Textes choisis (Léonard de Vinci, 1907)/Astronomie

Traduction par Joséphin Péladan.
Société du Mercure de France (p. 116-125).

I

ASTRONOMIE


252. — Les auteurs disent que les étoiles ont une lumière propre, alléguant que s’il en était autrement pour Vénus et Mars, quand ils s’interposent entre notre œil et le soleil, ils obscurciraient autant le soleil, que s’ils le cachaient à notre œil. C’est faux, car il est prouvé que l’ombre placée au milieu du lumineux est entourée et couverte de rayons latéraux pour le maintien de telle lumière qui ainsi reste invisible.

Cela se démontre quand on voit le soleil à travers la ramification des plantes sans feuille, à longue distance, les rameaux n’occupent aucune part du soleil à nos yeux.

Il arrive de même aux planètes susdites qui, sans avoir de lumière propre, ne dérobent à nos yeux aucune partie du soleil.

Seconde preuve. — Ils disent que les étoiles dans la nuit paraissent d’autant plus claires qu’elles sont plus élevées et que si elles n’avaient de lumière propre, l’ombre que fait la terre s’interposant entre elles et le soleil, on les verrait s’obscurcir, nous ne les verrions plus, et elles ne seraient pas perçues du corps terrestre. Ils n’ont pas considéré que l’ombre pyramidale de la lune ne parvient pas en excès aux étoiles qu’elle atteint ; la pyramide diminue, selon l’espace qu’occupe le corps de l’étoile, et elle reste illuminée par le soleil.

253. — Si tu regardes les étoiles en évitant le scintillement (comme tu feras en regardant par un très petit trou, fait avec l’extrême pointe d’une fine aiguille et que ce trou soit placé presque à toucher l’œil), tu verras les étoiles si petites que rien ne saurait paraître aussi petit : et vraiment la longue distance affaiblit leur rayonnement, encore que beaucoup soient infiniment plus grandes que la terre et l’eau. Songe à ce que paraîtrait être notre monde, à une semblable distance. Considère ensuite combien d’étoiles pourraient s’intercaler en longueur et en largeur, entre celles que tu vois, si clairsemées dans l’espace nocturne.

Je ne peux m’empêcher de blâmer vivement ces anciens auteurs qui disaient que le soleil n’est pas plus grand qu’il ne parait.

Parmi ceux-là fut Épicure ; il tirait cette opinion d’un luminaire placé dans notre air et équidistant au centre : qui le voit, ne le voit jamais moins grand à aucune distance. (R. 860.)

Les rayons de sa grandeur et vertu je les réserve au quatrième livre. Mais je m’étonne bien que Socrate blâmât ce corps céleste et qu’il le comparât à une pierre enflammée ; et, certes, qui le punit de telle erreur pèche peu.


Je voudrais avoir des mots qui me servissent à blâmer ceux qui veulent louer et adorer les hommes plutôt que le soleil, ne voyant pas dans l’univers un corps aussi magnifique et d’égale vertu.

Sa lumière éclaire tous les corps célestes qui sont dans l’univers ; toute la vie descend de lui : car la chaleur dans les animaux vivants vient du cœur ; et il n’y a dans l’univers aucune autre chaleur ni lumière, comme je le montrerai dans le livre IV.

Et certes ceux qui ont voulu adorer les hommes comme dieux, Jupiter, Saturne, Mars et autres, ont commis une grande erreur. Voyant encore que l’homme soit grand par rapport à notre monde qui paraît une petite étoile, c’est-à-dire un point dans l’univers, et voyant encore les hommes mortels et putrides et corruptibles dans leur sépulture, la « Sphère » et « Marullus[1] » avec beaucoup d’autres louent le soleil. (F. 5, r.)

254. — Épicure dit que le soleil a la grandeur qu’il paraît avoir : donc ce qui paraît être d’un pied, c’est comme si nous le tenions. Il s’ensuivrait que la lune, quand elle obscurcit le soleil, ne serait pas aussi grande qu’elle est. Sachant que la lune est plus petite, elle serait moins d’un pied et par conséquent, quand notre monde obscurcit la lune, il serait moins dudit pied.

