Théobald, ou le Retour de Russie
RAYMOND, docteur en médecine.
BERNARDET, substitut du procureur du roi.
THÉOBALD, jeune officier.
Madame de LORMOY.
CÉLINE, sa petite-fille.
La baronne de SAINVILLE, sa nièce.
dans la maison de madame de Lormoy.
Le théâtre représente un salon ; porte au fond, deux portes latérales ;
la porte à la droite de l’acteur est celle de l’appartement
de madame de Lormoy. Sur le deuxième plan, à droite et à
gauche, la porte de deux cabinets. Sur le devant de la scène,
à droite, une table avec écritoire, plumes, papier et tout ce
qu’il faut pour écrire.
Scène PREMIÈRE.
BERNARDET.
Très peu, pour ma belle-mère.
Soyez tranquille, je sais ce qu’il lui faut.
Vous vous rappelez ce que dit le docteur : plus on est faible, moins il faut manger : et, avec ce régime-là, peu à peu l’on reprend des forces.
Moi, qui commence à me trouver mieux, je crois que je pourrais m’écarter un peu du régime qu’on m’a prescrit.
Ma mère, attendons le docteur.
Mais viendra-t-il aujourd’hui ?
Je sors de chez lui ; c’est le médecin de Bordeaux le plus occupé ; il était sorti ; mais à son retour, on nous l’enverra ; ainsi, jusque-là, rien de plus que l’ordonnance (Ils se lèvent, le laquais enlève ta table, étrange les fauteuils.) Oui, belle-mère, en ma qualité de substitut, je suis pour qu’on exécute les ordonnances à la rigueur.
Oh ! vous, Messieurs les magistrats, vous êtes d’une sévérité.
C’est possible, sous la toge ; c’est notre état qui veut ça ; moi, par exemple, je requiers tous les jours des condamnations ; je suis la terreur des coupables ; j’ai l’air très méchant… (À Céline.) Oui, Mademoiselle, je me fâche tous les jours ; mais jamais pour mon compte, c’est toujours pour celui de la société et de la morale. Dès que j’ai déposé les foudres du ministère public, je suis l’homme le plus doux, le plus facile… je ferai un époux excellent, quand la belle-mère voudra bien le permettre ; car il y a assez long-temps que je suis en instance.
J’en conviens, cette union était le plus cher désir de ta mère ; et je ne demanderais pas mieux, ton frère, si mon petits-fils était ici.
Oui ; mais comme il n’y est pas, comme il y a force majeure…
Oh ! il reviendra ; j’en suis sûre ; ne me dites pas le contraire.
M’en préserve le ciel ! Mais il me semble que sa sœur pourrait toujours se marier en attendant.
Non, ma bonne maman.
Faut-il que mon hymen s’apprête,
Quand de nous mon frère est si loin ?
Pour que ce soit un jour de fête,
Il faut qu’il en soit le témoin.
Autrement, dans la foule immense :
Que d’un hymen attire la splendeur,
Loin, hélas ! de voir mon bonheur,
Vous ne verriez que son absence.
Je n’ai jamais vu de jeune personne aussi peu pressée de se marier.
Songez donc qu’à chaque instant nous pouvons le voir paraître. Tous les jours, il arrive des prisonniers du fond de la Russie. N’est-ce pas, ma chère baronne ?
Oui, ma tante.
Tu y es intéressée autant que nous ; toi, qui aimais ce cher Léon, qui étais sur le point de l’épouser. Ne nous disait-on pas hier que le fils de madame de Valbelle, dont tous les journaux avaient annoncé la mort, était tout à coup revenu, au moment où l’on s’y attendait le moins ?… (Voyant Céline et la baronne qui détournent la tête.) Eh bien ! qu’est-ce que cela veut dire ? je vois des larmes dans tes yeux.
Non, ma tante.
Tu sais quelque chose.
Non, rien, absolument rien ; et voilà ce qui me désole.
Et moi, c’est ce qui me rassure sur le sort de mon petit-fils, de ton prétendu. Tant qu’il n’y a pas de nouvelles, elles peuvent être bonnes, et pourvu qu’on ne m’empêche pas d’espérer… Il y a si long-temps que j’en suis là !
Et voilà ce que je ne comprends pas, que vous, qui aimez tant votre petit-fils, vous ayez pu vivre aussi long-temps séparés ; et que vous n’ayez pas trouvé quelque moyen de vous réunir.
Et comment, le vouliez-vous ?
Ma mère, vous allez vous fatiguer.
Non, non ; cela ne me fatigue jamais de parler de mes enfans. Songez donc qu’à une fatale époque, toute notre famille a été obligée de se réfugier aux colonies ; et quand il fut permis à mon gendre de revoir la France, il ramena avec lui son fils Léon, qui avait ; alors huit ans, confiant à mes soins sa femme, trop souffrante pour le suivre, et ma petite Céline qui venait de naître.
Ah ! mon Dieu, oui ; je suis créole.
Je sais bien tout ça. Mais, plus tard, ne pouviez-vous vous rejoindre ?
Plus tard, la guerre éclata.
La route des mers nous fut fermée.
Je n’y pensais pas.
Et lorsqu’après seize ans d’exil, nous sommes rentrées toutes deux en France ; toutes deux (car depuis long-temps nous avions perdu sa mère), mon gendre n’existait plus, et mon petit-fils Léon venait de partir pour la Russie.
C’est vrai ; cette année-là nous partions tous. Tel que vous me voyez, j’ai fourni un remplaçant. Mais au moins, belle-mère, vous avez ici une consolation ; celle de la correspondance.
Les lettres qu’il m’écrit sont si tendres, que nous nous sommes aimés tout de suite, comme si nous y avions été élevés… Et il me semble que, quand je le verrai, je le reconnaîtrai sur-le-champ.
C’est comme moi. Je l’ai là, devant mes yeux. Je le crois, du moins ; et ce vague, cette incertitude se prêtent aux plus douces illusions de l’amour maternel. Si je rencontre un jeune homme beau, bien fait, je me dis : « Mon petit-fils doit être comme cela. » Si j’entends parler d’une belle action, d’un trait de courage, je me dis : « Voilà ce qu’aurait fait mon petit-fils. » Je me plais ainsi à le parer de tout ce qui peut le faire aimer ; et il me semble que je l’en aime davantage.
Eh bien ! que l’on dise encore que les absens ont toujours tort. (À la baronne.) Il faudra que j’en essaie.
Maman, voilà M. Raymond.
Scène II.
BERNARDET, la RARONNE.
En docteur savant
Et prudent,
Je suis toujours dispos et bien portant,
Pour donner à chaque client
L’échantillon vivant
De mon talent.
C’est déjà fait… (à part) je viens de me soigner ;
J’estime fort la diète, mais
Je la prescris et ne m’y mets
Jamais.
En docteur savant
Et prudent.
Je suis |
toujours dispos et bien portant, |
Pour donner à chaque client
L’échantillon vivant
De mon |
talent. |
On vous a dit, docteur, que j’étais passé chez vous ?
Non, vraiment. Je viens de moi-même ; car je n’étais pas rentré au logis.
Eh bien ! vous y trouverez du monde. Un jeune homme de fort bonne tournure, qui vous attend avec impatience. Il vient de Montauban.
Encore une consultation.
