Traduction par Émile Durand-Gréville.
Hetzel (p. 83-93).


XI


Ces hôtes étaient nos anciennes connaissances, Ostrodoumof et Machourina. Assis dans le petit salon, fort médiocrement meublé, de la maison de Markelof, ils prenaient de la bière et fumaient, à la lueur d’une lampe à pétrole.

Ils ne s’étonnèrent pas de l’arrivée de Néjdanof, car ils savaient que Markelof avait l’intention de l’amener avec lui, mais Néjdanof fut extrêmement surpris de les voir.

Quand il entra, Ostrodoumof lui dit simplement :

« Bonjour, frère ! »

Le visage de Machourina devint subitement tout rouge ; elle lui tendit la main sans rien dire.

Markelof expliqua à Néjdanof que leurs deux amis avaient été envoyés « pour l’œuvre commune », qui devait bientôt se réaliser ; qu’ils avaient quitté Pétersbourg une semaine auparavant ; qu’Ostrodoumof resterait dans le gouvernement de S… pour la propagande, et que Machourina irait à K… pour avoir une entrevue avec un affilié.

Markelof s’exalta tout d’un coup, bien que personne ne le contredît : — les yeux enflammés, se mordant les moustaches, il se mit à pérorer d’une voix émue et sourde, mais distincte, sur les infamies qui s’accomplissaient de toutes parts, sur la nécessité d’une action immédiate ; il affirma qu’en réalité tout était prêt, que le moindre retard serait de la lâcheté ; qu’un recours à la force était indispensable, comme un coup de bistouri dans un abcès tout à fait mûr ! Il répéta plusieurs fois cette comparaison du bistouri ; elle lui plaisait évidemment ; — il ne l’avait pas inventée ; il l’avait lue quelque part. — N’ayant plus l’espoir de voir ses sentiments partagés par Marianne, il semblait n’avoir plus rien à épargner, et ne songeait qu’à hâter le plus possible le moment d’aborder l’œuvre.

Il parlait comme à coups de hache, sans aucun biais, allant droit au but avec une sorte de colère. Pesantes et monotones, les paroles sortaient une à une de ses lèvres pâlies, semblables à l’aboiement rauque d’un chien de cour, vieux et vigilant.

Il déclara qu’il connaissait parfaitement les paysans et les ouvriers de fabrique des environs, et que parmi eux se trouvaient des gens solides, — par exemple Érémeï, du village de Galapliok, — qui seraient prêts à tout sur-le-champ. Cet Érémeï de Galapliok revenait constamment sur ses lèvres. À chaque bout de phrase, il frappait sur la table, non pas avec le plat, mais avec le tranchant de la main droite, en même temps qu’il poussait devant lui l’index de la main gauche.

Ces mains osseuses et velues, ce doigt levé, cette voix creuse, ces yeux en feu produisaient une forte impression. Pendant le trajet, Markelof n’avait guère causé avec Néjdanof ; la bile s’était amassée en lui… elle s’épanchait maintenant. Machourina et Ostrodoumof l’approuvaient du sourire, du regard, parfois d’une courte exclamation. Quant à Néjdanof, il se passa en lui un phénomène singulier. Au premier abord, il essaya de faire des objections ; il rappela les inconvénients de la précipitation, le danger des entreprises prématurées, insuffisamment mûries ; il s’étonna surtout que l’on eût ainsi tout décidé sans aucune hésitation, sans tenir compte des circonstances, sans même se demander au juste ce que le peuple désire. Mais, peu à peu, ses nerfs, tendus comme des cordes, se mirent à vibrer violemment, et alors, avec une ardeur désespérée, presque avec des larmes de rage dans les yeux et des cris et des déchirements dans la voix, il se lança à pérorer dans le sens de Markelof, il alla même plus loin que lui.

Qu’est-ce qui avait produit ce changement ? Il serait difficile de le dire : était-ce le remords de ses dernières hésitations, ou le dépit contre lui-même et contre les autres, ou le besoin enfin d’étouffer je ne sais quel ver intérieur qui le rongeait, ou le désir de faire une manifestation en présence des émissaires qu’il venait de retrouver ? Ou bien était-ce réellement l’influence des paroles de Markelof qui lui avait allumé le sang ?

