Théorie des tourbillons cartésiens


Théorie des tourbillons cartésiens
THÉORIE

DES TOURBILLONS

CARTÉSIENS


AVEC


DES RÉFLEXIONS SUR L’ATTRACTION.




SECTION PREMIÈRE.

Suppositions et idées préliminaires.

1.Je suppose le plein absolu.

2.Donc si la masse de la matière est infinie, elle ne peut changer de lieu, ou être mue tout à la fois ; car il n’y a point d’autre espace à occuper que celui qu’elle occupe déjà. Elle ne peut non plus, à proprement parler, se mouvoir tout entière circulairement ; car une sphère infinie n’a point de vrai centre, ni les propriétés que nous connaissons aux sphères célestes : mais la masse infinie de la matière peut être divisée en une infinité de sphères qui circuleront ; c’est là ce qu’on appelle les Tourbillons inventés ou mis dans un nouveau jour par Descartes.

3.À plus forte raison la masse finie de la matière pourra-t-elle être divisée en tourbillons. Nous ne connaissons, avec certitude, que certaines choses qui se passent dans notre tourbillon, auquel nous donnons le soleil pour centre. De ce centre jusqu’à Saturne, qui en est le corps visible le plus éloigné, il y a trois cent millions de lieues, et nous ne sommes nullement assurés que le tourbillon se termine à Saturne.

4.Je suppose que tous les mouvemens circulaires des planètes de notre tourbillon autour du soleil, sont exactement circulaires, quoiqu’ils ne le soient pas. Mercure est la plus excentrique de toutes à l’égard du soleil, et Vénus est la moins excentrique. La plus grande et la moindre distance de Mercure au soleil, sont entre elles dans le rapport de 20 à 13, et les deux pareilles de Vénus dans celui de 126 à 124 ; d’où l’on voit que l’orbite de Vénus approche beaucoup plus d’être un cercle parfait que celle de Mercure. Entre ces deux extrêmes sont toutes les autres orbites. On peut conclure de là que la supposition de toutes les orbites exactement circulaires, n’est pas fort violente, sans compter même qu’elle ne subsistera pas toujours dans cette théorie.

5.Tous les mouvemens célestes sont si uniformes et si égaux, que depuis quatre mille ans peut-être qu’on observe le ciel, on ne s’aperçoit pas que rien s’y démente : au contraire, ce qu’on aurait cru d’abord nouveau et irrégulier, vient dans la suite à se lier parfaitement avec le reste. Il faut donc découvrir pour ces effets des causes qui, par leur nature, soient les plus constantes et les plus durables qu’il soit possible.

6.S’il n’y a point de vide (1), on peut compter que tout notre tourbillon solaire n’est qu’un grand fluide ; car il ne contient de corps solides que le soleil, qui ne l’est peut-être pas entièrement, six planètes principales et dix subalternes ; et tout cela ensemble, comparé à la masse d’un globe qui a pour rayon trois cent millions de lieues (3), se trouvera n’être qu’un atome : et que sera-ce si le tourbillon s’étend au-delà de Saturne.

7.Je ne suppose aucune attraction, mais seulement les lois du mouvement reconnues par tous les philosophes, non que la matière une fois créée, et ayant reçu du Créateur une première impression de mouvement dans toutes ses parties, je croie qu’elle pût en un temps quelconque, et même infini, se mettre, en vertu des seules lois du mouvement, dans l’état où nous voyons aujourd’hui l’univers : cela n’est non plus concevable qu’il le serait que toutes les parties d’une pendule, détachées les unes des autres, et les parties de ces parties, à force d’être agitées toutes ensemble, vinssent enfin à s’arranger de manière qu’elles formassent une pendule régulière. Il faut que la main de l’horloger s’applique à l’ouvrage, et que cette main soit conduite avec beaucoup d’intelligence. Il ne fera rien que selon les lois du mouvement : mais ces lois seules n’eussent pas fait par elles-mêmes ce qu’il fera. L’application de ceci à l’univers et à son auteur se présentera bien aisément.

On a dit que le nombre des arrangemens que peut prendre la matière simplement agitée pendant un temps infini, étant infini, l’arrangement qu’elle prendra, avec le concours d’une intelligence, y est nécessairement compris. Mais je réponds que ces deux espèces d’arrangemens, l’un sans le concours d’une intelligence, l’autre avec ce concours, sont deux infinis différens, comme la suite infinie des nombres pairs et celle des impairs : aucun des termes de l’une ne se trouve dans l’autre.


SECTION II.

De la force centrifuge.


8.C’est une loi du mouvement, que dès qu’un corps est mu, ne fût-ce que par une impulsion instantanée, il continuera sans fin à se mouvoir en ligne droite, selon la direction que lui a donnée d’abord la force motrice, et avec le degré de vitesse qu’il en a reçu, à moins qu’il ne vienne à perdre son mouvement, en le communiquant à d’autres corps qu’il rencontrera, ou à changer sa direction, parce que ces mêmes corps lui en feront prendre d’autres.

9.Quand un corps par son mouvement décrit un cercle, il n’importe ici quelle en soit la cause, il se meut à chaque instant infiniment petit, selon une droite infiniment petite, qui est un des élémens ou côtés du polygone circulaire infini : il devrait donc (8) continuer à se mouvoir selon cette droite, qui alors deviendrait finie, et une tangente du cercle au point d’où le corps sera parti ; mais la cause qui produit le mouvement circulaire, empêche que cela n’arrive. Le corps qui, s’il eût été abandonné à lui-même, eût suivi la direction de la première petite droite, est obligé de s’en détourner pour suivre celle d’une seconde droite, et toujours ainsi de suite : il souffre une espèce de violence qui, à chaque instant, l’empêche de s’échapper par une tangente de cercle.

10.J’appelle tendance cette espèce d’effort toujours subsistant et toujours réprimé.

11.Si le corps s’échappait par une tangente quelconque du cercle, il continuerait son mouvement en ligne droite, scion la direction de cette tangente, et par conséquent s’éloignerait toujours de plus en plus de ce même centre de cercle, dont auparavant il se tenait toujours à une égale distance. Sa tendance à s’échapper s’appelle donc force centrifuge.

12.La force centrifuge n’est proprement que la même force qui produit la circulation, altérée seulement, quant aux directions que la circulation fait changer à chaque instant. Une plus grande force de circulation produira toujours une plus grande force centrifuge proportionnée à elle.

13.Une force de circulation est d’au tant plus grande, 1° qu’elle fait circuler le corps mu avec plus de vitesse ; 2° plus la vitesse d’un corps mu, selon une certaine direction, est grande, plus il faut de force pour le faire changer de direction ; et par conséquent il faudra une plus grande force pour le faire changer plus souvent de direction dans un temps donné. Or, on sait que, plus une circonférence circulaire est grande, moins les détours y sont fréquens dans une certaine étendue donnée, et au contraire : donc, dans toute circulation, plus la vitesse est grande et le cercle petit, plus la force doit être grande.

Donc la vitesse étant appelée u, et un rayon r, tout ce qui entre dans la force de circulation sera exprimé par ou , et par conséquent aussi la force centrifuge (12). On voit dans le produit que le premier terme en est la vitesse, en tant qu’elle appartient au mouvement en général, et le second la vitesse appliquée à un mouvement circulaire.

14.Si l’on avait égard à la masse ou à la grandeur m du corps circulant, il faudrait poser  ; ce qui est nécessaire quand on compare les forces centrifuges de deux corps inégaux.

15.Si les vitesses de deux corps égaux circulans sont inégales, et les cercles qu’ils décrivent égaux, celui qui a la plus grande vitesse a la plus grande force centrifuge, et d’autant plus grande, que le carré de cette vitesse est plus grand que celui de l’autre.

16.Si les deux corps ont des vitesses égales, celui qui décrit le plus petit cercle, a la plus grande force centrifuge.

17.La force centrifuge ne peut jamais devenir infiniment grande, car il faudrait pour cela que le cercle devînt infiniment petit, auquel cas il ne serait plus cercle, et ne pourrait plus être parcouru.

18.La force centrifuge peut devenir infiniment petite, même sans que la vitesse le devienne ; car elle dépend, non de la vitesse, mais du carré de cette vitesse. Or, on sait, par la théorie de l’infini, que le carré d’une grandeur décroissante peut devenir infiniment petit avant que cette grandeur le devienne, ce qui fait que la force centrifuge peut cesser, quoiqu’il reste quelque peu de vitesse.



SECTION III.

De la circulation des Solides et des Fluides.

19.Soit un corps sphérique solide, qui tourne sur son centre ; on lui conçoit nécessairement un cercle du plus grand mouvement, un équateur, des deux côtés duquel sont des cercles qui lui sont parallèles et toujours décroissans, jusqu’à devenir enfin deux points qui sont les deux pôles. Chacun des parallèles tourne autour de son centre immobile, et la ligne droite, formée de tous ces centres, est immobile, et est l’axe du mouvement. La nécessité de ces idées vient de ce que la sphère est solide ; par conséquent toutes ses parties sont liées, ne peuvent se mouvoir que toutes ensembles, et selon la même direction.

20.Cependant on conçoit aussi, que si un point quelconque de la surface sphérique, venait subitement à se détacher de tout le corps de la sphère, il continuerait à être en mouvement comme il y était auparavant, et décrirait la ligne droite tangente du cercle au point où il se trouvait lorsqu’il s’est détaché. Or, c’est la l’effet d’une force centrifuge : donc, il en avait une avant que de se détacher, et par conséquent aussi tous les autres points de la sphère.

21.Puisque l’équateur et tous ses parallèles décroissans ne font leur révolution que dans le même temps, la vitesse de l’équateur, dont le rayon est R, sera à celle d’un parallèle quelconque, dont le rayon sera ; et s’il se détache de la surface de la sphère deux points, l’un sur l’équateur, l’autre sur le parallèle, et qu’ils décrivent tous deux leurs tangentes, le premier aura la vitesse R, le second la vitesse r : donc, la force centrifuge étant (13), celle du premier, avant qu’il fût détaché, sera , et celle du second r ; les forces centrifuges de ces deux points seront égales aux vitesses qu’ils ont chacun dans leur circulation.

22.Les forces centrifuges décroissent depuis l’équateur, de pari et d’autre, jusqu’au pôle, et la elles deviennent infiniment petites.

23.Venons maintenant à la circulation des fluides, qui mérite notre principale attention, puisque tout notre tourbillon solaire n’est presque entièrement qu’un grand fluide (6).

Posés comme nous sommes sur la terre, qui a certainement une révolution solide en vingt-quatre heures, et par conséquent un équateur et des pôles, etc., bien réels, nous avons observé à quels points du ciel étoilé répondaient cet équateur et ces pôles, et nous y en avons imaginé qui fussent célestes ; et pour achever la correspondance du céleste au terrestre, nous avons conçu que le tourbillon solaire entier avait la même circulation que la terre. L’idée était bien naturelle ; mais on y peut faire plusieurs réflexions.

24.S’il y avait des observateurs dans les autres planètes qui ont la même circulation que la terre, ils raisonneraient comme nous, et dans chaque planète on donnerait au ciel un équateur et des pôles, et tout ce qui en dépendrait, fort differens de ce qu’on établit ici. On se tromperait dans toutes les planètes. Donc, l’équateur et les pôles que nous donnons au ciel, ou à notre tourbillon solaire, ne sont que des apparences qui ne sont que pour nous ; et tout ce qui se trouvera fondé là-dessus, le sera assez peu.

25.On conçoit bien pourquoi, dans la circulation d’un solide, toutes les couches circulaires qui le composent, se meuvent parallèlement à l’équateur : c’est à cause de la liaison des parties.

Mais dans la circulation d’un fluide où cette liaison n’a pas lieu, pourquoi ce parallélisme ? C’est un mouvement singulier, unique entre une infinité d’autres possibles, plus convenables la plupart à un fluide très agité ; un mouvement qui par lui-même se maintient difficilement. Où trouvera-t-on le principe qui détermine toute la suite des centres des parallèles à être une ligne constamment immobile dans un pareil fluide, au milieu duquel elle se trouve ?

26.Il est très certain que nos six planètes se meuvent, non dans des cercles parallèles à un équateur, et par conséquent entre eux, mais dans des cercles qui se coupent tous, ont pour centre le soleil, et qui sont ce qu’on appelle de grands cercles de la sphère, le tourbillon étant supposé sphérique, comme il l’est ici. Or, comment concevra-t-on que ces six grands cercles puissent, avoir une circulation si différente de celle de tous ces parallèles dont on formait le tourbillon ? Ceux-ci sont un nombre infini, et les autres ne sont que six, qui devraient à la fin, ou plutôt très vite, se conformer aux plus forts, et en suivre le mouvement. Encore s’il n’y en avait qu’un ou deux, ou même que tous les six fussent fort proches les uns des autres, on pourrait croire, quoiqu’avec peu d’apparence, qu’ils se défendraient contre l’impression générale du tourbillon, en formant une zone fort étroite, qui aurait d’ailleurs quelque disposition particulière qu’on tâcherait d’imaginer. Mais tout au contraire, les six grands cercles sont répandus dans toute l’étendue connue du tourbillon, puisque le premier est celui de Mercure, et le dernier celui de Saturne. On peut croire qu’ils rendent un témoignage incontestable de la manière dont se peut faire une circulation de tourbillon, et que nous n’avons aucun autre témoignage, non pas même le plus faible, en faveur de l’autre circulation.

27. Voici quelle doit être la nouvelle circulation. Figurons-nous une surface sphérique, formée d’une infinité de cercles égaux, ayant tous le même centre. J’appelle cela une couche. Qu’une autre couche formée de cercles égaux entre eux, mais plus grands ou plus petits que ceux de la première, mais ayant tous le même centre que ceux de la première, enveloppe immédiatement la première, ou en soit enveloppée, et toujours ainsi de suite, il est visible que voilà une sphère entière formée. Comme il s’agit ici d’une circulation fluide, il faut concevoir que cette sphère est enfermée dans quelque espèce d’enveloppe, ou enfin contenue dans ses bornes par quelque cause que ce soit.

