bookTestament de sa vie premièrerecueilli et expurgé par Fagus (Georges Faillet)Librairie Léon Vanier, éditeur1898ParisCTexte entierFagus - Testament de sa vie première, 1898.djvuFagus - Testament de sa vie première, 1898.djvu/9-
L’auteur de cet intéressant florilège est mort ;
c’était un bon garçon, très adolescent d’âge et plus
adolescent de caractère, comme vous verrez ; des
liaisons funestes l’amenèrent à se consacrer aux
besognes d’art, et une logique trop juvénilement
rigoureuse l’obligea de conformer sa vie à l’Esthétique ;
de sorte qu’il sombra dans le pire Anarchisme,
comme vous verrez aussi (Barrès n’avait pas découvert
encore l’antinomie de la pensée avec l’action).
Compromis, il obtint cependant son pardon en
échange de son repentir et de la dénonciation de
quelques camarades, et sous la stipulation de ne se
plus commettre avec la littérature, inconciliable, en
effet, avec une conversion sincère à une société égalitaire
et démocratique, assise sur le suffrage universel.
Il se fit, en conséquence, incorporer dans un journal
patriote, et, aussitôt la condamnation d’Émile Zola,
sans forfanterie comme sans faiblesse, il est allé
chaque matin dans sa boîte aux lettres insérer une
lettre d’injures anonymes, nous proposant ainsi le
consolant exemple :
d’ « Un poète mort jeune à qui l’homme survit ».
Juin 1893.
Sonnet : c’est un sonnet ; il vaut un long poème.
Car il est sans défaut ; mais de plus, observez,
Comme il jongle avec les commandements gravés
Es évacuations du bétail monotrème[1]
Des Sarceys de jadis ! et l’aisance suprême
Du verbe évoluant entre tant de pavés
Stercoraires lâchés par ces mal élevés :
N’est-ce pas un sonnet tel que Boileau les aime ?
Et tant de soins, lecteur, sont pour vous : oui, méchant !
Les règles, je les chéris tant qu’en les touchant
J’ai peur que tombent en poudre ces bonnes vieilles ;
Donc mon intention est de n’en user pas,
Mais tu formulerais, juge aux longues oreilles,
Que c’est par impuissance ; et je prévois ce cas.
DEVOIRS D’ÉCOLIER
PRIÈRE FERVENTE AVANT D’ENTRER
Grand Dieu ! Mon Dieu ! sublime Maître !
Si tu daignes la grâce d’être
Tel que t’ont fait — ou le paraître —
Le Fou, le Poète, le Prêtre,
Si tu t’occupe un peu de nous,
Millions de milliards de poux
Fourmillant, les glorieux fous,
Sur les milliards de grains de boue,
Si tu suis chacune vermine
À la fois — et je m’imagine
Cette omniprésence divine
Si simple, quand on examine ! —
Dieu un sous l’infini des Dieux !
Dieu toujours futur, et plus vieux
Que l’Éternité ! en tous lieux
Manifeste, invisible aux yeux !
Mon imperceptible existence
Égale pour Ta Providence
Tout l’Univers en importance
Ni moins ni plus — et le balance :
Grand Dieu, sois favorable et bon
Envers ton enfant vagabond ;
Aie pitié de son abandon
Et dispense-lui ce seul don :
Non les richesses de la Terre :
Pour mon grand cœur c’est la misère,
Bonheur ni science : j’en sais faire,
Mais, le pouvoir d’être sincère !
— Mais mon destin est arrêté
Depuis toute l’Éternité ;
Toi ni moi n’en pouvons ôter
Rien, comme lui rien ajouter :
Si même, hypothèse impossible.
Absurde, un angle imperceptible
M’allait écarter de la cible
Où m’implante Notre inflexible
Fatalité, l’unique Loi,
Moi, tout l’Univers avec moi
S’effondreraient, et même Toi ;
Grand Dieu, finirions à la fois !
Le Printemps m'a percé le cœur
Et je me meurs avec bonheur
De la frissonnante blessure :
Le Printemps m'a percé le cœur
Et j'en expire de bonheur !
Je deviens femme, je sens bien,
Je rentre au grand Tout féminin.
Nature, l'infinie femelle...
Je deviens femme, je sens bien,
J'ai faim de viols gonfler mon sein...
C'est trop de fleurs, c'est trop de fleurs !
Trop d'exténuantes odeurs...
Ah fadeurs !... je m'y sens dissoudre...
C'est trop de fleurs ! c'est trop de fleurs !
Je sens s'y dissoudre mon cœur !
Mon cœur s'est envolé de moi,
Dispersé dans l’air et les bois...
Mon sang coule avec l'eau des sources...
Mon cœur s'est envolé de moi,
Je ne suis plus rien qu'une voix,
Je ne suis plus rien qu'un parfum,
L'un des mille parfums si fins
Haleine immense de la terre...
Je ne suis plus rien qu’un parfum,
Qui vibre, insaisissable... et rien !...
Je suis bulle d’air voguant dans l’eau de la source,
Bulle de buée d’eau qui balance en la brume
Violette autour du soleil sanglant des soirs
Sous le ciel vert et bleu, lavé de vapeur d’or ;
Je suis encor bondissante odeur en délire,
Dont les brises du crépuscule se parfument ;
Ou l’aérien arc-en-ciel versicolore,
Voltigeante auréole aux fins jets d’eau sonores,
Friable diamant d’eau dans la neige, ou l’écume
Sur la vague dansante et qu’allume la Lune...
↑Monotrème. — Préf. : mono, un seul : grec : trêma, trou. — Zool. : animaux n’ayant qu’un seul orifice pour l’émission de la semence et l’évacuation de l’urine et des excréments.