La conversation se prolongea jusqu’à l’aurore ; Ostrodoumof et Machourina n’avaient pas bougé de leurs sièges ; Markelof et Néjdanof ne s’étaient pas assis. Markelof restait fixe à la même place, absolument comme une sentinelle, et Néjdanof ne cessait de se promener de long en large à pas inégaux, tantôt lents, tantôt rapides.

Ils s’entretinrent des mesures à prendre, des moyens à employer, du rôle dont chacun devait se charger ; ils choisirent et mirent en paquets des feuillets et des brochures ; ils parlèrent d’un certain Golouchkine, riche marchand raskolnik, homme tout à fait sûr quoique fort peu instruit ; d’un jeune propagandiste, Kisliakof, très-intelligent, il est vrai, mais un peu trop vif et trop convaincu de ses mérites ; on prononça aussi le nom de Solomine.

« Celui qui dirige une fabrique ? demanda Néjdanof, qui se rappela ce nom mentionné à table par Sipiaguine.

— Lui-même, répondit Markelof ; il faut que vous fassiez sa connaissance. Nous ne l’avons pas encore tâté, mais c’est un homme sérieux, un homme solide. »

Érémeï de Galapliok vint de nouveau en scène. On y joignit le Cyrille de chez Sipiaguine, et un certain Mendeleïef, surnommé Doutik (le gonflé) ; seulement on ne pouvait pas trop compter sur celui-ci : à jeun, il était brave ; mais après avoir bu il ne valait plus rien ; malheureusement il était presque toujours entre deux vins.

« Et parmi vos paysans, demanda Néjdanof à Markelof, y a-t-il des gens sur qui vous puissiez compter ? »

Markelof répondit que oui ; mais il ne nomma personne ; et il se lança dans des considérations sur les bourgeois des villes et sur les séminaristes, qui, par parenthèse, seraient fort utiles à cause de leur grande force corporelle ; quand ceux-là commenceraient à jouer du poing, oh ! alors, on verrait.

Néjdanof demanda si l’on aurait avec soi quelques nobles. Markelof répondit qu’on en avait cinq ou six, tous jeunes ; — l’un d’eux était même Allemand d’origine et bien radical ; — par malheur, c’est une chose connue, on ne peut pas se fier aux Allemands… Pour un rien, ils vous trompent et vous lâchent ! Du reste, il fallait attendre les renseignements fournis par Kisliakof.

« Et l’armée ? les soldats ? » demanda Néjdanof.

Ici Markelof hésita, tirailla ses longs favoris, et déclara enfin que, de ce côté-là, il n’y avait rien, jusqu’à présent… de décisif… que, du reste, il fallait attendre les renseignements de Kisliakof.

« Mais quel est ce Kisliakof ? » s’écria Néjdanof, non sans impatience.

Markelof sourit d’un air significatif.

« C’est un homme… dit-il, oh ! un homme !… Je dois dire que je ne le connais pas beaucoup, ne l’ayant rencontré que deux fois ; mais quelles lettres il écrit ! quelles lettres ! Je vous les montrerai… Elles sont étonnantes ! Du feu, quoi ! Et quelle activité ! Il a parcouru la Russie de long en large au moins cinq ou six fois… et à chaque station, c’est une lettre de dix, de vingt pages ! »

Néjdanof jeta un coup d’œil interrogateur du côté d’Ostrodoumof ; mais celui-ci ne bronchait pas plus qu’une statue. Machourina, dont les lèvres étaient contractées par un sourire amer, ne bougeait pas davantage.

Néjdanof voulut interroger Markelof sur le plan de réorganisation sociale que celui-ci avait eu l’idée de réaliser dans son domaine. Mais ici il fut interrompu par Ostrodoumof.

