Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 124-147).

serbelli.

Ta parole me glace, elle me tue ! Écoute.
Tout à l’heure, en sortant du quartier général,
J’ai vu passer ce moine… oh ! le moine infernal !…
Une fille en haillons, pâle, mais non sans grâce,
De son pied chancelant se traînait sur sa trace.
À peine hors des murs avaient-ils fait cent pas,
Qu’une troupe de noirs, qui les attend en bas,
S’élançant tout à coup d’une obscure embuscade,
Les a reçus tous deux ; alors la cavalcade,
Fuyant à toute bride avec les deux captifs,
Poussant des cris de joie, a gagné les grands ifs.

salvador.

Dis-tu vrai ?…

serbelli, lui indiquant la fenêtre.

Dis-tu vrai ?…Vois !…

salvador.

Dis-tu vrai ?… Vois !…Comment devant eux reparaître ?
Je passais pour cruel, vais-je passer pour traître ?



fin du quatrièhe acte.


ACTE CINQUIÈME


Les mornes du Chaos, près la source de l’Artibonite, qu’on voit rouler en cascade derrière le plateau où le camp de Toussaint est assis. — Sur la droite de ce plateau, on voit les rochers aigus d’un morne plus élevé couvert de neige à son sommet. — C’est la Crète-à-Pierrot, que Toussaint a fait fortifier. — Des arbres abattus, des ponts de bois jetés sur des précipices. — Des rocs accumulés, dressés en remparts, défendent cette formidable position retranchée. — Des vedettes, des sentinelles montrent çà et là leurs têtes et leurs baïonnettes. — Au-dessus des rochers la lune éclaire encore un peu le ciel. On voit poindre les premières lueurs du crépuscule à l’est.



SCÈNE PREMIÈRE.


TOUSSAINT, LE PÈRE ANTOINE, DESSALINES, PÉTION, ADRIENNE, généraux, officiers, soldats de l’armée de toussaint, peuple.
Toussaint est assis sur un tronc d’arbre renversé, recouvert d’une peau de panthère. — Les généraux noirs environnent Toussaint. — Le moine a relevé son capuchon ; il essuie la sueur de son front. — Adrienne est accroupie à terre, le bras appuyé sur l’épaule de Toussaint. — Toussaint la regarde avec tendresse ; il passe de temps en temps la main sur les cheveux de la jeune fille.
toussaint, au moine.

Le Dieu qui d’Abraham prévint le sacrifice

M’a rendu mon enfant…

Montrant Adrienne.

M’a rendu mon enfant…Que son sang te bénisse !
Toi qui fus l’instrument et la main du Très-Haut.
Tu vois qu’il n’a pas pris son esclave en défaut !
J'ai livré tout saignant tout mon cœur pour mes frères,
Daigne à mon holocauste ajouter tes prières !
Qu’il achève pour moi tes bienfaits commencés !
Est-il père des noirs ? nous verrons !…

Le moine se retire les mains jointes et les yeux levés vers le ciel. — Toussaint appelle d’un geste les généraux noirs et fait signe qu’on laisse approcher la foule.


SCÈNE DEUXIÈME


Les précédents, moins LE PÈRE ANTOINE.
toussaint.

Est-il père des noirs ? nous verrons !…Avancez,
Mes enfants, mes amis, frères d’ignominie,
Vous que hait la nature et que l’homme renie ;
À qui le lait d’un sein par les chaînes meurtri
N’a fait qu’un cœur de fiel dans un corps amaigri ;
Vous, semblables en tout à ce qui fait la bête !
Reptiles !…

Avec fierté.

Dont je suis le venin et la tête !
Le moment est venu de piquer aux talons
La race d’oppresseurs qui nous écrase… Allons !
Ils s’avancent ; ils vont, dans leur dédain superbe,
Poser imprudemment leurs pieds blancs sur notre herbe :
Le jour du jugement se lève entre eux et nous !
Entassez tous les maux qu’ils ont versés sur vous,
Les haines, les dédains, les hontes, les injures,

La nudité, la faim, les sueurs, les tortures,
Le fouet et le bambou marqués sur votre peau,
Les aliments souillés, les rebuts du troupeau ;
Vos enfants nus suçant des mamelles séchées,
Aux mères, aux époux, les vierges arrachées ;
Comme un autre bétail, vous-mêmes, en un mot,
Vendus et revendus ou par tête ou par lot ;
Vos membres dévorés par d’immondes insectes,
Pourrissant au cachot sur des pailles infectes ;
Sans épouse et sans fils vos vils accouplements,
Et le sol refusé même à vos ossements !
Pour que le noir proscrit, qu’il vive ou qu’il succombe,
Sans famille ici-bas, fût sans Dieu dans la tombe.
Rappelez tous les noms dont ils nous ont flétris,
Titres d’abjection, de dégoût, de mépris ;
Comptez-les, dites-les, et dans votre mémoire
De ces affronts des blancs faisons-nous notre gloire !
Que ce soit l’aiguillon qui, planté dans la peau,
Fait contre le bouvier regimber le taureau ;
Il détourne à la fin son front stupide et morne,
Et frappe le tyran, au ventre, avec sa corne.

