Théorie de l’écoulement tourbillonnant et tumultueux des liquides dans les lits rectilignes à grande section/Tome 1/XV

§  XV. — Dernières réflexions touchant l’agitation tourbillonnaire et les lois du frottement intérieur.


» 54. Le rapide accroissement du coefficient de frottement intérieur à partir de la paroi, sur le premier quart ou même environ le premier tiers des rayons, c’est-à-dire à la traversée des couches fluides qui glissent le plus vite les unes contre les autres, se conçoit en admettant que les grands glissements relatifs, sur chacune d’elles, de la couche suivante animée d’une vitesse supérieure, donnent naissance, dans celle-ci, à une nouvelle agitation, distincte ou en sus de celle qui, produite soit à la paroi, soit dans les couches précédentes plus excentriques, lui est transmise en se concentrant vers l’axe. Et la majeure partie de l’agitation naîtrait justement contre la paroi, parce que les glissements analogues y sont énormes. Au contraire, la quasi-constance, malgré la concentration (vers l’axe) qui persiste, du coefficient sur les deux autres tiers des rayons, c’est-à-dire presque dans la moitié centrale de l’aire des sections, s’expliquerait par le fait que l’agitation, y étant transmise à la masse fluide animée des plus fortes vitesses par rapport à la paroi, s’y dissémine sur une grande longueur. Peut-être aussi son extinction y est-elle plus rapide, faute de glissements mutuels d’ensemble des couches traversées, pour l’entretenir.

» En reportant fictivement à la paroi, comme le fait la seconde formule approchée (15), l’excédent d’agitation produit en réalité dans la masse fluide périphérique, mais, par contre, en imaginant continuée jusque sur l’axe la concentration d’agitation avec renforcement, qui paraît terminée à l’approche de la région centrale, on tient approximativement compte du considérable accroissement de l’agitation et de dans la première région, sans avoir besoin de l’y faire ni aussi fort qu’il l’est, ni aussi exclusif (de la région centrale) quant à son siège. Bref, on sépare dans l’espace et, par suite, dans les calculs ainsi simplifiés, les deux phénomènes, en réalité mêlés, de la naissance et de la concentration de l’agitation, localisant le premier à la paroi pour le rendre aussi discontinu que possible, afin qu’il laisse subsister plus complète la continuité partout ailleurs, et étendant au contraire le second à la section entière, pour lui donner partout une expression uniforme : double hypothèse simplificatrice qui conduit à des lois du phénomène intelligibles et, quoique idéales, très voisines des lois observées. On a vu, en effet, que le plus grand écart sur les vitesses des filets fluides, entre les résultats théoriques de première approximation et les résultats constatés, n’atteint pas 3 centièmes de la vitesse moyenne.


» 53. Les deux principales causes perturbatrices aux règles simples de variation de qu’expriment les formules (15), savoir, la naissance de l’agitation ailleurs qu’aux parois, et la cessation de sa concentration dans les couches les plus rapides, paraissent, comme on l’a vu, tenir l’une et l’autre, en définitive, à l’inégalité de vitesse des filets, mesurée approximativement par l’excès, sur l’unité, du rapport de la vitesse maxima à la vitesse à la paroi Or, cet excès est bien moindre dans une section rectangulaire large que dans une section circulaire ou demi-circulaire : car si, pour fixer les idées, nous supposons la paroi d’un degré moyen de rugosité donnant dans la section rectangulaire, nous aurons les deux valeurs respectives 0,58, 0,50, obtenues plus haut, pour le rapport de à dans les deux formes de section : ce qui donne, pour le rapport inverse considéré ici, 1,72 et 2, c’est-à-dire deux valeurs dont la seconde excède l’unité presque une fois et demie autant que la première. Les perturbations doivent donc être bien moins sensibles dans la section rectangulaire large ; et l’on s’explique que la deuxième approximation n’y ait pas été nécessaire, comme elle l’était dans le cas de la section circulaire ou demi-circulaire, pour faire à peu près disparaître les petits désaccords sur la différence des deux valeurs correspondantes de et sur le coefficient dans le rectangle, que la première laissait subsister entre la théorie et l’expérience[1].

  1. La plus grande partie de ce Mémoire a paru en juin et juillet 1896 dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences (t. CXXII, p. 1289, 1369, 1445, 1517, et t. CXXIII, p. 7, 77, 141).