Et quand je lui ai dit que vous ne rentreriez peut-être que pour dîner, il a dit : « J’attendrai. »
Il attendra donc jusqu’à ce soir : car je dîne chez le préfet, et d’ici là, tout mon temps est employé, des visites essentielles, des malades à l’extrémité.
Avec ceux-là, j’agis en conscience
Je les visite autant que ça leur plait :
Car du malade endormant la souffrance,
Notre présence est un dernier bienfait.
Oui, le docteur, par sa douce parole,
Lui rend l’espoir aux portes du trépas ;
Et c’est le moins qu’un médecin console
Ceux qu’il ne guérit pas.
Vous ne pouvez cependant pas refuser un pauvre jeune homme qui, pour vous consulter, vient de trente lieues d’ici.
En poste.
Ah ! il est en poste !
Une calèche et trois chevaux qui étaient encore à la porte, tout attelés.
Voilà qui est différent. Cela me gênera beaucoup ; mais n’importe, il faudra voir ce que c’est.
La calèche et les trois chevaux font donc quelque chose à la maladie ?
Sans doute ; cela prouve que c’est une maladie pressée, puisqu’elle prend la poste. Aujourd’hui, à cinq heures, je rentrerai chez moi exprès pour cela… (Tâtant le pouls à madame de Lormoy.) Allons, il y a du mieux ; néanmoins le pouls est un peu agité ; je trouve encore de l’émotion ; c’est qu’on vous aura parlé de votre fils.
C’est vrai ; cela me fait tant de plaisir !
Cela vous fait aussi beaucoup de mal.
Vous ignorez combien une grand’mère
Garde d’amour pour ses petits-enfans ;
Rêve dernier, espérance dernière,
Qui dans l’hiver nous ramène au printemps.
Vieille, on revit dans le fils qu’on adore,
Et l’on se dit, par un espoir confus :
Grâce à son âge, il peut m’aimer encore
Long-temps après que je ne serai plus.
Songez donc que vous êtes à peine convalescente d’une maladie terrible, qui a demandé tous mes soins. Encore, j’ai eu bien peur, et vous aussi, convenez-en.
Peur de mourir ! oh ! non ; mais j’avais peur de ne pas voir mon fils.
Ah ! mon Dieu, il reviendra ! il reviendra ce cher enfant que j’aime autant que vous ; car c’est moi qui l’ai vu naître, et qui l’ai vacciné ; et de plus, je l’ai soigné dans ses dernières blessures. Il reviendra, c’est moi qui vous en réponds, et vous serez bien surprise, un beau matin, quand je vous l’amènerai.
Surprise ! non : car je l’attends toujours. Tous les jours en me levant, je me dis : « C’est aujourd’hui que je vais voir mon fils. » (À Céline.) Tu me demandais ce matin, pourquoi je voulais me faire aussi belle ? c’était pour lui.
Allons, allons, voilà que nous recommençons. Je défends qu’on en parle davantage. Vous devez fuir les émotions ; vous avez surtout besoin de calme et de repos. Si vous n’êtes pas raisonnable…
Au fait, maman, il faut être raisonnable.
Ne me grondez pas. Je vais rentrer dans mon appartement ; je n’y recevrai personne, je n’entendrai parler de rien.
À la bonne heure.
Ah ! permettez que je guide vos pas,
C’est à moi, ma belle grand’mère,
À m’acquitter de ce doux ministère,
Et comme gendre, ici, j’offre mon bras.
J’estime fort la vieillesse, et par goût
Je la fréquente et je l’honore ;
Il faut soigner nos grands parens (à part.) surtout
Quand ils ne le sont pas encore.
Soyez mon guide, et soutenez mes pas,
Votre appui m’est bien nécessaire ;
Un jour viendra, qui n’est pas loin, j’espère,
Où mon Léon pourra m’offrir son bras.
Avec prudence il va guider vos pas,
Son appui vous est nécessaire ;
Gendre futur, à sa bonne grand’mère,
Avec plaisir monsieur offre son bras.
Scène III.
Vous avez grand tort, ma chère enfant, de lui parler de votre frère. Il faut, en pareil cas, une prudence, des ménagemens dont nous seuls possédons le secret ; car il est malheureusement trop certain que ce pauvre Léon n’existe plus.
C’est fait de moi !
Eh ! bien, qu’est-ce donc ?
Qu’avez-vous fait !… (À la baronne.) Sophie, Sophie, ce n’est pas vrai.
Certainement, ce n’est pas vrai. Moi, qui n’y pensais pas… devant sa cousine !… Dans cette maison-ci, on ne devrait jamais parler… Pardon, madame la baronne, je ne sais ce que je dis ; ce sont des craintes ; mais sans aucune espèce de preuves.
Vraiment ?
Et puis, nous autres docteurs, nous nous trompons si souvent. J’ai eu plus de cent malades que j’ai crus morts, que j’ai abandonnés, et qui se portent à merveille, et vice versa.
Ah ! vos craintes ne sont que trop réelles. Sa dernière lettre était datée de Moscou, et depuis, n’avoir trouvé aucuns moyens d’écrire à sa famille, à celle qu’il aimait !
Est-ce que c’était possible ? Toutes les communications n’étaient-elles pas interceptées ? Les Hulans, les Baskirs, les Cosaques, c’est la mort aux estafettes.
Oui, c’est possible. Je vous crois, docteur ; mais c’est égal, vous m’avez fait un mal…
C’est ma faute, et je m’en accuse. C’est le résultat de cette maudite conversation. Ainsi jugez de l’effet sur votre mère.
CÉLINE Vous la trouvez donc bien malade ?
Pas précisément : mais elle est bien faible, hors d’état de résister à une secousse un peu forte. La moindre émotion peut compromettre sa santé, et même son existence.
Grand Dieu !
Ne vous alarmez point. Il est facile, avec des soins, des précautions… mais pour cela, il faut m’écouter toutes les deux. (À la baronne.) Vous, d’abord, faites-moi le plaisir de retourner chez vous ; car, dans ce moment, cette maison-ci ne vous vaut rien. Il faut prendre l’air, vous tranquilliser.
Je n’ai demandé ma voiture que dans quelques heures.
La mienne est en bas, à vos ordres.
Et vos visites ? et ce jeune homme de Montauban qui est chez vous ?
Je le verrai tantôt en rentrant. Pour mes autres visites, en attendant que vous me renvoyiez ma voiture, j’en ferai quelques-unes à pied, dans le quartier, à des cliens près de qui ma réputation est faite, et avec ceux-là, je ne suis pas obligé d’avoir équipage. (À Céline.) Vous, retournez près de votre mère ; je l’ai trouvée très émue, très agitée. Je vais m’occuper de réparer le mal. Ce sera l’objet d’une ordonnance que je vais écrire pour madame de Lormoy, (À la baronne) et qui vous conviendrait aussi. Je vais prescrire quelques gouttes de mon élixir.
Élixir anti-lacrymal,
Que j’ai composé pour l’usager
Des dames qui se trouvent mal ;
De tout Paris il obtient le suffrage…
Au théâtre il a du succès…
Non, vraiment, pour les comédies
Qu’on donne à présent aux Français.
Adieu ! adieu ! M. le docteur.
Scène IV.
