Théâtre en liberté/Don César
DON CÉSAR
I
UNE AVENTURE DE DON CÉSAR.
Dans ce qui fut ma poche et ce qui n’est qu’un trou,
Pas le moindre liard se heurtant contre un sou !
Votre bruit, ô sequins, vaut le luth et le cistre ;
Une position entre toutes sinistre
Est celle d’un mortel qui n’a dans ses haillons,
Sequins, rien qui ressemble à vos gais carillons.
— Changeons d’habits.
Hein ? quoi ?
Combien veux-tu me vendre ton costume ?
Un costume, ça !
Dis.
Jadis il exista, maintenant il est mort.
À travers ce manteau le vent hideux me mord.
Et je puis à travers mon feutre voir les astres.
Et combien en veux-tu de piastres ? dis !
Par-dessus le marché !
Vous dévoilez, aux yeux du peuple épouvanté
Et malgré ma pudeur en pleurs, ma nudité.
Quelle mine effroyable j’avais !
Ah ! le voilà ! C’est lui ! — Repincé ! — Suis-nous, chien !
Messieurs, c’est une erreur ; mais c’est une aventure.
J’accepte. Je vous suis.
Viens !
La rue est obscure.
Ici, chien !
Charmantes. Souperai-je où nous allons, seigneur ?
Bâillonnez ce garçon d’esprit.
Sbires du diable !
II
Qu’avez-vous, mon très cher ? Qui vous fait à cette heure
Souffler lugubrement comme un marsouin qui pleure ?
Je vous trouve tragique et bête cet été ?
Je l’avoue, ô César, je suis tout contristé
De sentir le lard rance au lieu de la vanille,
Et d’avoir pour chasuble une affreuse guenille
Dont les trous laissent voir ma chair aux curieux.
Pédant !
Et ces prétentions que n’aurait pas un sage
De ne jamais montrer aux gens que son visage !
Mon pourpoint est percé. Je n’en puis mais. Tant pis !
Mais, ô frère de cœur, drapé d’un vieux tapis,
Qu’as-tu, toi ? Fallait-il qu’à ce point je tombasse
De voir Goulatromba marcher l’oreille basse ?
À ces airs éplorés quels malheurs t’ont réduit ?
J’ai, tel que tu me vois, passé toute la nuit
À fouiller, le cœur plein de projets pacifiques,
Les poches de quatorze ivrognes magnifiques.
J’ai trouvé quatre sous. Ma foi ! j’espérais mieux.
Soyons deux grands seigneurs pensifs et sérieux,
Deux philosophes, rois de la machine ronde.
Traitons comme fumier tous les biens de ce monde.
D’ailleurs j’estime heureux le chercheur humble et doux
Qui put ne rien trouver et trouva quatre sous.
III
Les axiomes. — C’est le moyen de causer
D’une façon correcte à la fois et civile.
— Parmi tous les états nocturnes d’une ville,
Je n’en connais, s’il faut dire tout en un mot,
Que trois, que puisse faire un homme comme il faut,
Un gentilhomme, sans qu’à son rang il en coûte ;
C’est : — Amoureux, voleur, et chiffonnier.
Sans doute.
Le premier se compose un peu des deux derniers.
Bah !
Ils vont, fouillant la rue ou forçant murs et grilles,
Dérober des trésors, ramasser des guenilles,
Prendre aux gens ce qu’ils ont, ou, non sans quelque ennui,
Se mettre sur le dos ce que dédaigne autrui.
Les amoureux font-ils autre chose ?
Une femme…
Est guenille ou trésor.
Vous dites vrai.
J’aurais été Platon si je n’étais César.