Théorie de l’écoulement tourbillonnant et tumultueux des liquides dans les lits rectilignes à grande section/Tome 1/XI

§ xi. — Confrontations expérimentales et réflexions diverses.


» 39. Mais bornons-nous d’abord à l’approximation, presque satisfaisante déjà, où l’expression de est la seconde (15) ; ce qui revient à prendre Alors ces formules (42), où nous diviserons toutefois la deuxième par se réduisent à

(43)

» La seconde de celles-ci sera précisément celle que M. Bazin a obtenue par l’observation des canaux découverts demi-circulaires, si l’on pose (les unités de temps et de longueur étant la seconde et le mètre)

(44) ou et

» On obtient donc, pour le coefficient de dans la seconde formule (37), la valeur 22,27, supérieure à 20, comme on l’avait prévu. Toutefois, M. Bazin avait été conduit, par un ensemble d’inductions paraissant assez motivées, à le prendre encore un peu plus fort, jusqu’à 24 environ[1] ; c’est bien la valeur que nous lui trouverons à la deuxième approximation.


» 40. De plus, l’inverse de qui indique combien de fois la vitesse moyenne contient la racine carrée du produit de la pente par le rayon moyen, est, d’après les premières formules (43) et (37) comparées, plus grand dans la section circulaire que dans la section rectangulaire large, mais seulement de ou environ 3 unités ; ce qui est peu de chose comparativement au plus petit de ces inverses, dont une assez bonne moyenne, fournie par la valeur usuelle de pour les grands cours d’eau, 0,0004, attribuée à Tadini, est 50. Donc, pour deux formes de section aussi différentes que la forme rectangulaire large et la forme circulaire ou demi-circulaire, entre lesquelles se placent la plupart de celles de la pratique, les valeurs de différent à peine ; et il est dès lors naturel que l’observation les donne presque les mêmes que celles-là, que celle de la première formule (37) en particulier, dans tous les cas de sections rectangulaires, trapézoïdales, triangulaires, etc., affectes d’angles où se fait sentir plus que dans le cercle l’influence retardatrice des parois.


» 41. Toutefois, d’après les anciennes observations de M. Bazin[2], l’écart entre les deux valeurs de l’inverse de pour des sections rectangulaires larges et circulaires ou demi-circulaires, devrait être un peu supérieur à 2,97, et probablement voisin de 5.

» En effet, malgré la difficulté qu’on éprouve à réaliser des tuyaux ou canaux de ces deux formes, avec des parois assez homogènes pour que les inégalités accidentelles de leur degré de rugosité ne produisent pas, dans l’inverse de des variations comparables à celle qu’entraîne la dissemblance même des sections, cependant deux des séries d’expériences de M. Bazin, faites sur des canaux à parois polies (respectivement en ciment et en planches), ses séries nos 24 et 26, permettent jusqu’à un certain point la comparaison dont il s’agit ici, principalement la série 26 où le rayon atteignait 0m,70, la plus complète, et signalée par M. Bazin comme de beaucoup la plus régulière. Servons-nous donc, pour déterminer l’écart considéré, des six dernières observations de la série 26, savoir, de celles où la profondeur de l’eau excédait sous l’axe les du rayon et où, par suite, la forme demi-circulaire était le mieux admissible. Les valeurs de y varient (p. 102) de 0,000200 à 0,000185, tandis qu’elles auraient varié de 0,000235 à 0,000221 dans certaines sections rectangulaires passablement larges expérimentées par M. Bazin. Leurs deux moyennes respectives sont 0,000193 et 0,0002272, donnant, comme racines carrées de leurs inverses, 71,98 et 66,34. Or la différence de ces deux nombres est 5,64, presque identique à la moyenne, 5,64…, des six différences analogues (comprises entre 4,91 et 6,25) fournies séparément par les six observations.

» Et si, pour avoir plus de résultats à combiner en vue d’éliminer les anomalies accidentelles, on prend, tant dans cette série 26 que dans la série 24, toutes les observations où la profondeur de l’eau sous l’axe atteignait au moins les du rayon observations au nombre de huit dans la série 26 et sept dans la série 24, alors les valeurs de varient respectivement de 0,000211 à 0,000185 et de 0,000243 à 0,0002009, auxquelles correspondent, comme racines carrées de leurs inverses, 76,18 et 70,55. Or la différence de ceux-ci, 5,63, s’écarte bien peu des valeurs précédentes, 5,64 ; et elle se confond presque aussi avec la moyenne, 5,66… des quinze différences analogues, calculées séparément d’après les résultats de chacune des observations.