« À quoi bon parler de cela à présent ? De façon ou d’autre, il faudra tout refaire après ! »

La conversation revint sur le terrain politique. Le ver intérieur qui rongeait secrètement Néjdanof continuait sa besogne, et plus il rongeait, plus les discours de Néjdanof devenaient énergiques et même impitoyables. Il n’avait pris qu’un verre de bière, et pourtant il lui semblait par moment qu’il était tout à fait ivre. La tête lui tournait ; son cœur s’étirait à coups lents et douloureux. Et lorsqu’enfin, vers quatre heures, la discussion ayant pris fin, les interlocuteurs se furent dispersés, — en évitant de heurter le petit domestique endormi dans l’antichambre, — Néjdanof, avant de se mettre au lit, resta longtemps immobile, debout, les yeux obstinément fixés devant lui sur le plancher. Il entendait toujours résonner à ses oreilles ce son constamment amer qui traversait toutes les paroles de Markelof ; évidemment, cet homme avait été blessé dans son amour-propre par le refus de Marianne ; il ne pouvait pas ne pas en souffrir ; ses espérances de bonheur étaient anéanties, et pourtant comme il s’oubliait lui-même ! comme il se donnait tout entier à ce qu’il croyait être la vérité ! « C’est un esprit borné, pensait Néjdanof ; mais ne vaut-il pas cent fois mieux être un esprit borné comme celui-là, que d’être… que d’être, par exemple, ce que je me sens être dans ce moment ? »

Ici il eut un mouvement de révolte contre sa propre dépréciation de lui-même :

« Mais quoi ? Est-ce que, par hasard, je ne sais pas me sacrifier, moi aussi ? Un peu de patience, messieurs… Et toi, Pakline, tu verras un jour ce qu’un amateur d’esthétique et un faiseur de vers… »

Il rejeta ses cheveux en arrière avec colère, grinça des dents, et, dépouillant à la hâte ses vêtements, se jeta dans son lit humide et froid.

« Bonne nuit ! dit derrière la porte la voix de Machourina. Je suis votre voisine.

— Bonne nuit ! » répondit Néjdanof.

Il se souvint, en ce moment, que Machourina ne l’avait pas quitté des yeux pendant toute la soirée.

« Qu’est-ce qu’elle veut ? » murmura-t-il intérieurement. Puis il eut comme un mouvement de honte. « Allons ! allons ! il faut dormir. »

Mais ses nerfs ne lui obéirent pas… et le soleil était déjà assez haut dans le ciel, quand il finit par s’endormir d’un sommeil lourd et pénible.

Il se réveilla tard dans la matinée, avec un grand mal de tête. Il s’habilla, regarda par la fenêtre de sa chambre et constata que Markelof n’avait pas d’établissement proprement dit. Sa maisonnette était un bâtiment isolé, non loin d’un bouquet de bois. À droite, une petite grange, une écurie, une cave couverte, une isba au toit de chaume à moitié effondré ; à gauche, un étang minuscule, un petit jardin potager, une chènevière et une seconde isba en aussi mauvais état que l’autre ; plus loin, un four à chauffer le grain, une petite aire à battre le blé, et un enclos pour mettre les meules, — absolument vide, — voilà toutes les magnificences qui s’étalaient sous ses yeux. Tout cet ensemble, pauvre et chétif, avait l’air, non d’être abandonné et revenu à l’état sauvage, mais de n’avoir jamais fleuri, comme un arbre qui a mal pris racine.

Néjdanof descendit. Machourina était dans la salle à manger, assise devant le samovar ; vraisemblablement, elle l’attendait.

Il apprit par elle qu’Ostrodoumof était parti pour travailler « à l’œuvre », et ne reviendrait pas avant quinze jours ; quant au maître de la maison, il était allé se joindre à ses ouvriers. Comme mai touchait à sa fin, et que la besogne n’était pas pressée, Markelof avait eu l’idée d’entreprendre avec ses propres ressources l’abattage de son bois de bouleaux, et il était allé de bonne heure se mettre à l’ouvrage.

Néjdanof éprouvait une grande fatigue d’esprit. On avait tant parlé, la veille, de l’impossibilité d’un plus long retard, de la nécessité absolue « d’agir immédiatement… » Mais comment agir ? — et immédiatement encore !

