Traité élémentaire de trigonométrie rectiligne (Bovier-Lapierre)/11

CHAPITRE XI.

CONSTRUCTION DES TABLES TRIGONOMÉTRIQUES.


55. On a déjà donné au no 15 une idée de la construction des tables trigonométriques. Il s’agit maintenant de traiter avec les développements convenables ce qui avait seulement été indiqué.

1o Tout arc inférieur au quadrant est plus grand que son sinus et plus petit que sa tangente.

En effet, soit l’arc AM (fig. 20). Prolongeons son sinus MP jusqu’en N ; menons de l’extrémité T de sa tangente TA la droite TI tangente à la

Fig. 20.


circonférence. L’arc AMI sera égal à l’arc MAN, et on aura

xxetxx,


et, en prenant la moitié des deux membres,

xxetxx.

2o Le rapport entre un arc plus petit que le quadrant et son sinus diminue en même temps que l’arc, et tend vers 1 à mesure que l’arc tend vers 0°.

En effet, soit a un arc < 90° ; nous aurons et , ce qu’on peut écrire ainsi :

.

Divisant tous les termes par , on obtient

.

Le rapport est donc compris entre 1 et la quantité variable , qui est plus grande que 1, mais qui diminue avec l’arc, puisqu’alors augmente. De plus, s’approche indéfiniment de 1 à mesure que l’arc tend à se réduire à 0°.

Ainsi, à la limite, le rapport est compris entre 1 et 1, ce qui revient à dire que l’arc et son sinus diffèrent de moins en moins à mesure que l’arc diminue, et qu’un arc infiniment petit est rigoureusement égal à son sinus.

D’après cela, si l’on calcule la longueur d’un arc très-petit, de par exemple (le rayon étant pris pour unité), cette longueur sera à très-peu près la valeur de  ; or on a

,xxx,xxx,

On trouve donc

3o Cherchons maintenant le degré d’approximation de cette valeur. De on tire  ; la multiplication des deux membres par donne

ou .

Effectuant la multiplication et transposant les termes, on obtient

,


et, à plus forte raison, en remplaçant le sinus par l’arc dans le second membre,

.

Désignant, pour plus de simplicité, l’arc 2a par b, nous aurons

;


donc la différence entre un arc et son sinus est moindre que le quart du cube de l’arc.

Or on a

,
xxouxx,
xxouxx,


c’est-à-dire que le quart du cube de l’arc de est moindre que 1 unité décimale du 13e ordre.

Ainsi la différence entre l’arc de et son sinus ne commence qu’au-delà du 13e chiffre décimal, et par conséquent on a

,


valeur approchée par excès avec une erreur moindre que 1 unité du 13e ordre décimal.

56. Le calcul de pourrait se tirer de

 ;


mais la marche suivante est préférable.

De ,xx on tire xx.

Comme pour un arc très-petit , diffère peu de , on aura une valeur très-approchée pour , en prenant

.

Cherchons une limite supérieure de l’erreur. On a
valeur exacte                                  ,
valeur approchée par défaut          .

En désignant par e leur différence, on trouve

.


et en remplaçant x parx , quantité plus grande, on a

.

De plus, la différence est moindre que le quart de on aura donc à plus forte raison

xxouxx.

Ainsi, en prenant pour le cosinus d’un arc l’excès de 1 sur la moitié du carré de cet arc, on commet une erreur moindre que la 16e partie de la 4e puissance de cet arc.

Or l’arc de étant moindre que , on trouve
                               unités du 20e ordre décimal,
                          unités du 18e ordre décimal.

Cette méthode fournit donc la valeur de avec 18 chiffres décimaux exacts.

Pour effectuer le calcul, on doit d’abord chercher le carré de l’arc de avec 18 chiffres décimaux par la multiplication abrégée. On obtient
                    
ou, en se bornant aux treize premières décimales comme pour le sinus,

.

57. Les sinus et cosinus de ,,… pourraient être tirés des égalités
          ,
          ,
          ,


et ainsi de suite. Mais Th. Simpson, mathématicien anglais du xviiie siècle, observant que les arcs dont on cherche les sinus et cosinus forment une progression par différence, a simplifié le calcul de la manière suivante. Prenons les formules du no 38
                    
                    .

Les trois arcs et forment une progression par différence, dont la raison est b. En écrivant les termes dans l’ordre de ces arcs, et faisant , on a

xxxx(27)
,
.

Telles sont les formules de Th. Simpson. On y remplace successivement a par en ayant soin dans ces calculs de déterminer le degré d’approximation de chaque résultat[1].

58. Ces calculs peuvent encore être abrégés. En effet, soit k la différence très-petite qui existe entre et , on aura

,
.

Remplaçant par dans les égalités (27), et transposant, on obtient

xxxx(28)
.

Faisant ensuite on trouve

                    

On voit par là qu’en retranchant de , on obtient la différence qu’il y a entre et  ; il suffira d’ajouter à cette différence pour avoir .

En retranchant de la différence , comme par le calcul précédent, on obtient la différence qu’il y a entre et  ; il suffit donc d’ajouter à cette différence pour avoir , et ainsi de suite. On opèrera de la même manière pour les cosinus.

On prend la précaution de former d’avance les produits de k par chacun des neuf chiffres significatifs.

59. Des erreurs étant à craindre dans des opérations aussi étendues, il est important d’avoir des moyens de vérification. Or on peut calculer directement les sinus et cosinus de certains arcs (no 7) ; il suffira donc de comparer aux valeurs ainsi obtenues celles qu’aura fournies le calcul précédent. Par exemple, on cherche les sinus et cosinus des arcs de 9° en 9°. On a d’abord (no 7)

.
.

Les formules (10) donnent

                                             ,

                                             .

Pour connaître et , on pourrait employer les formules (11) ; mais on obtiendra des résultats plus simples en les cherchant en fonction de au moyen des formules (34) données plus loin au no 65. De cette manière, on trouve
                                        ,

                                        .

Comme est égal à , et que 27° est la moitié de 54°, on aura par ces mêmes formules

                                        ,

                                         ;
on a aussi

.

En effectuant les opérations indiquées, on obtiendra les valeurs de ces sinus et cosinus avec une approximation aussi grande qu’on voudra.

C’est ainsi qu’ont d’abord été calculées les premières tables trigonométriques. Depuis, on a trouvé des méthodes plus expéditives ; mais elles sont fondées sur des principes qui n’appartiennent pas aux mathématiques élémentaires.

  1. Voir mon Traité élémentaire des approximations numériques.