Dépêchons-nous de rédiger notre formule, de continuer mes visites. Ce jeune homme de Montauban, qui peut-il être ? le fils du préfet…
Me voici donc arrivé chez madame de Lormoy ; j’ai cru que je n’aurais jamais le courage de monter jusqu’ici ; la mission que j’ai à remplir est si pénible !
Un jeune homme, un inconnu !
Monsieur…
C’est à moi qu’il en veut. Peut-être une consultation, peut-être mon jeune homme de Montauban, qui s’est lassé d’attendre. (Se levant et allant vers Théobald.) Monsieur, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?
Je désirerais parler à madame de Lormoy.
Je me trompais, ce n’est pas un malade. (Haut.) Monsieur, elle n’est point en état de vous recevoir.
Vous croyez ?
Je dois le savoir, je suis son médecin.
Tant mieux. Je puis alors vous dire…
Je vous demande bien pardon ; mais j’ai des malades qui m’attendent, et qui peut-être ne m’attendraient pas, si je restais plus long-temps. Je vais entrer chez madame de Lormoy, et vous envoyer sa fille, ou faire prévenir son gendre.
Son gendre ! Est-ce que mademoiselle Céline serait mariée ?
Pas encore ; mais ça ne tardera pas. Tout est convenu, réglé. Il ne s’agit plus que de remplir les formalités ordinaires : et alors… vous comprenez.
Parfaitement.
Ce jeune homme m’a bien l’air d’un soupirant retardataire.
Il avait compté sans son hôte,
Oubliant le prix des instans ;
Pourquoi vient-il aussi tard !… c’est sa faute…
Pour les docteurs, les époux, les amans,
Le tout est d’arriver à temps.
Aussi, de crainte de disgrâce,
Soyez à l’heure, amans, docteurs, époux…
Sinon, docteurs, sans vous on passe ;
Sinon, maris, l’on se passe de vous.
Scène V.
Infortuné Léon ! mon digne et malheureux frère d’armes ! Comment m’acquitter du triste devoir que ton amitié m’a légué ? Quelle émotion j’éprouve en entrant dans cette maison, au sein de cette famille, que jamais je n’ai vue, et que je connais si bien ! Ce médecin, ce doit être M. Raymond. Cette jeune dame, qui montait en voiture au moment où j’entrais, ce doit être Sophie, cette veuve, cette cousine qu’il adorait ; Pauvre femme !… Et Céline !, et sa jeune sœur, dont nous parlions sans cesse, dont chaque jour nous relisions les lettres, dont nous aimions à contempler les traits si séduisans ; celle, enfin, qu’il me destinait, et que déjà je m’étais habitué à chérir. Elle est engagée, unie à un autre ! Le moment qui nous rapproche est celui d’une séparation éternelle. Amour, amitié, espérance ! en te perdant, Léon, j’ai tout perdu. (Regardant autour de lui.) On ne vient point ; tant mieux. Ce moment sera si affreux ! Ces parens, cette famille désolée, comment leur dire ?… Le pourrais-je jamais ! Si du moins quelques mots de ma main les préparaient à cette funeste nouvelle ? Oui, écrivons.
- « Madame,
« Mon nom est Théobald. Compagnon de Léon, votre fils, nous servions dans le même régiment, et l’amitié la plus tendre nous a toujours unis. Partageant les mêmes périls, et prisonniers ensemble lors de la retraite de Moscou, nous fûmes conduits dans le gouvernement de Tobolsk, et enfermés dans la forteresse de Tioumen, au bord de la Tura. Après cinq mois de la plus horrible captivité, un moyen d’évasion nous fut offert ; mais un de nous deux pouvait seul en profiter. Dans sa généreuse amitié, Léon voulait que ce fût moi. Mais il avait une famille qui le pleurait en France. Moi, j’étais orphelin, ce fut lui qui partit… » (Il cesse d’écrire.) Ah ! je me rappelle encore ses derniers mots : « Si je succombe dans ma fuite, me disait-il ; si, plus heureux que moi, tu revois jamais la France, va porter à ma pauvre grand’mère et à ma sœur (fouillant dans sa poche) ce portrait qu’elles m’avaient envoyé, ces lettres, et mes derniers adieux. Tâche d’en adoucir l’amertume. Ménage surtout le cœur d’une mère. Remplace-moi auprès de la mienne. Deviens son appui, celui de ma sœur. » (Posant sur la table le portrait et les lettres, et reprenant la plume) Ah ! comment achever ? comment lui dire le reste ? (Il se lève) Des fenêtres de ma prison, j’ai vu les soldats du fort tirer sur cette nacelle qui portait mon malheureux ami. Atteint du plomb mortel, je l’ai vu, tout sanglant, tomber et disparaître dans ce fleuve rapide. Ah ! non, ne leur offrons point une pareille image.
Pour leur cœur elle est trop terrible ;
Différons ce coup redouté ;
Par degrés, le plus tard possible,
Apprenons-leur la vérité,
Apprenons-leur la triste vérité.
Oui, dans le doute où les tient son absence,
D’un songe heureux éprouvant les bienfaits,
Ils dorment tous bercés par l’espérance ;
Ah ! puissent-ils ne s’éveiller jamais !
Scène VI.
Un monsieur, dis-tu, qui désire me parler ?… (Voyant Théobald.) C’est lui, sans doute.
Pardon, Monsieur, j’avais demandé à voir madame de Lormoy.
Ma belle-mère ?
Sa belle-mère ! C’est donc lui ?
Impossible, dans ce moment elle ne reçoit pas.
C’est ce qu’on m’a dit. Mais je voudrais seulement lui faire parvenir cette lettre que j’ai à peine achevée.
Une lettre… permettez… S’il s’agit d’affaires, nous ne pouvons pas prendre sur nous. Le docteur l’a défendu. Elle est si faible en ce moment, que là moindre émotion pénible lui ferait un mal affreux.
Vraiment !
Le moral est si affecté depuis l’éloignement de son fils. Le docteur prétend même qu’une secousse violente, ce que nous appelons un contre-coup, une révolution, la tuerait net, comme un coup de foudre.
Que me dites-vous là ? Je n’insiste plus pour que vous lui remettiez cette lettre. Il vaut mieux attendre un autre moment, et lui parler moi-même. Ce que j’ai à lui confier demande tant de ménagemens, tant de précautions ! Et croyez, Monsieur, que je ne voudrais pas…
J’en suis persuadé. Mais dès qu’il s’agit de précautions adroites, en magistrat prudent, ne puis-je savoir ?…
Daignez lui apprendre seulement qu’un officier qui arrive de Russie lui demande, plus tard, un moment d’entretien.
Vous arrivez de Russie ! Vous avez vu Léon ; vous apportez de ses nouvelles ?
Pas un mot de plus, je vous en prie.
C’est différent. Elle sera trop heureuse de vous voir. (On entend une sonnette dans l’apparternent de madame de Lormoy.) Je crois l’entendre. Entrez là un moment (lui montrant le cabinet à gauche de l’acteur) ; seulement le temps de la prévenir.
Oui, Monsieur, oui, j’attendrai… Pauvre famille !
Scène VII.
Il y a du mystère… il y en a… Et pour nous autres qui avons l’habitude d’en trouver partout… (Il s’approche de la table.) Moi, d’abord, il ne me faut qu’un rien, un indice… Et ce jeune homme, cet air ému… (Il aperçoit le portrait et le paquet de lettres que Théobald a laissés sur la table.) Quel est ce portrait ?… celui de mademoiselle Céline… (Regardant les lettres.) L’écriture de ma prétendue… celle de ma belle-mère… (Il en prend une dont il lit l’adresse.) « À M. Léon, capitaine au 6e de hussards, quartier général de la grande armée. » C’est lui, c’est mon beau-frère ! c’est M. Léon.
