J.-P. RORET (Les Contemporains, n° 18p. 3-96).



THIERS


Hélas ! encore un grotesque !

Vraiment la tâche est aussi fatigante que douloureuse. Ne pouvant accuser notre bonne foi dans la recherche du vrai, nous nous demandons si nos yeux ont tort, ou si le scepticisme de notre époque se gagne comme une maladie.

Devenons-nous, avec tant d’autres, le jouet de cette illusion déplorable qui jette sur la pente du préjugé les esprits les plus honnêtes ?

Sommes-nous atrabilaire, misanthrope ou pessimiste ?

Comme le lapin de Florian voyons-nous les objets au travers d’une lorgnette qui nous les montre trop près ou trop loin, trop gros ou trop petits ?

Toutes ces questions sont graves.

Notre plume sera brisée le jour où nous douterons de nous-même, et où l’on nous prouvera que nous regardons au travers d’un prisme menteur.

La hardiesse de notre œuvre ne s’excuse que par une loyauté absolue.

Écrire l’histoire vivante en subissant l’influence d’une passion quelconque, d’une haine ou d’une colère, serait un crime.

Or, nous n’avons ni colère, ni haine, ni passion.

Quand il s’agit de tracer un portrait, nous examinons l’original sous toutes les faces ; nous étudions chaque détail de sa vie ; nous mettons ses actes au creuset de l’impartialité la plus scrupuleuse ; nous pesons et nous contrôlons les divers jugements portés sur sa personne et sur ses œuvres ; nous interrogeons, en un mot, la conscience publique, et, malgré ces recherches, ces précautions, ces études, nous ne prenons la plume qu’en tremblant, surtout si le personnage nous semble mériter le blâme ou tomber sous le coup du ridicule.

« Hélas ! encore un grotesque ! » avons-nous dit au début de ce petit livre destiné à peindre M. Thiers[1].

L’exclamation nous est arrachée par un véritable chagrin, car nous avons eu beau retourner cette physionomie étrange et l’éclairer de mille façons, pour y trouver la moindre dignité, la moindre grandeur, cela nous a été impossible.

Nous n’avons pu saisir que des grimaces.

Et pourtant cet homme a été ministre, il a tenu la France dans sa main !

Un jour l’histoire se demandera quelle dynastie imprudente a osé confier ses destinées à cet écolier jaseur, à ce petit diable en lunettes, spirituel au possible et fin comme l’ambre, mais plus étourdi qu’un hanneton, plus écervelé qu’une mouche.

Louis-Adolphe Thiers est enfant de Marseille.

Toutes les ardeurs méridionales ont chauffé ce cerveau fantasque, où l’esprit sophistique des rhéteurs grecs se retrouve, au bout de vingt-quatre siècles, avec ses instincts de folle discorde.

Un de leurs descendants[2] a trouvé moyen de les surpasser tous.

Ce fut le 26 germinal an V (16 avril 1797) que la France eut la joie de voir naître M. Thiers.

Il est fils d’un ouvrier du port de Marseille, dont la vie n’a pas été fort édifiante, si l’on en croit certains renseignements donnés jadis par les feuilles du Midi. Mais chacun ici-bas répond de ses œuvres. Nous sommes de ceux qui pensent que les torts d’un père n’engagent en aucune sorte l’honneur des enfants.

Quels que soient ces torts, il nous semble incroyable toutefois qu’un fils ait osé proférer les paroles suivantes :

« Il y aurait là, sur le seuil de ma porte, une guillotine dressée pour mon père, et il me suffirait de descendre pour l’empêcher d’y monter, que je resterais dans mon fauteuil, cette chambre fût-elle au rez-de-chaussée[3]. »

Bien certainement le ministre de Louis-Philippe n’a jamais eu sur les lèvres pareil langage, ou il serait un monstre.

Nous n’hésitons pas à démentir le biographe qui le lui prête.

Par sa mère, notre héros appartient à l’une des familles de commerçants les plus estimées du pays. Il est cousin d’André et de Joseph Chénier. Un revers de fortune plongea tout à coup cette famille dans la détresse la plus profonde, ce qui explique une union mal assortie et les funestes conséquences qui en résultèrent.

Lorsque Napoléon créa l’université, on distribua des bourses en grand nombre.

Beaucoup de parents pauvres tendirent les mains à la munificence impériale, et le jeune Adolphe Thiers entra gratuitement au lycée de Marseille.

Il avait tous les défauts de son âge et quelques-uns de plus encore.

Vif, mutin, querelleur, indiscipliné comme un frelon, gourmand comme une guêpe, il était avec ses camarades en bataille éternelle, se faisait cribler de pensums, n’étudiait pas, et vendait ses livres pour acheter du sucre d’orge ou des pommes vertes.

La férule et le cachot n’intimidaient en aucune sorte notre vaurien.

Ses professeurs étaient aux abois.

Un jour, il étala perfidement de la poix de Bourgogne sur le siége du régent de sixième, afin, disait-il, de le rendre inamovible.

Un autre jour, en pleine étude, il tira de son pupitre un matou, dont il avait enfermé les pattes dans des coquilles de noix, et le lâcha sous la table. L’animal, épouvanté du bruit de son étrange chaussure, se mit à bondir d’une extrémité de la salle à l’autre en poussant des miaulements de désespoir.

Jugez de l’esclandre !

On condamna l’élève perturbateur à huit jours de cachot.

La réprimande qu’il reçut en outre fut terrible. Cédant à sa nature espiègle, il n’avait pas compris jusqu’alors la position d’un boursier. On la lui fit sentir, et cette humiliation de l’amour-propre amena chez lui la métamorphose la plus prompte et la plus inattendue.

Il devint aussi obéissant qu’il avait été indocile.

Ses inclinations à la paresse firent place à une activité soutenue dans l’étude, et, sept années durant, c’est-à-dire jusqu’en 1815, il remporta les premiers prix de sa classe.

Cette puissance subite, au moyen de laquelle il dompta son caractère, était fille de l’orgueil.

À Aix, où il alla suivre les cours de la faculté de droit, nous le retrouvons avec tous les défauts comprimés au collége. Libre, et ne craignant plus de perdre ce bienfait de l’éducation, sans lequel il voyait parfaitement que l’obscurité deviendrait son lot et la misère son partage, il s’abandonna sans gène à ses instincts de taquinerie et de révolte ; il lâcha de nouveau le matou parmi ses camarades, après avoir eu soin de lui aiguiser les griffes sur la meule de la politique.

Adolphe Thiers, à dix-huit ans et avec une taille de quatre pieds six pouces, était une sorte de chef de parti.

Sa voix de myrmidon révolutionnait l’école. Il devint la terreur des royalistes et la coqueluche des libéraux.

On voyait cet Hercule en miniature agiter d’un air vainqueur la massue de l’opposition, frappant à droite, frappant à gauche, et se glissant déjà, pour peu qu’il craignît une défaite, entre les jambes de ses adversaires, qui le cherchaient ensuite et ne l’apercevaient plus.

« Il évoquait, dit M. de Loménie, les souvenirs de la république et de l’empire, se faisait mal noter par ses professeurs, exécrer par le commissaire de police, adorer par ses camarades, et remportait contre vents et marées le prix d’éloquence[4]. »

cette époque, se révélaient déjà ce singulier talent oratoire et cette éblouissante agilité de plume qui, après avoir valu tant de succès à M. Thiers à la tribune et dans le livre, devaient un jour le conduire à l’Académie, boutique naïve où l’on fait aisément passer le clinquant pour de l’or.

Ce Mirabeau-mouche, comme on l’a depuis nommé si plaisamment, s’exerçait à parler et à écrire. Il essayait son aigre fausset dans les clubs mystérieux des ennemis de la Restauration. Les journaux du cru lui prêtaient leurs colonnes. Chaque jour il devenait plus habile dans l’art de plier la phrase au sophisme et de pailleter le mensonge pour le faire passer à la faveur d’un éclatant mirage.

À l’exemple de ses ancêtres grecs, il soutenait quelquefois, mais entre amis et comme simple essai, des thèses philosophiques ou politiques diamétralement opposées ; il plaidait le pour et le contre, passait du noir au blanc, soufflait le chaud, soufflait le froid avec la même adresse et le même bonheur.

