la vraie Religion ne déſavouroit pas.

Il est très-digne d’un philoſophe d’examiner la naiſſance & le progrès des opinions, qui ſont liées à la morale. Cette étude peut contribuer à la connoiſſance de l’eſprit humain ; elle a même autant d’agrément pour ceux qui aiment à penſer, que la lecture de l’Hiſtoire, dont le réſultat le plus ordinaire eſt que les hommes ont toujours été méchans.

Ceux qui ont une occaſion de parler de l’Ouvrage de l’Abſtinence, ont témoigné pour ce Livre la plus haute eſtime. Holſtenius a dit[1], qu’on ne pouvoit aſſez louer ce Traité. Gale l’appelle un Ouvrage d’or[2], qui prouve que l’Auteur avoit beaucoup de génie, & une érudition très-agréable. Mauſſac, Conſeiller au Parlement de Toulouſe, entreprit au commencement du ſiécle paſſé une Traduction du Livre de l’Abſtinence[3]. Il l’a dédiée à Guillaume du Vair Garde des Sceaux, qui venoit de mourir.

Ceux qui ne connoîtroient Porphyre que par cette Traduction, n’en pourroient avoir qu’une très mauvaise idée. Car outre que Mauſſac écrivoit mal, même pour ſon tems, il s’éloigne du ſens de ſon Auteur dans quantité d’endroits ; & la plupart de ſes phraſes ſont inintelligibles. Il eſt vrai que nous n’avons pas le texte de Porphyre dans ſa plus grande pureté ; mais les fautes qui ont pû s’y gliſſer, n’empêchent pas qu’on ne puiſſe preſque toujours faire un ſens suivi, & qu’on ne découvre parfaitement tout ce que l’Auteur a voulu nous apprendre.

David Hæſchelius[4] & Thomas Gale avoient promis de donner une Édition plus correcte du Traité de l’Abstinence. Nous n’aurions apparemment rien à déſirer pour la pureté du texte, ſi ces deux ſavans hommes euſſent rempli leurs engagemens : mais malheureuſement la mort les a ſurpris, avant qu’ils ayent pû ſatisfaire à leurs promeſſes.

Nous avons joint la traduction de la Vie de Plotin par Porphyre au Traité de l’Abſtinence. Il y a dans cette vie beaucoup de faits, qui ont rapport à l’Hiſtoire de Porphyre. D’ailleurs Plotin eſt un de ces hommes extraordinaires, que l’on ne peut trop examiner lorſqu’on veut approfondir l’homme ; & c’est une lecture digne d’un Philoſophe, de voir comment un homme tel que Plotin a été repreſenté par un homme du caractére de Porphyre.

Ce recueil finit par une diſſertation ſur les Génies. Cette matiére faiſoit un des principaux objets de la ſpéculation de Plotin, de Porphyre & des autres Philoſophes qui écrivoient vers la fin du Paganiſme. C’est ce qui nous a fait prendre la réſolution de l’éclaircir.

Nous avons mis a la tête de ce Volume une vie de Porphyre, dans laquelle on a recueilli tout ce que les Anciens nous ont appris de ce Philoſophe. L’expérience nous fait voir qu’on lit avec plus de plaiſir un Ouvrage, quand on connoît ſon Auteur. D’ailleurs il n’eſt perſonne, qui ne prenne intérêt à la vie d’un homme célèbre & ſingulier.

  1. Opus nunquam ſatis laudatum. Holſtenius de vita & ſcriptis Porphyri, c. 9.
  2. Opus aureum, magno ingeno & eleganti eruditione elaboratum. Sur le 4. ch. de la S. 5. d’Iamblique, De mysteriis.
  3. Porphyrius Philoſophe Pythagoricien, l’un des plus célébres de l’Antiquité, de l’Abſtinence Pythagorique, traduit du Grec par le ſieur de Mauſſac, Conseiller du Roi en ſa Cour de Parlement de Toulouſe ; à Paris, chez Pierre Chevalier, 1622.
  4. Fabricius, Bib. Græc. T. 4. p. 284. Gale ſur le 4. ch. de la S. 5. d’Iamblique.