Théorie de la grande guerre/Livre III/Chapitre 7

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 41-42).
De la stratégie en général

CHAPITRE VII.

la persévérance.


Si le lecteur s’attendait à rencontrer dans cet ouvrage des lignes, des angles et des formules scientifiques, il doit s’étonner de ce que, jusqu’ici, nous n’ayons encore parlé que des choses les plus simples et les plus ordinaires. Nous continuerons néanmoins à procéder ainsi, ne pouvant, en somme, montrer plus de science que le sujet n’en comporte.

À la guerre plus que dans aucune des autres fonctions de l’activité humaine, les choses se montrent généralement tout autres qu’on ne les a pensées, et présentent des aspects différents selon qu’on les considère de loin ou de près. L’ingénieur voit avec calme s’élever son œuvre selon le plan qu’il en a tracé ; le médecin, bien qu’exposé à des effets plus inattendus, connaît, du moins, la composition et l’action des remèdes qu’il prescrit ; à la guerre, celui qui a la direction de la masse, soumis, tout d’abord, aux hasards les plus nombreux, gouverne, en outre, sur des flots sans cesse changeants. Il lui faut choisir entre les nouvelles vraies ou fausses, obvier aux fautes que la crainte, la négligence ou la précipitation font commettre, apprécier enfin si, réelles ou simulées, les résistances qu’il rencontre proviennent de la fausse application des ordres, de la mauvaise volonté, du défaut d’énergie ou de l’épuisement. Bref, il est en proie à mille et mille impressions dont le plus grand nombre, alors que quelques-unes à peine le peuvent encourager, tendent à le rendre inquiet, soucieux et perplexe. Il faudrait ici, tout à la fois, la plus rare expérience de la guerre pour discerner rapidement la valeur réelle de chacune de ces impressions, et une force de caractère non moins exceptionnelle pour leur résister ainsi que fait le rocher à l’assaut des vagues. Leur céder serait, cependant, rendre toute entreprise impossible. Une persévérance inébranlable dans la poursuite de la résolution tout d’abord prise devient donc, ici, un contrepoids nécessaire, aussi longtemps, du moins, que l’apparition de considérations nouvelles absolument décisives n’en décide pas autrement. Il faut ajouter, enfin, qu’on ne peut réaliser d’entreprises glorieuses à la guerre, qu’au prix de fatigues, de privations et d’efforts sans nombre, auxquels la faiblesse morale et physique de l’homme le porte incessamment à se soustraire, et que, par conséquent, le but ne peut être atteint qu’à force de volonté, d’énergie et de persévérance.