Rien n’empêche que tous les cercles qui formeront une couche quelconque de la sphère, ne se meuvent tous ensemble de la même vitesse, et selon la même direction. Quant à ceux de la couche, immédiatement supérieure ou inférieure, il est bien clair qu’ils peuvent se mouvoir tous ensemble, selon la même direction que les premiers ; mais quelle sera leur vitesse ? S’ils circulent en même temps que les premiers, ce qui serait une grande et parfaite uniformité, ils auront plus ou moins de vitesse qu’eux, puisqu’ils parcourent en même temps de plus grands ou de plus petits espaces. Hors ce cas du même temps, il semble que pour toutes les autres vitesses différentes, le frottement soit à craindre ; mais il l’était également dans l’autre circulation, et au fond le fluide peut être composé de parties si subtiles et si peu liées entre elles, et d’ailleurs la différence de vitesse, dont il s’agit ici, peut être si petite, que l’inconvénient du frottement disparaîtra : on le verra encore mieux dans la suite. En voilà assez pour croire du moins possible la circulation que je viens de décrire, et que j’appellerai toujours fluide, parce qu’elle ne peut convenir qu’aux fluides, si elle existe, l’autre existant certainement dans les solides.

28.Que notre tourbillon solaire soit formé par la circulation solide, il est certain que, selon la formule (14) parce qu’il faut ici avoir égard aux grandeurs m, qui sont les plans circulaires parallèles, on aura pour l’expression des forces centrifuges de deux plans inégaux , et r3, puisque les plans sont entre eux comme les carrés des rayons, et les vitesses comme ces rayons (21). Or, la suite des nombres cubiques étant croissante, et rapidement croissante, il s’ensuit, que si la force centrifuge du plus petit plan circulaire qu’on aura déterminé est 1, celle du second sera 8, du troisième 27, etc. ; ce qui, poussé jusqu’à la fin du tourbillon, ferait une inégalité prodigieuse. Il est impossible qu’il y ait jamais d’équilibre entre R3 et r3, et par conséquent les forces centrifuges agiraient perpétuellement sans se détruire les unes les autres, et sans pouvoir s’accorder, et le tourbillon deviendrait un chaos.

29.Dans la circulation fluide, nous avons pareillement et les m sont ici comme dans l'autre des r2, parce que les grandeurs des couches sphériques sont dans le rapport des carrés de leurs rayons, aussi bien que les plans circulaires parallèles. Donc, on a  ; mais nous ne connaissons point encore ici les vitesses u. J’appelle v la vitesse de la couche qui a R pour rayon, et u celle de l’autre qui a r. Les deux forces différemment formées seront des er . Or, je vois que si l’on suppose , on aura . Donc, il y aura équilibre entre ces deux forces quelconques, et par conséquent entre celles de toutes les couches du tourbillon, pourvu que cette proportion soit possible actuellement : or, il est bien clair qu’elle l’est.

30.C’est chaque couche prise en entier, dont la force centrifuge est égale à celle d’une autre couche quelconque prise aussi en entier ; mais il ne s’en ensuit pas que la force centrifuge, d’un point quelconque d’une couche, soit égale à celle d’un point d’une autre quelconque. Il est aisé de voir que les forces centrifuges étant alors selon les dénominations de l’article précédent pour la force du point appartenant à la plus grande couche, et pour celle de l’autre, et par conséquent étant entre elles , elles ne peuvent jamais être égales. Mais il est vrai que cet équilibre serait tout au moins inutile ; car ne suffit-il pas qu’aucune couche entière ne puisse être déplacée par une autre ? Enfin, il est très constant que la circulation solide n’admet aucun équilibre, et que la fluide en produit un, ce qui lui donne déjà un avantage infini sur l’autre.


SECTION IV.

Considération plus particulières du Tourbillon solaire.

31.Puisque (29), donc  ; donc les vitesses sont en raison renversée des racines carrées des rayons des couches sphériques concentriques.

32.Ces rayons sont les distances de chaque couche au centre qui est le soleil ; et si deux planètes sont dans deux couches différentes, leurs vitesses autour du soleil seront en raison renversée des racines carrées de leurs distances au soleil. C’est là la fameuse règle de Kepler, adoptée par tous les astronomes, et devenue loi fondamentale pour le ciel. Kepler ne connaissait que les vitesses des planètes autour du soleil, et leurs rapports entre elles ; et il n’en put conclure leurs distances au soleil que par des calculs effrayans, et qui n’étaient peut-être pas absolument sûrs.

33.Il est à remarquer que cette règle n’est exacte que pour les moyennes distances des planètes au soleil ; c’est-à-dire, qu’elle ne le serait dans tout leur cours, qu’en cas qu’elles se mussent dans des cercles parfaits : or, c’est là précisément le cas où nous sommes ici.

34.Voilà donc la circulation fluide du tourbillon établie, non plus sur de simples raisonnemens géométriques, mais sur un fait bien avéré, sur les distances moyennes de toutes les six planètes au soleil, et tout ce qui tiendra nécessairement à ce fait, doit être censé de même nature.

35.Ce n’est point du tout un rapport nécessaire et naturel que celui des vitesses aux racines carrées des rayons : on aurait plutôt pris des puissances des rayons que des racines ; et pourquoi la raison renversée plutôt que la directe ? Mais enfin ce rapport était possible, et la vitesse en général peut faire parcourir en même temps une infinité, et même une infinité d’infinités d’espaces différens qui auront tous différens rapports à une certaine ligne donnée. Plus un certain rapport déterminé paraîtra recherché dans cette infinité d’infinités, plus on aura lieu de le croire choisi par une intelligence qui aura eu quelque dessein ; et on en sera absolument sûr, quand on en verra absolument le dessein. Ici c’était de causer un équilibre, état unique entre une infinité d’autres états possibles d’une matière fluide en mouvement.

36.Puisque r2, expression de la grandeur des couches concentriques, est tout ce qu’il faut mettre de plus dans , expression générale de la force centrifuge, pour avoir les rapports des différentes forces centrifuges de ces couches (29), il s’ensuit qu’elles n’ont rien de plus qui puisse contribuer a ces forces, nulle différence de rareté ou de densité, et qu’enfin elles sont parfaitement homogènes, ou elles-mêmes, ou du moins les unes par rapport aux autres ; c’est-à-dire, que si elles sont hétérogènes en elles-mêmes, elles ont toutes précisément la même hétérogénéité. L’une ou l’autre manière existe, et il ne peut entrer rien de plus dans la considération des forces.

37.Sur cela il pourrait venir une pensée ; c’est qu’en cherchant l’équilibre des couches, si on avait eu égard, non pas simplement à leurs grandeurs, mais aussi à leurs différentes densités possibles, ou aurait pu trouver tel rapport entre ces densités, qu’il aurait produit un équilibre, non-seulement dans la circulation fluide, mais dans la solide. J’en conviens ; mais cet équilibre quelconque n’eût certainement pas donné la vitesse en raison renversée des racines carrées des distances. Or, c’est là un fait bien constant et bien avéré (32 et 33), et tout ce qui y sera contraire sera faux.

38.Des deux homogénéités que peut avoir la matière céleste ou éthérée, dont est formé le tourbillon (36), l’homogénéité absolue est la plus vraisemblable ; car il est beaucoup plus difficile qu’une matière hétérogène d’une certaine façon déterminée, se conserve toujours hétérogène de cette même façon dans un espace sphérique de trois cent millions de lieues de rayon, et pendant quatre mille ans, qu’il n’est difficile qu’une matière absolument homogène le soit toujours, et dans tout cet espace, et pendant tout ce temps. Je prends donc le parti de supposer désormais l’homogénéité parfaite de la matière éthérée.

39.Il faut nécessairement la concevoir très subtile, très fine, très mobile ; et tous les phénomènes me forcent à prendre cette idée, ou du moins la permettent. Donc, deux couches sphériques contiguës ne peuvent avoir entre elles dans leur mouvement différent qu’un frottement très léger.

40.De plus, ce mouvement différent est très peu différent ; il ne l’est que selon la suite des racines carrées des nombres naturels (21). Or, on sait que les termes de cette suite ne diffèrent que très peu d’un quelconque d’entre eux au suivant, et toujours d’autant moins qu’ils sont plus éloignés de l’origine de la suite. On le verra par la seule inspection ; la voici : Je sous-entendrai toujours après ce + une grandeur inconnue, croissante et moindre que 1.

, etc.

D’où l’on voit qu’entre deux nombres qui sont contigus dans la suite des nombres naturels, il y a dans celle des racines carrées d’autres nombres intermédiaires, et qu’ils sont toujours en nombre d’autant plus grand, qu’ils sont plus éloignés de l’origine de leur suite. Donc, si l’on divise les couches concentriques du tourbillon selon l’ordre de leurs rayons 1, 2, 3, 4, etc., la différence de vitesse de deux couches contiguës, comme 1 et 2, 3 et 4, etc., sera d’autant moindre, que ces couches seront plus éloignées de l’origine de la suite, parce que chacune des deux vitesses contiguës aura été formée d’un plus grand nombre de vitesses intermédiaires, qui ne contribueront pas tant à la force du choc de la dernière. Or, ce choc est à considérer pour le frottement dont il s’agit ici. Donc, plus les couches sont éloignées de l’origine de leur suite, moins il y aura de frottement.

On pourrait trancher toute la question en un mot. Les rapports des carrés entre eux diminuent toujours, et ceux des racines aussi. Donc, etc.

41.Mais il faut prendre garde à la raison renversée qui se trouve ici. Les plus grandes vitesses répondront aux plus petits rayons, et au contraire : la suite des rayons a certainement son origine au centre du tourbillon, et par conséquent celle des vitesses a la sienne à l’extrémité. C’est donc du centre du tourbillon qu’il faut compter les plus grandes vitesses ; et s’il y avait des frottemens à craindre, ce serait dans cette région. C’est peut-être par cette raison que Mercure, si proche du soleil, en est pourtant, dans sa moyenne distance, éloigné de 8514 demi-diamètres de la terre, c’est-à-dire, de près de treize millions de lieues. Peut-être entre Mercure et le soleil les frottemens eussent-ils empêché la matière éthérée d’avoir un cours assez égal et assez tranquille ; et le souverain architecte n’a pas voulu placer les planètes que plus loin. On ne peut jamais trop présumer de ses vues et de sa sagesse.

42.Mais il y a aussi beaucoup d’apparence qu’une masse énorme de matière, toute conspirante à un même mouvement, aurait bientôt vaincu, et vaincu pour toujours les frottemens, s’il s’en était trouvé d’abord quelques uns.

43.Le tourbillon étant supposé exactement sphérique, et le soleil placé à son centre, il faudrait, s’il était fluide, examiner sa circulation ; mais il est certainement solide, du moins en grande partie. Ainsi, il faut jusqu’à présent le concevoir absolument immobile, et la circulation du tourbillon ne commençant tout au plus qu’où sa circonférence finit.

44.Je ne puis m’empêcher de regarder les orbites, ou cercles concentriques de nos six planètes (26), comme de grandes pièces visibles de tout l’édifice céleste, et qui nous représentent ce que nous n’en voyons pas. Ces six cercles appartiennent à six couches différentes de la sphère, dont, quoique inégaux, ils font chacun un grand cercle. Considérons-en un quelconque dans sa couche. Il en a à ses deux côtés une infinité d’autres égaux à lui, et tous différemment inclines à lui. C’est la même chose que si nous imaginions notre globe terrestre tout couvert de cercles concentriques au globe, et posés de manière, par rapport à L’équateur, que l’écliptique devînt un de ces cercles. Ils se couperaient tous en deux points diamétralement opposés, comme font l’équateur et l’écliptique. Voilà la formation exacte d’une couche sphérique quelconque, et par conséquent de toutes celles de notre tourbillon. Venons maintenant à leurs forces centrifuges.

45.Tout corps ou point qui décrit un cercle, tend incessamment, par sa force centrifuge, à s’échapper en ligne droite, et à décrire la tangente du point où il se trouvait lorsqu’il s’est échappé. Supposons qu’il s’échappe pour un instant infiniment petit, il décrira une tangente infiniment petite, dont le bout sera infiniment peu plus éloigné du centre du cercle que n’était son origine, et il se trouvera a ce bout. Supposons que tous les autres points qui décriraient la même circonférence que le premier qu’on a supposé, en aient fait autant, que sera-t-il arrivé ? Ils se trouveront tous plus éloignés du centre qu’ils n’étaient auparavant, quoique infiniment peu, et le cercle sera agrandi de même. Chacune des petites tangentes décrites sera devenue pour lui un nouveau côte infiniment petit, et plus grand qu’il n’était.

46.Il est à remarquer que de tous les efforts différens que faisaient les points d’une même circonférence pour l’agrandir, en suivant toutes les directions de différentes tangentes, opposées même les unes aux autres, aucun effort n’en a contrarié un autre par rapport à l’effet général d’agrandir le cercle, et que tous y conspiraient également et uniquement.

47.Il est évident que tout ce qui s’est dit ici d’un cercle, se doit dire aussi d’une couche entière quelconque, et enfin de toute la sphère. Donc, toute la sphère tend à s’agrandir. La direction de cette tendance ne peut être que du centre à la circonférence, et la tendance est égale partout. Cette force qui n’était que centrifuge dans les parties, peut s’appeler dans le tout force expansive, formée de plusieurs forces centrifuges qui concourent au même effet ; elle est aussi centrifuge à sa manière.

48.S’il était important, pour la conservation de l’intérieur du tourbillon, que tout y fut en équilibre, il ne l’était pas moins que tout le tourbillon pût se défendre, et se défendre également partout des attaques du dehors ; et c’est ce que l’intelligence infinie a parfaitement exécuté par le moyen de la force expansive, qui repoussera tout ce qui viendrait attaquer le tourbillon. Mais ce n’est pas encore ici le lieu d’en parler.

49.Si la force centrifuge générale du tourbillon avait son effet, le tourbillon n’en serait point détruit ni défigure, il deviendrait seulement une plus grande sphère, et qui est infiniment différent de ce qui arriverait, si le tourbillon avait la circulation solide (28) ; et on le verra sans peine, en y supposant le cas présent. Le préjugé doit être grand pour tout ce qui assure une plus longue et plus constante durée.