Hourra.

Vous avez vu piler, pour la poudre à canon,
Le soufre, le salpêtre et le noir de charbon ?…
Sur une pierre creuse on les pétrit ensemble ;
On charge, on bourre, et feu ! le coup part, le sol tremble !
Avec ces vils rebuts de la terre et du feu,
On a pour se tuer le tonnerre de Dieu !
Eh bien, bourrez vos cœurs comme on fait cette poudre !
Vous êtes le charbon, le salpêtre et la foudre !
Moi, je serai le feu, les blancs seront le but…
De la terre et du ciel misérable rebut,
Fais voir, en éclatant, ô race enfin vengée,
De quelle explosion les siècles t’ont chargée.

Plus bas et avec beaucoup de gestes.

Ils sont la !… là, tout près !… vos lâches oppresseurs !
Du pauvre gibier noir exécrables chasseurs ;
Vers le piége caché que ma main sut leur tendre,
Ils montent à pas sourds et pensent nous surprendre.
Mais j’ai l’oreille fine, et bien qu’ils parlent bas,
Depuis le bord des mers j’entends monter leurs pas.

Il fait le geste d’un homme qui écoute, l’oreille à terre.

Chut !… leurs chevaux déjà boivent l’eau des cascades,
Ils séparent leur troupe en fortes embuscades,
Ils montent un par un nos âpres escaliers…

Avec énergie.

Ils les redescendront avant peu par milliers !

Il montre un gros bloc de rocher détaché.

Que de temps pour monter ce rocher sur la butte !
Pour le rouler en bas, combien ?… une minute !…
Avez-vous peur des blancs ?… Vous, peur d’eux ! et pourquoi
J’en eus moi-même peur… oui, mais écoutez-moi :
À l’époque où, fuyant chez les marrons de l’île,
Il n’était pas pour moi d’assez obscur asile,
Je me réfugiai, pour m’endormir, un soir,
Dans ce champ où la mort met le blanc près du noir,
Cimetière éloigné des cases du village ;
La lune en tremblotant glissait sous le feuillage ;
Sous les longs bras d’un cèdre où je l’avais tendu,
À peine mon hamac était-il suspendu,
Qu’un grand tigre, aiguisant ces dents dont il nous broie,
De fosse en fosse errant, vint flairer une proie.
Sa griffe sacrilège ouvrait le lit des morts ;
Deux cadavres humains m’apparurent dehors :
L’un était un esclave et l’autre était un maître !…
Mon oreille, des deux l’entendit se repaître,
Et quand il eut fini ce lugubre repas,

En se léchant la lèvre, il sortit à longs pas.
Plus tremblant que la feuille et plus froid que le marbre,
Quand l’aurore blanchit, je descendis de l’arbre,
Je voulus recouvrir d’un peu du sol pieux
Ces os de notre frère exhumé sous mes yeux.
Vains désirs ! vains efforts ! de ces hideux squelettes
Le tigre avait laissé les charpentes complètes,
Et, rongeant les deux corps de la tête aux orteils,
En leur ôtant la peau les avait faits pareils.
Surmontant mon horreur, « Voyons, dis-je en moi-même,
Où Dieu mit entre eux deux la limite suprême ?
Par quel organe a part, par quels faisceaux de nerfs,
La nature les fit semblables et divers ?
D’où vient entre leur sort la distance si grande :
Pourquoi l’un obéit, pourquoi l’autre commande ? »
À loisir je plongeai dans ce mystère humain :
De la plante des pieds jusqu’aux doigts de la main,
En vain je comparai membrane par membrane,
C’étaient les mêmes jours perçant les murs du crâne ;
« Mêmes os, mêmes sens, tout pareil, tout égal !
Me disais-je ; et le tigre en fait même régal,
Et le ver du sépulcre et de la pourriture
Avec même mépris en fait sa nourriture !
Où donc la différence entre eux deux ?… Dans la peur :
Le plus lâche des deux est l’être inférieur ! »
Lâches ! sera-ce nous ? et craindrez-vous encore
Celui qu’un ver dissèque et qu’un chacal dévore ?
Alors tendez les mains et marchez à genoux,
Brutes et vermisseaux sont plus hommes que vous !
ou si du cœur des blancs Dieu vous a fait les fibres,
Conquérez aujourd’hui le ciel des hommes libres !
La liberté sera le prix de nos efforts.

pétion.

Liberté pour nos fils et pour nous mille morts !

toussaint.

Mille morts pour les blancs et pour vous mille vies !
Les voici, je les tiens… Leurs cohortes impies
Sur nos postes cachés vont surgir tout à coup.
Silence jusque-là… puis, d’un seul bond, debout !
Qu’au signal attendu du premier cri de guerre,
Un peuple sous leurs pieds semble sortir de terre !…
Chargez bien vos fusils, enfants, et visez bien :
Chacun tient aujourd’hui son sort au bout du sien !
À vos postes !… Allez !