» La vraie grandeur de l’écart considéré serait donc environ 5,64, si les valeurs de obtenues par M. Bazin pour ses canaux rectangulaires de plus grande largeur (2m), étaient rigoureusement applicables à notre cas théorique d’une largeur infinie. Mais on voit, par un tableau relatif aux valeurs expérimentales comparées de dans des lits rectangulaires plus ou moins larges en planches[3], que, du moins pour des rayons moyens n’excédant pas 0m,25, décroît légèrement quand la largeur grandit ; et qu’il se rapproche ainsi de sa valeur dans le cercle, de manière à diminuer alors l’écart entre les inverses de leurs racines carrées. Donc cet écart doit, à la limite, être un peu au-dessous de 5,64, d’une fraction assez sensible, pourtant, de sa valeur[4], et approcher environ de 5. Les nouvelles expériences de M. Bazin nous permettront de reconnaître qu’il en est bien ainsi[5].

» 42. Les dernières formules (37) et (43) montrent que le rapport de la vitesse maxima à la vitesse moyenne excède très inégalement l’unité suivant la forme de la section, puisque cet excédent varie dans le rapport de à ou de 5 à 8, quand la section devient, de rectangulaire large, circulaire ou demi-circulaire. Aussi, les deux valeurs respectives 7,42 et 11,88 que prend alors, d’après les relations (37) et (43), le nombre de la formule générale (35), sont-elles, surtout la première, assez éloignées de la valeur, 14, attribuée à ce coefficient par M. Bazin comme moyenne d’un grand nombre de valeurs, fort divergentes en effet, observées dans des sections relativement peu larges de formes variées.

» 43. Remarquons encore que la vitesse moyenne doit, d’après les deux dernières formules (43), se trouver réalisée (ou égaler ), pour c’est-à-dire aux environ des rayons Or, les récentes observations de M. Bazin montrent que c’est très sensiblement aux des rayons, c’est-à-dire pour Nous verrons, en effet, que la mise en compte de la petite fonction accroît d’un peu plus que 0,01 la valeur théorique approchée

  1. Recherches expérimentales, etc., ou Recherches hydrauliques, p. 233.
  2. Mêmes Recherches expérimentales, etc., p. 98 à 102 et 424 à 435.
  3. Mêmes Recherches expérimentales, etc., p. 97 (séries 18, 19, 20).
  4. Car une augmentation relative d’un centième et demi seulement, sur l’inverse de dans le rectangle, réduit l’écart d’une unité.
  5. Grande variabilité relative du coefficient avec la forme de la section, dans les écoulements bien continus, et exemples divers de sections où ce coefficient y est plus petit que dans le cercle.
      Il semble qu’on aurait dû, contrairement à ce qu’a montré l’expérience, trouver pour dans les sections rectangulaires peu larges des valeurs moindres que dans une section rectangulaire infiniment large, afin que ces valeurs moindres fussent comprises entre celles qui concernent le rectangle infiniment large et le cercle ou le demi-cercle ; car toutes les sections usuelles de dimensions (longueur et largeur) comparables, paraissent être en quelque manière, pour la forme, intermédiaires entre ces dernières. Cependant un fait contraire à la même prévision se produit, mais en sens inverse, dans le cas d’écoulements bien continus (régis par les lois de Poiseuille), la valeur de pouvant, quand un section rectangulaire se rétrécit, y décroître au-dessous même de ce qu’elle est dans le cercle.
      Alors, en effet, l’intégration est effectuable, comme l’on a dit plus haut (à la note de la page 28), quand la section est soit elliptique, soit rectangulaire, donc, en particulier, quand elle est ou circulaire, ou carrée, ou rectangulaire infiniment large ; et aussi dans une infinité d’autres cas, notamment pour un tube à section triangulaire équilatérale. On peut voir, à ce sujet, la fin (p. 48) du Mémoire cité Sur l’influence des frottements dans les mouvements réguliers des fluides, mémoire où sont d’ailleurs évalués, aux §§ V et VI (p. 12 et 18), les débits pour les sections elliptiques et rectangulaires ; et l’on peut consulter aussi la XLVe de mes Leçons d’Analyse infinitésimale pour la Mécanique et la Physique, aux Compléments de Calcul intégral (p. 402 à 426).
      Or si, dans les formules trouvées grâce à ces intégrations pour la vitesse moyenne et où figure le plus naturellement l’aire comme variable exprimant l’influence de la grandeur des sections, l’on introduit au lieu de cette aire le rayon moyen en fonction duquel s’évaluent plus ou moins aisément et le contour mouillé l’expression de c’est-à-dire du produit en et devient, avec un coefficient purement numérique