50.Il reste peut-être une objection en faveur de la circulation solide. Tout le monde convient que la direction générale et unique de notre tourbillon est d’occident en orient, et c’est ce que la circulation solide exécute parfaitement par le parallélisme des plans dont on conçoit alors que le tourbillon est formé ; au lieu que la circulation fluide ne le peut, du moins que très imparfaitement, par les couches concentriques ; car, que selon l’idée de l’article 27, on imagine dans une couche un cercle tel que serait l’équateur sur notre globe terrestre, on concevra bien que ce cercle se meuve exactement d’occident en orient : mais un autre quelconque, tel que serait notre écliptique, n’aura plus cette direction exacte de mouvement, mais en aura une qui déclinera d’abord au nord, ensuite au sud, etc. ; et comme ces déclinaisons seront toujours d’autant plus grandes que ces cercles seront pris plus éloignés de l’équateur, il en viendra enfin un dernier qui passera par ces pôles, n’aura plus d’autre direction de mouvement que du nord au sud ou du sud au nord ; et tout ce qui pourra lui rester de la direction générale, ce sera d’avoir commencé son mouvement plutôt adroite qu’à gauche, plutôt vers l’orient que vers l’occident, ce qui est extrêmement faible. Tout cela est vrai ; mais il l’est aussi que tout le monde convient que nos six planètes ont la direction de leur mouvement d’occident en orient, malgré leurs déclinaisons bien connues ; car au fond ces déclinaisons, quelles qu’elles soient, n’empêchent pas les planètes d’arriver toujours à un point du ciel plus oriental que celui d’où elles étaient parties.

51.Nous n’avons encore vu que la force centrifuge générale du tourbillon, ou celle des couches comparées entre elles : mais s’il s’agissait de celles de deux points pris chacun dans une couche différente, ce ne serait plus la même chose, puisque la grandeur des couches n’entrerait plus dans l’expression de la force, comme elle y entrait dans l’article 29. Donc, de deux points appartenans, l’un, à la couche qui a R pour rayon, et l’autre à celle qui a r, la force centrifuge du premier sera simplement , et celle du second . Or,  ; c’est-à-dire, que la force centrifuge du premier sera à celle du second en raison renversée des carrés des rayons de leurs couches.

52.Si on était étonné de la grande inégalité des forces centrifuges de deux points pris dans deux couches différentes malgré l’égalité des forces centrifuges des couches mêmes, il serait aisé de se rassurer, en remettant dans les expressions et , forces centrifuges des points, et , grandeurs des couches, car on aurait aussitôt .

53.Les astronomes ne font leurs calculs que pour le centre des planètes, dont ils n’ont pas besoin alors de considérer les grandeurs. Ainsi, les forces centrifuges de deux planètes, dont les rayons ou distances au soleil sont R et r, sont entre elles . Si les distances de la terre et de Jupiter au soleil sont comme 1 et 5, la terre a vingt-cinq fois plus de force centrifuge que Jupiter.

54.Dans tout mouvement uniforme, tel que celui du tourbillon, l’espace étant appelé e, la vitesse u, et le temps t, on a . Or, ici, les circonférences décrites par deux planètes étant :: R et r, et leurs vitesses et on a donc pour le temps de la révolution de la première , et pour celui de la révolution de la seconde . Or, . Donc les temps des révolutions de deux planètes sont entre eux comme les racines carrées des cubes de leurs distances au soleil. Le temps de la révolution de Jupiter sera au temps de la révolution de la terre, comme la racine carrée de 125, cube de la distance de Jupiter au soleil, est à 1. Cette racine carrée de 126, est entre 11 et 12. Il est visible que nous voilà revenus comme dans l’article 32, à cette admirable règle de Kepler, un des grands chefs-d’œuvre de l’esprit humain.

55.Puisque la force centrifuge peut cesser, quoiqu’il restât encore un peu de vitesse (18), il paraît bien sûr que le tourbillon n’aura pas assez d’étendue pour pouvoir tomber dans ce cas là, autrement tout l’effet de la force expansive, dérivé de la centrifuge (47 et 48), serait perdu.

56.On peut même dire quelque chose de plus. Quoique deux forces composées des deux mêmes élémens, mais pris en différens degrés, soient en équilibre, il se peut néanmoins que l’une ait plus d’action que l’autre par rapport à un certain effet déterminé. Ainsi, s’il s’agit de résister aux attaques du dehors, indiquées dans l’article 48, une couche qui aura plus de vitesse aura plus d’avantage par rapport à cette résistance, qu’une autre couche en équilibre avec elle, et qui sera plus grande. Il y a beaucoup d’apparence que le Créateur aura posé pour dernière couche du tourbillon, celle où se trouvait la vitesse requise selon cette vue,


SECTION V.

Du Corps solide dans un Tourbillon.

57.Concevons un corps parfaitement solide, et sans aucun mouvement, posé dans le tourbillon partout ailleurs qu’au centre. Qu’arrivera-t-il ? Il est certain que, dans la couche qui le contient, il occupe la place d’un volume égal de matière fluide qui aurait circulé avec tout le reste, et contribué à l’effort centrifuge de toute la couche, et que pour lui il n’y contribue rien. La couche qui le porte est donc affaiblie à cet égard, et n’est plus en équilibre avec les autres. Les couches supérieures a celle-là n’y gagnent rien ; elles n’en ont pas plus de facilité à monter ; mais les inférieures en ont davantage, puisque la couche chargée leur résiste moins qu’elle ne faisait. Elles vont donc monter ? Elles ne le peuvent, si le globe solide ne descend, puisque tout est plein (1), et il descendra, puisqu’il n’a aucune résistance à opposer. Pendant le séjour qu’il a fait dans sa couche, il est impossible qu’il n’y ait pris une quantité proportionnée de la direction d’occident en orient, qui est celle de cette couche comme de tout le tourbillon : mais parce qu’il ne descend qu’en vertu de la force expansive du tourbillon, dont la direction est du centre à la circonférence, il ne descendra que selon une ligne qui fera partie d’un rayon du tourbillon. Il est clair que ce sera la même chose dans la seconde couche et dans les suivantes.

58.Ce globe n’a pu descendre sans faire monter en sa place, à chaque instant, des volumes égaux de matière fluide. La direction de leur mouvement, pour monter, était du centre à la circonférence (47) : donc, la descente du globe, qui ne peut être que la même direction renversée, est de la circonférence au centre.

59.Le globe n’a reçu aucun choc, aucune impulsion ; il n’est descendu qu’à cause du plein, et par la nécessité de céder sa place à un fluide qui montait : mais en descendant, il a acquis de la vitesse, et une vitesse qui lui est propre.

60.Cette vitesse ne vient que de la force centrifuge ou expansive des couches du tourbillon qui, étant toutes égales à cet égard, ne peuvent donner chacune qu’un degré égal de vitesse : ainsi la vitesse du globe tombant, sera une vitesse accélérée, toujours composée de degrés égaux.

61.Le globe tombant de plus haut, n’en aura pas une plus grande vitesse initiale, puisque la couche d’où il tombera n’en aura pas une plus grande force centrifuge.

62.Par rapport à cette vitesse, il n’importe non plus qu’elle soit la grandeur du globe ; car il ne reçoit aucun choc (59) qui eût fait varier la vitesse, selon la masse choquée.

63.On voit assez que tout ce qui vient d’être dit n’est que le système de Galilée sur la pesanteur, qui se déduit très simplement de nos principes. Rien n’est plus ordinaire aux hommes, que de concevoir les corps naturellement pesans ; mais dès qu’on pensera un peu, on verra que rien n’est plus inconcevable. Nous ne nous arrêterons pas à le prouver.

64.La vitesse initiale d’un corps quelconque (62), tombant d’une hauteur quelconque (61), est la vraie mesure de la force générale centrifuge ou expansive du tourbillon, ou, en un mot, de la pesanteur qui y règne. On sait, par expérience, que dans le tourbillon solaire cette vitesse est de 13 pieds 8 lignes et un peu plus en une seconde.

Il est visible que le nombre qui eût toujours exprimé une pesanteur, pouvait être plus grand ou plus petit à l’infini, et qu’il n’a été fixé tel qu’il est, que par une volonté souveraine, qui a eu égard aux rapports que notre tourbillon devait avoir au reste de l’univers ; rapports qui nous sont inconnus.

65.Si, selon les articles 57 et 58, le globe tombant tombe jusqu’au centre, il peut, en vertu de sa vitesse acquise, aller au-delà, et il remontera : mais les couches inférieures le repousseront comme auraient fait les supérieures, et cela selon une direction toute contraire à celle de sa première vitesse acquise ; de sorte qu’il s’arrêtera enfin au centre, où il sera absolument sans pesanteur, tant la pesanteur est une qualité peu inhérente et peu essentielle au corps. Loin que celui-là soit poussé et obligé de céder sa place, au contraire, tout tendra de tous côtés à le fuir.

66.Mais ce qui arrivera fort aisément, c’est que ce globe, pourvu qu’il soit tombé d’une hauteur suffisante, aura acquis assez de vitesse pour se trouver dans une couche, où il sera en équilibre avec un volume égal de matière éthérée ; car le désavantage qu’il aura par sa masse solide, pourra bien être réparé par un certain degré de vitesse acquise. Il s’arrêtera donc à une certaine couche ; et comme il n’a nulle force pour lui résister, elle l’emportera avec elle, comme s’il en faisait naturellement partie. On peut se souvenir que, selon les articles 57 et 58, il avait toujours, dans sa descente, acquis de la direction d’occident eu orient.

67.Il circule donc alors et prend nécessairement une force centrifuge, qui est celle de sa couche ; de sorte que, de pesant qu’il était auparavant, il est devenu, pour ainsi dire, léger. S’il se détachait de sa couche, il en suivrait une tangente, et s’éloignerait toujours de ce même centre, dont il s’approchait toujours dans son premier état.

68.Dans la couche où il est placé, il aura nécessairement un de ses diamètres dans le plan d’un grand cercle, qui circulera, ou exactement, ou le plus exactement de tous, selon l’article 50, d’occident en orient. J’appelle ce diamètre le premier, et j’en conçois dans le même plan un second, qui le coupera à angles droits. Comme les deux extrémités du premier peuvent s’appeler occident et orient, les deux du second pourront s’appeler nord et sud. Les deux premières seront également éloignées du centre du tourbillon, et les deux autres inégalement. Je prends le nord pour la plus éloignée.

Le premier diamètre étant tout dans un même plan, ayant ses deux extrémités également éloignées du centre du tourbillon, est simplement emporté d’occident en orient. Mais il peut n’en être pas de même du second, dont les deux, extrémités sont nécessairement dans deux couches différentes. Ces deux couches n’auront, à la vérité, que la même force centrifuge : mais quand, par leur mouvement d’occident en orient, elles frapperont les deux extrémités nord et sud du second diamètre, elles les frapperont avec différentes forces impulsives, qui seront les produits des masses ou grandeurs des couches par leur vitesse ; non de ces masses ou grandeurs entières, car elles ne peuvent pas frapper par leur tout, mais seulement par quelque partie du tout ; et cette partie aura toujours dans chaque couche le même rapport au tout. Par exemple, elle en sera toujours la dixième partie. Pour accourcir, je prends ici le total même des couches, soit R le rayon de la plus grande couche, qui frappe l’extrémité nord du second diamètre, et r le rayon de l’autre. La force impulsive de la plus grande couche sera donc , et celle de l’autre . Or, Donc, l’extrémité nord sera plus fortement frappée que l’extrémité sud ; et comme elle est aussi dans l’hémisphère supérieur du globe, par rapport au centre du tourbillon, elle sera plus fortement poussée d’occident en orient, que l’extrémité inférieure sud, son opposée, ne Le sera du même sens. Donc, le globe ne sera plus simplement transporté comme il l’était, sans prendre lui-même aucun mouvement particulier ; il en prendra un par sa partie supérieure, d’occident en orient, et par conséquent l’inférieure ira d’orient en occident ; ce qui fera une rotation de tout le globe solide autour de son centre. J’appellerai toujours de ce nom de rotation tout mouvement circulaire pareil, par opposition à la circulation qui se fait par rapport à un centre posé au dehors du corps circulant.

69.Ce rapport de et de , pour les forces impulsives des couches R et r, est le même que celui qui a déjà été trouvé (54) pour les temps des révolutions de deux planètes posées dans les mêmes couches. Cela vient de ce que les forces translatives qui emportent deux planètes dans les couches R et r, étant le produit de leurs masses ou grandeurs par leurs vitesses, sont les mêmes que et , forces impulsives appliquées aux deux extrémités du diamètre du globe posé dans les couches R et r. Or, les forces translatives et des deux planètes, et par conséquent aussi les forces impulsives appliquées aux deux extrémités du diamètre supposé, sont entre elles , temps des révolutions des deux planètes.

70.Un tourbillon étant divisé en couches toujours croissantes, selon la suite des nombres naturels, 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10., etc., les seront ces nombres élevés à  ; savoir : Les + et les - signifient ici la même chose que dans l’article 40.

Dans cette suite de nombres élevés à , deux termes quelconques consécutifs, comme 15- et 11+ marquent les et qui frapperaient les extrémités du diamètre d’un globe posé dans deux couches contiguës, qui seraient la sixième et la cinquième : pareillement 22+ et 8 marquent et des deux extrémités du même diamètre posé alors dans les deux couches non contiguës, la huitième et la quatrième.

71.Il est clair que plus les deux couches, où posent les extrémités de ce diamètre, sont éloignées, c’est-àdire, en un mot, plus il est grand, plus le rapport de à est grand, et par conséquent l’inégalité d’impulsion d’autant plus grande, et la rotation du globe qui en dépend d’autant plus forte et plus prompte.

72.Elle le sera encore, si l’inégalité de rapport entre et demeurant la même, ces deux grandeurs sont prises dans un endroit plus proche du centre du tourbillon ; car alors les vitesses seront plus grandes ; et quoiqu’elles semblent avoir disparu dans l’expression et , elles y sont toujours essentiellement renfermées, comme on l’a vu, en la formant dans l’article 68. Il est vrai que, dans le cas du présent article, le diamètre du globe devra être plus court : on en voit aisément la raison. Le rapport de 3— à 1, le plus grand qu’il y ait entre deux termes consécutifs de la suite des , est celui des deux premiers termes.

73.Donc, la force ou vitesse de la rotation est formée de la combinaison de ces deux élémens, l’endroit du tourbillon où le globe est posé, et la grandeur de son diamètre.

74.Il y en aurait bien encore un troisième, mais qui ne peut être soumis au calcul, ni connu par observation. C’est le plus ou le moins de solidité du globe ; car un plus solide résistera davantage à la même force de rotation, et tout au moins la prendra-t-il plus tard.

75.La circulation et la rotation ne tiennent ensemble, et ne communiquent, pour ainsi dire, que par l’endroit marqué dans l’article 69 : du reste, elles sont tout-à-fait indépendantes l’une de l’autre. La circulation sera très prompte, et la rotation très lente, et peut-être nulle, si le globe est placé fort près du centre du tourbillon, et n’a qu’un fort petit diamètre. Au contraire, la circulation sera très lente et la rotation très prompte, si le globe est placé loin du centre du tourbillon, et a un fort grand diamètre. Il peut se mêler encore à tout cela le principe inconnu de l’article précédent.