Ils s’éloignent. — Toussaint rappelle les principaux chefs et
leur serre la main tour à tour.

À revoir demain, frère !
Ou martyrs dans le ciel, ou libres sur la terre !

Ils sortent.


SCÈNE TROISIÈME


TOUSSAINT, ADRIENNE.
Toussaint regarde ses lieutenants s’éloigner en levant les mains au ciel et en paraissant prier pour eux ; puis il revient vers Adrienne, et, assis sur le tronc d’un arbre, il l’attire doucement près de lui.
toussaint.

Ah ! laisse-moi, mon ange, avant le saint combat,
Reposer sur ton cœur ma vertu qui s’abat.
Hélas ! j’enfante un peuple et, maudit sur la terre,
Seul, je n’ai pas d’enfant qui m’appelle son père !
Liberté de ma race, es-tu donc à ce prix,
Que pour sauver mon peuple, il faut perdre mes fils ?…
Que pour sauver mes fils, il faut perdre ma race ?…
Adrienne, où sont-ils ? ô mon Dieu ! grâce ! grâce !…

Il me faut dépouiller tout sentiment humain,
Pour n’être plus, Seigneur, que l’outil dans ta main.

A Adrienne.

Ma fille, un homme sûr, sous le toit d’un créole,
S’apprête à t’emmener jusqu’à l’île espagnole.
Suis les pas de ce guide à qui je te remets,
Fuis ce fer et ce sang !

ADRIENNE, l’étreignant avec force.

Fuis ce fer et ce sang ! Je vous l’ai dit : jamais !
Autant vaudrait-il dire au souffle de ton âme :
Sépare-toi du corps !

TOUSSAINT.

Sépare-toi du corps ! Ô cœur mâle de femme,
Qui brise sans plier sous l’ouragan du sort,
Se retrempe au danger, s’affermit dans la mort !
Se peut-il que ce sein, premier berceau des braves,
Qui fait honte au héros, enfante des esclaves ?
Tu braveras le sang et la mort sans effroi ?

ADRIENNE.

Mon œil ne verrait pas la mort derrière toi !


SCÈNE QUATRIÈME



Les précédents, ROCHAMBEAU, soldats de l’armée de Toussaint.

Les soldats amènent Rochambeau les yeux bandés à Toussaint.

UN SOLDAT NOIR.

Maître ! maître ! un espion !

UN AUTRE SOLDAT NOIR.

Maître ! maître ! un espion ! Pris vers la grande roche.

UN AUTRE SOLDAT NOIR.

Faut-il le fusiller ?

ADRIENNE, se jetant entre le blanc et le noir.

Faut-il le fusiller ? Oh ! pitié !

TOUSSAINT.

Faut-il le fusiller ? Oh ! pitié ! Qu’il approche.

Aux noirs.

Détachez ce bandeau qui l’empêche de voir.

On détache le bandeau. — À Rochambeau.

Qui cherchais-tu ?

ROCHAMBEAU.

Qui cherchais-tu ? Toussaint.

TOUSSAINT, s’indiquant lui-même.

Qui cherchais-tu ? Toussaint. Regarde ce vieux noir…

ROCHAMBEAU.

Vous raillez…

TOUSSAINT.

Vous raillez… Le vengeur d’un peuple qu’on outrage,
Dans son corps contrefait doit en être l’image !
Tu me trouves trop vieux, trop laid pour un héros ?
Plus le bois est noueux, mieux il brise les os :
Parle, que me veux-tu ?

ROCHAMBEAU.

Parle, que me veux-tu ? Mon général m’envoie
Apporter à ton cœur un message de joie.
Ces fils longtemps pleurés à qui tu tends les bras !…

TOUSSAINT, s’élançant avec transport.

Eh bien ! mes fils !… mes fils ?…

ROCHAMBEAU.

Eh bien ! mes fils !… mes fils ?… S’avancent sur mes pas.
De la fidélité, chez nous, nobles otages,
De la paix dans tes mains ils vont être les gages.
Ordonne aux postes noirs de les laisser passer,
Ils sont nos envoyés.

toussaint, à part.

Ils sont nos envoyés.Grand Dieu ! les embrasser
Et mourir !…

Aux noirs.

Et mourir !…Allez, vous ! allez ! Qu’en ma présence…
Que leur escorte passe et demeure à distance.

Indiquant un arbre isolé.

Tenez, là !…

À Rochambeau.

Tenez, là !…Vous ! courez hâter leurs pas trop lents,

Aux noirs.

Et vous ! mort à qui touche un seul cheveu des blancs !

Rochambeau et les noirs sortent.


SCÈNE CINQUIÈME


TOUSSAINT, ADRIENNE.
toussaint, très-agité.