    ce qui donne, comme formule de la vitesse moyenne,

    Et la valeur de est 3 pour la section rectangulaire infiniment large, 2 pour la section circulaire, 1,778… pour la section carrée, ou 1,667 pour la section triangulaire équilatérale. Enfin, ce coefficient varie de 2 à dans les sections elliptiques de plus en plus aplaties, et il croit de 1,778 à 3 dans les diverses sections rectangulaires de plus en plus larges, la valeur 2 (relative au cercle) correspondant, dans ce dernier cas, à un rectangle dont la base serait environ 2,28 fois la hauteur.
      Ainsi, est plus grand pour le rectangle infiniment large que pour le cercle, comme dans un écoulement agité. Il est d’ailleurs plus petit pour le carré que pour le rectangle, et, dans chaque catégorie étudiée de sections, il croit avec la largeur relative, contrairement à ce qui a lieu, d’après l’observation des canaux rectangulaires, dans le cas des grandes sections et d’un écoulement agité, mais conformément à ce qui aurait assez semblé devoir être, comme on a remarqué plus haut. Seulement on est surpris de voir que, pour les sections triangulaires équilatérales, carrées et rectangulaires d’une largeur inférieure à 2,28 fois la hauteur, ce coefficient diminue même jusqu’à sortir de l’intervalle compris entre ses deux valeurs (3 et 2 proportionnellement) relatives au rectangle infiniment large et au cercle. Il est surtout difficile de ne pas regarder comme paradoxal que ces deux ou trois sortes de sections donnent de plus grandes vitesses moyennes que le cercle, à égalité de pente motrice et de rayon moyen, tant on est habitué à voir la figure circulaire surpasser toutes les autres en effets produits, à raison même de sa génération uniforme. On arrive, i lest vrai, à une conclusion différente quand on compare les sections à égalité d’aire et non plus à égalité de rayon moyen ; car alors le cercle, ave son rayon moyen maximum, reprend sa supériorité sur les autres formes et donne le plus fort débit ou la plus forte vitesse moyenne tandis que la section triangulaire équilatérale est, au contraire, du moins parmi les formes polygonales régulières, celle qui, à raison de son moindre rayon moyen, donne la plus faible vitesse moyenne ou le plus petit débit.
      Les paradoxes apparents signalés ici, dans les lois des écoulements tant continus qu’agités, sont dus à l’impossibilité, pour une variable unique, même aussi bien choisie que l’est le rayon moyen, d’exprimer à elle seule les influences multiples qu’ont sur la vitesse moyenne la grandeur de la section et sa figure. Pour certaines formes de celle-ci, le rayon moyen évalue par excès la somme de ces influences, et alors la quantité reçoit ses moins faibles valeurs, tandis que, pour d’autres formes, il l’évalue trop peu, ce qui oblique à prendre plus petit. Malheureusement, un moyen général de discerner a priori ces formes diverses nous fait défaut.
      Comme on pouvait le prévoir pour le cas considéré des écoulements bien continus, où les vitesses des filets fluides, nulles au contour mouillé sont extrêmement inégales, le coefficient varie entre d’assez larges limites avec la forme de la section, savoir, tout au moins dans le rapport de (valeur de pour le triangle équilatéral) à 3 (valeur de pour le rectangle infiniment large), ou, par conséquent, dans le rapport de 5 à 9. Et cependant toutes ces variations ne vont pas du simple au double, alors que le rapport des deux dimensions dans les formes ainsi comparées varie de 1 à l’infini, et que les vitesses moyennes à égalité soit des aires soit des contours y décroissent depuis certains maximums jusqu’à zéro. Cela prouve que le rayon moyen constitue une excellente variable pour représenter tout à la fois, dans la mesure du possible, l’influence complexe, sur la vitesse moyenne que prend un courant fluide, tant de la forme que de la grandeur de son lit.