76.Si le globe était placé en tel lieu, ou que son diamètre lût tel par son peu de grandeur, qu’il ne pût recevoir des impulsions assez inégales pour causer une rotation parfaite, il n’y en aurait donc alors qu’une imparfaite, c’est-à-dire, des oscillations, des balancemens.

Je n’ai aucunement parlé de la rotation du soleil, parce que jusqu’ici il a toujours été supposé parfaitement immobile au centre d’un tourbillon parfaitement sphérique.


SECTION VI.

Du Tourbillon dans un Tourbillon.

77.Je suppose qu’un tourbillon de la même nature que notre tourbillon solaire, mais moindre, soit placé dans ce grand tourbillon ; et pour soulager l’imagination qui pourrait être effrayée d’un fluide qui ne se mêlerait ni ne se confondrait avec un autre fluide plus grand et plus fort, je feins que le petit est enfermé dans une enveloppe quelconque, contre laquelle il exerce sa force particulière centrifuge ou expansive, qu’il a en tout sens. On voit que ce cas est fort différent de celui des articles 57, 58, etc.

Je conçois de plus que, dans quelque endroit du grand tourbillon où soit le petit, il a toujours, comme le corps solide de l’article 68, deux diamètres, le premier et le second, qui se coupent a angles droits, et les mêmes quatre points déterminés, occident, orient, nord et sud. Le haut et le bas se prendront toujours par l’apport au centre du grand tourbillon, qui en est le lieu le plus bas ; et par conséquent l’hémisphère du petit tourbillon, dont le point nord est le point du milieu, sera l’hémisphère supérieur de ce tourbillon, et l’autre l’inférieur.

78.Le petit tourbillon posé dans le grand, n’est pas absolument sans force, comme était le corps solide de la section précédente ; il a nécessairement sa force centrifuge ou expansive, puisqu’il est tourbillon. Le grand a pareillement la sienne ; et ce sont deux forces de même espèce, qui peuvent, ou s’accorder, ou se combattre. En quelque endroit du grand tourbillon que le petit soit posé, l’hémisphère supérieur de ce dernier exerce sa force expansive de bas en haut, selon ce qui a été dit dans l’article précédent, et le grand tourbillon exerce aussi la sienne selon là même direction. Les deux forces ne se Combattent donc pas là ; elles s’uniraient plutôt. Mais l’hémisphère inférieur du petit tourbillon exerce sa force expansive de haut en bas, et le grand exerce toujours la sienne selon Sa même direction de bas en haut. C’est là uniquement que les deux forces sont antagonistes. Si celle du petit tourbillon est la plus grande, les couches du grand, qui sont au-dessus de lui, lui cèdent, et il descend ; si c’est le contraire, il monte.

79.Il ne sera pas tout-à-fait hors de propos de remarquer ici qu’il peut donc y avoir dans la nature une pesanteur entièrement fondée sur les mêmes principes que celle qui nous est si connue sous ce nom, et qui fasse monter les corps comme l’autre les fait descendre, tant ils sont indifférons d’eux-mêmes à l’un ou à l’autre mouvement.

80.La force du petit tourbillon contre le grand, est toujours égale, puisque c’est toujours la force expansive de tout son hémisphère inférieur, soit qu’il monte, soit qu’il descende. Mais dans l’un et l’autre cas la force antagoniste du grand tourbillon varie ; car il y a toujours un plus grand ou un plus petit nombre de ses couches qui agissent.

81.Il n’est guère possible que, dans la vaste étendue du tourbillon solaire, il n’y ait quelque endroit où un certain nombre de ses couches prises depuis le centre, aient une force expansive égale à celle de l’hémisphère inférieur du petit tourbillon. Quand il arrivera là, soit en montant, soit en descendant, il s’arrêtera, non pas dans le moment, mais parce qu’en montant ou en descendant il aura acquis de la vitesse ; il fera quelques oscillations, c’est-à-dire, qu’il ira au-delà du point de l’équilibre, en reviendra, etc., jusqu’à ce qu’au bout de quelque temps il s’arrête parfaitement à ce point.

82.Je ne prétends pas que les choses se soient passées précisément de cette manière, il y a infiniment plus d’apparence que, dès le premier temps de la création, tout a été mis dans les équilibres nécessaires pour la durée des grands mouvemens qui s’allaient exécuter. L’univers est un ouvrage de l’art, mais de l’art d’un Dieu.

83.Il n’est pas à craindre que le petit tourbillon, arrêté dans le grand, vienne à se confondre avec lui, ou à en être absorbé. Ce n’est point l’enveloppe supposée dans l’article 77, qui y met obstacle ; c’est que le grand et le petit tourbillon ont des forces égales précisément dans le seul endroit par où ils peuvent s’attaquer. L’enveloppe était purement imaginaire, et il la faut rejeter. Nous savons déjà, par une longue expérience, que les équilibres qui entrent dans la constitution de l’univers, sont d’une grande durée.

84.On peut imaginer aussi, si l’on veut, que les deux fluides sont analogues à l’eau et à l’huile, et immiscibles comme ces deux liqueurs. Il est certain que la matière éthérée du grand tourbillon est toute de la même nature (36) : il serait fort possible que celle du petit fut tout entière aussi d’une autre nature, qui la rendrait immiscible avec celle du grand. Il semble même qu’il peut y avoir une infinité de fluides, qui, pris deux à deux, soient immiscibles, et cela encore à différens degrés.

85.Le petit tourbillon arrêté dans le grand par cet équilibre qu’il y a rencontré, peut encore n’être pas arrêté exactement ; il ne changera pas de couche, l’équilibre ne le permet pas ; mais il changera de cercle dans cette même couche, et voici pourquoi. Il faut se rappeler ici entièrement l’article 50. Si le centre du petit tourbillon était posé dans la couche du grand, qui passe par ce que nous avons nommé ses pôles, il est clair que la surface supérieure du petit tourbillon serait couverte d’arcs de cercles, qui tous, à compter depuis les pôles jusqu’à leur équateur, auront toujours des directions plus parfaites d’occident en orient ; ce qui est le mouvement général du grand tourbillon. L’impulsion que recevra le petit d’occident en orient, sera donc inégale, quant à la perfection des différentes directions ; et comme il en résultera une moyenne, qui sera certainement plus parfaite que la première qu’il a eue, il sera donc poussé vers l’équateur de la même couche où il était ; et il y arrivera, si rien ne l’en empêche.

86.Il pourrait même, sans obstacle étranger, n’arriver pas jusques-là ; car, comme c’est l’inégalité de la perfection des directions qui fait l’effet dont il s’agit ici, et que cette inégalité va toujours en diminuant depuis les pôles, elle peut être devenue si petite un peu en-deçà de l’équateur, qu’elle ne sera plus capable de cet effet, surtout si le tourbillon n’est pas assez grand pour recevoir deux impressions suffisamment inégales.

87.Voilà donc le petit tourbillon placé dans une certaine couche du grand, et dans un certain lieu de cette couche, d’où il ne peut plus sortir ; et il ne peut plus qu’être emporté par cette couche, qui circule d’occident en orient. Mais pourvu qu’il soit d’une grandeur suffisante, ce qui apparemment ne manque jamais, il aura nécessairement les deux extrémités de son diamètre, que nous appelons le second, placées dans deux couches différentes en forces impulsives, et il sera précisément dans le cas du globe solide de l’article 68 : donc, il aura une rotation en même temps qu’il circulera.

88.Nous n’avons point encore considéré l’intérieur du petit tourbillon ; mais puisqu’il est tourbillon, il a par lui-même une circulation générale, selon une direction quelconque qui lui est propre. Si la rotation qu’il reçoit du grand, et qui ne peut être que d’occident en orient, est très forte, et si sa circulation particulière était d’orient en occident, et assez forte aussi, il serait impossible que la rotation extérieure et la circulation intérieure ne s’altérassent mutuellement. On voit assez l’infinité de cas moyens qui naîtraient de la combinaison de ces principes : mais dans ceux mêmes où la rotation et la circulation seraient fort différentes, un autre principe empêcherait que cela ne pût subsister long-temps. C’est l’extrême différence qu’il y aurait toujours entre la masse du petit tourbillon et la masse du grand, conspirante tout entière à donner au petit, jusques dans son intérieur, la direction d’occident en orient. Le petit tourbillon de Jupiter est le seul auquel nous puissions appliquer cette considération. Qu’on en prenne le demi-diamètre, en le poussant même au-delà du quatrième satellite, et qu’on le compare au demi-diamètre du tourbillon solaire, qui est au moins de trois cent millions de lieues, et l’on verra quelle sera l’énorme différence des cercles, ou des sphères formées sur ces deux demi-diamètres. Aussi la rotation et la circulation du tourbillon de Jupiter ont-elles à très peu près la même direction que le tourbillon solaire.

89.En ce cas là même où le grand tourbillon changerait entièrement la direction propre et originaire du petit, ce changement ne porterait que sur cette direction, et non sur la vitesse de la circulation du petit, si ce n’est que dans le temps où le changement s’opérerait, il arriverait quelque légère perte de vitesse aux deux tourbillons ; mais cela fait, le petit pourrait conserver une vitesse de circulation intérieure, fort différente de celle du grand. Il suffira que sa force expansive totale soit égale à celle d’un volume égal de matière éthérée dans l’endroit du grand tourbillon où il sera placé. Tous les mouvemens les plus violens qu’on puisse faire dans un vaisseau, et les plus opposés à la route, n’y nuisent point.

90.Rien n’empêche que le petit tourbillon ne porte à son centre un globe solide qui y sera immobile, comme nous avons toujours supposé jusqu’à présent que l’était le soleil au centre de notre tourbillon. Seulement il faut considérer que ce globe solide, qui ne contribue rien à la force expansive du tourbillon, et tient la place d’une matière éthérée qui y eut contribué, affaiblit donc le tourbillon à cet égard, et d’autant plus qu’il est gros, et par conséquent qu’il faut que ce petit tourbillon en ait d’autant plus de matière éthérée, ou soit plus grand.

91.Rien n’empêche non plus que le petit tourbillon n’ait partout ailleurs qu’à son centre un globe solide ; et il donnera à ce globe son mouvement de circulation. Le petit tourbillon est parfaitement, à cet égard, de la même condition que le grand. C’est ainsi que la lune, renfermée dans le tourbillon de la terre, circule autour d’elle. La lune est appelée satellite de la terre.

92.Un petit tourbillon peut même avoir plusieurs satellites qui circulent autour du globe central, ou de la planète principale. Le tourbillon de Jupiter en a quatre, et celui de Saturne cinq.

93.C’est par les satellites que l’on juge sûrement que les planètes qui en ont, ont aussi un tourbillon particulier : un seul satellite suffira pour cette preuve ; mais pour savoir si les satellites suivent dans leur circulation autour de leurs planètes principales les mêmes lois que les planètes principales dans leur circulation autour du soleil, dont elles sont véritablement satellites, il en faut plus d’un. Ainsi, il n’y a que ceux de Jupiter et de Saturne qui puissent servir à cette recherche. Or, il est sûr, par les observations, que, dans l’un et l’autre tourbillon, les satellites suivent la règle de Kepler. Donc (36), dans chacun de ces deux tourbillons la matière éthérée y est, ou absolument homogène, ou de la même hétérogénéité.

94.Il n’est pas nécessaire pour cela qu’elle soit, ou la même que la matière du grand tourbillon, ou de la même hétérogénéité, et encore moins qu’elle soit la même dans les deux petits tourbillons.

95.Mercure, Vénus et Mars n’ont point de satellites ; mais ce n’est pas une preuve que ces planètes n’aient pas de tourbillon. Il est évident que les satellites ne sont nullement nécessaires pour en constituer un, mais seulement pour nous marquer qu’il y en a un. Si ces planètes manquaient de satellites, elles seraient absolument dans le cas du globe solide de l’article 57, et pourraient venir à se trouver dans celui de l’article 66, c’est-à-dire qu’elles n’auraient point de tourbillon : mais il est plus apparent et plus conforme a l’analogie générale, qu’elles n’en soient pas dépourvues.

96.La même raison aura lieu pour les satellites des planètes.

97.Si la terre avait un second satellite, il y a toute apparence que les révolutions des deux garderaient entre elles la règle de Képler, puisque celles des satellites de Jupiter et de Saturne la gardent exactement.


SECTION VII.

Détails plus particuliers du Tourbillon Solaire.

98.Voici les rapports des distances des six planètes au soleil :

Mercure, 5.
Vénus, 8.
La Terre, 11.
Mars, 18.
Jupiter, 55.
Saturne, 110.

Pour changer tout cela en grandeur absolue, il n’y a qu’à savoir que la terre est à 30 millions de lieues du soleil, son demi-diamètre étant de 1500.

Sur ce pied, Mercure est à 13 millions de lieues du soleil, et Saturne à 300 millions.

99.C’est le centre de Saturne qui est éloigné à cette distance de celui du soleil ; mais le tourbillon de Saturne a nécessairement encore de plus la distance du cinquième satellite au centre de Saturne, qui est de 900,000 lieues, et peut-être ce petit tourbillon ne finit-il pas là.

100. Mais il est presque certain que le grand tourbillon solaire n’y finit pas, car il faut qu’il enveloppe totalement le petit de Saturne, et assez avantageusement pour lui communiquer tout le mouvement nécessaire. Voilà donc un espace immense occupé seulement par six planètes principales.

101.Quoiqu’elles aient toutes des tourbillons (95), il n’y a nulle apparence que ces tourbillons occupent tout ce grand espace, c’est-à-dire que, rangés en ligne droite, ils se touchassent les uns les autres. Il faudrait qu’ils fussent monstrueux en grandeur, qu’ils débordassent infiniment leurs satellites, quand ils en auraient ; et enfin, cela ne servirait qu’à produire quelquefois des frottemens nuisibles au grand équilibre général.

102.Les six planètes, à compter du soleil, ne sont point rangées selon l’ordre de leurs grandeurs. Il est bien vrai que Mercure, la plus petite de toutes, et de beaucoup, est la plus proche du soleil, et que Jupiter et Saturne, les plus grandes de beaucoup, sont les plus éloignées. Mais Jupiter est un peu plus grand que Saturne ; et Vénus et la terre, qui sont égales, sont moins éloignées que Mars qui est plus petit qu’elles.