Dans mes vœux les plus chers enfin le ciel m’exauce ;
Mes fils rendus !… Adieu mon attitude fausse !…
Adrienne, ils sont là, mes lionceaux !… tous deux !…
Ah ! tout mon cœur bondit et vole au-devant d’eux ! u
Je ne me sens plus chef, je ne suis plus qu’un père,
Père plus faible, hélas ! que la plus faible mère,
Qui sous le fer levé d’un cruel assassin
Serre et voudrait rentrer ses enfants dans son sein !

adrienne.

Je vous l’avais bien dit, que le poison de gloire
N’avait pas pu tuer nos noms dans leur mémoire !
Qu’ils reviendraient au nid, en fidèles oiseaux,
Sitôt que de leur cage on romprait les barreaux.
Ils nous aiment…

toussaint.

Ils nous aiment…Crois-tu !

adrienne.

Ils nous aiment… Crois-tu !Le fruit vient des racines…
Les blancs n’ont pas changé les cœurs dans leurs poitrines.

toussaint, à part.

Oui ; mais s’ils s’en servaient comme d’un traître appas,
Pour me percer le sein quand j’ouvrirai les bras ?
Si, pendant les douceurs d’un entretien si tendre,
Désarmé par l’amour ils venaient me surprendre ?…
Contre le noir stupide ils se servent de tout ;
Ils font bêler l’agneau pour attirer le loup.

À Adrienne.

Écoute, mon enfant, pendant cette entrevue,
À défaut de Toussaint porte partout la vue.
Sur ces monts dominant tous les monts d’alentour,
Ce créneau de rocher surgit comme une tour ;
C’est ma tour des signaux, c’est de là que se dresse,
Pour les yeux de mes chefs, le drapeau de détresse,
Drapeau noir comme nous, dont la couleur aux vents
Fait une tache au ciel comme nous aux vivants !…
Trente mille des miens, dont ce signe est l’étoile,
Ont les yeux attachés sur ce morceau de toile !
immobiles, muets, et cachés l’arme au bras
Dans ces ravins profonds tant qu’il ne flotte pas,
Mais à son premier pli, si ma main le déploie,
S’élançant comme un tigre et croulant sur leur proie !…
Si l’on tend à mon cœur quelque piège inhumain,
Jures-tu d’élever ce signal dans ta main !

adrienne.

À ton moindre clin d’œil, je saurai me résoudre.
Pour toi, pour mon pays j’allumerai la foudre !

toussaint, l’embrassant.

Ô naïf héroïsme ! ô sublime vertu !

À part.

Digne sang de Toussaint, hélas ! où coules-tu ?
Entre mon fils et toi, Dieu ! quelle différence !

Il va chercher le drapeau noir et le lui remet roulé dans
les mains.

Tiens, reçois dans tes mains ma vie ou ma vengeance ;
Regarde, écoute, épie, observe et comprends tout ;
Prends garde au feu des blancs de t’exposer debout.
Mais dès qu’un bruit de pas, des voix, des feux, des armes,
Jetteront dans ton cœur le moindre cri d’alarmes,
Préviens mon geste même, et d’un ou deux élans
Monte et déploie en haut ce noir linceul des blancs !

adrienne, saisissant avec transport le drapeau et
le pressant sur son coeur.

Aux transports paternels livre-toi sans contrainte.
La main qui tient ton sort ne connaît pas la crainte.
Je veillerai sur eux ; pas un de leurs soldats
Sans être signalé ne pourra faire un pas.


SCÈNE SIXIÈME


Les précédents, ALBERT, ISAAC, officiers, soldats de l’armée française, généraux, officiers, soldats de l’armée de toussaint, peuple, puis SALVADOR.
L’escorte des enfants de Toussaint gravit les pentes du camp ; on distingue Salvador à la tête des soldats. — Quelques officiers noirs arrêtent l’escorte à une distance convenable. — Un noir fait sortir Albert et Isaac des rangs ; ils s’élancent en courant de toutes leurs forces vers Toussaint immobile qui leur tend les bras. — Toussaint se dégage pour les contempler ; il reste comme enivré de leur vue.
toussaint, touchant la tête de ses enfants tour à tour.

Ô mes pauvres petits !

albert, retombant sur son sein.

Ô mes pauvres petits !Ton Albert !

isaac, se levant sur la pointe des pieds.

Ô mes pauvres petits ! Ton Albert !Et moi, père ?

adrienne.

Mes frères !

isaac.

Mes frères !Adrienne !

albert.

Mes frères ! Adrienne !Ô joie !

toussaint, élevant les mains au ciel.

Mes frères ! Adrienne ! Ô joie !Et toi, leur mère,
Femme qui de douleur t’enfuis au firmament,
Mêle-toi de la-haut à cet embrassement !

Ils se groupent autour de Toussaint.

Moment surnaturel où mon âme ravie
Ressaisit dans mes bras toute ma jeune vie !…
Mes fils !… Est-ce bien vous dont je touche les fronts ?