En un mot, il préparait ce rôle de Bosco parlementaire, que nous l’avons vu jouer si longtemps, à la plus grande admiration des niais dont pullule notre belle patrie[5].

Le premier tour d’éloquence exécuté par M. Thiers mérite une mention spéciale.

Aix possède une académie très-savante.

Cette académie venait de mettre au concours l’éloge du fameux marquis de Vauvenargues, dont Voltaire disait : « Nous n’avons fait que glaner après lui dans le champ philosophique ; il est notre maître à tous. »

Adolphe Thiers traita le sujet proposé.

Il prépara deux copies de son œuvre, en déposa une au sanctuaire académique et se donna la satisfaction de lire la seconde à quelques camarades intimes, qui, d’avance, le proclamèrent vainqueur.

Malheureusement le secret de cette lecture fut connu des académiciens royalistes.

Ces derniers se liguèrent entre eux pour ne pas couronner l’étudiant révolutionnaire. Les votes furent divisés. On réserva le prix.

L’année d’ensuite, même concours, et même sujet offert par l’académie provinciale.

Thiers dépose tout simplement son factum de l’année précédente, et les juges déclarent qu’il ne mérite que l’accessit. Un autre éloge de Vauvenargues, arrivé de Paris en droite ligne, a obtenu le prix.

On enlève le cachet qui dérobe le nom du lauréat, et les académiciens poussent une exclamation de stupeur. Ils lisent au bas de ce nouveau discours, dont le mérite a été jugé transcendant, la signature d’Adolphe Thiers.

Le petit jacobin les a fait tomber dans un piége : il remporte à la fois le prix et l’accessit.

Un éclat de rire olympien ébranle les voûtés de l’enceinte académique. Les spectateurs se moquent des juges confondus. Jamais mystification n’a été plus complète.

Thiers est porté en triomphe dans les rues de la ville, par ces mêmes hommes qui, seize ans plus tard, sous le frivole prétexte que leur illustre compatriote a déserté la cause du libéralisme, doivent lui faire expier si cruellement les ovations accordées à sa jeunesse.

Notre panégyriste de Vauvenargues donnait alors de si belles espérances ! Tous ses amis le proclamaient grand homme par anticipation, et Dieu sait quel était le nombre de ses amis !

Il les a perdus tous, à l’exception d’un seul peut-être.

On devine que nous allons nommer M. Mignet, cet historien profond et sérieux qui a grandi dans la solitude et dans le travail. Il a dû souvent recourir à l’oubli et au pardon, afin de rester fidèle à son amitié pour l’homme, quand le ministre avait rompu la chaîne de leurs anciens principes et de leurs premières croyances.

L’amour seul n’est pas affligé d’un bandeau.

Après avoir complété leurs études de jurisprudence et passé leur thèse, Thiers et Mignet vinrent ensemble à Paris.

Pauvres l’un et l’autre et sans protecteurs, ils ne désespéraient pas néanmoins d’atteindre à la fortune.

Relégués au fond du passage Montesquieu, dans une misérable chambre d’hôtel garni située sous les combles, ils eurent de bien mauvais jours et la faim les visita plus d’une fois dans leur triste réduit.

Mignet disait :

— Nous arriverons par la littérature, et il allait tous les matins à la bibliothèque.

Thiers pensait :

— J’arriverai par l’intrigue, et il usait ses bottes à courir les rues, interrogeant, furetant, se glissant comme une couleuvre dans les bureaux de rédaction, dans les ministères, dans les couloirs de la chambre, cherchant une porte ouverte, et bien décidé, n’importe comment, à se faufiler quelque part, ou ailleurs.

Il écrivit au duc de La Rochefoucauld-Liancourt, un des chefs du parti libéral, une lettre fort adroite, dans laquelle il déploya tout son style.

Sous la même enveloppe il eut soin de fourrer ses deux éloges de Vauvenargues, le prix et l’accessit, en expliquant par une note l’excellente mystification dont il avait rendu victimes les académiciens de Provence ; puis il alla supplier un des huissiers de la chambre de vouloir bien remettre sa missive au vieux duc.

Or, son étoile l’amena juste au jour et à l’heure où Manuel, interrompu dans sa harangue et pris au collet par les gendarmes, était violemment entrainé hors du palais Bourbon.

Thiers, qui venait de donner sa lettre à l’huissier, courut vers l’endroit où il entendait des clameurs.

Il apprit ce dont il s’agissait, vit Manuel passer avec les sbires, s’élança au-devant du grand orateur, lui saisit les deux mains et cria comme un énergumène :

— Vengeance ! Les représentants sont inviolables ! Malheur à ceux qui déchirent la charte !

— Taisez-vous, dit Manuel ; ne vous faites pas emprisonner. Comment vous appelez-vous ?

Thiers lui donna son adresse.

À aucune époque de sa vie le petit homme n’a perdu la carte.

— Si vous avez besoin d’une plume dévouée, dit-il, je vous offre la mienne, et je la crois bonne. Nous sommes compatriotes, pensez à moi.

Effectivement Manuel était du département des Basses-Alpes.

Notre héros avait fait une excellente journée.

Trois jours après, il pouvait choisir entre une place de secrétaire intime chez le duc de La Rochefoucauld-Liancourt ou un emploi de rédacteur au Constitutionnel, la feuille la plus puissante d’alors et la plus en vogue.

Il opta pour l’emploi de rédacteur[6].

La presse lui fournissait l’occasion d’exercer sa bonne plume de Tolède.

Elle le jetait en plein dans son élément, dans les querelles, dans les luttes de partis, dans le cercle de toutes les discordes politiques, où l’intrépide petit bonhomme ne tarda pas à s’escrimer du bec et des ongles, unguibus et rosto.

Manuel, devenu son protecteur et presque son ami, l’avait recommandé chaudement à Étienne, roi de la rédaction.

Celui-ci chargea Thiers de jouer dans le Constitutionnel le rôle de boute-feu.

S’agissait-il d’user la poudre de l’opposition et de porter la mèche aux batteries incessamment braquées contre le pouvoir, Thiers se distinguait au premier rang des artilleurs. Il envoyait chaque matin aux ministres ou aux chambres des articles à mitraille, déployant une audace extrême, et persuadé que tous les boulets ennemis devaient passer au-dessus de sa tête.

Grâce à ce bombardement quotidien, M. Thiers gagna l’estime des chefs du parti radical.

Casimir Périer, le comte de Flahaut, le baron Louis et le banquier Laffitte[7], brouillés plus ou moins avec le pouvoir, se plaisaient à lui jeter dans les jambes ce Tom Pouce hargneux.

Talleyrand lui-même se fit amener M. Thiers.

— « Laissez venir à moi les petits enfants ! » dit le vieux diable diplomatique, habitué à profaner tout, même la parole du Christ.

Il sonda le protégé de Manuel, étudia ses allures, fit jouer les ressorts de cet esprit curieux, en admira le mécanisme, et résolut de former Thiers à son image.

Développées par un tel maître, les dispositions naturelles de celui-ci pour la ruse et l’intrigue devaient atteindre à leurs dernières limites. Il se fit ouvrir les salons les plus courus : il y obtint un succès d’étincelant bavardage, cachant son ambition sous une apparence de légèreté, couvrant au besoin du large chapeau de Basile son bonnet de jacobin, n’effarouchant personne, grattant l’épaule à tout le monde, questionnant avec finesse les vieux acteurs du drame de 93 et les moustaches grises de l’empire, admettant toutes les explications, tous les systèmes, provoquant les commentaires, se faisant broder les anecdotes, et recueillant, en un mot, la foule de matériaux indispensables à la fabrication de cette fameuse Histoire de la Révolution Française[8] qui devait porter au comble sa renommée et sa fortune.

En France, il n’est pas rare de voir brûler tout à coup un de ces feux de paille gigantesques, dont les lueurs enveloppent l’universalité de l’horizon, pour mieux s’éteindre ensuite et replonger dans les ténèbres celui qui les allume.

Le succès de la Révolution de M. Thiers est un de ces feux de paille.