103.Les vitesses des six planètes étant en raison renversée des racines carrées de leurs distances au soleil, les voici en nombres rationnels approchés :

Mercure, 10+
Vénus, 7+
La Terre, 4+
Mars, 3+
Jupiter, 3-
Saturne, 2+

104.La plus petite distance d’une planète au soleil, est (98) à la plus grande :: 5 : 110 :: 1 : 22, et la plus petite vitesse d’une planète est ici à la plus grande :: 2 : 10 :: 1 : 5 ; ce qui marque qu’il règne dans tout le tourbillon un grand calme général.

105.Cependant les vitesses absolues, dont on n’a vu encore que les rapports, sont prodigieuses. Voici les espaces que parcourent nos planètes, par leur circulation, en une seconde :

Mercure,
Vénus,
La Terre, 6
Mars,
Jupiter,
Saturne,

Le vent le plus violent que nous connaissions, fait 10 toises en 1”. Or, 10 toises sont à une lieue qui en contient 2270, :: 1 : 227. Donc, une planète qui ferait une lieue en 1”, aurait 227 fois plus de vitesse que ce vent, et celle qui en fait 9 en a 2043 fois davantage ; ce qui n’est presque pas imaginable pour nous qui ne jugeons que par des expériences très bornées. Mais il est toujours vrai que la plus grande vitesse absolue ne peut jamais nuire au grand calme du tourbillon, pourvu qu’elle soit assez uniformément répandue dans ses différentes parties, comme il arrive précisément ici.

106.On peut remarquer, en passant, que la vitesse de la circulation de Saturne étant ici de de lieue, ou de , elle est à celle de Mercure , exactement comme elle avait été trouvée par une voie différente dans l’article 104.

107.Il ne nous reste plus qu’à considérer les rotations des planètes. On n’en connaît encore aucune aux deux extrémités, Mercure et Saturne. Voici les espaces que parcourent les quatre autres en 1” :

Vénus, de lieue.
La Terre,
Mars
Jupiter,

On voit d’abord ici deux rotations égales, ensuite une moindre, et enfin une très grande par rapport à elles toutes.

108.Mais si on compare aux rotations les circulations correspondantes dans les mêmes planètes, les articles 73, 74, 75 seront bien confirmés. Il sera bon de s’arrêter un peu ici à Jupiter, dont la circulation et la rotation ont quelque chose de singulier.

109.La rotation de Jupiter, qui est ou est à celle de La terre qui est , . Donc, sa vitesse de rotation est 25 fois plus grande que celle de la terre.

On aurait trouvé la même chose par le simple raisonnement. Le diamètre de Jupiter est un peu plus de dix fois plus grand que celui de la terre. S’il faisait sa rotation en 10 jours, elle serait presque de la même vitesse que celle de la terre : au lieu de cela, il la fait en moins de 10 heures, plus de 24 fois plus vite.

110.Cependant à cette rotation si prompte, répond une circulation qui est la plus lente de toutes, excepté celle de Saturne ; et même et étant :: 36 : 35, il s’en faut très peu que ces deux grandeurs ne soient égales, au lieu que partout ailleurs la circulation a un avantage extrême sur la rotation.

111.Cela vient d’abord de ce que le diamètre de Jupiter, singulièrement grand, du moins par rapport à ceux de toutes les planètes inférieures, donne lieu à une plus grande inégalité de forces impulsives, selon l’article 68. Mais il est vrai aussi que dans la position où est Jupiter, cinq fois plus éloigné que la terre du centre du tourbillon, les vitesses doivent être fort diminuées, et en même temps leur inégalité quelconque. On ne sait pas ce qui en est pour le sujet présent ; mais, en tout cas, voici un paradoxe qui réparera tout ; c’est que si les vitesses ou leurs Inégalités étaient trop faibles, ou n’étaient point à compter, les forces impulsives qui causent la rotation, y gagneraient ; car on verra, par leur formation (68), qu’au lieu d’être et , elles deviendraient et , et par conséquent plus grandes qu’elles n’étaient. Ce seraient deux grands fleuves, mais l’un plus profond que l’autre, qui couleraient de la même vitesse le long des deux côtés d’un grand bâtiment ; certainement il serait plus attaqué et plus endommagé par le fleuve le plus profond.

112.Le peu de différence de la circulation et de la rotation de Jupiter, conduit à croire que ces deux grandeurs pourraient quelque part se trouver parfaitement égales. Ainsi quand, pour expliquer pourquoi la lune présente toujours la même face à la terre, on a supposé sa rotation égale à sa circulation, on n’a fait qu’une hypothèse très admissible.

113.Il est vrai aussi que la lune pourrait n’avoir point de rotation. Son diamètre, qui n’est que le quart de celui de la terre, est assez petit.

114.Le plan du grand cercle ou de l’orbite, dans laquelle une planète fait sa circulation autour du centre du tourbillon solaire, est son plan de circulation, et la perpendiculaire, tirée de ce centre sur le plan de l’orbite de la planète, est son axe de circulation. Le plan du plus grand cercle que décrive la surface de la planète dans sa rotation, ou, ce qui est le même, le plan de son équateur, est son plan de rotation et la perpendiculaire tirée du centre de la planète sur ce plan, et qui ne peut être que la droite qui joint les deux pôles de l’équateur, est l’axe de rotation. Dans l’hypothèse du tourbillon parfaitement sphérique, Les deux plans et les deux axes de circulation et de rotation, ne doivent pas être différens : on ne voit aucun principe qui les sépare ; et les deux mouvemens, qui ne sont alors que le même autant qu’il est possible, s’en exécuteront plus facilement. Jupiter est à peu près dans ce cas : son axe de rotation est presque perpendiculaire à son orbite ; mais, d’un autre côté, celui de la terre est incliné de degrés à l’écliptique. Cela demande de nouvelles recherches.


SECTION VIII.

Du Tourbillon environné par d’autres Tourbillons.

115.Il n’y a dans tout notre tourbillon que le soleil, centre de ce tourbillon, qui ait la lumière par lui-même : celle de toutes les planètes vient certainement de lui. Nous voyons de tous côtés autour de nous un très grand nombre d’étoiles, qu’on appelle fixes, lumineuses aussi par elles-mêmes ; et les Cartésiens croient avec beaucoup d’apparence, que ces étoiles sont des soleils, centres d’autant de tourbillons dont le nôtre est environné. Nous ne considérons ici que ceux dont il l’est immédiatement, inégaux entre eux tous selon toutes les apparences.

Ces tourbillons, semblables au nôtre, ont chacun leur force expansive en tout sens de leur centre a leur circonférence ; et par conséquent, en touchant notre tourbillon, ils ne peuvent manquer d’y trouver une tendance directement contraire à la leur. Il tend à s’étendre, et ils tendent tous à le comprimer.

J’ai dit en touchant notre tourbillon, car étant rond il ne peut pas être touché dans tous ses points par d’autres corps de même figure. Quelque différens en grandeur qu’on les supposât, il restera nécessairement des vides que la matière éthérée remplira, grands ou petits.

116.Il est presque absolument impossible, pour ne pas dire absolument, que les tourbillons environnans tendent tous, avec des forces précisément égales, à comprimer le nôtre, sans quoi il ne peut demeurer exactement sphérique, tel que nous l’avons suppose jusqu’ici, quoiqu’il ne le soit pas. Nous allons donc rentrer dans le vrai, et admettre les forces comprimantes inégales.

117.Pour éviter la confusion, je conçois, comme dans l’article 68, le tourbillon solaire sphérique divisé en quatre parties égales par les deux diamètres est et ouest, et nord et sud, ou E O et N S. Le centre du tourbillon sera C. Les pressions du tourbillon environnant, qui se feront de E vers C, seront directement opposées à celles de O en C, et de même celles de N en C à celles de S en C. Je suppose que les inégalités de toutes les autres pressions collatérales, étant comparées et combinées ensemble, se réduisent à ces quatre principales. Cela posé, il est aisé de voir ce qui pourra arriver.

Si les deux pressions de E vers C et de O en C étant égales entre elles, sont moins fortes que les deux pressions de N en C, et de S en C, égales aussi, le tourbillon ne peut plus demeurer sphérique ; son diamètre N C S deviendra plus petit que le diamètre E C O. Si on avait supposé le contraire, ce ne serait que la même chose renversée.

118.On peut imaginer que, dans ces deux cas-là, le tourbillon devient elliptique, puisqu’il a ses deux diamètres ou axes inégaux.

119.Le soleil qui était au centre de la sphère, est encore au centre de l’ellipsoïde ; car, selon la supposition, il n’a été poussé inégalement d’aucun côté, et par conséquent il n’a pu être déplacé.

120.Mais si les deux pressions opposées d’un même axe, si celle de N en C, par exemple, et celle de S en C avaient été inégales, il aurait été poussé hors du centre par la plus forte, toujours sur le même axe, et aussi loin qu’il aurait été possible.

Ce petit nombre de cas très simples suffirait pour faire entrevoir, du moins en gros, mais sûrement, l’infinité de cas moyens qui en peuvent résulter.

121.Ce qui marque encore bien que le soleil n’est pas au centre du tourbillon, c’est qu’il a une rotation bien constatée par ses taches. Il tourne sur son axe en jours : cet axe est cent fois plus grand que celui de la rotation de la terre ; et par conséquent le soleil fait en un jour un peu moins de 36,000 lieues, tandis que la terre n’en fait que 9,000. Il est visible que cela vient de l’extrême grandeur du diamètre du soleil, et de l’extrême vitesse qui règne dans l’endroit où il est placé.

122.Supposé qu’il n’y eût point eu de soleil, et que tout l’espace central égal à son globe n’eut été rempli que de matière éthérée, cette matière eût eu une circulation comme celle de tout le reste ; et on trouvera que sa couche la plus élevée eût fait, selon la règle de Képler, sa circulation en deux heures 41’. Si le centre du soleil est jeté par les tourbillons environnans hors du centre de cet espace central, et jusqu’à la couche la plus élevée, le soleil aura une circulation de deux heures 41’. Mais une circulation si courte serait nulle pour nous. Il serait impossible de s’apercevoir que le soleil, revenu à la même place au bout de deux heures 41’, en eût changé pendant cet intervalle de temps, sans compter qu’il n’y aurait aucun centre visible auquel on put rapporter celle circulation. On ne s’est aperçu que depuis peu de la rotation du soleil, dont la durée est plus de deux cents fois plus longue.

123.Nous pouvons donc raisonnablement croire que le soleil fait quelque petite circulation, mais si petite, qu’on peut le supposer immobile à cet égard. C’est sur ce fondement que les Coperniciens établissent leurs calculs astronomiques qui procèdent fort bien. Le tourbillon est certainement elliptique (116), et ils mettent le soleil, non au centre, comme il serait dans un cercle, mais à un des deux foyers de l’ellipse. Il y a une infinité de différentes espèces d’ellipses : mais on prend l’ellipse ordinaire qui se règle par le simple rapport des deux axes ; ce qui n’a pas empêché l’un des plus grands astronomes qui aient jamais été, Cassini, de proposer une ellipse d’une espèce plus composée, qui pouvait rendre les calculs plus exacts ou plus faciles, tant il reste encore d’incertitude sur ce sujet. Pour nous, il nous suffira de mettre le soleil dans un foyer d’une ellipse ordinaire, qui sera celle de tout notre tourbillon, mais sans savoir quel sera le rapport des deux axes de cette ellipse.

124.Peut-être croira-t-on d’abord que cette ellipse générale du tourbillon viendrait a se manifester par les orbites des planètes, qu’elle déterminerait à être de la même espèce qu’elle ; mais il s’en faut bien, dans le fait, que cela soit ainsi.

La plus grande et la moindre distance de Mercure au soleil, sont entre elles à peu près comme 20 et 13 ; d’où il suit que son orbite est fort différente d’un cercle, et fort elliptique. Au contraire, dans l’orbite de Vénus ces deux distances sont à peu près comme 125 et 124 ; ce qui fait le cercle presque parfait. Aussi les orbites de Mercure et de Venus sont-elles, à cet égard, les deux extrêmes ; et entre elles sont celles de Mars, de Saturne, de Jupiter, de la terre, ainsi rangées selon l’ordre de leur ellipticité décroissante. On entend bien que l’ellipticité générale du tourbillon solaire vient de la compression inégale des tourbillons environnans, et qu’il suffit, pour cet effet, que cette compression soit une simple tendance, dont il ne s’ensuivrait aucune action, aucun mouvement ; mais il n’en va pas de même des ellipticités différentes des planètes ; et il faut aller plus loin pour en entrevoir la cause.

125.Il faut se représenter les tourbillons environnans en nombre indéfini, grands et petits, ronds, ou à peu près ; et à cause de cette figure et du plein, leurs interstices doivent être remplis de matière éthérée, qui apparemment y sera moins agitée que si elle avait son mouvement entièrement libre dans un seul tourbillon, comme le nôtre. Ce grand amas de tourbillons, et le nôtre y est compris, ont chacun leur force expansive particulière, différente, si l’on veut, de celle de tout autre ; ils tendent tous à s’agrandir, et s’en empêchent tous réciproquement, du moins pendant quelque temps ; mais il serait presque impossible que, dans un très grand nombre de combats particuliers, l’équilibre parfait ne fût à la fin rompu en quelque endroit. Un tourbillon quelconque se sera étendu, en absorbant quelque portion de cette matière éthérée des interstices moins agitée ; et dès-lors le voilà devenu plus fort que tel autre tourbillon voisin, qui auparavant ne lui cédait pas ; mais dans le même temps le tourbillon voisin, moins gêné par une moindre quantité de matière des interstices, peut en pomper assez pour devenir égal à l’autre, et l’équilibre est rétabli.

126.Il suit de là que la matière éthérée des interstices des tourbillons peut n’être pas oisive et inutile au tout.

127.Il y a un second cas. Un tourbillon qui en touche un autre, ne peut tendre à s’agrandir, sans tendrt en même temps à jeter de sa matière propre dans ce voisin ; et si cette tendance se réduit en acte, le plus fort s’affaiblit donc, et le plus faible se fortifie d’autant ; et l’équilibre qui avait été rompu, se retrouve par la cause même qui l’avait rompu, tant la nature a été attentive et ingénieuse à le conserver.

128.On peut donc imaginer que l’univers, autant qu’il nous est connu, est un amas de grands ballons, de grands ressorts bandés les uns contre les autres, qui s’enflent et se désenflent, et ont une espèce de respiration et d’expiration successives, analogues à celle des animaux ; ce qui fera la vie de ce grand corps immense.