Scène VIII.
ensuite THÉOBALD.
Mon fils !… qui a parlé de mon fils ?… C’est vous, Bernardet ?
Oui, belle-mère ; oui, c’est moi qui, grâce au ciel, espère bientôt être votre gendre.
Que dites-vous ?
Je dis que, si vous voulez être bien raisonnable, on a peut-être de bonnes nouvelles à vous apprendre.
Il serait possible ?
Mais pour cela, il faut me promettre de ne pas avoir d’émotion.
Je n’en ai pas, je n’en ai pas, je vous le jure… Le bonheur ne me fait pas de mal ; au contraire.
Eh bien, connaissez-vous ce portrait, ces lettres ?
Celles que j’écrivais à mon frère.
À mon fils…
Et que diriez-vous maintenant,
Si je pouvais… ce cher enfant,
À vos regards le faire ici paraître ?
Je verrais mon fils dans mes bras !
Mon frère serait dans nos bras !
Ah Dieu ! ne me trompez-vous pas ?
Venez, venez donc dans leurs bras,
Léon, venez donc dans leurs bras.
Ô céleste Providence !
Que je bénis tes bienfaits !
Plus de crainte, plus de regrets !…
Ô ciel, que je bénis tes bienfaits !
Ô ciel ! quel embarras !…
Comment les détromper, hélas !
C’est toi, c’est bien toi. Le ciel a exaucé ma prière. Je ne mourrai donc pas sans t’avoir vu.
Et à qui le devez-vous ? C’est à moi.
Je crains… je tremble… qu’une telle surprise…
Non, je le disais tout à l’heure ; et je l’éprouve maintenant, la joie ne fait pas de mal, c’est le chagrin, c’est la douleur qui vous tue.
Grand Dieu !
Pauvre frère ! Sa main tremble dans la mienne.
Je suis confus de tant de bontés.
Oh ! tu en verras bien d’autres.
Après une si longue absence,
Il faudra bien t’y soumettre, entends-tu ?
Car mon cœur s’est promis d’avance
De réparer le temps qu’il a perdu…
À cet égard il tiendra ses promesses ;
Pendant quinze ans, loin de toi, je t’aimais…
Et je te dois pour quinze ans de caresses,
Avec les intérêts.
Si elle savait…
Ah ça, il faut fêter le retour de Léon, donner un dîner de famille. Beaucoup de monde, de la joie, du bruit : ça distrait, ça occupe, ça empêche d’être trop heureux. Il vous faut cela.
C’est que je ne suis guère en état de donner des ordres.
Comme beau-frère, je m’en charge. Je ne veux rien épargner. L’enfant prodigue est de retour ; il faut tuer le… Cela me regarde. Je me mettrai en quatre, s’il le faut.
C’est cela ! pour que la nouvelle se répande dans toute la ville. Comment faire ? À qui me confier ?… Ah ! le médecin que j’ai vu ici…
Qu’as-tu donc ?
Rien… Mais votre ancien ami… le docteur Raymond…
Qui ce matin encore nous parlait de toi ?
Je désirerais le voir pour une importante affaire dont on m’a chargé, et qui ne souffre point de retard.
Demain, il viendra à son heure ordinaire, l’heure de sa visite.
Oui, mais auparavant, je voudrais qu’il eût cette lettre, à laquelle je vais ajouter quelques mots.
N’est-ce que cela ? sois tranquille, il la recevra aujourd’hui à cinq heures, car il nous a dit qu’il rentrerait à cette heure-là. (À Bernardet.) Vous vous rappelez bien ?
Oui, vraiment ; et, pour plus de sûreté, je me charge de la faire remettre chez lui.
Et en même temps, (prenant Bernardet à part, à gauche du théâtre, pendant que Théobald écrit à la table à droite) passez chez ma nièce, chez cette pauvre baronne. Dites-lui que j’ai besoin d’elle ; qu’elle vienne… Mais, je vous en supplie, pas un mot sur Léon. Ne lui parlez pas du bonheur qui l’attend. Je veux jouir de sa surprise.
Vous avez raison, ce sera charmant !
Et mon fils, qui doit la croire à Paris ! qui ne sait pas qu’elle nous a suivis ! Je pourrai lui rendre le bonheur qu’il vient de me causer.
Soyez tranquille, c’est dit… (Haut.) M. Léon a fini ses dépêches ?
Puis, m’acquittant d’un emploi délicat,
Sans lui rien dire, avertir votre nièce :
On est discret quand on est magistrat.
Puis, reprenant ma course diligente,
Pour le repas je vais tout ordonner,
Car la justice, hélas ! qu’on dit si lente,
Ne l’est jamais alors qu’il faut dîner.
Allez porter la lettre à son adresse,
Puis, remplissant un devoir délicat,
De notre part, avertissez ma nièce ;
Soyez discret… vous êtes magistrat.
Il va porter la lettre à son adresse,
Il était temps vraiment qu’il s’en allât ;
Il me gênait… pour Léon, ma tendresse
Craint d’éclater devant un magistrat.
Oui, le docteur, qui connaît sa faiblesse,
Peut seul, hélas ! éviter un éclat,
Et sans danger, détrompant leur tendresse,
Pour moi remplir un devoir délicat.
Scène IX.
Il nous laisse : je n’en suis pas fâchée. Je suis avare de ta vue, et j’avais besoin d’en jouir seule.
Avec moi cependant car j’en veux aussi.. (Elle passe à la droite de Théobald.) Allons, mon frère, place toi entre nous deux. Il faut absolument que tu te partages.
Je suis au supplice !
Tu nous raconteras tout ce que tu as fait, tout ce que tu as souffert.
Nous avons tant de choses à lui demander, et tant de choses à lui dire, moi, surtout. Si tu savais combien de fois je t’ai désiré ! Je me disais : « Si mon frère était près de moi, ce serait un confident, un ami, je n’aurais plus de chagrins ! »
Comment ?
Je sais bien, maman, que vous êtes là : mais ce n’est pas la même chose. On a toujours, au fond du cœur, des idées, des secrets, qu’on n’ose dire à personne qu’à soi-même, ou à son frère. Aussi que de confidences je te gardais, à commencer par ce mariage !
Ce mariage !…
Est-ce que, par hasard ?…
Non, maman, non ; ce n’est rien. Je dirai cela à mon frère, en secret, et puis il te le dira de même.
Tu as raison ; c’est bien différent. Mes enfans, je me sens un peu fatiguée.
De grâce, reposez-vous.
Merci, mon fils. Mais ne me quittez pas. Asseyez-vous auprès de moi. Léon, donne-moi ta main. (Théobald s’assied auprès de madame de Lormoy, à sa gauche.) Me voilà tranquille, tu ne m’échapperas pas.
Oh ! il n’a plus envie de nous quitter. (À Théobald.) N’est-ce pas ?
Non ; c’est impossible une fois que l’on vous a vue.
Ne voilà-t-il pas qu’il fait le galant ! C’est beau dans un frère, parce qu’on dit que c’est rare… Mais regardez donc, maman, comme il est bien ! Ce n’est pas pour lui faire un compliment, mais il est bien mieux encore que je ne le croyais.