Il tombe à genoux.

Mettons-nous à genoux tous les quatre et pleurons !

Ses enfants se mettent ù genoux comme lui.

Oh ! oui, longtemps, longtemps, prolongeons cette extase !

À ses fils.

Faisons comme autrefois, vous savez ?… dans la case !…
Quand nous nous retrouvions tous quatre réunis
Comme des passereaux réchauffés dans leurs nids…
Que la mère, mettant vos deux mains dans les siennes,
Vous faisait dire à Dieu vos oraisons chrétiennes,
Et les larmes aux yeux vous embrassait après !…

isaac.

Mère !…

albert.

Mère !…Elle n’est plus là…

toussaint, un doigt sur sa bouche.

Mère !… Elle n’est plus là…Silence ! elle est tout près !

À ses fils.

Ces prières d’enfants, sur ses genoux priées,
Ne les avez-vous pas chez les blancs oubliées ?

albert.

Un peu, père.

isaac.

Un peu, père.Moi, non !

toussaint.

Un peu, père. Moi, non !Dis-les, pauvre petit.
Quand je ferme les yeux, quand ta voix retentit,
Je la crois encor là ! le doux temps recommence…

Avec délire.

Je suis au ciel, enfants ! ou je suis en démence !…
Oh ! mon Dieu ! fais durer ces moments d’autrefois !

À Isaac.

Isaac ! allons !

adrienne, naïvement.

Isaac ! allons !Lui n’a pas changé de voix.

isaac, à genoux et les mains dans celles de son père.

 « Dieu descendu du ciel dans le sein d’une femme,
Pour porter nos travaux, pour délivrer notre âme ;
Dieu né dans une étable et mort sur une croix,
Je prie en ton saint nom ton père en qui je crois !
J’aime ta pauvreté, j’espère en ton supplice ;
Par les gouttes de sang de ton divin calice,
Sanctifie, ô Jésus ! sur le front du chrétien,
Les gouttes de sueur qui découlaient du tien !
Fais-nous par ton exemple honorer notre père,

Toussaint relève la tête avec orgueil.

Fais-nous croître et souffrir les yeux sur notre mère !
Donne-nous le repas des oiseaux du buisson,
Le grain qui sur le champ reste après la moisson,

Et, pour bénir l’état où tu nous as fait naître,
Un bon père la-haut !… sur la terre un bon maître ! »

Toussaint se lève avec indignation ; ses enfants étonnés
se lèvent avec lui.
toussaint, avec force.

Un maître !… Qu’as-tu dit ?… Le nègre n’en a plus !
Ces mots sont effacés, ces temps sont disparus !…
Debout, enfants, debout, le noir enfin est homme !
Spartacus a brisé ses fers ailleurs qu’à Rome !
Un maître !… Ah ! de ce mot tout mon cœur a saigné ;
Il me rappelle, au cri de mon sang indigné,
Que mes fils dans mes bras sont le présent d’un traître,
Que j’ai des ennemis !… ah ! oui ! mais pas de maître !…

À ses fils.

Vous venez, en leur nom, m’apporter leur mépris !
J’arracherais vos cœurs s’ils les avaient flétris !
Vous n’êtes plus mes fils, ma tendresse, ma joie ;
Non, vous êtes l’esprit du blanc, qui vous envoie.
Maître !… c’est leur langage ; ils usurpent ce nom !
Ils m’ont gâté mon sang !

isaac.

Ils m’ont gâté mon sang !Ô mon père ! pardon.

toussaint.

Embrasse-moi !… Loin, loin, toute parole amère !
Elle ferait gémir l’ombre de votre mère.
Tu ne le diras plus, ce mot injurieux.
Les blancs sont des larrons, le maître est dans les cieux !

Il regarde et touche leurs habits.

Ils ont changé sur vous l’habit de votre enfance ;
Rougissez-vous de moi sous ce luxe de France ?

albert et isaac, révoltés.

Ah !

toussaint, avec orgueil.

Ah !Ce vieux mendiant a sous ses vils habits

Un empire et son nom à léguer à ses fils ?
Laissons cela ! — Chacun sent, selon sa nature,
Dans les dons du tyran la chaîne ou la parure ;
Le frein doux au cheval fait saigner le lion…
L’un s’appelle douceur, l’autre rébellion !
Pour savoir si je dois rendre grâce ou maudire,
Parlez ! au nom des blancs que venez-vous me dire ?
Qu’apportez-vous ?

albert.

Qu’apportez-vous ?La paix.

toussaint.

Qu’apportez-vous ? La paix.La paix ? Dérision.

albert.

La liberté des noirs s’ils font soumission.

toussaint.

Soumission ?

albert.

Soumission ?La loi, non, ce joug lourd et rude…

toussaint.

Taisez-vous ! point de paix avec la servitude !

albert.

Entre les blancs et nous complète égalité,
Leur drapeau seulement couvrant la liberté.

toussaint, ironiquement.