Rien de plus éblouissant que son livre ; il éclate en étincelles et en paillettes lumineuses ; mais prenez garde, c’est un flambeau trompeur qui vous laissera dans les ombres de l’ignorance et du doute.

Ce n’est pas le phare dressé sur le rivage pour éclairer l’entrée du port, c’est la lanterne perfide attachée aux cornes d’un bœuf par un maraudeur de la côte, afin d’amener le naufrage de toutes les vérités et de toutes les convictions[9].

M. Thiers a menti sur toute la ligne.

Il prend le balancier de l’histoire pour danser sur la corde du roman.

Ce nain gracieux fait des tours de voltige admirables. Ses culbutes vous amusent. Il réunit en un seul type Arlequin, Polichinelle et Pierrot ; il se grime, il se masque, il joue tous les rôles. Regardez ! voici Thiers-Danton, Thiers-Marat, Thiers-Maximilien, Thiers-Barras et Thiers-Bonaparte. La guillotine triomphe, vive la guillotine ! Un conquérant se révèle, vivent les conquêtes ! La diplomatie entre en scène et brise l’épée du héros, vive la diplomatie ! Chacun a raison tour à tour ; le succès est le roi du monde, et M. Thiers se prosterne.

Dansons toujours, ne nous arrêtons pas.

— Voulez-vous des protocoles ? en voici ; M. Thiers assiste au conseil des rois.

Aimez-vous l’odeur de la poudre ? il va monter à cheval et commander les légions de César.

Désirez-vous descendre dans le ruisseau populaire ? il y saute à pieds joints et vous y entraîne.

M. Thiers sait tout, comprend tout, explique tout. Rien ne l’arrête, ni démentis, ni contradictions. Il transforme en hommes de Plutarque des monstres politiques ; il excuse le sang, les massacres, la terreur par un principe ou par un système.

En voyant ce petit Poucet détacher les bottes de sept lieues de l’ogre révolutionnaire et courir à grandes enjambées dans l’histoire, doit-on pleurer ? doit-on rire ?

On doit rire.

C’est de la bouffonnerie au premier chef. Alexandre Dumas, comme historien, est infiniment supérieur à M. Thiers.

Dans ses livres et dans ses discours, notre héros se plaît constamment à ériger l’ingratitude en vertu d’État. Sachant qu’un honnête homme doit avant tout prêcher d’exemple, il eut soin de combattre la réélection de son protecteur Manuel, sacrifiant nous ne savons à quelle coterie haineuse ou à quelle ambition mesquine[10].

Voici un autre fait que personne, à coup sûr, ne nous empruntera pour le consigner dans les archives de la reconnaissance.

Un excellent homme, Allemand d’origine et nommé Schubart, se lie avec M. Thiers à l’époque où celui-ci habite encore le passage Montesquieu.

La détresse est profonde.

Thiers n’a point d’habits, Schubart lui prête sa garde-robe ; Thiers ne trouve pas à dîner, Schubart partage tout avec lui, sa bourse et son pain, lui témoigne l’affection d’un frère, néglige ses intérêts pour ne songer qu’à ceux du jeune avocat, le prône sans cesse, vante son mérite à qui veut l’entendre et remplit, en un mot, le rôle d’un bon génie qui se dévoue pour lui procurer fortune et bonheur.

Le jour où Thiers obtient la protection de Manuel, Schubart nage dans l’ivresse.

Il porte les premiers articles publiés par son ami au baron Cotta, libraire allemand, devenu noble et millionnaire, et lui fait si bien partager son enthousiasme pour l’auteur de ces articles, que le généreux étranger donne à Thiers plusieurs actions du Constitutionnel[11], afin de le mettre dans ce journal sur un pied solide.

Notre ban Allemand est aux anges.

Son cher avocat, si malheureux et si dénué de ressources, passe à un état voisin de l’opulence. Il a changé sa chambre d’hôtel garni contre un appartement très-confortable, s’habille chez Humann, porte des bottes vernies, dîne au café Riche et se montre tous les soirs au balcon de l’Opéra.

C’est à merveille,

Mais Schubart, qui n’a plus un centime en poche, comprend qu’il doit enfin s’occuper un peu de lui-même. Il va frapper à la porte de son ami, pour lui demander quelques conseils et un coup d’épaule.

Le domestique de M. Thiers (Schubart est tout ébahi de trouver à M. Thiers un domestique en frac rouge) répond que son maître est au journal.

Même visite le lendemain, et même réponse.

Schubart se présente aux bureaux du Constitutionnel, le rédacteur-actionnaire est invisible.

Il y retourne, M. Thiers dîne en ville ; ou bien, il se promène à cheval au bois de Boulogne ; ou mieux encore, il est à Maisons, chez M. Laffite.

Schubart écrit trois lettres ; la poste les reçoit, mais ne lui rapporte rien.

Blessé au cœur, il prend la route d’Allemagne, « et s’en retourne à pied, dit l’auteur des Contemporains illustres[12], mourir de faim dans son pays. »

Quant à M. Thiers, il s’occupe de vendre ses actions pour en consacrer l’argent à fonder un nouveau journal, plus avancé que le Constitutionnel et moins craintif lorsqu’il s’agira d’attaquer le pouvoir.

Il a juré de donner le coup de grâce à la Restauration.

Le National paraît.

Armand Carrel et M. Thiers en sont les principaux rédacteurs[13]. Tour à tour ils se passent la plume démocratique, et le plus ardent des deux n’est pas celui qu’on pense.

Nous assistons, deux années durant, à un spectacle inouï.

Thiers-Picrochole (ainsi le nomme Hippolyte Castille dans son livre des Hommes et des Mœurs) s’arme d’un marteau de démolisseur, plante l’échelle aux remparts de la légitimité, monte gaillardement, et se met à démolir sans repos ni trêve, jusqu’à ce que les créneaux soient abattus, les flancs de la muraille ouverts, et qu’une brèche assez large permette au peuple de pénétrer dans le fort et d’y planter son drapeau.

L’heure de la révolution sonne, les premiers coups de fusil se font entendre.

Thiers descend de l’échelle, s’’essuie le front, salue les combattants et va se reposer de ses fatigues sous les ombrages de Montmorency.

Mais nous ne donnons là que les faits en substance, voici quelques détails.

Toute l’opposition, ralliée autour de la feuille nouvelle, lui prêtait son appui envers et contre tous. Condamnait-on le National à une amende énorme, cette amende était payée à l’instant même. Des points les plus éloignés de la province, les libéraux envoyaient leurs souscriptions à la caisse Laffitte, et le journal, après un procès qui devait le tuer, ne s’en portait que mieux.

Les ministres se donnaient au diable, ils perdaient complétement la tête[14].

Sous leurs pas s’effondrait le terrain, toutes les branches auxquelles ils essayaient de se retenir se brisaient. Chaque jour, ils roulaient plus avant dans l’abîme.

Au lieu d’écraser l’ennemi, les ordonnances retombèrent lourdement sur eux.

Dans la soirée du 26 juillet, un commissaire de police se présenta au National pour lui interdire de paraître le lendemain.

— Nous ne céderons qu’à la violence ! cria Thiers-Picrochole, se dressant sur ses ergots.

Le commissaire met son écharpe, descend à l’imprimerie, brise ou fait le simulacre de briser les presses, et disparaît pour ne plus revenir.

À la nuit tombante, les machines réparées fonctionnent ; la protestation du National est distribuée dans tous les coins de Paris, et les journalistes de l’opposition se rassemblent chez M. Dupin pour consulter ce profond légiste sur la gravité des circonstances.

Peu satisfaits de sa réponse, ils le quittent, bien décidés à se passer de lui et à faire prendre les armes au peuple.

— Est-ce que vous allez vous fourrer dans la bagarre ? dit à voix basse M. Dupin, retenant Thiers par un bout de l’oreille.

— Pour qui me prenez-vous ? répond Picrochole.

Dupin se plonge dans sa baignoire, et Thiers profile de la soirée, qui est charmante, pour aller en fiacre souper à Montmorency, au château de Mme de Courchamp.

Notre journaliste y resta trois jours, couché sur les pelouses vertes, humant le frais, se dorlotant comme un vrai sybarite, et se permettant de temps à autre, en fumant un cigare, une légère excursion jusqu’à Neuilly, où il avait quelques connaissances[15].