Ainsi, le soleil étant d’un pied et notre terre faisant ombre pyramidale sur la lune, il est nécessaire que la lumineuse cause de la pyramide d’ombre soit plus grande que la cause opaque de cette pyramide. (F. 6, r.)

255. — Épicure voit peut-être les ombres des colonnes, reflétées sur les murs placés devant, égales au diamètre de la colonne. Étant donné le concours de l’ombre parallèle de sa naissance à sa fin, il juge que le soleil forme le front de cette parallèle et par conséquent ne doit pas être plus gros que cette colonne : il ne s’avise pas que cette dimension d’ombre est insensible, à cause de l’éloignement du soleil.

Si le soleil était plus petit que la terre, les étoiles dans la plus grande partie de notre hémisphère seraient sans lumière. (F. 4, v.)

256. — Mesure combien de soleils s’intercaleraient dans ce cours de vingt-quatre heures. Si Épicure dit que le soleil n’est pas plus grand qu’il paraît, — prenant le diamètre du soleil en mesure de pieds et que le soleil entre mille fois dans son cours de vingt-quatre heures — il aurait un cours de mille pieds, soit cinq cents brasses, qui est un sixième de mille.

Or, le cours du soleil, dans le jour et la nuit, parcourrait la sixième partie d’un mille et cette vénérable lumière de l’astre aurait cheminé à raison de vingt-cinq brasses par heure. (F. 8, r.)

257. — Du soleil : Ils disent que le soleil n’est pas chaud, parce qu’il n’a pas couleur de feu, mais plutôt blanche et claire.

On peut répondre que lorsque le bronze liquéfié est le plus chaud, il est plus semblable à la couleur du soleil, tandis que refroidi il présente davantage la couleur du feu. (F. 10, r.)

258. — Je prouverai que le soleil, par sa nature, est chaud, et non froid, comme on a dit.

Le miroir concave étant froid, mais recevant les rayons du feu, il réfléchit plus de chaleur que le feu lui-même.

La boule de verre, pleine d’eau froide, envoie au dehors ses rayons, près du feu, plus chauds que le feu lui-même.

Il résulte de ces deux expériences que les rayons venus du miroir concave ou de la boule d’eau froide sont chauds par vertu et non parce que le miroir et la boule sont chauds.

Il en est de même du soleil qui passant par les corps les chauffe au moyen de sa vertu. Et on a conclu que le soleil n’était pas chaud, — lui que la même expérience montre comme un foyer de chaleur : et cela se démontre au moyen du miroir et de la boule qui étant froids absorbent les rayons de la chaleur du feu et en font des rayons chauds parce que la cause première est chaude ; il arrive de même pour le soleil qui, étant chaud, en passant par des miroirs froids reflète grande chaleur.

Ce n’est pas la splendeur du soleil qui chauffe, mais sa chaleur naturelle. (G. 34, r ; F. 34, r.)

259. — Les rayons solaires passent par la froide région de l’air et ne changent pas leur nature, ils passent par des verres pleins d’eau froide et du reste, par quelque lieu transparent qu’ils passent, c’est comme s’ils pénétraient dans l’air même. (F. 85, v.)

260. — La terre n’est pas au milieu du cercle du soleil, ni au centre du monde, mais elle est au milieu de ses éléments qui raccompagnent et lui sont unis. (F. 44, v.)

261. — Les taches que l’on voit à la pleine lune ne varient jamais durant le mouvement que l’astre fait dans notre hémisphère. (F. 85, r.)

262. — Si la lune est dense, elle est pesante et ne peut être soutenue par l’espace qu’elle occupe ; elle devrait donc descendre vers le centre de l’univers, s’unir à la terre, et, à son défaut, ses eaux devraient tomber : ce qui devrait se produire naturellement, ne se produit pas. Car la lune est vêtue de ses propres éléments, eau, air, feu, et se soutient aussi dans l’espace comme fait notre terre, avec ses éléments, dans cet autre espace. Et les corps denses font dans leurs éléments précisément ce qu’ils font dans les nôtres. (R. 902.)