Oui, comme le linceul recouvre les cadavres !

albert.

Leurs troupes dans nos forts, leurs vaisseaux dans nos havres,
Mais…

toussaint, lui coupant la parole.

Mais…Leur poussière, va ! tache encor nos genoux !
Qu’ils partent !… L’Océan, c’est la paix entre nous !

albert.

Connaissez mieux des blancs le nouveau caractère :
De l’ennemi terrible ils distinguent le père.

« Allez, nous ont-ils dit, sans prix nous vous rendons,
Soyez entre ses mains le premier de nos dons ;
De nous comme de lui pour que la paix soit digne,
Sans lui tenir la main nous voulons qu’il la signe !
Ou restez dans votre île, ou revenez amis ;
Le Français affranchit même ses ennemis. »

toussaint.

Est-il vrai ? Ce consul est-il donc plus qu’un homme !
De quel nom, mes enfants, faut-il que je le nomme ?

albert.

Nommez-le votre ami, car il nous aime en vous.
Si vous saviez les soins que son cœur prit de nous ?
Souvent l’auguste main qui pèse un monde et l’autre
Se posa sur nos fronts douce comme la vôtre !
On n’a pas condamné dans son secret dessein
La race qu’on réchauffe ainsi contre son sein !
Ne vous a-t-il pas dit : « Tous deux grands, soyons frères :
« La terre n’a qu’un astre, elle à deux hémisphères. »

toussaint, réfléchissant et parlant par saccade.

Ce mot énigmatique est clair quoique profond,
Un nuage le couvre, un empire est au fond !
— Oui ! l’oracle est obscur, mais on peut le comprendre,
Devenir ton égal est-ce donc redescendre ?
— Ah ! l’amour de mes fils, ma seule passion,
Politique, nature, orgueil, ambition,
Tout commande a mon cœur ce que leur voix m’inspire.
— La guerre est un hasard ; la paix est un empire.
— De l’avenir des noirs présage triomphant !
Un héros ne ment pas par la voix d’un enfant.

À ses fils.

Allez ! portez aux blancs la réponse d’un père :
Mes bras sont désarmés si leur chef est sincère.


SCÈNE SEPTIÈME


Les précédents, LE PÈRE ANTOINE.
Pendant les derniers mots du monologue de Toussaint, le moine s’avance derrière lui, écoute, tire de sa robe une lettre, la déplie et la présente à Toussaint.
le moine.

Sincère ?… Écoute bien :

Il lit.

Sincère ?… Écoute bien :« Réunis tous les soirs,
Au cercle du consul, quelques amis des noirs
Ont paru. Le grand homme adressant la parole
À l’un d’eux : « Citoyen, vous vous trompez de rôle ;
» Je suis blanc, ils sont noirs : ma peau, c’est ma raison !
» Votre philanthropie est une trahison ! »

À ces mots Toussaint arrache lu lettre des mains
du moine et l’achève avec indignation.
toussaint.

Puis, ajoutant aux mots la colère du geste :
« Les amis imprudents d’un sang que je déteste
» Devraient s’envelopper dans des crêpes sanglants.
» La liberté des noirs sera le deuil des blancs ! »

le moine.

Voilà ton allié, Toussaint !

toussaint.

Voilà ton allié, Toussaint !Lui ! moi !… l’infâme !

le moine.

Voilà le cri du sang, voilà le fond de l’âme !

toussaint.

Son masque de héros ne me cache plus rien,
L’ennemi de ma race est à jamais le mien !

albert.

À ces emportements donnez du temps, mon père !
Possédez tout en vous, même votre colère.
Nous sommes les enfants des races d’ici-bas ;
Au rang des nations on monte pas à pas ;
Derniers-nés des humains, privés de l’héritage,
Il est long le chemin d’un trône à l’esclavage.
Pouvons-nous espérer que nos frères partout
D’à genoux qu’ils étaient se réveillent debout ?
Vouloir tout obtenir du ciel, c’est trop prétendre.
Le secret de tout perdre est de ne rien attendre !
Il ne veut sur les noirs régner que par la loi.
Un pas, vous êtes libre ! un mot, vous êtes roi !…

Il tend la main à son père.
toussaint, retirant la sienne.

Arrête ! entre nous deux je vois toute ma race.
Sois de ton sang, mon fils, avant que je t’embrasse !
Quoi ! c’est toi, c’est un fils par ma mort racheté,
Qui me conseille un pacte avec la lâcheté !
Non, je n’affranchis pas Haïti de ses chaînes
Pour aggraver le poids d’autres races humaines ;
Tout affront par un noir en mon nom supporté
Me ferait détester ma propre liberté.
Qui la livre, mon fils, pour soi n’en est plus digne.
Tu vois dans quel esprit le chef des blancs la signe.
Il la tend en amorce aux noirs de nos climats,
Pour l’enchaîner ailleurs à l’arbre de ses mats,
Et revenir après, débarquant dans nos havres,
Dans son berceau sanglant l’étouffer de cadavres !
Et je lui prêterais le sol pour l’égorger ?
Je retiendrais le bras qui seul peut la venger ?…
Quoi ! du bourreau des miens silencieux complice ?
Du sein de mon repos je verrais leur supplice ?