Lorsque la fusillade ne se fit plus entendre, il revint tout courant du côté de Paris, enjamba les barricades, sauta de pavé en pavé, se montra partout, le nez au vent, les lunettes hautes, et cria :

« — J’ai signé la protestation ! Mettre ma signature au bas d’un tel acte, c’était y mettre ma tête ! »

— Au fait, pensa le peuple, il n’a pas tort.

— Quel gaillard !

— Est-il intrépide, ce petit bout d’homme !

M. Thiers reçut bientôt le prix de son courage. Nommé conseiller d’État par le 9 août, il fut en même temps installé aux finances avec le titre de secrétaire général. Le baron Louis se chargea de lui donner le coup d’épaule.

Picrochole tient la rampe, laissez-le monter.

Bientôt Laffitte arrive à la présidence du conseil avec M. Thiers dans sa poche. On fabrique une loi électorale appropriée aux circonstances. Une main se glisse hors de la poche du banquier-président, et ajoute à la loi un modeste paragraphe ainsi conçu :

« Les nouveaux éligibles, âgés de trente ans, sont affranchis de la possession annale. Ceux qui ont atteint quarante ans y restent astreints. »

C’était peu de chose, on n’y prit point garde.

Thiers avait trente-trois ans, et les électeurs d’Aix, à l’exception de quelques académiciens rancuniers, lui donnèrent leur vote et le portèrent à la chambre, grâce au paragraphe additionnel.

Ici commence l’histoire de Mirabeau-mouche.

Comme le géant son devancier, il veut faire la grosse voix, mais son larynx de pygmée s’y refuse ; il se précipite à la tribune pour leur montrer la hure, mais on n’aperçoit qu’un museau de furet ; il agite la torche de la guerre, mais elle se transforme dans ses mains en allumette inoffensive.

Que devenir ? Il faut pourtant qu’on prenne M. Thiers au sérieux.

Les finances étaient alors dans le plus grand désarroi. Notre homme se rappelle sa fameuse brochure sur Law ; tout est sauvé, la chambre écoute[16].

Royer-Collard, après le discours de Thiers sur l’amortissement, s’approche de la tribune, reçoit l’orateur dans ses bras, le baise sur les deux joues, et lui dit :

« — Bien ! très-bien ! Votre fortune commence. »

Le chef des doctrinaires ne se trompait pas. Notre héros comprenait le mieux du monde qu’en essayant d’enrayer un char on risque d’être écrasé sous la roue. Foin des principes ! Messieurs du National, nous avons l’honneur de vous tirer notre salut !

Et voilà M. Thiers qui tourne le dos à Laffitte et tend les deux mains à Casimir Périer.

On crie à la trahison, M. Thiers s’en moque ; on le menace de toutes les foudres de la presse, il pirouette sur ses talons et fait une pétarade.

« S’il arrive, dit Cormenin, que, dans une monarchie, un homme né de peu, mais avec du talent, ait reçu une éducation plus lettrée que morale, et que, porté sur les bras de la fortune, il ait gravi au sommet du pouvoir, son élévation lui tournera bientôt la tête. Comme il se trouve isolé sur les hauteurs où il est parvenu, et qu’il ne sait où s’appuyer, n’ayant ni considération propre, ni entourage, n’étant plus et ne voulant plus être peuple, et ne pouvant être, quoi qu’il veuille et quoi qu’il fasse, noble et grand seigneur, il se mettra après les chausses de son roi, il les lui pressera, il les lui lèchera, et il ne saura par quelles contorsions de servitude, par quelles caresses de supplications, par quelles simulations de dévouement, par quelles génuflexions, par quels baise-pieds lui témoigner l’humilité et le terre-à-terre de son adoration[17].

« Les personnages de cette espèce sont comme ces prédestinés de la géhenne qui ont fait un pacte avec le diable. Ils sont marqués de son ongle, et s’ils veulent détourner la tête, rompre un anneau de leur chaîne, faire un pas, le maître infernal à qui leur corps s’est livré, à qui leur âme s’est vendue, leur crie : Tu es à moi !

« M. Thiers parle continuellement de son honnêteté : nous demanderons ce que cela veut dire ; de sa franchise : nous demanderons ce que cela veut dire ; de son mépris des grandeurs : nous demanderons ce que cela veut dire ; de son amour pour la révolution de juillet : nous demanderons encore ce que cela veut dire.

« Il est sans figure, sans taille et sans grâce ; il ressemble à ces petits perruquiers du Midi qui vont, de porte en porte, offrir leur savonnette. Il a dans son babil quelque chose du gamin. Sa voix nasillarde déchire l’oreille. Le marbre de la tribune lui va à l’épaule et le dérobe presque à son auditoire. Disgrâces physiques, défiance de ses ennemis et de ses amis, il a tout contre lui.

« Sa polémique n’est pas très-acerbe, parce qu’il est sans foi politique. Il se moque de toutes les théories, et il n’y a guère pour lui de bien et de mal, de vrai et de faux. Il aime la possession du pouvoir, non pas pour ce que le pouvoir est en lui-même, mais pour le bien-être qu’il procure. M. Guizot en a l’orgueil, et M. Thiers le sensualisme.

« M. Thiers est fait pour manipuler les fonds secrets et traiter avec les entrepreneurs de marchés et les agents de police. C’est là son métier, qu’il le fasse.

« N’avez-vous jamais entendu parler de ces serviteurs incommodes, brouillons, avides, qui, par journée, commettent cent sottises, mais qui ont les secrets de la maison ? On voudrait ne pas les garder, et on ne peut pas les renvoyer.

« Ne demandez pas à M. Thiers des convictions, il doute ; des preuves de virilité, son tempérament s’y refuse.

« Vous ne voulez pas qu’il raille, mais si tout lui paraît plaisant ! Vous ne voulez pas qu’il se moque de vous, mais il se moque bien de lui-même !

« Confiez-lui, si vous voulez, la marine, la guerre, l’intérieur, la justice, la diplomatie ; mais ne mettez pas à sa disposition des millions et surtout des centaines de millions, car ils passeraient comme l’eau dans le crible de ses doigts. Vous ne diriez pas, à voir ce petit homme, qu’il a l’estomac plus vaste qu’un autre. Comme Gargantua, en une bouchée il avalerait le plus gros budget[18]. »

Le portrait n’est pas flatté ; mais il n’en est que plus ressemblant.

Une fois dans les eaux du pouvoir, M. Thiers, devenu poisson dynastique, se mit à nager avec grâce et à suivre le courant de la faveur ministérielle.

Il narguait les brochets de la gauche et faisait pâmer d’aise toutes les carpes du centre.

On le voyait en pleine rivière, au juste milieu des flots, glisser, tournoyer, bondir loin des herbes traînantes de l’Italie et des roseaux plaintifs de la Pologne, les fuyant au moyen des nageoires mobiles du paradoxe, et y laissant empêtrés les goujons crédules du National.

Hélas ! ce n’était plus pour eux que brillaient les écailles argentées de son éloquence !

Casimir Périer, grand admirateur du mérite de M. Thiers, le chargea d’une mission diplomatique fort délicate et qui ne devait être connue de personne.

Justement les vacances approchaient.

Le député d’Aix prend un des premiers congé de la chambre, sous prétexte d’une grande fatigue causée par ses | luttes parlementaires, et se décide à traverser la Provence, afin d’y recevoir les compliments de ses électeurs. Il a soin d’écrire à quelques amis afin que l’on sache au juste le jour et l’heure de son arrivée.

Sa chaise de poste part ventre à terre. Notre homme se frotte les mains en songeant à l’accueil qui lui est réservé.

On arrive aux portes d’Aix.

M. Thiers est fort surpris de ne pas voir une foule enthousiaste se porter à sa rencontre. Toutes les rues sont désertes ; le sous-préfet seul et quelques fonctionnaires se montrent autour de la voiture du petit député. Les cloches de la cathédrale ne sont pas même en branle.

Il descend à l’hôtel, convaincu que la ville est morte où qu’un démon jaloux de sa gloire en a subitement endormi la population.

Cette erreur ne dure pas.