Vraiment !
Oui ; je m’étais imaginé un frère, un bon enfant, qui me sauterait au cou, et m’embrasserait sans faire attention à moi, tandis que Léon a quelque chose de si aimable, de si expressif… Rien qu’à la manière dont il me regarde… (Théobald, qui la regardait, détourne la tête.) Il ne faut pas que cela t’empêche. Il y a dans ses yeux je ne sais quoi de tendre et de mélancolique qui va là… Ah ! que c’est gentil, un frère !
Allons, cause un peu avec ta sœur… Que je ne vous gêne pas.
Merci, maman, nous allons user de la permission.
Il est si doux de pouvoir ouvrir son cœur, et de…
Taisons-nous. (bis.)
Je crois qu’elle sommeille :
Que rien ne la réveille ;
De son repos jaloux,
Taisons-nous. (ter.)
J’en suis sûre d’avance,
C’est à toi qu’elle pense :
Que son sommeil est doux !
Pas de bruit… taisons-nous.
Serait-ce à moi qu’elle pense ?
Taisons-nous.
Que son sommeil est doux !
Taisons-nous.
Taisons-nous,
Taisons-nous,
Taisons-nous.
Taisons-nous. (bis.)
Comment près de sa mère
Éclaircir le mystère
Qui les abuse tous ?
Taisons-nous. (ter.)
Oui, l’amour, la prudence,
M’obligent au silence :
Pour leur bonheur à tous,
Il le faut, taisons-nous.
L’amour, la prudence,
Nous obligent au silence ;
Taisons-nous.
Pour leur bonheur à tous,
Taisons-nous.
Taisons-nous,
Taisons-nous.
Taisons-nous.
Tu sauras donc que ce grand secret dont je voulais te parler…
Je ne sais si je dois…
Tu me gronderas peut-être ; mais c’est égal… Tu as vu ce M. Bernardet ? qu’on me destine…
Eh bien !
Maman est si faible et si souffrante, que je n’ai jamais osé lui donner la moindre contrariété. Mais la vérité est que ce prétendu-là, je ne l’aime pas du tout.
Vraiment !
Cela ne te fâche pas… J’ai tâché d’abord.. ; je me suis donné un mal… Quand j’ai vu que je ne pouvais pas y parvenir, je me suis raisonné ; je me suis dit : « Je ferai comme tant d’autres, je l’épouserai sans l’aimer. » Et cela me coûtait beaucoup ; car tu sauras… mais tu n’en diras rien ? au moins… (Elle se lève, passe derrière le fauteuil de madame de Lormoy va auprès de Théobald, et tous deux s’avancent sur le devant du théâtre, à la gauche de madame de Lormoy) Je crois… j’ai idée… que peut-être j’en aime un autre.
Ô ciel !… Et quel est celui que vous préférez ?
Un inconnu.
Un inconnu !
Ah ! mon Dieu ! oui. Et cela ne doit pas t’étonner. Nous autres demoiselles, avant que le prétendu qu’on nous destine se présente, nous nous en créons, un à notre manière. C’est toujours un beau jeune homme, bien fait, tendre, spirituel ; presque toujours un militaire, brun ou blond ; cela dépend. J’en étais à choisir la couleur, lorsque nous avons reçu ta première lettre. Tu nous y parlais d’un de tes compagnons d’armes : celui qui t’avait sauvé la vie à Smolensk ; un modèle accompli de bravoure, d’esprit et de grâce. La peinture que tu nous en traçais était si séduisante !…
Cédant à la reconnaissance,
Je l’ai d’abord aimé pour toi ;
Puis, grâce à ta correspondance,
Je l’ai bientôt aimé pour moi… (bis.)
Maintenant, quelle différence !
Ô ciel !
À son mérite, à sa vaillance,
Je crains bien de l’aimer pour lui.
À son mérite quand je pense,
Je crains bien de l’aimer pour lui.
Voyons, Léon, parle-moi franchement : est-il aussi bien, aussi aimable que tu me l’as dit ?
Mais…
Vous hésitez, Monsieur ; c’est un mauvais signe.
Malheureusement pour lui, cela dépend peut-être de l’idée que vous vous en faites… Comment voudriez-vous qu’il fût ?
Comme toi.
Serait-il vrai ?
Tais-toi, elle va se réveiller.
Mon fils ! mon fils !
Non, elle rêve. Elle est toujours avec toi. Elle est si heureuse avec son fils !
Ah ! ce bonheur n’est qu’un songe !
Qu’est-ce que tu dis ?… À quoi penses-tu ?…
(Elle se lève, et passe à la gauche, de Théobald, qui est toujours assis.)
Au lieu de me regarder, tu détournes la tête. Tu te parles tout seul, au lieu de me dire des choses agréables.
Si vous saviez la contrainte que j’éprouve.
C’est ta faute. Pourquoi cette contrainte ? Fais comme moi. Je n’aime pas à aimer seule ; et, pour commencer, j’exige que tu me tutoies.
Comment ! vous voulez ?…
Absolument Sans cela, je me fâche, et ; je ne-réponds pas.
Eh bien ! j’obéirai, Céline. Mais souvenez-vous… (Céline lui tourne le dos.) Souviens-toi…
À la bonne heure ! j’aime qu’on soit docile. Cela mérite une récompense : (l’embrassant) la voilà… En vérité, je crois, que tu t’éloignes ? Ne dirait-on pas que je t’effraie ?
Je n’y tiens plus. Il faut tout lui avouer… (Haut.) Céline…
Quoi ?
Je voudrais te parler.
Parle.
Mais il ne faut pas que ta mère puisse m’entendre.
Eh bien ! ce soir, quand tu l’auras embrassée, quand elle se sera retirée dans son appartement, viens dans le mien. C’est un bon moyen, nous serons seuls.
Non. Cela ne se peut.
Pourquoi donc ?… (Regardant madame de Lormoy,) Eh bien ! elle dort : dis-moi tout de suite…
Je ne puis… je n’oserai jamais. Il y va de ce que j’ai de plus cher au monde.
Ô ciel ! il s’agit de la baronne, de ma cousine qui t’aime tant… Est-ce que, par hasard, vous ne l’aimeriez plus ?
Que dis-tu ?
Chut ! la voilà qui se réveille : mais je ne renonce pas à ton secret ; j’ai une envie de le connaître !… je viendrai te rejoindre ici, dès que je le pourrai.
J’attendrai.
Léon !… (Théobald et Céline prennent place à côté de madame de Lormoy, mais Théobald se trouve placé à sa droite, et Céline à sa gauche. Madame de Lormoy, en s’éveillant, porte ses yeux sur le fauteuil qu’occupait Théobald ; elle paraît surprise de ne pas le voir d’abord ; mais, en se retournant, elle l’aperçoit à sa droite, et lui prenant la main :) Qu’il est doux de te retrouver là, au réveil, avec ta sœur… (À Céline, qui est restée debout.) Céline, est-ce que ton futur n’est pas rentré ?
Je ne sais. Il avait tant d’ordres à donner pour ce dîner, pour cette soirée !
Ç’est vrai, le retour de mon fils est un jour de fête, et nous allons avoir tous nos amis. Je ne puis les recevoir en négligé du matin… Ma fille, tu vas m’aider.
