Almanach du Père Peinard1894 (p. 21).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


THERMIDOR



Thermidor nous amènera la canicule, transformera nos caboches en bouillottes, muera les pépins en parasols et cuira les œufs au cul des poules. Les flics feront la chasse aux cabots et Arton se pavanera aux bains de mer ; les poissons boiront de l’eau tiède, les bistrots seront dans leur dur, les porcs iront à la glandée, et les cornichons auront la gueule verte.

Ce mois-là, des tas d’avaros nous dégoulineront sur la margoulette :

Non contents d’être sucés jusqu’à la moelle par les sangsues gouvernementales, nous aurons à subir une sacrée invasion de punaises qui seront plates de la tête et minces du ventre. Malheur aux gourdiflots qui n’auront pas fait provision de poudre sans fumée, de mélinite, de plancastite, et autres fourbis en ite… je ne les vois pas à la fête !

Outre ça, dans la tripatouillée d’épidémies dont il faudra nous garrer, y en a une que la canicule rendra bougrement terrible, maligne, perverse, redoutable : ce sera la disette de picaillons ! vu la morte saison, la monouille sera aussi rare dans nos porte-braises que la justice dans les jupons des jugeurs et l’intelligence dans les bottes des gendarmes. Les pauvres bougres que rongera cette épidémie, plus affreuse que la gale, la peste ou le choléra, ne sauront à quel médecin se vouer. Pour s’en guérir radicalement, y aurait pourtant pas la mer à boire : il suffirait de ne pas attendre l’ouverture de la chasse, et se fiche illico à l’affût du gibier accapareur.

Les dépotés étant à l’abri de cette épidémie, ils continueront à la mener joyeuse : esquintés de n’avoir rien foutu de l’année, ils battront leur flemme en thermidor, et les chemins de fer trimballeront leur viande aux quatre coins du patelin.

Aux bons bougres qui espèrent les réformes promises par les faiseurs de lois, je conseille d’éplucher le temps que ces salauds turbinent dans l’année : c’est si peu que, le voudraient-ils, y aurait pas plan qu’ils tiennent leurs promesses.

L’été, ils s’appuient à l’affilée trois mois de flemme ; en plus, à chaque fête, carillonnée ou non, ils s’offrent des vacances ; pour ce qui est de leur boulot, le reste du temps ils ont à peine cinq séances par semaines. Tout calcul fait, ils ne vont à l’Aquarium qu’une centaine de jours par an.

Et ils n’y moisissent pas, nom de dieu ! Quand ils ne se donnent pas campos, ce qui leur arrive bougrement de fois, ils s’amènent vers les deux heures et s’esbignent vers les 5 ou 6 plombes. Grosso modo, en admettant qu’ils ne rateraient pas une séance, ça leur fait 4 heures par jour, à 400 heures par an… soit une paye de plus de 20 francs l’heure ! Et ça ne leur suffit pas, nom de dieu !

À un avocat de Cherbourg, qui guignait l’Aquarium, on demandait : « Comment, vous qui gagnez 20,000 balles par an, vous lâcheriez votre cabinet pour palper les 9,000 francs des députés ?

Vous me prenez donc pour une tourte ? répondit l’ambitieux. Un député intelligent ne se contente pas de 9,000 francs. »