Du bruit se fait entendre au dehors ; il regarde et voit une masse considérable d’hommes et de femmes qui se rassemblent sous sa fenêtre.

— Bon ! se dit-il, voici la sérénade.

En effet ; mais quelle sérénade, juste ciel !

M. Thiers bondit de surprise et de frayeur au début de cet étrange orchestre.

Les habitants de la ville, armés de pelles et de chaudrons, de casseroles et de pincettes, se mirent à exécuter le plus abominable charivari que jamais oreille humaine puisse entendre. Beaucoup d’entre eux s’étaient munis de cornets à bouquin. D’autres, après avoir roulé devant la porte de l’hôtel d’énormes tonneaux vides, frappaient dessus à tour de bras avec des maillets monstrueux. C’était un orage de cris, de hurlements, de sifflements, auxquels venaient se joindre des vociférations terribles :

« À bas le traître ! le traître à la France ! le traître à l’Italie ! le traître à la Pologne ! »

Il fallut boire jusqu’à la lie cette coupe amère de l’affront et de l’injure.

On se demande, après de tels exemples, comment il reste des ambitieux[19].

Casimir Périer meurt.

On rappelle M. Thiers d’Italie, et on lui offre un portefeuille, comme dédommagement de ses tribulations charivariques.

Plein de reconnaissance pour la bonté de son roi, le nouveau ministre lui tient à peu près ce discours :

— Sire, vous avez, rôdant de par le monde, certaine nièce rebelle et peu respectueuse, qui voudrait arracher la couronne de votre front auguste, sous le frivole prétexte que cette couronne appartient à son fils. Nous devons sans plus de retard mettre fin à une plaisanterie de ce genre. Donnez-moi carte blanche avec la clef du coffre-fort, et vous me verrez à l’œuvre.

— Bon ! dit Louis-Philippe, arrangez cela aux finances, monsieur Thiers. Je compte sur vous.

On sait le reste.

Au lieu de faire à l’héroïne vendéenne une guerre ouverte, franche et loyale, le ministre lui fit une guerre de police, une guerre honteuse : il acheta la fille des rois à un traître indigne, comme autrefois les princes des prêtres achetèrent à Judas le fils de Dieu.

Ce nouvel Iscariote s’appelait Simon Deutz.

Son nom, comme celui de l’autre, sera chargé de malédictions jusqu’à la fin des siècles.

Juif, les impurs traitants à qui l’on vend son âme
Attendront bien longtemps avant qu’un plus infâme
Vienne réclamer d’eux, dans quelque jour d’effroi,
Le fond du sac plein d’or qu’on fit vomir sur toi !

Nouvellement converti à Rome et recommandé à madame de Berry par le pape lui-même, Deutz gagna la confiance de la duchesse, la persuada de son dévouement, et vint dire au ministre :

— Je sais où elle est. Que m’offrez-vous ?

— Un million, répondit Thiers.

— Combien d’arrhes ?

— Deux cent mille francs.

Tope ! fit Deutz. Je vous la livre.

Le préfet de Nantes fut chargé de compter les arrhes[20]. Introduit ensuite par Deutz dans l’hôtel où se tenait cachée la duchesse, il exécuta les ordres impitoyables de M. Thiers.

Après seize heures d’agonie et de souffrances indicibles, la nièce de Louis-Philippe, à demi morte d’inanition et presque brûlée vive, se rendit à ses bourreaux.

Oui, ses bourreaux ! bourreaux de son corps et bourreaux de son honneur !

Car la guerre civile était éteinte, car vous n’aviez plus rien à craindre d’une pauvre femme vaincue, dont tous les défenseurs étaient dispersés. Vous deviez la conduire hors de France, en vous inclinant devant elle, comme des valets qui rougissent de leur dévouement soldé, de leur subordination mercenaire.

Mais non, la tâche du ministre n’est pas accomplie.

Une prison s’ouvre ; il y jette Marie-Caroline, lui donne pour geôlier un soldat brutal et la rend victime de vexations et de tortures sans nombre.

Il pénètre dans les secrets de sa vie, dans le sanctuaire de sa conscience ; il veut provoquer un scandale qui la flétrisse à tout jamais aux yeux de la nation. Des médecins, envoyés par ses ordres à la citadelle de Blaye, impriment dans les journaux leurs insolents rapports.

Bref, il obtient de la prisonnière la déclaration suivante :

Pressée par les circonstances et par les mesures ordonnées par le gouvernement, quoique j’eusse les motifs les plus graves pour tenir mon mariage secret, je crois devoir à moi-même ainsi qu’à mes enfants de déclarer m’être mariée secrètement pendant mon séjour en Italie.

« Marie-Caroline. »
« De la citadelle de Blaye, ce 22 février 1833. »

Malgré la promesse formelle faite à la duchesse de ne pas publier cette déclaration et de la laisser au dépôt des archives de la chancellerie, M. Thiers ordonne qu’elle soit insérée au Moniteur.

La France entière pousse un cri d’indignation.

Tout se comprend enfin.

On a soumis une femme, une princesse, une captive au système inquisitorial le plus odieux et le plus cruel, afin de lui briser sur le front la couronne de régente et de rendre le sceptre plus ferme dans la main de la branche cadette.

De pareilles actions portent malheur.

Où est Louis-Philippe ? Qu’est devenu M. Thiers ? Dans quel coin ténébreux est allé se cacher le juif infâme qui leur a vendu la duchesse de Berry ?

Ce n’est pas même un juif, c’est un païen immonde,
Un renégat, l’opprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oblique étranger[21],
Qui nous donne du moins le bonheur de songer
Qu’après tant de revers et de guerres civiles,
Il n’est pas un bandit, écumé dans nos villes,
Pas un forçat hideux blanchi dans les prisons
Qui veuille mordre en France au pain des trahisons !

Mais ne parlons plus de ce Judas.

Victor Hugo s’est fait l’écho de toutes les âmes honnêtes et l’a marqué du fer rouge de la honte.

Depuis son élévation à la dignité de ministre, M. Thiers prenait goût au maniement des finances : il en reste toujours après les doigts.

Ne trouvant plus assez d’aubaines à l’Intérieur, il demanda le portefeuille du Commerce et des Travaux Publics, avec un crédit de cent millions pour achever l’Arc de l’Étoile, la Madeleine, le palais du quai d’Orsay, plusieurs autres édifices considérables, et pour replacer sur la colonne la statue de l’Empereur.

À la cérémonie d’inauguration de cette statue, un des anciens rédacteurs du National se trouva près du ministre sur la place Vendôme, et dit assez haut pour que ses paroles arrivassent aux oreilles de M. Thiers :

« — Du ridicule au sublime il y a juste cent trente-deux pieds[22] ! »

Jamais homme n’eut plus d’ennemis et ne fut attaqué plus violemment que M. Thiers, Nous le traitons nous-même avec assez de sévérité, nous appuyons assez rigoureusement sur ses défauts et sur ses torts pour ne pas être accusé de flatterie, si l’on nous voit écrire quelques lignes à sa louange.

Malgré le système pacifique de l’ordre de choses, malgré M. Guizot et malgré le roi, Thiers, à propos de la question hollando-belge, fit triompher dans le conseil une opinion généreuse. Anvers vit des troupes françaises arriver à son secours ; elles prirent la citadelle qui menaçait la ville du feu de ses canons, sans que l’Europe, à qui l’on jetait le gant, osât le relever.

Ce fut à la même époque, et sous la surveillance immédiate du ministre, que les grands travaux d’achèvement s’exécutèrent.

S’il y eut des marchés occultes entre l’administration et les architectes, tant pis pour l’administration et pour son honneur !

Mais, nous devons le dire, M. Thiers fit renaître la prospérité publique, jusque-là compromise ; le commerce lui dut un développement merveilleux.

Il se vante, en outre, et il n’a pas tort, d’avoir rendu deux éminents services au pays, en décidant la chambre à maintenir le tarif des douanes, et en lui faisant voter, dans la même session, la loi municipale et départementale.

Qu’il ait, en d’autres circonstances, brouillé l’écheveau législatif et soufflé les lumières, il n’en est pas moins vrai que, pendant le cours de l’année 1833, il a été le palladium de l’industrie nationale et de l’unité française.

