Théodore Weustenraad, poète belge/La Ruelle, drame historique

Éditions de la Belgique artistique et littéraire (p. 93-95).

VI

La Ruelle, drame historique


L’art dramatique tenta un moment Weustenraad. Le 16 mars 1836, fut représenté avec un certain succès, au théâtre de Liège, un drame historique en cinq actes, intitulé La Ruelle, dont il était l’auteur. Les luttes du peuple liégeois pour la conquête ou la défense de ses libertés passionnaient le poète démocrate, guidé dans ses études par son ami l’archiviste Polain. Il entreprit de mettre à la scène un des derniers épisodes de ces luttes, la résistance des métiers, sous la conduite du bourgmestre La Ruelle, contre l’arbitraire du prince-évêque Ferdinand de Bavière, et l’assassinat du tribun liégeois par le traître Warfusée, gentilhomme taré qui espérait au moyen de ce crime se réhabiliter aux yeux de l’Espagne.

« Enseigner l’histoire par le drame, telle est, dit l’auteur dans la préface de La Ruelle, la pensée qui a présidé à la composition de cette œuvre… » Et le poète Edouard Wacken, ami de Weustenraad, atteste[1] que « ce drame, écrit en quelques jours, était destiné à faire passer dans l’âme du peuple le sentiment de liberté qui animait l’auteur. » Une fois de plus, le patriote-démocrate apparaît sous l’écrivain. Weustenraad ne cultive pas l’art dramatique pour lui-même ; il lui assigne une mission extra-littéraire, qui est d’éduquer le peuple et, spécialement, de développer dans son cœur le sentiment national.

La pièce est, d’ailleurs, fort médiocre. Deux ou trois scènes, telles que l’élection du bourgmestre La Ruelle (1er  acte), l’entrevue de ce personnage avec le Prince d’Osnabrück, envoyé du Prince-Evêque (3e acte), témoignent peut-être d’un certain effort vers l’objectivité. Maints discours, malheureusement, n’y sont prononcés que pour mettre le spectateur ou le lecteur au courant de la situation. Et il y a bien de la rhétorique, du pathos, du lieu commun, dans les propos que l’auteur prête aux personnages de son drame. Polain avait traité le même sujet dans une de ses « Esquisses historiques de l’ancien pays de Liège, » qui peut-être servit de « source » au drame de Weustenraad. Tout médiocre qu’il est littérairement, l’historien liégeois l’emporte ici en couleur, en caractère, en brièveté pittoresque, sur le dramaturge qui, sans doute, n’a vu dans son œuvre qu’un canevas.

Ce La Ruelle, joué en 1835, porte bien sa date. Weustenraad en a corsé l’action par l’introduction de personnages ténébreux ou mystérieux et d’épisodes romanesques, qui relèvent du mélodrame beaucoup plus que du drame historique. Le 2e acte tout entier et une grande partie du 4e et du 5e actes appartiennent proprement au romantisme déclamatoire et frénétique, qui, à la même époque, trouvait ses chefs-d’œuvre dans les drames en prose de Hugo. Ajoutons que le poète-journaliste, auteur dramatique par caprice, n’a pu éviter entièrement (encore qu’il s’en défende dans sa préface), les allusions aux événements contemporains ; et l’on comprendra que La Ruelle, écrit, de l’aveu de l’auteur, en quelques jours, soit une œuvre médiocre et en tout point négligeable.

  1. Revue de Belgique, tome IV (1849) p. 73.