Il se pourrait même que ce que nous appelons ici la vertu élastique des corps, que nous observons fort en petit, fût quelque chose de tout pareil ; mais ce n’est pas le temps d’en parler.

129.Le plein ne permet pas que les tourbillons s’enflent tous, ou se désenflent tous en même temps ; il faut nécessairement que les uns s’enflent, tandis que les autres se désenflent, et cela avec toute la précision possible ; mais on voit bien que c’est le plein même qui la cause. De plus, il se peut fort bien qu’un même tourbillon s’enfle d’un côté, et se désenfle du côté opposé : le tourbillon qui le touche à l’est, sera plus fort que lui ; et celui qui le touche à l’ouest, plus faible.

130.Dans les petites machines des animaux, l’inspiration ne dure qu’un temps fort court, et l’expiration un autre temps égal. Mais il ne serait nullement impossible qu’il y eût un animal dont l’inspiration et l’expiration durassent chacune un quart-d’heure, une demi-heure, etc. Cela n’a point de bornes, et il semble qu’il ne faudrait qu’augmenter à proportion les organes et la machine de l’animal. Du moins est-il certain que, quand notre tourbillon serait terminé à Saturne, ce qui pourrait bien n’être pas, un espace de trois cent millions de lieues ne sera pas traversé en peu de temps : il en faudra d’autant plus, que ces jets de matière étrangère dans notre tourbillon, n’y peuvent pénétrer, sans combattre et sans surmonter un mouvement très rapide de sa matière propre.

131.Cela même pourrait faire naître quelque difficulté ; mais on y répondrait suffisamment par l’exemple des grosses rivières qui pénètrent dans la mer, lors même que son mouvement est le plus contraire au leur, et qui y forment des courans bien sensibles et bien marqués dans l’étendue de quelques lieues.

132.On ne peut imaginer ces jets de matière étrangère, que comme étant d’un assez gros volume, et du moins dans la proportion des courans des rivières à la mer où ils entrent. Mais nous ne proposons jusqu’à présent que de simples conjectures sur la communication des tourbillons étrangers avec le nôtre ; et il faut attendre la connaissance de quelques faits bien constatés, pour arriver à quelque chose de moins vague et de plus déterminé. Qu’il nous soit permis cependant de suivre notre hypothèse jusqu’où elle peut aller, et de voir quel est son degré de vraisemblance.

133.Le tourbillon solaire reçoit, non de toutes parts, mais de plusieurs endroits de sa circonférence, des jets de matière étrangère, qui ont des directions différentes, et souvent opposées, ou, à peu près, prises deux, à deux. Lui-même il en peut rendre aux tourbillons environnans, différens de ceux dont il en reçoit ; et au lieu que les premiers jets avaient leur direction de sa circonférence à son centre, ces seconds auront la leur du centre à la circonférence. Ces courans, qui ne doivent faire qu’un petit volume par rapport au volume total du tourbillon, sont séparés les uns des autres par d’assez grands intervalles ; ils peuvent avoir des vitesses différentes jusqu’à un certain point. Maintenant, que l’on conçoive les couches qui portent nos six planètes, et qui, dans un milieu parfaitement uniforme, auraient eu un cours parfaitement circulaire, peuvent-elles l’avoir encore dans un milieu inégal et mêlé, tel que nous venons de le représenter ? Pourraient-elles même conserver leur figure sphérique sans altération, surtout quand elles seraient attaquées par des courans différens de la manière exposée dans les articles 117 et 120 ? Voilà le principe général des différentes ellipticités des planètes, promis dans l’article 124. Il est aisé devoir en gros, d’un seul coup d’œil, qu’il en doit naître un prodigieux nombre de variétés possibles. C’en sera une, et peut-être la plus singulière de toutes, que l’ellipse ou orbite de Vénus seule restée cercle presque parfait (124).

134.On sait par observation à quels lieux du firmament répondent dans les orbites planétaires les aphélies, ou plus grandes distances de chaque planète au soleil. Ceux de Mercure , de Vénus et de Saturne sont dans le sagittaire ; celui de Mars dans la vierge, de la terre dans le capricorne, de Jupiter dans la balance. Ainsi, tous les aphélies sont compris dans la région du ciel, qui s’étend depuis la vierge jusqu’au capricorne ; et il n’y en a point hors de ces cinq signes, c’est-à-dire, que les jets ou courans ont plus de force dans toute cette grande partie du ciel que dans l’autre presque égale, puisqu’il y en a une correspondante où les ellipses planétaires sont le plus ellipses par rapport au soleil. Cela est assez conforme à l’hypothèse des jets.

135.Les aphélies sont fixes, ce qui marque qu’il y a partout des équilibres établis, du moins pour de longues durées.

136.Il n’est pas impossible, et peut-être est-il nécessaire pour l’espèce de vie qu’a l’univers, que ces équilibres finissent, tantôt dans un endroit, tantôt dans l’autre. Un tourbillon qui, pendant plusieurs siècles, aura jeté dans les tourbillons voisins et reçu d’eux une égale quantité de matière, viendra enfin, par quelque cause que ce soit, à en jeter plus qu’il n’en recevra, et à se vider peu à peu. Alors il ne pourra plus se soutenir comme les autres ; et le corps solide ou soleil qu’il avait à son centre, et qui certainement sera demeuré le dernier en sa place, en sera chassé, et ira errant par les interstices des tourbillons, où il ne trouvera presque aucune résistance. Ce sera là une comète ; et l’on pourrait suivre cette idée, si l’on voulait, et la rendre assez vraisemblable ; mais je doute que l’on sache encore assez l’histoire des comètes ; du moins, pour moi, je suis dans le cas de ne l’avoir pas assez étudiée. Je ne puis cependant m’empêcher de dire que, quand on fait décrire aux comètes des ellipses infinies ou presque infinies, dont notre soleil est un des foyers, il me semble que c’est là un reste du système de Ptolomée, bien naturel à la vérité, où l’on se fait le centre de tout. Il n’y a point de mouvement céleste qui ne puisse être rapporté par nous à tel point du ciel qu’il nous plaira : mais afin qu’il s’y rapporte naturellement, il faut du moins que ce point soit dans le plan d’une couche décrite autour de lui par le corps mu. Or, on ne peut savoir qu’une courbe soit circulaire, ou au moins rentrante, si l’on n’a vu le même corps y revenir ; mais on n’est pas encore sur d’avoir vu deux fois la même comète. Maintenant que l’on observe, et en plus de lieux, et mieux que jamais, on commence à croire qu’il y a des comètes tous les cinq ans et demi : en voila beaucoup ; et plus il y en aura, moins il y aura d’apparence qu’elles décrivent toutes des courbes autour du soleil, et plus il sera difficile de reconnaître celles qui seraient les mêmes. Ne précipitons rien, s’il se peut.

137.Il y a un fait bien constaté en astronomie, dont la cause, telle que nous l’imaginons, en conséquence de tout ce qui a été dit, serait l’émission des jets.

Anciennement on croyait les étoiles fixes, absolument ; et on y était assez bien fondé : mais on s’est aperçu, il y a environ deux mille ans, qu’elles ont un mouvement, non pas mouvement qui les fasse changer de place entre elles, mais qui les fait aller toutes ensemble d’occident en orient, toujours parallèlement a l’écliptique ou orbite de la terre ; de sorte que l’étoile de la constellation d’Aries, qui était autrefois à l’intersection de l’écliptique et de notre équateur, n’y est plus, mais s’est avancée vers l’orient, sans sortir du cercle de l’écliptique, et ainsi de toutes les autres étoiles du firmament. Cela est assez connu.

138.Si l’on conçoit que les plans de la circulation et de la rotation de la terre, qui naturellement ne doivent être que le même (114), viennent à se détacher l’un de l’autre, et par conséquent aussi leurs axes, il n’importe encore comment : si, de plus, on conçoit que l’axe de l’équateur se meuve et décrive un cercle autour de l’axe de l’écliptique immobile, il est certain que le mouvement des fixes sera vu de la terre, tel qu’il a été représenté dans l’article précédent ; il sera toujours parallèle à l’écliptique ; les fixes ne conserveront point les mêmes distances à l’égard de l’équateur, etc. Il ne faut qu’un peu d’attention pour s’en convaincre.

139.Mais quelle sera la cause qui séparera les deux axes ? Un jet de matière étrangère qui viendra frapper la terre par le pôle commun à la circulation et à la rotation ; et certainement il doit produire quelque effet. Comme le mouvement apparent des fixes dure déjà depuis deux mille ans, qu’il a peut-être commencé longtemps avant que d’être observé, et qu’on ne sait quand il finira, l’action d’où il dépend doit être assez modérée, et ne va pas jusqu’à troubler les grands équilibres. Le jet dont il s’agit ici ne changera que la direction de l’un ou de l’autre des deux axes de la terre. Pour changer la direction de l’axe de circulation, il faudrait transporter la terre dans une autre couche du tourbillon, car il est aisé de voir qu’elles ont toutes cet axe différemment dirigé ; et ce transport de la terre dans une autre couche, dont il faudrait vaincre la résistance, ne serait pas un médiocre effort. Le jet ne changera que la direction de l’axe de rotation, et rien ne s’y opposera. Cet axe n’est déterminé par les circonstances physiques, qu’à faire un certain angle avec celui de circulation, mais non pas à avoir sa direction est et ouest, plutôt que nord et sud. Il obéira sur cela à la moindre impulsion. On peut se rappeler ce qui a etc dit sur la cause de la rotation dans l’article 68.

140.L’action du jet sur l’axe de rotation de la terre ne peut guère être continue : il serait difficile de concevoir qu’un tourbillon voisin agît pendant deux mille ans sur le nôtre, sans que le nôtre réagît sur lui. Il est vrai qu’il pourrait, pendant ce temps là, réagir sur un autre voisin, et lui renvoyer autant de matière qu’il en aurait reçu ; mais il paraît plus naturel que l’action du premier jet soit interrompue, et ne se fasse qu’à différentes reprises, telles cependant que son effet n’ait pas été entièrement détruit dans les intervalles de repos. On verra aisément que ces intervalles, quoique réels, n’empêcheront pas la continuité apparente d’un mouvement qui n’est qu’un degré en soixante-dix ans, et dont la révolution entière serait de 25,200. C’est là le plus long, sans comparaison, de tous les mouvemens observés jusqu’ici, et celui dont la cause parait le plus devoir être rapportée aux tourbillons environnans.

141.Les observations astronomiques plus exactes, plus assidues et plus nombreuses aujourd’hui que jamais, commencent à faire découvrir, ou du moins à faire soupçonner que l’angle de l’équateur avec l’écliptique, que l’on avait toujours cru constant, diminue, ou, ce qui est le même, que l’équateur et l’écliptique se rapprochent. Cela se lierait aisément avec notre hypothèse présente. L’axe de l’écliptique, ou celui de la circulation de la terre que nous avions supposé immobile, ne le sera pas parfaitement, et participera un peu au mouvement de l’autre axe, qui est celui de l’équateur et de la rotation ; ce qui est vraisemblable, car certainement ce nouveau mouvement, tel qu’il devrait être sur le pied de ce qu’on en connaît jusqu’ici, serait très lent par rapport à l’ancien : sa révolution ne pourrait être aux 25,200 ans du mouvement apparent des fixes, que comme 1 à 205.

142.Cela ne conclut pas que l’écliptique, qu’on supposerait partie d’abord d’une position perpendiculaire à l’équateur, dut, dans le cours de 5 millions 166,000 ans, qui sont le produit de 25,200 par 205, s’approcher toujours de l’équateur, se mettre dans son plan, passer ensuite au-delà, et se remettre dans sa première position. Il se peut très bien que l’écliptique ne s’avance vers l’équateur que jusqu’à un certain point, qu’ensuite elle retourne au point d’où elle était partie, et toujours ainsi de suite, en faisant des oscillations qui dureront des milliers d’années. Mais d’en vouloir deviner toutes les causes, ce serait trop s’abandonner aux conjectures.

143.En général, il est certain que l’ordre, l’uniformité, la constance, la longue durée des mouvemens célestes demandent un grand équilibre universel, qui se subdivise même en plusieurs équilibres particuliers. Un équilibre ne peut être formé que par deux forces égales. D’ailleurs, ces équilibres ne sont pas des repos, des cessations de mouvemens ; au contraire, ils s’accordent avec des mouvemens très vifs, très rapides, toujours subsistans. Il faut donc que des forces égales ne laissent pas de se combattre perpétuellement, en se balançant les unes les autres, et devenant alternativement supérieures et inférieures, du moins pendant de longues suites de siècles. Les équilibres et les oscillations seront les deux grands principes de la formation artificielle de l’univers.


SECTION IX.

Sur les Atmosphères des Corps célestes.

144.Nous avons vu que plusieurs planètes ont certainement des tourbillons particuliers, et qu’apparemment elles en ont toutes (95 et 96).

Outre cette enveloppe, quelques globes solides en ont certainement encore une autre. La terre, par exemple, a son atmosphère formée tant par l’air, si nécessaire à tous les animaux, que par les vapeurs et les exhalaisons qui sortent incessamment de la terre échauffée, soit par les feux souterrains, soit par le soleil, et s’élèvent jusqu’à une certaine hauteur qui n’est pas encore déterminée.

Au lieu que la matière éthérée, qui compose en général le tourbillon solaire, est extrêmement fine, déliée et homogène, la matière atmosphérique est grossière, tantôt plus, tantôt moins, inégale en ses parties, inégale en différens temps, inégalement agitée. Une atmosphère est la région des orages et des tempêtes, des changemens les plus brusques et les plus violens, tandis que le mouvement de la matière éthérée est, quoique très rapide, si égal et si réglé, qu’il imite le plus profond repos.

Le globe de la terre ne peut avoir qu’une circulation solide, et par conséquent tout ce qui en sortira, ou en sera élancé, prendra cette sorte de mouvement ; et même ce qui ne fera que le toucher, ou n’en sera qu’à une certaine distance, prendra nécessairement aussi cette même circulation.

Le fait paraît bien certain. Si l’atmosphère de la terre a la même circulation que le globe qu’elle environne, elle aura dans ses différentes couches d’autant plus de vitesse, qu’elles seront plus élevées, et précisément dans la même raison. Si c’est le contraire, une couche supérieure ira plus ou moins vite que l’inférieure, selon quelque autre raison ; et celui qui sera sur le sommet d’une montagne fort haute, sentira un, vent qu’il n’aurait pas senti au pied de la montagne. Or, on sait par expérience que cela n’est pas. Donc l’atmosphère a la même circulation que le globe. Ce qui est en effet très naturel.