L’histoire décidera que le plateau du mal est infiniment plus chargé que le plateau du bien ; mais encore doit-on dire que le second n’est point tout à fait vide.

La loi sur les associations, présentée en 1834, menaçait de faire éclater l’orage de la guerre civile.

Peut-être n’appartenait-il pas à l’ancien boute-feu du Constitutionnel et du National de provoquer des mesures contre lesquelles il eût lancé jadis la foudre de ses articles. Du reste, il paya de sa personne en avril, et s’exposa courageusement aux balles que lui envoyaient ses anciens amis les républicains.

Une fois l’insurrection vaincue, les ministres, ne craignant plus de recevoir les coups de personne, se prirent à se battre entre eux.

Thiers et Guizot, jaloux l’un de l’autre, se cherchaient noise. Le maréchal Soult, président du conseil, ballotté chaque jour entre ces deux rivalités ambitieuses, perdit patience et se fâcha sérieusement.

Il s’en prit à Thiers comme au plus belliqueux.

Mais l’intrépide petit ministre déclara qu’il n’avait peur ni d’une voix de rogomme ni d’un grand sabre. Il agaça tellement le héros de Toulouse, il sema tant d’épines sur sa route, il le larda d’épigrammes si vives et si piquantes que celui-ci lui jeta son portefeuille au nez, en l’appelant foutriquet.

Ce nom pittoresque eut tout le succès désirable. À partir de ce moment chacun l’emprunta sans gêne au maréchal pour qualifier le ministre.

Dans les nombreuses modifications de cabinet qui survinrent, Thiers rejeta constamment la présidence de Guizot, et celui-ci n’accepta jamais celle de Thiers.

On était obligé de leur donner un homme de paille, aux flancs duquel tantôt l’un, tantôt l’autre mettait la torche.

Enfin le roi comprit que ces deux chevaux, attelés ensemble, le jetteraient dans un précipice. Il résolut de ne leur confier qu’alternativement la conduite du char de l’État.

De cette façon, il arriva plus lentement, mais aussi sûrement à la culbute.

Quand Guizot conduisait, Thiers se faisait mouche, et le temps qu’on employait à le chasser retardait la marche du véhicule.

Quand Thiers était attelé, Guizot se faisait borne, et son rival étourdi, le voyant en travers de la route, caracolait, ruait, voulait franchir l’obstacle, endommageait les roues et brisait l’essieu.

Le péril, au sens de Louis-Philippe, devenait alors beaucoup plus grand.

Thiers finit par être sacrifié à Guizot[23].

Chose étrange ! ces deux hommes si dissemblables de caractère, de qualités et de défauts, avaient une part égale dans les affections de la bourgeoisie, cette reine tant choyée de l’époque.

En y réfléchissant bien, cela s’explique.

Le pouvoir s’attachait la bourgeoisie par les moyens que vous savez. Or Guizot s’appliquait à rendre la corruption honnête et Thiers s’appliquait à la rendre aimable[24]. L’un développait les instincts hypocrites, l’autre flattait les instincts sensuels.

Tout s’arrangeait le mieux du monde.

Car la bourgeoisie, malgré ses déportements, tenait à passer pour une femme vertueuse.

Un jour néanmoins, elle oublia les sages préceptes de M. Guizot, lança son bonnet par-dessus les moulins, et suivit M. Thiers à Grandvaux[25].

Jamais nous n’oserions reproduire les détails de cette orgie historique, si la Quotidienne, sage et dévote personne, honorée de son vivant et canonisée après sa mort, ne nous tendait, du fond de la tombe, sa vieille plume encore humide.

C’était trois mois après l’attentat de Fieschi.

Écoutez ! c’est la Quotidienne qui parle :

« Il y a là trois ou quatre ministres, le chef de la police du royaume, des administrateurs et des députés. L’ordre de choses est en goguette, il a mis son chapeau sur l’oreille. Vivent les plaisirs ! à demain les affaires. C’est la folle journée de Figaro, et le Chérubin de cette folle journée, c’est M. Thiers, Chérubin à barbe grise, petit page d’un demi-siècle[26] et qui n’en est pas moins folâtre.

« On dîne d’abord, mais ce que Brillat-Savarin appelle bien dîner, c’est-à-dire qu’on dîne trop.

« À la fin du banquet tous les convives sont ivres, mais ivres d’une ivresse brutale, en un mot soûls comme des cochers. C’est une orgie d’antichambre. Au lieu d’effleurer le scandale, on va droit à l’ordure. De lubriques défis provoquent des réponses plus lubriques encore. On voit la vieillesse se parer publiquement de la verdeur de ses vices et l’on assiste à des scènes dignes de l’Arétin.

« Les invités de Grandvaux ont disposé sous la table une petite machine infernale, les satanés farceurs qu’ils sont ! La détonation se fait entendre. M. Thiers ne bouge pas, il est averti. Mais ce pauvre M. Duchâtel ! On vit bien alors que le dieu du commerce n’est pas le dieu de la guerre. Vous savez les premiers effets du coup de feu, et vous avez vu, j’imagine, la caricature du conscrit entendant pour la première fois le bruit du canon ? — Quoi ! M. Duchâtel ! — Oui, M. Duchâtel ! — Fi ! quelle saleté nous dites-vous là ! — Je vous le dis, parce que cela est vrai. Le pauvre homme s’en va partout racontant qu’il ne s’est pas trouvé à pareille fête depuis qu’il est sevré.

« On devait pendant la nuit chasser le lapin aux flambeaux ; mais la joyeuse bande de polissons officiels aima mieux s’occuper à composer un nouvel acte de cette comédie grivoise.

« — Un charivari à Thiers ! un charivari à Thiers ! » C’est le mot d’ordre qui circule.

« Déjà les casseroles retentissent, les pincettes tintent, les flambeaux crient, les cloches carillonnent, les sifflets glapissent, les marmites éclatent. C’est un vacarme à faire peur au diable.

« Thiers se lève en sursaut. Il se croit à Aix où à Marseille.

« Mais c’est un gaillard imperturbable et qui a toujours la repartie…, je ne dirai pas sur les lèvres, vous allez savoir pourquoi. Il s’approche de la fenêtre dans le plus simple des appareils, écarte brusquement les rideaux et fait voir aux mystificateurs stupéfaits son… (la Quotidienne n’a pas écrit visage) entre deux bougies. »

Tel fut le dénoûment de l’orgie de Grandvaux.

Dupin aîné s’écria, lorsqu’il apprit cette honnête farce de son ami Thiers :

— Cela vous étonne ? J’avais toujours dit que le gaillard en viendrait là !

Quand on songe que la France a été gouvernée par de tels hommes, on se demande comment Le tocsin révolutionnaire n’a pas retenti plus tôt.

Vous souvient-il que tous ces nobles convives ont vengé la morale, un beau jour, à la grande stupéfaction de Martin du Nord ? Ils étaient sans péché, rien ne s’opposait à ce qu’ils jetassent le premier caillou.

Nous ne ferons pas ici l’histoire de cette grande bascule ministérielle, qui manœuvra dix-huit ans, de haut en bas et de bas en haut, pour s’arrêter ensuite et laisser M. Guizot seul auprès du trône. Voyant son rival lui escamoter définitivement la présidence du conseil, Thiers enfourche de nouveau le bidet révolutionnaire. Il commande tous les feux de peloton dirigés contre la dynastie par le centre gauche. Son Histoire du Consulat, annoncée, dès lors, à grand orchestre, est la bombe victorieuse qu’il bourre de poudre, afin de l’envoyer directement sur les Tuileries.

Les deux premiers volumes paraissent en 1845, et les autres, jusqu’au onzième, suivent à des distances assez courtes.

Aujourd’hui la plume de M. Thiers s’arrête.

Il s’aperçoit, mais trop tard, qu’il a battu Louis-Philippe au profit de l’empire. Les trois volumes qui doivent compléter l’œuvre ne s’achèvent pas ou restent dans son portefeuille.

Permettez, monsieur Thiers, il faut s’entendre.

Vous avez vendu au libraire Paulin votre Histoire du Consulat pour la somme énorme de cinq cent mille francs, et vous avez palpé les espèces.

Or, le public s’impatiente.