Quoi, vous parer, quelle coquetterie !
Ma grand’maman, à quoi bon de tels soins ?
De vingt-cinq ans vous semblez rajeunie.
C’est qu’à présent j’ai des chagrins de moins.
De tous mes maux enfin voici le terme…
(Faisant quelques pas vers Théobald, qui s’est un peu éloigné d’elle.)
Et de longs jours me sont encor promis.
Oui, vous marchez déjà d’un pas plus ferme.
C’est qu’à présent j’ai là mes deux appuis.
À ma toilette en ce jour, chère amie,
J’ai résolu de donner quelques soins ;
De vingt-cinq ans je me sens rajeunie,
C’est qu’à présent j’ai des chagrins de moins.
Quoi ! vous parer… quelle coquetterie !
Ma grand’maman, à quoi bon de tels soins ?
De vingt-cinq ans vous semblez rajeunie,
Car vous avez tous vos chagrins de moins.
De leur malheur quand j’ai l’ame remplie,
De leur transport mes yeux sont les témoins ;
Tu crois avoir, ô famille chérie !
Un fils de plus et des chagrins de moins.
Scène X.
Ah ! je n’y peux plus tenir. En les abusant ainsi, en prolongeant leur erreur, n’est-ce pas devenir coupable ? Oui, il y va de mon honneur, de mon repos. Chaque regard de Céline, chaque instant que je passe près d’elle augmente un amour que je voudrais en vain me cacher. Il faut détruire une illusion qui m’est bien chère. Hâtons-nous ; car bientôt je n’en aurais plus la force… On vient : n’est-ce pas le docteur !… Non, c’est mon rival.
Scène XI.
J’espère que l’on sera content de l’ordonnance de la fête. J’ai invité, je crois, toute la ville.
J’en étais sûr… (Haut à Bernardet.) Je vous demande pardon de la peine que je vous donne.
Laissez donc, entre beaux-frères… Quand je dis beaux-frères, c’est moi qui suis dans mon tort, parce qu’avant tout, les formalités d’usage. Dans la magistrature, nous sommes à cheval sur le cérémonial et l’étiquette.
Que faites-vous ?
Mon devoir… (Gravement.) Monsieur, mon nom est Bernardet. Ma famille s’est long-temps distinguée dans la robe. J’ai un peu de figure, de la fortune, de l’éloquence, une réputation qui s’augmente à chaque cour d’assises. Pour l’esprit, je n’en parle pas, parce qu’à présent tout le monde en a au Palais, jusqu’aux greffiers. D’après ces considérans, je conclus à ce que vous daigniez regarder comme bonnes et valables les promesses qu’on m’a déjà faites. Et c’est à vous, Monsieur, comme chef de la famille, que je viens demander officiellement la main de mademoiselle votre sœur.
À moi, Monsieur, à moi ? (À part.) Quelle situation !
C’est de vous que cela dépend maintenant. Votre grand’mère me l’a répété plus de vingt fois ; et je ne doute point de votre consentement.
Mon consentement. C’est ce qui vous trompe.
Comment ! vous refusez ?
Oui, Monsieur. Il est des motifs.
Et quels sont-ils ?
C’est que Céline… (À part.) Allons, je lui rendrai du moins ce service… (Haut.) C’est que Céline, c’est que ma sœur, tout en rendant justice à votre mérite, n’en est encore qu’à l’estime.
Vous croyez ? Eh bien ! vous êtes dans l’erreur.
Que dites-vous ?
Que je suis sûr de mon fait… que je suis sûr d’être, aimé. Sans cela, je serais le premier à refuser..
Vraiment ?
Dans notre profession, il faut croire à l’amour de sa femme.
Pour parler avec éloquence,
Pour avoir la tête aux débats,
Il faut, pendant qu’on est à l’audience,
Être sûr que sa femme, hélas !
De son côté n’en donne pas.
Oui, régner seul et sans partage,
Voilà les plans qu’en hymen j’ai conçus…
Moi, qui déjà suis dans les substituts,
Je n’en veux pas dans mon ménage.
Je comprends.
Aussi, je vous répète que si mademoiselle Céline ne m’aime pas, je me mets moi-même hors de cause… Mais je l’entends, vous pouvez l’interpeller devant moi.
Scène XII.
Mon frère, mon frère. Je suis parvenue à m’échapper, et j’arrive toujours courant. Aussi, sens mon cœur, comme il bat ! (Théobald retire sa main.) N’as-tu pas peur ?… Et puis tu ne sais pas une surprise que ma mère veut te faire ? une chaîne de mes cheveux qu’elle a tressée elle-même, et qu’elle veut te donner. Ça te fera plaisir, n’est-ce pas ?… Eh bien, Monsieur, répondez donc… On dit : « Ma petite sœur, ah ! que je te remercie ; ça ne me quittera jamais… » Dieu ! que c’est froid un frère ! ça vous, regarde à peine. Moi, je te dévore des yeux. Je t’embrasserais toute la journée ; mais je me retiens, parce que je crains de te contrarier.
Ah ! si j’étais à sa place !…
Hein !… quoi donc ?
Je dis… que, si j’étais à sa place… je me laisserais faire.
Ah ça, je t’ai dit mon secret, tu vas me dire le tien ; car je brûle d’impatience.
Nous ne sommes pas seuls.
C’est juste. (Bas à Théobald.) Je vais t’en débarrasser. (Haut a Bernardet.) M. Bernardet…
Mademoiselle, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?
Je voudrais causer avec mon frère.
Eh bien, causons. Est-ce que je suis de trop, moi qui suis presque de la famille ?
C’est égal. (D’un ton caressant.) Vous qui êtes si complaisant, faites-nous le plaisir de… nous laisser. Vous voyez, j’agis sans façons.
Comment donc… (Passant entre Céline et Théobald, bas a Théobald.) Vous l’entendez, cette douce familiarité ! On n’en agit ainsi qu’avec ceux que l’on aime. Il n’y a que l’amitié qui ose vous dire : « Allez-vous-en. » Aussi je suis digne de la comprendre, et je m’en vais… (À Céline.) Enchanté, mademoiselle, de pouvoir vous être agréable.
Scène XIII.
Il est parti, tu peux parler… Eh bien, tu hésites ?
Oui, sans doute : plus je vous vois, plus mon sort me semble digne d’envie. Et il est si cruel d’y renoncer !
Y renoncer !…
Il le faut. Chaque instant rend cet aveu plus difficile et plus nécessaire. Et cependant, si je parle, je vais perdre tous mes droits à votre amitié.
Moi ? jamais.
Promettez-moi du moins de ne pas me haïr, de me pardonner, de vous rappeler que, dans tout ce qui est arrivé, rien n’a dépendu de moi. Que mon seul crime, le seul dont je sois coupable, et que je ne puis empêcher, c’est de vous aimer plus que moi-même.
Ce crime-là, je te le pardonne, et je t’en remercie. C’est tout ce que je désirais.
Vous ne parlerez pas ainsi, quand vous saurez que je… vous ai trompée.
Toi, mon frère !
Et si je n’étais pas votre frère ?
Qu’entends-je !.., Et qui donc êtes-vous ?
Son ami, son compagnon d’armes ? ce Théobald…
Ô ciel ! Venir sous son nom, surprendre nos secrets ! remplir notre famille de joie, pour rendre ensuite notre douleur plus amère !