Interroger Machourina là-dessus eût été inutile ; elle ne connaissait pas l’hésitation ; elle savait clairement ce qu’elle avait à faire, — c’était d’aller à K… Elle ne voyait rien au delà.

Néjdanof ne savait que lui dire ; après avoir pris un verre de thé, il mit son bonnet et se dirigea vers le bois de bouleaux. Il rencontra sur son chemin des paysans, anciens serfs de Markelof, qui venaient de mener du fumier aux champs ; il entama la conversation avec eux, sans en tirer grand profit. Eux aussi semblaient fatigués, mais d’une fatigue physique, naturelle, qui ne ressemblait en rien au sentiment qu’il éprouvait.

Leur ancien seigneur, Markelof, était, disaient-ils, un homme pas fier, seulement un peu bizarre ; ils prédisaient qu’il se ruinerait, car « il ne s’entend pas aux choses, il veut tout arranger à sa façon, au lieu de faire comme ses pères. Et trop savant, avec ça ! Faites ce que vous voudrez, pas moyen d’attraper un mot de ce qu’il dit !… C’est un brave homme, après tout. »

Néjdanof continua son chemin et rencontra Markelof lui-même.

Markelof marchait, entouré de toute une troupe de travailleurs ; on le voyait de loin parler, expliquer quelque chose, puis faire de la main un geste qui voulait dire : J’y renonce ! Près de lui se tenait son aide, jeune homme myope dont la tournure n’était guère imposante. Ce dernier répétait constamment : « Ce sera comme vous voudrez, » au grand dépit du patron, qui aurait voulu lui voir plus d’initiative.

Néjdanof aborda Markelof, et vit sur son visage l’expression de la fatigue morale qu’il éprouvait lui-même.

Ils se dirent bonjour ; Markelof se mit aussitôt à lui parler, très-brièvement, il est vrai, des « questions » discutées la veille, de l’imminence d’une catastrophe ; mais l’expression de la fatigue ne disparut pas de son visage. Il était tout couvert de poussière et de sueur ; des copeaux de bois et des brins de mousse s’étaient attachés à son vêtement, sa voix était enrouée.

Les gens qui l’entouraient gardaient le silence. On n’aurait su dire s’ils avaient peur de lui ou s’ils se moquaient de lui intérieurement.

Néjdanof regarda Markelof, et il entendit résonner en lui-même les paroles d’Ostrodoumof : « À quoi bon parler de cela à présent ? En tout cas, il faudra tout refaire après ! »

Un des travailleurs, qui avait commis une faute, pria Markelof de lui faire grâce de l’amende. Markelof commença par se fâcher, poussa des cris de fureur, et puis pardonna.

« En tout cas, il faudra tout refaire après ! »

Néjdanof demanda à Markelof des chevaux et un équipage pour retourner à la maison ; Markelof eut l’air fort surpris de ce désir, il répondit pourtant que tout serait prêt dans quelques moments.

Il retourna chez lui avec Néjdanof ; il chancelait en marchant, comme un homme exténué de fatigue.

« Qu’avez-vous ? lui demanda Néjdanof.

— Je n’en puis plus ! répondit Markelof d’un ton farouche. De quelque manière qu’on parle à ces gens-là, il n’y a pas moyen de se faire comprendre, et les ordres ne sont pas exécutés… Ils ne comprennent pas même le russe. — Le mot « part » leur est très-bien connu… Mais « prendre part »… Qu’est-ce que ça veut dire : prendre part ? Ils n’en savent rien ! C’est cependant du russe, que diable ! — Ils se figurent que je veux leur donner une part de terrain ! »

Markelof avait eu l’idée d’expliquer aux paysans le principe de l’association, et d’introduire ce principe chez lui ; — mais les paysans avaient opiniâtrement refusé. — Après toutes ses explications, un vieux paysan lui avait dit :

« Profond était le trou jusqu’à présent ; et maintenant il l’est tellement qu’on ne voit plus le fond. » Et tous les autres avaient poussé un grand soupir, ce qui avait complètement anéanti Markelof.