Peu lui importent vos rancunes à ce bon public. Si vous avez joué un jeu de dupe, tant pis pour vous. Les trois derniers volumes, s’il vous plaît, ou rendez le demi-million, que diable ! On ne se tire pas d’affaire ici comme à Grandvaux.

M. Thiers, depuis tantôt vingt ans, habite un délicieux petit hôtel, situé place Saint-Georges.

Des grilles dorées et de beaux ombrages entourent cet édifice, que son maître, par reconnaissance, aurait dû faire construire dans le voisinage de la Bourse.

Les enfants ne sont jamais trop près de leur mère[27].

Il s’en fallut bien peu que ce charmant Eldorado ne fût saccagé en 1848.

Certains démocrates, peu traitables, prétendaient que les électeurs de la Seine souffletaient la république, en donnant à M. Thiers un mandat de représentant.

Les ennemis de l’ancien ministre réveillaient toutes les vieilles histoires endormies dans la poudre du passé. Plusieurs théâtres parlaient de reprendre deux pièces[28], qui renfermaient, disait-on, l’histoire exacte du mariage de M. Thiers. On racontait la dureté de ce fils du peuple pour les membres de sa famille restés dans l’indigence, et nous avons tous reçu, au coin des passages, sur le boulevard, ces cartes curieuses, distribuées en plein soleil, et où on lisait :

« Madame Ripert, sœur de m. thiers, ancien ministre président du conseil, représentant du peuple, etc., etc., — table d’hôte à 2 fr. 50 c. par tête. »

Suivait l’adresse.

Tous les flâneurs de la capitale allèrent, pendant un mois, dîner au quartier de la Madeleine, chez la sœur de l’opulent propriétaire de la villa Saint-Georges.

M. Thiers n’a jamais eu peur du scandale ; il l’affronte, il en rit. Sa poitrine a une triple cuirasse de millions[29] qui le rend parfaitement insensible.

Il a voulu la fortune, elle est dans ses mains, que lui importe le reste ?

Lorsque l’occasion s’en présente, il s’amuse à traiter les autres absolument comme on le traite et leur distribue la monnaie de sa pièce avec une libéralité comique.

M. Véron, rédacteur en chef du Constitutionnel en 1840, mettait fort dévotement son journal au service de M. Thiers, alors ministre.

Cela valait quelque chose.

Notre bon docteur, abordant un jour Mirabeau-mouche, lui dit d’un air câlin :

— Vous voyez comme je suis à vous. Gratifiez-moi d’une place convenable et qui donne de la considération.

— Oh ! oh ! mon cher, vous me demandez l’impossible ! répondit le petit homme en faisant une pirouette.

Jamais le docteur ne lui a pardonné ce mot plein d’insolence.

Le jour où le prince Louis Bonaparte fut nommé président de la république, Véron se redressa de toute la hauteur de sa rancune.

Il força M. Thiers à reprendre l’argent que ce dernier avait versé dans la caisse, et le chassa du Constitutionnel sans la moindre considération.

Ce bon docteur comptait sur une grande fortune politique, hélas !

On s’est réconcilié depuis, en apparence du moins, et les Mémoires d’un Bourgeois caressent assez agréablement M. Thiers. Deux renards dans le même piége ne se mordent jamais.

Le 25 juillet 1888, notre héros, effrayé pour son castel de la rue Saint-Georges, et prenant les intérêts de tous les propriétaires de France, combattit courageusement à la tribune l’ogre Proudhon, qui ouvrait sa large bouche pour engloutir fermages, loyers et rentes, en attendant que les immeubles et les capitaux eussent leur tour[30].

Mais alors, pourquoi M. Thiers, à deux années de là et au grand scandale de la rue de Poitiers, a-t-il oublié ses nobles doctrines au point de faire une avance aux socialistes ?

Il pensait peut-être qu’ils allaient vaincre. Heureusement, il ne tarda pas à être rassuré à cet égard de la façon la plus complète.

Nous laisserons parler ici M. Granier de Cassagnac.

« Le commissaire de police Hubaut pénétra, le matin du 2 décembre, dans la chambre à coucher de M. Thiers, place Saint-Georges, no 1. M. Thiers dormait profondément. Le commissaire de police écarta les rideaux en damas cramoisi, doublés en mousseline blanche, réveilla le dormeur et lui notifia sa qualité et son mandat.

« M. Thiers se mit vivement sur son séant, porta les mains à ses yeux, sur lesquels s’abaissait un bonnet de coton, et dit :

« — De quoi s’agit-il ?

« — Je viens faire une perquisition chez vous. On ne vous fera pas de mal, on n’en veut pas à vos jours.

« — Savez-vous que je suis représentant ?

« — Je ne puis discuter sur ce point, je dois exécuter les ordres que j’ai.

« — Mais c’est un coup d’État que vous faites là !

« — Je ne puis répondre à vos interpellations. Veuillez vous lever, je vous prie. »

« M. Thiers se leva et s’habilla lentement, refusant les services des agents. Tout à coup il dit au commissaire :

« — Si je vous brûlais la cervelle ?

« — Je vous crois incapable d’un pareil acte, monsieur Thiers. En tout cas, j’ai pris mes mesures, et je saurai bien vous en empêcher. »

« Une perquisition dans le cabinet de M. Thiers n’amena la découverte d’aucun papier politique. Depuis longtemps il adressait sa correspondance en Angleterre.

« Prié de descendre et de partir, M. Thiers se troubla, parut craintif et plein d’hésitation dans ses mouvements. On lui laissa croire qu’il allait être conduit auprès du préfet de police. La direction que prit la voiture augmenta ses appréhensions, et il s’efforça en route, par toute sorte de raisonnements captieux, de détourner les agents de l’accomplissement de leurs devoirs.

« Arrivé à la prison de Mazas, il demanda s’il pourrait avoir son café au lait, comme à son habitude. On le combla d’attentions. Son courage, il faut bien le dire, l’abandonna tout à fait[31]. »

M. Thiers, comme ses autres collègues, ne fut point transféré à Ham. On lui permit de gagner la frontière, et de se rendre à Francfort par le pont de Kehl.

Son ami, l’historien Mignet, l’accompagna jusqu’à l’embarcadère du chemin de fer de Strasbourg.

« Au moment de partir, continue M. Granier de Cassagnac, M. Thiers versa d’abondantes larmes : larmes justes, nobles et fécondes, si elles coulaient comme expiation de tant de doctrines révolutionnaires et de tant d’actes d’anarchie ; larmes amères, si elles n’étaient que le dépit d’une ambition jalouse et insatiable, tombée d’une hauteur inespérée, sans dignité et sans éclat. »

M. Thiers, aujourd’hui rentré à Paris, s’occupe, dit-on, exclusivement de peinture, comme son ami M. Dupin s’occupe exclusivement de labourage.

Il est à désirer que l’un reste à ses pinceaux et l’autre à sa charrue.

En politique comme en littérature, le talent qui n’a pas la moralité pour guide et pour appui se montre toujours dangereux, rarement utile.

Certes, M. Thiers a un talent réel, incontestable. Mais il ne l’a mis en œuvre que pour son intérêt propre. L’intérêt de la société, comme l’intérêt de la France, s’effaçait constamment à ses yeux. Pour se venger de la perte d’un portefeuille il eût porté le fer et la flamme aux quatre coins de Paris et de l’Europe[32].

Son éloquence est aussi déloyale qu’elle est brillante.

Jamais esprit plus fin, plus délié, plus chatoyant n’a saisi la langue française pour opérer avec elle des tours plus complets d’escamotage politique[33].

Il manie le raisonnement comme un prestidigitateur manie ses muscades ; il le fait passer d’une main dans l’autre, le couvre du gobelet, et le montre ensuite où personne ne s’attend à le voir.

Pour lui la phrase est une cire molle qui se prête à toutes les logiques, un creuset où l’or se change en plomb, où le plomb se change en or. Les paroles sortent de sa bouche comme les chandelles romaines s’échappent des baguettes d’un artificier, follement, en désordre, avec mille écarts ; mais elles rayonnent, étincellent, s’épandent en gerbes lumineuses, en étoiles, en pluie d’azur.

On est séduit, on admire.