263. — La lune : 1o Rien de très léger n’est opaque.

2o Rien de plus léger ne demeure sous le plus lourd.

3o Si la lune a site au milieu de ses éléments ou non ?

Si elle n’a pas site particulier, comme la terre dans ses éléments, comment ne tombe-t-elle pas au centre de notre système ?

Si la lune n’est pas au milieu de ses éléments et ne descend pas, elle est plus légère que l’autre élément ? Et si la lune est plus légère que l’autre élément, pourquoi est-elle solide et non transparente ? (F. 41, v.)

264. — La lune dense et lourde. Comment se tient-elle, la lune ? (R. 892.)

265. — Rien de dense n’est plus léger que l’air.

Nous avons prouvé que la partie de la lune qui brille est aqueuse, et, tournée vers le corps du soleil, elle reflète la splendeur qu’elle reçoit ; et comme si cette eau fût sans onde, elle paraît petite, mais d’un éclat presque semblable à celui du soleil ; à présent il faut chercher si la lune est un corps lourd ou léger ; s’il est grave, confessons, que sa terre à elle, à tant de hauteur, acquiert un degré de légèreté, — or l’eau est plus légère que la terre, et l’air que l’eau, et le feu que l’air, et ainsi de suite successivement ; il paraît que si la lune avait densité, comme elle l’a, elle aurait gravité ; et ayant gravité, que l’espace où elle se trouve ne pourrait la soutenir et par conséquence elle devrait descendre vers le centre de l’univers et s’unir à la terre. Et si du moins ses eaux venaient à tomber, et à la quitter, et à couler vers le centre, la lune resterait dépouillée et sans lustre. Donc, ne suivant pas la raison évidente, il est manifeste que la lune est vêtue de ses éléments, savoir : eau, air et feu, et en elle et par elle-même se soutient dans l’espace, comme fait notre terre avec ses éléments dans un autre espace, et que c’est office des choses graves dans leurs éléments, comme font les choses graves dans nos propres éléments. (F. 69, v.)

266. — Tout son est causé par l’air répercuté dans un corps dense et, s’il a lieu dans deux corps lourds, c’est l’air ambiant qui les entoure, qui opère, et cette conflagration consume les corps frottés. Donc, il s’ensuivrait que les cieux, dans leur frottement, n’ayant pas d’air entre eux, ne gênèrent aucun son[2].

Et si ce frottement était vrai, les cieux, en tant de siècles qu’ils accomplissent leurs révolutions, seraient consumés par l’énorme vitesse qu’ils déploient chaque jour ; et s’ils faisaient un son, il ne se répandrait pas, puisque le son de la percussion fait sous l’eau se sent peu, et de moins en moins, dès que les corps sont plus denses. Entre les corps lisses, il n’y a pas de frottement et ainsi il ne peut y en avoir dans le contact ou frottement des cieux ; et si ces cieux ne sont pas lisses au contact de leur frottement, ils seront globuleux et rugueux, et dès lors leur contact n’est pas continu, et c’est comme s’ils généraient le vide, lequel n’existe pas dans la nature.

On conclut que le frottement aurait consumé les extrémités de chaque ciel et d’autant plus qu’il serait rapide, plutôt dans son milieu qu’aux pôles. Puis, moins ils se frotteraient, moins le son existerait et leurs rondes s’arrêteraient, si deux ciels tournaient l’un à l’orient et l’autre au septentrion. (C. A. 122. v.)

  1. Spera de Goro Dati, Firenze, 1478. — Liber hymnorum de Michele Tarcaniota (Marulle), Firenze, 1497.

    Chiara splendore et fiamma rilucente
    Sopra tut’altre creatura bella…

  2. Harmonie pythagorique des sphères.