145.Les cercles concentriques de l’atmosphère, ceux, par exemple, que l’on imaginera tous dans le plan de l’équateur de la terre prolongé, auront toujours des vitesses croissantes comme leurs rayons, que l’on doit concevoir croissans comme les nombres naturels. Il suffira ici de considérer seulement ces cercles posés dans le même plan que l’équateur terrestre, et qui ont la circulation solide. Certainement ils ne peuvent monter que jusqu’à une certaine hauteur au-dessus du centre de la terre ; car il faut nécessairement que la circulation fluide de la pure matière éthérée recommence en quelque endroit. Il est possible et très apparent qu’avant cela les deux circulations se seront mêlées, modifiées, altérées l’une l’autre ; car la matière éthérée est partout en plus ou moins grande quantité ; mais enfin il y a quelque hauteur où elle recommence à être sans mélange de matière atmosphérique ; et il faut voir si cette hauteur peut être en quelque sorte déterminée, ou seulement conjecturée.

146.Puisque le passage de la circulation solide de l’atmosphère à la fluide de la pure matière éthérée se fait perpétuellement et constamment, il faut qu’il se fasse sans trouble, sans chocs de mouvemens contraires, par des degrés les plus doux qu’il se puisse. D’abord, la matière atmosphérique est plus atmosphérique à mesure qu’elle est plus basse, et toujours plus mêlée de matière éthérée à mesure qu’elle s’élève davantage, ce qui, comme on voit, dispose tout le reste à n’être plus que matière éthérée.

D’un autre côté, il faudrait que la vitesse de la circulation solide et celle de la circulation fluide pussent venir à s’accorder dans quelqu’un des cercles supposés, c’est-à-dire, à y être égales, ou du moins peu inégales, et alors il y aurait une certaine hauteur, un certain cercle où se ferait le passage de la circulation solide, ou mêlée à la circulation entièrement fluide.

Mais sur cet article des vitesses, il ne parait pas d’abord que les deux circulations puissent jamais se concilier. La solide est croissante comme les nombres naturels, la seconde décroissante en raison inverse des racines carrées de ces nombres, de sorte que l’une est toujours d’autant plus petite par rapport à l’autre, qu’elles sont plus avancées dans leur cours.

147.Cela sera toujours exactement vrai, et les deux vitesses ne pourront jamais s’accorder, si on conçoit qu’elles commencent l’une et l’autre par un même degré, c’est-à dire, si la vitesse de la rotation du corps central, qui produit la circulation solide de l’atmosphère, est la même vitesse que celle qu’aurait eue la surface d’un globe de matière éthérée mis en la place du corps central, et mu, comme faisant, partie du reste du tourbillon dont la vitesse est connue ; mais la chose n’est pas dans ces termes là. Le globe central de matière éthérée aurait eu une vitesse plus grande que celle du corps central qui détermine le premier degré de la circulation solide de l’atmosphère. Par exemple, la terre n’ayant par sa rotation en 24 heures que 1 de vitesse, on trouvera aisément que la dernière surface d’un globe égal de matière éthérée mis en sa place, aurait fait sa circulation en une heure, à en juger par la circulation que la lune, satellite de la terre, fait en 30 jours. Or, une heure est à 24 :: 1 : 16. Donc, la dernière surface de matière éthérée aurait eu, par sa circulation fluide, 16 fois plus de vitesse que n’en a la terre par sa rotation. Or, il est possible que la vitesse croissante, qui commence par 1, et la décroissante qui commence par 16, viennent à se rencontrer ; du moins y aura-t-il un point de leur cours où elles seront moins inégales que partout ailleurs.

148.Pour voir ce qui en est, ayant d’un côté tous les rayons et les vitesses de la circulation solide, qui sont 1, 2, 3, 4, 5, etc., je prends les mêmes l’ayons pour ceux de la circulation fluide, et j’ai pour vitesse correspondante à la vitesse 1 de la circulation solide, la vitesse 16 par ma supposition. De là je tire aisément, par la règle de Képler, la vitesse , expression de la vitesse de la circulation fluide qui répond au cercle dont le rayon est 2. Enfin, toutes les vitesses de la circulation fluide, correspondantes aux cercles 1, 2, 3, etc., sont , , , , , etc., suite toujours décroissante comme elle doit l’être, dont le numérateur constant est le nombre dont le rapport à 1 marque de combien la circulation fluide commencerait par une plus grande vitesse que la solide, et dont les dénominateurs sont les racines carrées des rayons des cercles communs aux deux circulations.

Cela posé, il est visible que quand la vitesse de la circulation fluide est , elle est encore plus grande que 4, qui est la vitesse correspondante de la circulation solide. Mais quand la première de ces vitesses est , elle est plus petite que la seconde qui est 9 ; et par conséquent entre les deux termes 4 et 9 de la circulation solide, et les correspondans de la fluide et , les vitesses des deux circulations ont passé par l’égalité. Ce passage a dû se faire entre les cercles qui avaient 6 et 7 pour rayons.

149.Dans l’exemple présent, le rayon du premier cercle est le demi-diamètre de la terre, qui est de 1500 lieues ; et par conséquent le rayon du sixième cercle, jusqu’où s’étendrait pour le moins l’atmosphère de la terre, sera de 9,000 lieues.

150.Cette hauteur de l’atmosphère terrestre parait excessive, surtout si on la compare aux 20 lieues qu’on lui a données d’abord sur le fondement de quelques expériences du baromètre. Mais il est certain que dans la suite on-a été obligé, par différentes observations et par de nouvelles considérations, d’augmenter toujours cette hauteur, et qu’enfin un très habile astronome vivant a osé la porter jusqu’à 10,000 lieues. Le tourbillon sera encore près de dix fois plus étendu ou plus haut, n’allât-il que jusqu’à la lune, où il pourrait bien ne se pas terminer ; et sa grandeur peut empêcher que celle de l’enveloppe de la terre ne paraisse disproportionnée.

151.Mais on peut faire encore une réflexion plus appuyée sur la nature même des choses. L’atmosphère n’est presque, dans sa partie basse, qu’un amas confus d’air, de vapeurs et d’exhalaisons, le tout mêlé seulement d’autant de matière éthérée qu’il en faut pour remplir les interstices qui demeureraient vides : cette matière n’est là qu’en petite quantité ; tout ce mélange est déterminé par la rotation de la terre, à prendre la circulation solide ; c’est une espèce de violence que souffre la matière éthérée qui s’y trouve enfermée. À une région plus haute de l’atmosphère, il y a moins de matière atmosphérique, plus de matière éthérée qui s’oppose à la circulation solide, et tend à rétablir la fluide. Or, il est possible, et même vraisemblable, qu’il y ait enfin un lieu où la matière atmosphérique ne monte plus, et où cependant la circulation fluide ne soit pas encore rétablie ; car la pesanteur et la grossièreté de la matière atmosphérique doivent très naturellement l’empêcher de monter, ou du moins l’arrêter à une assez petite hauteur ; au lieu que la circulation solide, une fois prise par l’atmosphère, ne peut pas aisément se changer en la circulation fluide qui lui est tout opposée. Il faut que cela se fasse lentement et par degrés, même lorsque la matière éthérée sera dégagée de toute autre. Quand nous donnons la hauteur de l’atmosphère, ce n’est pas seulement celle de cette atmosphère qui peut agir sur le baromètre, mais de celle qui s’étend jusqu’à la région où recommence la parfaite circulation fluide du tourbillon terrestre.

152.Par les principes que nous employons ici, on peut déterminer quelle sera la hauteur de l’atmosphère de Jupiter, qui, selon toutes les apparences, en a une. À en juger par ses satellites, comme ou a fait à l’égard de la terre dans l’article 147, sa vitesse de rotation est à celle qu’aurait la dernière surface d’un globe égal de matière éthérée comme 1 est à 3. Donc, les vitesses de la circulation solide étant 1, 2, 3, etc., celles de la fluide seront 3. . . , etc. (145). Or, ici l’égalité arrive dès le second terme ; car 2 et sont des grandeurs presque absolument égales, puisque leurs carrés 4 et sont si proches. Donc, l’atmosphère de Jupiter ne s’étend que jusqu’au second de ces cercles que nous avons posés ci-dessus, articles 144 et 145.

153.Le diamètre de Jupiter étant dix fois plus grand que celui de la terre, son atmosphère est donc élevée au-dessus de son centre de 30,000 lieues ; et cependant, ainsi que dans notre tourbillon terrestre, cette atmosphère de Jupiter est bien éloignée d’atteindre à son premier satellite, dont la distance au centre de Jupiter est de plus de 100,000 lieues.

154.Malgré cela, il n’y a pas de proportion entre les grandeurs des globes de la terre et de Jupiter, et celles de leurs atmosphères, puisque l’atmosphère de la terre est élevée au-dessus du centre de la terre de 6 ou 7 de ses demi-diamètres (95), et que l’atmosphère de Jupiter n’est élevée au-dessus du centre de sa planète que de 2 de ses demi-diamètres (152). Donc, l’atmosphère de la terre est beaucoup plus grosse, par rapport à la terre, que celle de Jupiter ne l’est par rapport à Jupiter. Cependant, nous observons sur la surface de Jupiter des changemens beaucoup plus grands que ceux qu’on pourrait observer sur la surface de la terre vue de Jupiter. Il y a tout lieu de croire que l’atmosphère de Jupiter participe à ces changemens, et peut-être même en est la cause en partie ; que par conséquent elle est plus agitée à proportion que la nôtre, ou que cette atmosphère doit ne rencontrer que plus loin ou plus haut la tranquille matière éthérée. Mais ce sont là des conjectures auxquelles on répondrait par d’autres conjectures : ce serait du pur physique ; et il vaut mieux s’en tenir à ce qui est plus géométrique et moins incertain.

155.Le soleil a aussi une atmosphère, et l’on trouvera, par les principes posés ici, que la vitesse de la rotation de sa surface est à celle de la circulation fluide comme 1 est à 200 : d’où il suit que les vitesses des circulations fluides, correspondantes à celles des circulations solides, ou aux nombres naturels, seront , , , etc. À l’occasion de ces grands nombres, nous pouvons rendre générale la résolution du problème présent : x représentant successivement tous les nombres naturels et la suite des vitesses croissantes de la circulation solide, la suite des vitesses décroissantes de la fluide sera représentée par , a étant une grandeur constante. Or, jamais il ne peut y avoir d’égalité entre deux termes de ces deux suites, que dans le cas de , ou, ce qui est le même, , .

Dans l’atmosphère solaire où a = 200, et un peu plus, est donc le nombre de rayons des cercles où se trouve l’égalité des deux vitesses différentes.

156.Ici, le premier des cercles 1,2, etc., a pour rayon le demi-diamètre du soleil 100 fois plus grand que celui de la terre, et par conséquent qui est de 150,000 lieues. Donc, le trente-quatrième cercle a un rayon de 5 millions 100,000 lieues, et c’est là la hauteur de l’atmosphère solaire.

157.Mercure étant éloigné du soleil de 12 millions 771,000 lieues, l’atmosphère du soleil sera bien éloignée d’atteindre jusqu’à lui. Il paraît en effet peu convenable que l’atmosphère du soleil allât (par une matière étrangère, mue différemment des autres, et même irrégulièrement) troubler l’ordre et l’uniformité qui doit être dans le tourbillon de Mercure aussi bien que dans les autres.

158.On pourrait même porter cette idée plus loin, si l’on considère seulement notre tourbillon solaire, et que, pour mettre tout sur le plus bas pied, on le conçoive terminé à Saturne, où il pourrait bien ne pas l’être. On conçoit que le principal objet de cet immense édifice, ce sont ces corps solides qui sont mus, et avec tant de rapidité, et avec tant de régularité. Mais toutes les masses de ces corps mises ensemble, ne sont tout au plus qu’un atome, en comparaison de la masse presque infinie de la matière éthérée où ils flottent. Pourquoi cette étrange disproportion ? L’Océan sera-t-il fait uniquement pour porter une noisette ! Il me semble qu’on peut diminuer un peu la surprise ; je dis seulement un peu, en supposant, sur le fondement des trois atmosphères que nous avons rapportées, qu’elles sont, en général, nécessaires à tous les corps célestes ; et par conséquent il aura fallu laisser entre eux de très grands intervalles, afin que la matière éthérée, qui est l’âme de tout le tourbillon, ayant été troublée dans son action par des atmosphères, recommençât à l’exercer en toute liberté dans de grands espaces parfaitement occupés par elle.




RÉFLEXIONS
SUR LA THÉORIE PRÉCÉDENTE.




I.

Si le système cartésien, dont on vient de voir l’exposition est suffisamment établi, du moins dans ses points principaux, il est sûr que le système newtonien sera dès lors réfuté ; car il suppose essentiellement l’attraction, principe très obscur et très contestable, au lieu que le système cartésien n’est fondé que sur des principes purement mécaniques, admis de tout le monde. Mais le Newtonianisme est devenu depuis peu tellement à la mode, car il y en a aussi même chez ceux qui pensent, et il a pris, ou tant d’autorité, ou tant de vogue, qu’il mérite d’être attaqué directement et dans toutes les formes.

Ses plus zélés partisans ne disconviennent pas que l’attraction ne soit inintelligible ; mais ils disent que l’impulsion l’est aussi, parce que nous n’avons pas une idée nette de ce que le choc fait passer du corps mu dans le corps en repos. Il est vrai que nous n’avons pas cette idée bien claire ; mais nous voyons très clairement que si le corps A mu choque le corps B en repos, il arrivera quelque chose de nouveau ; ou A s’arrêtera, ou il retournera en arrière, ou il poussera B devant lui. Donc, l’impulsion ou le choc aura nécessairement un effet quelconque ; mais de ce que A et B sont tous deux en repos à quelque distance que ce soit l’un de l’autre, il ne s’ensuit nullement qu’ils doivent aller l’un vers l’autre, ou s’attirer. On ne voit là la nécessité d’aucun effet ; au contraire, on en voit l’impossibilité. Cela met une différence infinie entre ce qui reste d’obscurité dans l’idée de l’impulsion, et l’obscurité totale qui enveloppe celle de l’attraction.


II.