Arrivé chez lui, il renvoya tout le monde, et prit des mesures pour faire préparer l’équipage et servir le déjeuner. Tout son personnel se composait d’un « kazatchok »[1], d’une cuisinière, d’un cocher et d’un bonhomme extrêmement vieux, aux oreilles velues, revêtu d’un caftan à longs pans en grosse cotonnade, qui avait été jadis le valet de chambre de son grand-père. Ce vieux bonhomme avait constamment les yeux fixés sur son maître, avec une expression d’indicible tristesse. Du reste, il ne faisait rien, et il était probablement incapable de rien faire ; mais il se tenait toujours là présent à l’appel, assis sur le rebord du perron.

Après le déjeuner, composé d’œufs durs, de petites sardines et d’un hachis de viande et d’oignons (le kazatchok offrait la moutarde dans un vieux pot à pommade, et le vinaigre dans un flacon à eau de Cologne), Néjdanof monta dans un tarantass, le même qui l’avait amené la veille ; mais, au lieu d’une « troïka », il n’y avait plus que deux chevaux ; le troisième boitait ; on l’avait blessé en le ferrant. Pendant ce repas, Markelof était resté presque muet, mangeant peu et respirant avec effort… Il lâcha deux ou trois paroles amères à propos de son domaine, et fit de nouveau un geste de renoncement et de fatigue…

« En tout cas, il faudra tout refaire après ! »

Machourina pria Néjdanof de la conduire jusqu’à la ville, où elle voulait faire quelques achats :

« Quant au retour, dit-elle, je trouverai bien une place dans une télègue ; du reste, rien ne m’empêche de revenir à pied. »

En les accompagnant jusqu’au perron, Markelof rappela à Néjdanof qu’il irait bientôt le voir, et qu’alors… (cette idée le ragaillardit subitement), alors, on prendrait les arrangements définitifs ; il ajouta qu’à cette époque, Solomine arriverait aussi ; que lui, Markelof, attendait seulement un mot de Vassili Nicolaïevitch ; et qu’alors il ne resterait plus qu’une chose à faire… « agir » immédiatement, car la patience du peuple était à bout !

La patience du peuple, du même peuple qui ne comprenait pas les mots « prendre part » !

« À propos, dit Néjdanof, —et ces lettres que vous vouliez me montrer ? Les lettres de… comment l’appelez-vous ?… Kisliakof ?

— Plus tard, plus tard, répondit vivement Markelof. Nous verrons tout ça en même temps. »

Le tarantass s’ébranla.

« Soyez prêts ! » cria une dernière fois la voix de Markelof.

Il était debout sur le perron, et, près de lui, — avec son éternelle tristesse dans le regard, joignant les mains derrière le dos, redressant sa taille voûtée, répandant une odeur de pain de seigle et de vieille cotonnade, et n’entendant rien de ce qu’on disait, — près de lui se tenait le serviteur modèle, le valet de chambre décrépit de son grand-père.

Machourina, pendant le voyage, fuma silencieusement une cigarette. En approchant de la barrière, elle poussa tout à coup un gros soupir.

« Il me fait peine, ce pauvre Markelof… dit-elle, et son visage s’assombrit.

— Oui, répondit Néjdanof, il se donne beaucoup de mal pour rien ; ses affaires n’ont pas l’air de bien marcher.

— Oh ! ce n’est pas pour cela…

— Pourquoi donc ?

— Il est malheureux, il n’a pas de chance !… Où trouver un meilleur que lui ?… Et pourtant… Non, on n’en veut pas. »

Néjdanof la regarda.

« Est-ce que vous avez appris quelque chose ?

— Je n’ai rien appris… Mais chacun sent cela… par soi-même. Adieu, Alexis Dmitritch. »

Machourina descendit du tarantass, — et, une heure plus tard, Néjdanof entrait dans la cour de la maison Sipiaguine. Il ne se sentait pas bien. Cette nuit sans sommeil, et puis toutes ces discussions, tous ces discours…

Un charmant visage le regardait derrière une fenêtre et lui souriait amicalement… C’était Mme Sipiaguine qui accueillait son retour.

« Quels yeux elle a ! » pensa-t-il en lui-même.

  1. Le Kazatchok, — diminutif de Kasak, Cosaque, — est un petit groom.