Et c’est vous ! vous, mes fils, qui venez !… Dans mon sein
N’ai-je donc quarante ans couvé mon grand dessein,
Dissimulé ma force, évaporé ma haine,
Bu ma honte, joué, chien souple, avec ma chaîne,
Et, serrant le fer nu dans mon poing frémissant,
Tracé vers l’avenir ma route avec mon sang,

Il découvre sa poitrine et laisse voir ses cicatrices.

Que pour voir, ô dernière, irréparable injure !
Mes fils me rejeter ce sang à la figure :
Et dire, en reniant le coup que j’ai frappé :
Reprenez votre mors, vous vous êtes trompé ! »
Quoi ! c’est vous qui voulez que j’abdique, et qu’on dise :
Toussaint mena son peuple à la terre promise,
Mais il ne verra pas le bien qu’il a conquis !…
Seul, il eût été roi !… mais il avait des fils !… »
Allez ! cœurs dont l’Europe a ramolli les fibres,
Vous emportez mon sang, mais je vous laisse libres.
Choisissez sans contrainte entre les blancs et moi !

isaac.

Dût l’île s’engloutir, moi j’y reste avec toi !

adrienne, tendant les bras à Albert.

Albert ! regarde-nous !

isaac, cherchant à attirer Albert à Toussaint.

Albert ! regarde-nous ! Tu regardes la terre !
Oh ! parle, dis un mot !

toussaint.

Oh ! parle, dis un mot ! C’est parler que se taire !
Va, pars, n’hésite plus !

S’attendrissant tout à coup.

Va, pars, n’hésite plus ! Tu partirais, mon fils ?
Trahissant à la fois ton père et ton pays !
Mon Albert ! mon amour ! le rayon de mon âme !
Mon premier-né, l’enfant de ma première femme !

Toi, qu’en pressant jadis tout petit sur mon sein,
J’affranchissais du cœur dans mon secret dessein !
De mes premiers exploits, chère et première cause,
Qui dans chaque espérance étais pour quelque chose,
Qui te réfléchissais grand, libre, heureux et roi,
Dans les ruisseaux de sang que je versais pour toi,
Tu ferais éclater ce cœur dans ma poitrine,
À l’heure où nos tyrans penchent vers la ruine ?
Et dans ce fils, qu’un monstre a pu dénaturer,
Tu leur porterais ! quoi ? ma chair à torturer !
Ô ciel ! rends-moi mes fers ; ô ciel ! rends-moi mes maîtres !
L’esclave eut des enfants ! le chef n’a que des traîtres !
Mais non ! je m’avilis en efforts superflus ;
Il se tait !… Eh bien, pars ! je ne te connais plus !…
Pardonne, ô mon pays ! ce cri de la nature,
Ce cri qu’au patient arrache la torture,
En déchirant son sein sans ravir son secret !
Tu m’arraches le cœur, oui ! mais pas un regret !

À son fils avec mépris.

Reprenons tous les deux moi ma mort, toi ta chaîne !

albert, avec embarras.

Ô mon père ! au consul ma parole m’enchaîne ;
Si je ne pouvais pas vous fléchir, j’ai promis
De ne pas me ranger parmi ses ennemis.
Pardonnez ! votre gloire et notre délivrance
Pour vous sont en ces lieux, et pour moi sont en France !
En vain mon cœur se brise en s’arrachant d’ici !
Ma promesse… est ailleurs !…

adrienne, se précipitant à ses pieds.

Ma promesse… est ailleurs !…Et ton amour aussi !
Eh quoi ! les bras levés de ta pauvre Adrienne,
Cette vie en naissant enchaînée à la tienne,
Ce cœur qui n’a vécu que de son seul amour !
Qui, dans les jours sans fin, n’attendait qu’un seul jour !

Notre enfance en commun du même pain nourrie,
Toute joie en mon cœur à ton départ tarie ;
À travers l’océan ce soupir éternel,
Te rappelant d’ici sur le sein paternel,
Rien ne peut !… Ah ! qu’ont-ils pour fasciner ton âme ?
As-tu lu plus d’amour dans un regard de femme ?
Foule alors, sous tes pieds, ce cœur plein de ta foi,
Qui crie encor d’amour, en se brisant pour toi !
Pour faire un pas vers eux, traverse donc ma vie !
Non, la nature parle et l’amour t’en défie !…
Ils te rendent à nous, à ton père, à ton sang !

En se jetant dans ses bras.

Ah ! je sens sous mon front battre un cœur renaissant,
Son regard attendri se mouille, sa main tremble ;
Il cède !… Nous vivrons ou nous mourrons ensemble !

albert, désespéré, à son père et à Adrienne.