La matière ne se meut point par elle-même, et il n’y a qu’un être étranger et supérieur à elle qui puisse la mouvoir. Tout mouvement est une action de Dieu sur la matière ; et il n’est pas étonnant que nous n’ayons pas une idée claire de cette action prise en elle-même ; mais nous avons une idée très claire de ses effets. Je vois que la force que Dieu imprime à la matière, quand il meut avec 1 degré de vitesse A, qui a 1 de masse, est la même que celle qui aurait mu A et B égaux avec de vitesse ; que par conséquent, lorsque A mu choque B en repos, il a la force nécessaire pour le pousser devant lui ; de sorte qu’ils iront tous deux ensemble comme une seule masse, avec une vitesse qui sera  ; de là suivront, comme l’on sait, les règles du mouvement très géométriques. Il ne reste en tout ceci d’obscurité que dans l’idée précise de l’action de Dieu, qui ne doit pas être à notre portée.


III.

Les Newtoniens peuvent dire que, comme les corps ne se meuvent que par la volonté de Dieu, il est possible que par cette même volonté ils s’attirent mutuellement ; mais la différence est extrême. Dans le premier cas ; la volonté de Dieu ne fait que mettre en œuvre une propriété essentielle à la matière, sa mobilité, et déterminer au> mouvement l’indifférence naturelle qu’elle a au repos ou au mouvement. Mais, dans le second cas, on ne voit point que les corps aient par eux-mêmes aucune disposition à s’attirer ; la volonté de Dieu n’aurait aucun rapport à leur nature, et serait purement arbitraire, ce qui est fort contraire à tout ce que nous offre de toutes parts l’ordre de l’univers. Cet arbitraire admis ruinerait toute la preuve philosophique de la spiritualité de l’âme. Dieu aurait aussi bien pu donner la pensée à la matière que l’attraction.


IV.

Si l’on dit que l’attraction mutuelle est une propriété essentielle aux corps, quoique nous ne l’appercevions pas, on en pourra dire autant des sympathies, des horreurs, de tout ce qui a fait l’opprobre de l’ancienne philosophie scolastique. Pour recevoir ces sortes de propriétés essentielles, mais qui ne tiendraient point aux essences telles que nous les connaissons, il faudrait être accablé de phénomènes qui fussent inexplicables sans leur secours, et encore même alors ce ne serait pas les expliquer.


V.

L’attraction étant supposée, quelles en seront les lois ? J’entends bien qu’elle se réglera sur les masses ; j’entends aussi qu’elle se réglera sur les distances. Un corps aura besoin d’une force attractive d’autant plus grande, que celui sur lequel il doit agir sera plus éloigné ; et, ce qui en est une suite, il exercera d’autant mieux sa force, que ce second corps sera plus proche. De là s’ensuivra nécessairement que l’attraction se fera en raison inverse de la distance, ou, ce qui est le même, sera d’autant plus forte, que la distance sera plus petite ; mais il s’ensuivra aussi que cette force sera infinie quand la distance sera nulle, ou que les deux corps se toucheront ; ce qui ne paraît pas soutenable. Il y aurait alors entre deux corps qui se toucheraient, une cohésion que nulle force finie ne pourrait vaincre. Si deux corps allaient l’un vers l’autre, il serait toujours d’autant plus difficile de les faire retourner en arrière, qu’ils se seraient plus approchés l’un de l’autre, etc. ; car on ne peut pas compter tous les inconvéniens qui naîtraient de cette règle ou loi de l’attraction. Ils auraient beau être enveloppés et déguisés par différentes circonstances physiques, il ne serait pas possible qu’on ne les reconnût et qu’on ne les démêlât souvent ; et comme la loi de l’attraction, selon les Newtoniens, n’est pas la simple raison inverse des distances, mais celle de leurs carrés, tous les inconvéniens en deviendraient encore beaucoup plus forts et plus marqués ; la cohésion de deux corps qui se toucheraient, deviendrait d’autant plus invincible à toute force finie, etc. On le verra aisément, pour peu qu’on soit géomètre.


VI.

Quand on veut exprimer algébriquement ou géométriquement des forces physiques et agissantes dans l’univers, et qui ont nécessairement, par leur nature, de certains rapports, et sont renfermées dans certaines conditions, il ne suffit pas d’avoir bien fait un calcul dont le résultat sera infaillible, et sur lequel on sera sûr de pouvoir compter ; il faut encore, pour contenter sa raison, entendre ce résultat, et savoir pourquoi il est venu tel qu’il est. Ainsi, dans la théorie précédente (8. 14.), on a trouvé, non-seulement que la force centrifuge renferme le carré de la vitesse, mais encore pourquoi elle le renferme nécessairement. Ici, je demande pourquoi l’attraction suit les carrés des distances plutôt que tout autre puissance ? Je ne crois pas qu’il fût aisé de le dire.


VII.

Du moins est-il bien certain que cette loi des carrés ne suffirait pas pour expliquer plusieurs phénomènes de chimie si violens, que les plus hautes puissances de l’attraction ne sembleraient qu’à peine pouvoir atteindre. Cette loi des carrés n’est donc pas une loi générale de la nature.


VIII.

Les deux corps A et B, égaux en masse, s’attirent avec une force égale, si l’on n’y considère rien de plus : mais cela subsiste-t-il encore, si A, toujours de la même masse, a un plus grand volume que B ? Il semble que la force de A soit plus dispersée ; mais, d’un autre côté, elle embrassera mieux B, et avec quelque avantage.


IX.

Si A et B, égaux en masse et en volume, ne différent qu’en ce que l’un est solide et l’autre fluide, ont-ils une force égale ? ou quelle sera la différence de leurs attractions ?


X.

Les corps A, B, et C, égaux, étant rangés sur la même ligne et avec des distances égales, l’action mutuelle des deux extrêmes A et C passe-t-elle au travers de B, ou y est-elle arrêtée ?


XI.

Mais une chose encore plus importante, c’est de savoir si, avec l’attraction, quelle qu’en soit la loi, on admettra aussi la force centrifuge ? Un corps circulant sera attiré, ou vers le centre, ou vers la circonférence du cercle qu’il décrit, et en même temps il tendra, par sa force centrifuge, à s’éloigner du centre. Cette force, dans le premier cas, diminue donc l’effet de l’attraction ; et dans le second, elle l’augmente. L’un ou l’autre cas arrive perpétuellement, sans exception ; et les effets toujours certainement altérés par la force centrifuge, le devraient être sensiblement, du moins en quelques occasions rares. Mais cela ne se rencontre jamais : les effets de l’attraction sont toujours purs et sans mélange, à cet égard, dans le système newtonien, et par conséquent ce système est incompatible avec la force centrifuge. Cependant c’est une force bien réelle, bien démontrée, bien reconnue, même de ceux qui en reconnaissent encore quelques autres.


XII.

Malgré tout cela, dira-t-on, il est de fait que le système newtonien répond juste à tous les phénomènes. Comment est-il si heureux, s’il est faux ? Je conviens qu’il répond juste aux phénomènes célestes ; et il ne laisse pourtant pas d’être faux. Ce paradoxe demande une assez longue explication.

Les astronomes n’avaient point encore de règle générale pour la détermination des différentes distances des planètes au soleil, lorsque Képler conçut, en homme d’esprit et en grand philosophe, que, comme tout est lié dans la nature, ces distances inconnues pourraient bien avoir quelque rapport aux révolutions de ces mêmes planètes autour du soleil, dont les temps étaient bien certainement connus.

Il chercha ce rapport, et il trouva cette belle règle qui immortalisera son nom, que les distances sont comme les racines cubiques des carrés des révolutions. Ce rapport ne fut tiré d’aucun principe connu d’ailleurs, ni même adapté à rien d’établi : ce n’est qu’un simple fait qui n’a pu résulter que d’un nombre affreux de calculs très embarrassés ; et par là même il pouvait légitimement être suspect ; mais toutes les observations de tous les astronomes se sont toujours accordées a le confirmer. C’est déjà une loi fondamentale du ciel.

D’un autre côté, Huyghens a très ingénieusement découvert l’expression de la loi de la force centrifuge, adoptée pareillement de tout le monde, mais parce qu’elle était prouvée bien géométriquement.

Enfin, le fameux livre de Newton est entièrement fondé sur le principe des attractions en raison inverse des carrés des distances, principe qui s’accordait avec la règle de Képler, et par conséquent ne pouvait être combattu par les faits ou les observations astronomiques.

Mais comme les Cartésiens avaient les attractions en horreur, et qu’ils se flattaient de les avoir bannies pour jamais, ils attaquèrent le système newtonien, et firent voir qu’en appliquant aux corps célestes les forces centrifuges de Huyghens, et en les supposant en équilibre entre eux, il en naissait nécessairement la règle de Képler, et même le principe fondamental du livre de Newton, pourvu seulement qu’on veuille bien appeler force centrifuge ce qu’il appelait attraction. Je ne puis m’empêcher de dire ici, quoique sans nécessité, que la règle de Képler, démontrée géométriquement, et par les premières idées, me parait une chose d’un grand prix.

Si avant que de donner son livre, Newton avait su cela, soit par quelque ouvrage d’un autre, soit par sa seule pénétration, qui sans doute allait au plus haut point, il n’aurait fait, quant à l’essentiel, que changer le nom de force centrifuge en celui d’attraction, et masquer un système connu pour le produire comme nouveau. Mais il n’est pas apparent qu’un aussi grand homme ait été capable de tant d’adresse. On peut fort bien ne pas s’apercevoir que la règle de Képler tire son origine d’un certain degré de mouvement précis imprimé à tout le système solaire, unique entre une infinité d’autres également possibles, et qu’il faut de plus qu’il y ait équilibre, et équilibre très durable, non entre les planètes de ce système, mais entre des couches sphériques qui les contiendront, ainsi qu’il a été prouvé dans la théorie (30). Encore une chose qui pouvait empêcher Newton de donner dans ces idées, c’est que ces couches demandent le plein, et lui était persuadé du vide. Quoi qu’il en soit, il est de fait qu’il a vu la contestation assez échauffée entre ses sectateurs et les Cartésiens ; qu’ils y ont mis en avant l’équilibre, point très important et nouveau, et qu’il a toujours été spectateur tranquille de tout, sans y prendre aucune part.


XIII.

Venons au plein, qui n’a été que supposé dans notre Théorie.

Certainement il n’y a guère d’idée en nous plus ancienne que celle du vide : tous les enfans l’imaginent partout où ils ne voient rien, et une infinité d’hommes pensent à peu près de même toute leur vie. Selon les philosophes, qui ont eux-mêmes conservé cette idée si naturelle, il y a l’espace distinct de la matière dont il est le lieu, et où elle peut également être ou n’être pas placée. On ne peut concevoir cet espace qu’infini, et de plus incréé ; et ce second point doit faire de la peine. L’espace serait un être réel semblable à Dieu ; d’ailleurs, il ne serait ni matériel ni spirituel.


XIV.

Si la matière est infinie, il y a autant de matière que d’espace ; tout est plein, et l’idée forcée d’espace devient tout-à-fait inutile : la matière sera elle-même son lieu, parce qu’elle ne peut exister autrement. Il est vrai qu’alors on tombe, à l’égard du mouvement, dans des difficultés qui peuvent paraître considérables. La matière toute en masse ne peut se mouvoir en ligne droite, puisqu’elle n’a pas où aller ; elle ne peut non plus se mouvoir circulairement ; car il n’y a point de centre dans l’infini : une sphère infinie enfermerait contradiction, puisque toute figure est ce qui est terminé extérieurement. Mais tous les inconvéniens seront levés, si l’on conçoit la masse infinie de la matière divisée en une infinité de sphères finies. Ce sont là les fameux tourbillons de Descartes, dont ceci prouve la nécessité, dans l’hypothèse du plein et de l’infinité de la matière. Ils avaient déjà par eux-mêmes une grande apparence de possibilité, et même, pour ainsi dire, un certain agrément philosophique.


XV.

Si la matière est finie, elle ne serait toujours, par rapport à l’espace, qu’un infiniment petit ; et l’univers, quoique très réel, ne serait qu’un vide immense qui ne contiendrait rien, privé de toute force, de toute action, de toute fonction, à une petite partie près, qui ne mériterait pas d’être comptée. Le Tout-Puissant n’aurait rien versé dans ce vase.


XVI.

On croirait remédier à cet inconvénient, en supposant que la matière, quoiqu’infinie, serait un moindre infini que l’espace, comme l’infini des nombres pairs, ou celui des impairs, est moindre que celui de la suite totale des nombres naturels. Mais alors l’attraction, qui se lie si bien, à ce qu’on croit, avec le vide, et qui est mutuelle entre tous les corps, agirait perpétuellement sur eux, pour les rapprocher les uns des autres, quelque dispersés qu’ils fussent d’abord ; et elle agirait sans avoir aucun obstacle à surmonter, puisque l’espace ou le vide n’a aucune force, ni attractive, ni répulsive. Les vides semés originairement, si l’on veut, entre tous les corps, disparaîtraient donc en plus ou moins de temps, et il ne resterait plus qu’un grand vide total au dehors de tous les corps violemment appliqués les uns contre les autres. Il est visible que, pour la vérité de cette idée, il n’est pas nécessaire que le rapport de l’infini de l’espace à celui de la matière, soit de 2 à 1, comme il a été posé dans l’exemple des nombres. Tout autre rapport, pourvu que l’espace soit le plus grand, fera le même effet.


XVII.

Dans ce même cas, les tourbillons cartésiens ne réussiraient pas non plus. Il faut, pour les mettre en action continue, qu’ils tendent toujours par eux-mêmes à s’agrandir, et qu’ils s’en empêchent toujours les uns les autres. Or, il est aisé de voir que des vides semés entre eux les détruiraient, en les empêchant d’être comprimés de toutes parts ; que quelques uns étant détruits les premiers, les autres le seraient plus facilement, et toujours plus facilement, etc. Dans le cas précédent, le monde se pétrifiait ; dans celui-ci, il s’évapore.


XVIII.

Comme on ne lui voit absolument aucune disposition à l’un ni a l’autre de ces deux accidens, il s’ensuit que L’espace réel ou le vide n’existe pas, même dans le système newtonien, où il est cependant si établi et si dominant. Je puis ajouter qu’il n’est pas besoin, pour l’action perpétuelle et réciproque des tourbillons cartésiens, que la matière soit infinie ; car, ne le fût-elle pas, les derniers tourbillons et les plus extérieurs de ce grand tout, n’auraient pas plus de facilité à s’étendre, puisqu’il n’y aurait pas d’espace au-delà d’eux.


FIN DE LA THEORIE DES TOURBILLONS