Théorie de la grande guerre/Livre IV/Chapitre 6

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 133-134).

CHAPITRE VI.

durée du combat.


En raison de l’action qu’elle exerce sur les troupes qui y sont engagées, la durée de la lutte effective prend une influence spéciale sur le combat et en constitue en quelque sorte un résultat secondaire.

Un combat ne se décide jamais trop promptement pour le vainqueur et ne se prolonge jamais assez pour le vaincu. La rapidité d’une victoire en augmente puissamment la portée ; la lenteur d’une défaite en diminue considérablement les effets.

Vrai d’une façon générale, cet axiome acquiert une grande valeur pratique dans les combats où l’on n’a en vue qu’une défensive relative, par la raison que c’est précisément le temps que le combat fait gagner qui, en pareille occurrence, en constitue le plus souvent tout le résultat.

C’est par ce motif que nous plaçons la durée du combat dans la série des éléments stratégiques.

La durée d’un combat dépend nécessairement des rapports principaux dans lesquels ce combat est engagé, c’est-à-dire de la grandeur absolue des forces qui y prennent part, de la proportion des armes et des effectifs entre les deux adversaires, et de la nature du terrain. Vingt mille hommes, en effet, ne s’entre-détruisent pas aussi promptement que deux mille ; quels que soient les avantages d’une position défensive, on ne résiste pas à un adversaire deux ou trois fois supérieur aussi longtemps qu’à un ennemi d’égale force ; un combat de cavalerie se décide plus vite qu’un combat d’infanterie, et un combat d’infanterie seule plus vite que si de l’artillerie y prend part ; enfin on n’avance pas aussi rapidement en pays montagneux et boisé qu’en terrain plan.

Il suit de là qu’il faut tout à la fois tenir compte des forces, du rapport des armes, et de la position dès que la durée devient l’une des conditions du combat.

Alors même que la contrée ne se prête pas très avantageusement à la résistance, une division de 8 000 à 10 000 hommes composée de troupes de toutes armes peut tenir tête à l’ennemi pendant plusieurs heures s’il est très supérieur, et pendant une demi-journée s’il l’est moins. Dans les mêmes conditions un corps de 3 à 4 divisions gagne le double de temps, et une armée de 80 000 à 100 000 hommes arrive au quadruple.

Pourvu que les troupes qui doivent secourir et appuyer les masses ainsi engagées arrivent sur le lieu de la lutte avant que le laps de temps pendant lequel celles-ci peuvent être ainsi abandonnées à elles-mêmes soit écoulé, il ne résultera de ce que ces masses ont combattu seules aucune affaire isolée ; l’action ne fera que se poursuivre en devenant générale, et le résultat total deviendra le résultat unique dans lequel se confondront tous les résultats partiels obtenus au début et pendant la suite du combat.

Il importe que les règles que nous indiquons ici restent dans la mémoire, car elles sont déduites de l’expérience ; mais il n’est pas moins important de préciser le moment de la décision et, par suite, celui de la fin du combat. C’est ce que nous allons chercher à faire dans le prochain chapitre.