Entre l’honneur et vous qui pourrait réfléchir ?

isaac.

Réfléchir !

le moine.

Réfléchir !Il chancelle !

adrienne.

Réfléchir ! Il chancelle !Il pleure !

le moine.

Réfléchir ! Il chancelle ! Il pleure !Il va fléchir !

albert.

Mon cœur est tout a vous, mais ma foi me rappelle ;
Le noir comme le blanc doit y rester fidèle !
J’ai trop promis, sans doute !… oui, mais il faut tenir.

Il fait un signe de désespoir et s’éloigne de quelques pas, lentement, la tête baissée. — Adrienne pousse un cri. — Toussaint fait un geste d’abattement. — Albert se retourne et revient sur ses pas.
adrienne, avec un geste de joie.

Je le sentais bien, moi, qu’il allait revenir !

À ce moment Rochambeau, qui s’est avancé sans être aperçu
jusque-là vers le lieu de la conférence, se montre de loin
sur un rocher.
rochambeau, à haute voix et lentement, en faisant des gestes aux troupes blanches avec son épée.

Souviens-toi du consul ! C’est le moment d’être homme :
L’Europe te regarde et ton honneur te somme !

Albert hésite et veut remonter. Au même instant deux officiers
gravissent la pente, prennent Albert sous les bras et l’entraînent.
le moine, à Toussaint.

Tu vois !

toussaint.

Tu vois !Je sens en moi chanceler ma raison !
Mon fils ! reviens, je cède !…

le moine.

Mon fils ! reviens, je cède !…Ô honte ! ô trahison !
C’est un peuple qu’il cède !

toussaint.

C’est un peuple qu’il cède !Eh bien, non, c’est mon âme !

Adrienne et Isaac se tiennent embrassés convulsivement en voyant disparaître Albert. — Toussaint, égaré, chancelant, marchant à tâtons en étendant les bras à droite et à gauche, se précipite sur les pas de son fils ; il articule quelques mots confus lentement entrecoupés.

Ah ! ces grands fondateurs n’avaient ni fils ni femme !
De la nature en eux Dieu seul était vainqueur !
Mais moi !… Vous triomphez, ô blancs !… j’avais un cœur !

Il tombe évanoui sur un tertre. — Adrienne, le moine, Isaac le suivent, se penchent sur lui pour le ranimer et le relever ; Isaac lui jette ses bras autour du cou.
isaac.

Je t’aimerai pour, deux, mon père !

le moine, à genoux.

Je t’aimerai pour, deux, mon père !Le génie,
Rédemption d’un peuple, a donc son agonie !
Père, qui de ton fils contemples la sueur,
Soutiens-le sur sa croix !

On entend une rumeur sourde croissant dans les vallées et dans les gorges sous le plateau. — On voit briller aux premières clartés du soleil levant des baïonnettes se glissant sous les mornes.
adrienne, se levant en sur saut et se penchant sur le ravin.

Soutiens-le sur sa croix !Ô ciel ! quelle lueur !
Quel cliquetis de fer vers ces lieux brille et monte ?
Je nen puis plus douter : Aux armes !… Crime et honte !
Mon pays par ma faute allait périr en lui !
Toussaint !… Il n’entend pas, mais son âme m’a lui !
Courons donner aux siens le signal qu’ils attendent !
Que les plis du drapeau sur Haïti s’étendent !
Vous, rappelez la vie à ses membres tremblants,
Et qu’il meure du moins debout devant les blancs !

Elle s’élance, prend précipitamment le drapeau placé sur une pointe du rocher, monte sur ce rocher, et plante le drapeau sur la crête la plus élevée ; elle l’agite pour qu’il soit aperçu de plus loin. — À ce moment, on entend des roulements lointains de canons et de coups de feu sous tous les mornes, et des cris de commandement. — Au premier feu, on voit Adrienne, s’exposant de tout le corps aux halles, fléchir et tomber frappée d’un coup mortel au cœur ; elle chancelle et tombe dans les plis du drapeau. — Toussaint, le moine et Isaac, accourus au feu, la portent sur la scène ensanglantée et expirante.
toussaint, pleurant.

Sublime enfant ! ta mort est un double martyre ;
Je perds un fils ! et toi !… Dieu de moi te retire,
Mais sur nous par ta main le triomphe a flotté,
Ange de la victoire et de la liberté !

Il reste anéanti oubliant tout sur le cadavre.
le moine.

Laisse-nous à son sang mêler nos saintes larmes !
Ce sang fume entre un monde et l’autre ! Achève…

toussaint, revenant tout à fait à lui, s’élance à son tour sur le rocher, ressaisit le drapeau tombé des mains d’Adrienne et crie d’une voix terrible :

Ce sang fume entre un monde et l’autre ! Achève…Aux armes !

De toutes les cavités des rochers s’élancent des soldats blancs et noirs. — Le canon tonne dans le lointain. — Les fusillades s’engagent.
FIN.