Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome cinquième
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NOTES
SUR LE THÉAGÈS.

Séparateur

J’ai eu sous les yeux l’édition générale de Deux-Ponts et celle de Bekker, Ficin et Schleiermacher.

M. Dacier a traduit en français ce dialogue.

Le Théagès est une imitation visible, j’ai presque dit une collection de passages de plusieurs dialogues, comme les Alcibiade, l’Apologie, le Lachès, le Lysis, le Banquet, et surtout le Théétète pour ce que le Théagès a de plus important, c’est-à-dire, ce qui regarde le prétendu génie de Socrate, et les conditions auxquelles le sage Athénien était utile à ceux qui le fréquentaient.

Le fonds de ce dialogue est renfermé dans deux mots, pour lesquels il est difficile de trouver en français deux expressions correspondantes, σοφία et σοφός. D’abord περὶ σοφίας, puis σοφὸς εἶναι, puis τίς ἔστι ἐκείνη σοφία ; σοφιάς. Ensuite τύραννοι σοφοὶ σοφῶν συνουσίᾳ γίνονται, etc. Comment trouver une seule expression ? Schleiermacher traduit très bien : Weisheit, weise Wissenschaft, Unwissenheit. En français, sagesse et sage ne peuvent aller ; car il s’agit plus ici de l’esprit que de l’âme. Science et savant ne suffisent pas toujours. Savant s’applique trop exclusivement à un genre particulier de connaissances. J’ai donc préféré habile pour l’adjectif, et pour le nom, j’ai pris habituellement le mot science, en le variant quelquefois et le plus rarement possible par celui d’instruction, comme dans le titre : Théagès, ou de la vraie instruction.

Page 246. — Tu te plains depuis long-temps de ce que ton père ne te met pas entre les mains de quelque maître, qui te dresse à la tyrannie…
Πάλαι ἐμέμφου τῷ πατρὶ ὅτι σε ἔπεμπεν εἰς διδασκάλου τυραννοδιδασκάλου τινός…

(Bekker, Partis secundæ vol. tertium, p. 267.)

Schleiermacher, blâmant la répétition de τυραννοδιδασκάλου, propose εἰς διδασκαλεῖον τυραννοδιδασκάλου. Mais Bekker conserve avec raison διδασκάλου. Quelque maître, qui serait un maître de tyrannie…

Page 257. — La faveur céleste m’a accordé un don merveilleux qui ne m’a pas quitté depuis mon enfance ; c’est une voix qui, lorsqu’elle se fait entendre…
Ἔστι γάρ τι θείᾳ μοίρᾳ παρεπόμενον ἐμοὶ ἐκ παιδὸς ἀρξόμενον δαιμόνιον· ἔστι δὲ τοῦτο φωνὴ, ἣ, ὅταν γίνηται… (Bekker, 275.)

Nous avons établi dans les notes de l’Apologie que le τὸ δαιμόνιον devait être pris adjectivement et non substantivement. Ici se vérifie cette remarque ; car si τὸ δαιμόνιον voulait dire un démon, il serait assez bizarre d’expliquer un démon par une voix, φωνὴ ἣ…

Je conviens que plus bas, p. 276, on lit ἡ φωνὴ τοῦ δαιμονίου, et Schleiermacher convient aussi que cette fois τὸ δαιμόνιον est pris évidemment pour une personne ; mais il ajoute avec raison qu’on chercherait en vain quelque chose de semblable dans l’Apologie et ailleurs. On peut dire encore que l’imitateur de Platon, auquel nous devons le Théagès, faute d’avoir bien compris le sens délicat du τὸ δαιμόνιον de l’Apologie, a bien pu, comme font ordinairement les imitateurs, gâter l’expression platonicienne en la déterminant trop, et convertir une nuance, légèrement indiquée par un adjectif dans le modèle, en une notion positive et fixe, représentée substantivement dans la copie. Ici, j’ai dû me servir du mot génie, par la même fidélité qui me l’a fait rejeter ailleurs.

Page 260. — Lorsque le beau Sannion…

Serranus, Ficin et Bekker : Sannion, fils de Calos.

Ainsi que Schleiermacher, je ne puis voir dans καλοῦ un nom propre, ce Calos étant entièrement inconnu. En cherchant l’origine de ce sens bizarre, je n’en trouve pas d’autre que la remarque de Serranus, qu’il a trouvé dans un manuscrit καλοῦ écrit avec une majuscule. Est-ce là la raison qui a fait préférer cette leçon à Ficin, à l’éditeur de Deux-Ponts, et à Bekker ? Je ne puis le croire ; Bekker sait mieux que personne que dans les manuscrits les grandes et les petites lettres sont placées arbitrairement, témoins les deux manuscrits de la bibliothèque de Paris, no 1808 et 1809, tous deux du treizième siècle, où καλοῦ est écrit par une majuscule, et Σαννίωνος par une petite lettre.