Une fatale méprise a causé tous mes torts ; ils sont involontaires.
Et comment le prouver ? C’est affreux à vous, Monsieur, c’est indigne.
User d’un pareil stratagème,
Et moi qui, dans cet entretien,
N’ai pas craint de dire à lui-même…
Comment ?
Ce n’est pas vrai, n’en croyez rien.
Je perds à la fois votre estime,
Et mes droits à votre… amitié ;
Car je vois qu’excepté mon crime,
Votre cœur a tout oublié.
Et si, pour vous justifier à tous les yeux, il ne faut que mon témoignage, je vais moi-même publier la vérité.
Et ma mère ! ma pauvre mère, à qui cette nouvelle imprévue peut donner le coup de la mort.
Il n’est que trop vrai… Attendons le docteur que j’ai prévenu, à qui j’ai tout écrit ; et jusqu’à son arrivée du moins ne trahissez pas ce mystère.
Moi ! devenir votre complice ! consentir à une pareille ruse ! jamais. Et cependant, comment faire ? Si encore, je ne le savais pas.
Soumis à vos ordres, je suis prêt à vous obéir. Serai-je Léon, ou Théobald ? Parlez, que décidez-vous ?
Je décide, Monsieur… je décide que je vous déteste, que je vous abhorre. (Apercevant madame de Lormoy qui entre.) Dieu ! ma mère !… Eh bien, Léon, tu disais donc…
Vous le voulez ?
Il le faut bien… À condition, Monsieur que vous ne me parlerez pas, que vous ne m’approcherez pas. Je vous le défends sur l’honneur.
Scène XIV.
THÉOBALD.
Oui, belle-mère, on m’avait mis à la porte. J’ai été obligé de faire antichambre, et de me promener de long en large. Pour me distraire, j’ai composé un réquisitoire.
Me voilà prête ; et tandis que nous ne sommes encore que nous, je t’apporte un présent, de ta sœur ; cette tresse de ses cheveux.
Refusez, Monsieur, refusez.
Tiens, Céline, c’est à toi de la lui donner. Place-la toi-même à son cou.
Mais, ma mère…
Allons donc… toi qui t’en faisais une fête… (À Théobald.) Incline-toi devant elle.
Eh bien, Monsieur, puisqu’il le faut…
Le tableau est vraiment délicieux.
Comment, tu ne la remercies pas ?
Je ne sais comment exprimer ma reconnaissance.
Embrasse-la ; c’est bien le moins.
Je vous le défends.
Je n’ose pas.
Comment ! tu n’oses pas. (À Bernardet, en riant.) Il n’ose pas. (Se tournant du côte de Théobald qu’elle encourage à embrasser Céline.) Allons…
Allez donc, Monsieur, maman vous regarde.
C’est fort heureux !… (Prêtant l’oreille.) Qu’entends-je ! une voiture qui entre dans la cour.
C’est une autre surprise que nous lui ménagions. J’ai été avertir la jeune baronne, celle qu’il aimait, et la voilà.
Ô ciel !
Comment faire ?
Ne peut-on pas la prévenir ?
Voyez-vous comme il est déjà troublé ? l’effet du sentiment !
Non, non, mon fils… Viens donc.
Je cours au devant d’elle.
Non, vraiment. Je veux être témoin de sa surprise (À Théobald.) Tiens-toi là, à l’écart. (À Bernardet.) Cachez-le bien, qu’elle ne le voie pas d’abord.
Scène XV.
la BARONNE, CÉLINE.
Ma tante, ma tante. Qu’ai-je appris ? Serait-il vrai ?…
Qu’a-t-elle donc ? Est-ce que, malgré mes ordres, on t’aurait parlé ?
Non, je ne sais rien ; mais il est une nouvelle qui se répand dans la ville ; et puis, M. Bernardet m’avait donné à entendre…
Quelques mots au hasard, pour préparer la reconnaissance.
La reconnaissance. Que dites-vous ?
Eh ! oui, je ne veux pas plus long-temps te laisser dans l’incertitude, je ne veux plus différer ton bonheur. Celui que tu aimes, que tu dois épouser, mon fils, mon cher Léon nous est enfin rendu.
Ah ! je ne puis le croire encore. Que je le voie ; ou est-il ?
Près de toi ; le voilà.
Lui… Ah !…
Ah ! malheureux ! qu’avons-nous fait ?
C’est l’excès de la joie.
Il faut se hâter de la secourir.
Lui faire respirer des sels. Je dois avoir mon flacon. J’en ai toujours un sur moi, à l’usage des dames qui fréquentent la cour d’assises.
Céline, chez moi, cette potion que le docteur m’a donnée ce matin.
Dans votre appartement.
Non, là haut.
Oui, maman ; mais où, je ne sais pas.
Non, non, tu ne la trouverais pas. C’est là haut. J’y vais-moi-même ; restez près d’elle.
Belle-mère, belle-mère, c’est inutile ; je crois qu’elle revient ; oui, elle ouvre les yeux.
Scène XVI.
Ah ! Monsieur, quel mal vous m’avez fait ! ce n’est pas lui.
Que dites-vous ?
Non, ce n’est pas Léon.
Ce n’est pas votre frère ?
Silence.
Je ne me tairai point ; car il y a là un mystère qui devient de ma compétence. On connaîtra ses projets téméraires.
Ah ! Monsieur, je n’en avais point, je m’acquittais d’un devoir ; vous ne m’avez pas donné le temps de m’expliquer. Votre imprudence et votre indiscrétion ont causé l’erreur de toute la famille.
Et pourquoi ne pas la détruire sur-le-champ ?
Le pouvais-je ? le puis-je encore ?
Quand nous venons de voir par elle-même (montrant la baronne) ce qu’une pareille nouvelle ferait de mal à une mère.
Trouvez alors quelques moyens de lui apprendre… vous-même à l’instant… ou je m’en charge.
Y pensez-vous ?
Oui, Madame, je ne laisserai pas plus long-temps, avec le titre et les privilèges de frère, auprès de mademoiselle Céline, qui connaissait la vérité…
Quel indigne soupçon ! Vous pouvez penser…
Monsieur ! vous m’en ferez raison.
Non ; mais je vous ferai un procès en substitution de personnes.
Taisez-vous, c’est ma tante ; je crois l’entendre.
Tant mieux.
Monsieur ! au nom du ciel ! voulez-vous donc la tuer ?
Non ; mais je veux qu’elle sache la vérité ; c’est à vous trois à la lui faire connaître ; je vous donne dix minutes pour cela, sinon, c’est mon état de parler, et je parlerai.
Scène XVII.
qui pendant la fin de la scène précédente, est entrée lentement ; BERNARDET, CÉLINE.
Pardon de ne pouvoir aller plus vite à ton secours !… Eh bien ! eh bien ! je vois avec plaisir que c’est inutile.
Oui, ma tante.
Sa présence était le remède le plus sûr… Eh ! mais, comme tu es encore émue ! (regardant Théobald) et lui aussi ; (regardant de même Céline) jusqu’à Céline ? tandis que moi… En vérité, mes enfans, je crois maintenant que c’est moi qui suis la plus forte de vous tous.
Vous l’entendez, on peut parler.
Ma mère…
Que me veux-tu, mon enfant ?
Si le docteur arrivait.