Et de tout ce bruit, de tout cet éclat, de toute cette lumière il ne résulte que de la fumée.

FIN.
AVIS À NOS LECTEURS.

De chauds Girardinistes et des partisans déclarés de Lamennais ayant menacé M. Simon Raçon de lui faire perdre la plus grande partie de sa clientèle, s’il continuait à imprimer nos petits livres, nous avons dû, sous peine d’un retard indéfini dans la publication, choisir une imprimerie moins accessible aux influences hostiles. Nous y gagnons un caractère neuf, et nous avons une preuve de plus des obstacles que la vérité rencontre. Nos ennemis peuvent nous enlever tout, excepté notre courage et notre mépris pour leurs sourdes manœuvres.

Eugène de Mirecourt.



  1. Sur plus de cinquante biographes, nous n’en avons trouvé qu’un seul, M. Boilay, qui prit M. Thiers au sérieux. M. Boilay, entièrement à la discrétion de l’ex-ministre, écrivait sous sa dictée. Dans une lettre de M. Thiers à Véron, publiée par celui-ci à la page 193 du second volume des Mémoires d’un bourgeois, on lit ce post-scriptum : « Mes compliments à Boilay, qui fait toujours très-bien.
    A. Thiers. »
  2. Marseille a été fondée par une colonie de Phocéens, l’an 599 avant J.-C.
  3. Biographie des hommes du jour, notice sur Thiers, tome VI, 2e partie, page 192.
  4. Galerie des Contemporains illustres, tome 1, page 19.
  5. Balzac appelait M. Thiers illustre Gaudissart, et disait qu’il eût fait un commis-voyageur de premier choix.
  6. M. Thiers débuta par des articles critiques sur le Salon de 1822, et par une collection de Mémoires sur l’art dramatique, parmi lesquels on remarque ceux de mistress Bellamy, actrice de Covent-Garden.
  7. Pour mieux faire sa cour à ce dernier, M. Thiers s’occupait de finances. Il publia un travail sur Law dans l’Encyclopédie progressive.
  8. L’idée première de l’œuvre n’appartenait pas à M. Thiers. Il publia les deux premiers volumes avec le patronage et la collaboration de M. Félix Bodin, qui, le succès venu, fut écarté.
  9. « À mesure que l’on s’éclairera sur l’histoire vraie de cette grande époque, a dit M. Barrère, il est impossible que l’ouvrage de M. Thiers ne tombe pas dans un discrédit complet. Lisez son livre avec le Moniteur à côté, et vous serez étonné tantôt de tant d’ignorance, tantôt de tant d’audace. »
  10. Cela parut d’autant plus coupable que Manuel témoignait à son jeune compatriote une amitié à toute épreuve et un dévouement aveugle. Il lui servit de témoin dans un duel où M. Thiers avait à se battre contre le père d’une jeune personne qu’il avait séduite à Aix, et qu’il refusait d’épouser. M. Thiers eut un second duel, en 1849, avec le citoyen Bixio.
  11. Ces actions avaient alors une grande valeur.
  12. Tome 1, page 28.
  13. Mignet faisait aussi partie de la rédaction.
  14. « Allez toujours, disait Thiers à ses amis du National. Forcez les Bourbons à rester dans la charte, fermez la porte, ils sauteront par la fenêtre ! »
  15. Il les retrouva quelques jours après au Palais-Royal. Mme Adélaïde daigna présenter elle-même un verre d’eau à M. Thiers, qui faillit étouffer de joie et d’orgueil.
  16. Alfred Nettement dit de M. Thiers : « Il sait tout à la tribune, surtout ce qu’il ignore. C’est le Jules Janin de l’éloquence politique. » Malitourne ajoute : « Thiers, c’est M. de la Palisse, ayant le courage de ses opinions. »
  17. Thiers était, en effet, continuellement à genoux devant Louis-Philippe ; mais en arrière il se moquait du roi et le nommait papa d’Oliban. Cormenin ignorait ce détail.
  18. Livre des Orateurs, page 490 et suivantes.
  19. « Les cris et le vacarme ne cessèrent que par l’intervention de la force armée. M. Thiers s’échappa pour se rendre à Marseille ; mais le même accueil l’y attendait, et les symphonies reprirent de plus belle. Il ne pouvait paraître sur les places publiques, dans les rues qu’avec l’escorte de deux ou trois cents soldats. Le charivari put le saluer encore à Brignolles. Il n’osa point aller à Toulon et dut s’embarquer incognito. » (Biographie des hommes du jour, tome VI, 2e partie, page 201.)
  20. C’était M. Maurice Duval. On dit que Deutz n’a jamais eu le reste du million. Dans quelle poche alors se trouve-t-il ? M. Thiers seul put donner là-dessus quelques renseignements.
  21. Deutz était natif de Coblence.
  22. On trouvait, avec raison, qu’il était illogique de rendre de pareils honneurs aux mânes du héros, quand on s’obstinait à laisser toute sa famille exclue du territoire de la France. En 1840, ce fut également sous le ministère de M. Thiers que les cendres de Napoléon furent rapportées de Sainte-Hélène.
  23. Cormenin dit très-durement à ce sujet : « M. Thiers a cru qu’un parvenu de cour, champignon poussé dans les boues révolutionnaires, arriverait à la hauteur d’un chêne et protégerait éternellement les Tuileries de son ombre ; mais, quand l’orage est passé, les champignons rentrent en terre. »
  24. Nous citerons, à ce propos, une appréciation très-remarquable de M. Hippolyte Castille :

    « M. Thiers aime les arts, le luxe et les plaisirs ; voilà ses trois vertus théologales. Avec cela on trouve partout des frères, des complices. Il n’y a point de franc-maçonnerie plus puissante que celle du plaisir, du luxe et des arts. Échangez des gravures, des tableaux, des bronzes, ou voyez lever l’aurore avec l’alouette matinale de Roméo à la fin d’une débauche, le serment des Horaces n’est rien à côté du serment tacite que vos cœurs se sont prêté. C’est ainsi qu’entre tous les libertins, tous les artistes de Paris, de la France même, et M. Thiers, il existe un pacte secret, mystérieux, indéfinissable, mais profond, mais irrévocable. Ils diront du mal de lui, ils le mépriseront, ils s’écrieront qu’il est impossible de prendre au sérieux ce Danton-puce ; ils lui infligeront une qualification terrible et cynique, ils le traiteront de farceur. Mais au fond de l’âme, une voix secrète s’élèvera, un rire intérieur dilatera doucement la fibre cachée, l’esprit de la chair communiquera à cet autre esprit son attouchement de courtisane ; le pardon sera dans le cœur de celui dont les lèvres vomissent l’injure, et dans cette injure même, dans le tour des mots, dans l’inflexion de la voix, vous reconnaîtrez d’évidents symptômes de mansuétude. Toutes ces âmes ont soupé ensemble chez Phryné. »

    {Les Hommes et les Mœurs, pages 67 et 68.)
  25. Terre appartenant au comte Vigier. On a dit de cet illustre soutien du juste milieu, que Louis- Philippe avait eu l’ingratitude de le laisser tomber dans l’eau. (Par allusion aux bains créés sur la Seine.)
  26. La Quotidienne fait erreur, M. Thiers n’avait que trente-neuf ans.
  27. Tous les journaux de l’époque dénonçaient le ministre comme jouant à la Bourse, ajoutant qu’il ne s’abstenait pas, non plus que M. Dosne, son beau-père, de consulter le télégraphe, dont les confidences se trouvaient par hasard entre leurs mains. (Biographie Germain Sarrut et Saint-Edme, t. VI, 2e partie, page 221.)
  28. La Mère et la Fille et Un secret de Famille, l’une jouée à l’Odéon à la fin de 1830, et l’autre au Vaudeville, en 1834.
  29. Sans compter la cuirasse de crachats. M. Thiers est grand-croix de tous les ordres de la terre.
  30. Il s’opposa, quelques mois plus tard, avec la même énergie, à la proposition du citoyen Turk qui voulait créer un papier-monnaie.
  31. Récit complet et authentique des événements de décembre 1851.
  32. On le vit assister, en se frottant les mains, au sac de l’Archevèché.
  33. Les fortifications de Paris, par exemple.