Mademoiselle Céline avait quelque chose à vous apprendre.
Moi, non ; c’est ma cousine.
J’entends ; quelque confidence qui regarde Léon.
Oui, ma tante. Oui ! c’est cela même, et monsieur (désignant Théobald) pourrait mieux que personne…
Eh bien ! mn fils, parle. (Théobald s’approche de madame de Lormoy, qui lui prend la main.) Eh mais ! ta main est froide et tremblante ; tu détournes les yeux. (Rendant tour à tour baronne et Céline.) Vous aussi !…
D’où vient ici le trouble où je vous voi ?
Vous gardez tous le silence… pourquoi ?
Vous avez l’air contraint ; vos yeux semblent me plaindre ;
Parlez, je vous écoute, et le puis sans rien craindre ;
Le malheur désormais ne saurait plus m’atteindre,
Mon fils est près de moi.
C’est bien, c’est bien ; je les trouverai tous au salon.
C’est Raymond !
C’est le docteur !
Dieu soit loué !
Scène XVIII.
RAYMOND, la BARONNE, BERNARDET.
Venez, docteur, venez, vous êtes de la famille, et, dans ce moment, vous la voyez un peu dans l’embarras.
Je m’en doute.
Je ne sais pas ce qu’ils ont tous.
Eh bien ! moi je le sais ; c’est quelque chose qu’ils voudraient vous dire, et ils ne savent comment s’y prendre.
Vraiment ?
Un pur enfantillage.
Ah ! tant mieux ; vous me rassurez.
Nous en parlerons plus tard, quand nous serons seuls. (À demi-voix.) Cela a rapport à cette lettre, que tantôt votre fils a envoyée chez moi.
Et que vous avez lue ?
Vous le voyez, puisque j’arrive à votre secours.
J’y suis ; quelques folies de jeunesse, et on craignait de m’en parler.
Non ; c’est l’action d’un digne et honnête jeune homme, et il en sera récompensé. (Madame de Lormoy s’assied sur un fauteuil que lui donne Théobald ; Raymond s’assied auprès d’elle et lui prend le bras.) Voyons d’abord… Pas mal, pas mal ; je dirai même excellent.
Je crois bien, cela va de mieux en mieux, à mesure que je le regarde… Mais, docteur, je suis femme, ce qui veut dire un peu curieuse, et je voudrais bien savoir tout de suite…
Je ne demande pas mieux ? nous y arriverons plus tard. Procédons par ordre ; car j’ai vu aujourd’hui tant de monde, j’ai appris des aventures si singulières, qu’il faut que je vous dise avant tout celle qui vient de m’arriver.
Docteur, de grâce…
Ah ! vous savez que nous autres médecins, nous avons toujours des histoires à raconter ; ce sont les trois quarts de la visite ; il n’en faut plus qu’un quart pour le talent, et encore… (À madame de Lormoy.) À moins cependant que cela ne fatigue la malade.
Non, docteur, je vous l’assure.
Il faut alors que le pouls reste comme il est ; car, à la moindre pulsation un peu vive, je m’arrête, et vous en serez fâchée ; parce que c’est une anecdote curieuse, et surtout véritable. Je l’atteste, quoique la scène se passe à Bordeaux.
Mais voyons donc, docteur, voyons donc.
Ah ! vous êtes tous pressés !… Eh bien donc, mes amis, quoique Racine ait dit quelque part :
je soutiens qu’il a tort. Nous avons vu des gens en revenir, rarement, il est vrai ; surtout nous autres docteurs ; mais enfin, c’est possible.
Témoin mon fils, que nous avons cru mort, et que voilà.
Ah ! bien oui, votre fils ! ce n’est rien, rien du tout. Vous en conviendrez vous-même, quand vous m’aurez entendu.
Il me fait trembler.
Il y arrive enfin… (Haut.) Eh bien, docteur ?…
Eh bien ! Je venais de rentrer chez moi, où l’on m’avait remis cette fameuse lettre dont nous parlerons plus tard. J’achevais à peine de la lire, lorsqu’un jeune homme descend vivement l’escalier, se précipite dans mes bras, et me serre dans les siens, de façon à m’étouffer. « Mon ami, mon père ! c’est vous que je revois. Vous voilà donc enfin. Depuis ce matin que je vous attends chez vous. »
Comment ! c’était !…
Un ancien malade à moi, un client, votre jeune homme de ce matin.
Celui de Montauban.
Précisément. Je savais bien que la rencontre vous étonnerait. Il arrivait en effet de Montauban ; mais il venait de plus loin, de Russie.
Comme mon fils.
D’où il n’avait échappé que par miracle ; car ses compagnons d’armes eux-mêmes l’avaient cru mort. Aussi il brûlait du désir de revoir sa famille, sa jolie fiancée, et surtout d’embrasser sa mère.
Comme toi, mon ami.
Et c’est chez moi qu’il était descendu d’abord, pour me prier de me rendre chez elle, et de trouver quelque moyen adroit de la préparer peu à peu à un retour aussi extraordinaire.
Il me semble, docteur, que rien n’est plus aisé.
En effet…
Point du tout. Et c’est là que l’histoire se complique. Ma mission était d’autant plus difficile ? que sa place était déjà prise.
Ô ciel !
Que dites-vous ?
Quelle idée !
Ce n’est pas une idée. Sa place, dans la maison paternelle, était réellement occupée…
Par un imposteur ?
Non ; par un ami qui lui est bien cher ; qui deux fois lui a sauvé la vie ; un ami, qu’une méprise involontaire a jeté au sein de sa famille, dans les bras d’une mère, et qui n’ose s’en éloigner de peur qu’une émotion funeste… (Prenant le bras de madame de Lormoy.) Vous en avez, votre pouls bat plus vite.
Non, non, je vous le jure.
De grâce, achevez.
Et vous aussi. Qu’est-ce que cela signifie ?
Achevez, ou je me meurs.
Non, non, vous ne mourrez point, vous vivrez pour le bonheur ; mais vous réprimerez l’excès d’une joie qui pourrait être fatale à votre mère.
À ma mère !
À celle, du moins, que bientôt vous nommerez ainsi.
Il est donc vrai !… Mon ami, mon frère…
Mon cher Léon.
C’est bien, c’est bien ; je suis content. (Se levant.) Oui : il existe. Je viens de le voir, de l’embrasser, et vous êtes la plus heureuse des mères ! Au lieu d’un fils, vous en avez deux ; car Léon ne vient ici que pour unir sa sœur à son ami Théobald. C’est à cette condition qu’il consent à paraître. (Mouvement de Bernardet.) Et Monsieur (montrant Bernardet) est trop galant homme, pour retarder une entrevue si désirée.
Qui… moi ?… non certainement… (à part) surtout après ce que…
C’est ce que j’ai dit à Léon, qui a dû sortir de chez moi une demi-heure après mon départ, (regardant a sa montre) en sorte qu’en ce moment, il pourrait bien être route.
Vraiment !
Peut-être même est-il dans la rue.
Comment !…
Et tout près de cette maison, où il doit m’annoncer son arrivée par trois coups bien distincts, frappés à la porte cochère.
Ô ciel !
Attendez, pas de fausse joie, ce n’est peut-être pas lui.
Malgré cela, j’ai de l’espoir.
Mon fils, mon ami, mon frère, courons au devant de lui.