Tant mieux pour elle/Chapitre 7

Romans et contes, première partie (p. 200-202).


CHAPITRE VII

Qui est très-court, et qu’on trouvera peut-être trop long.


Le Prince Discret, devenu coq-perdrix, fut moins tendre et plus ardent ; c’est prendre un bon parti. La Princesse Tricolore, enfermée dans sa cage, sentit, à n’en pouvoir douter, qu’elle ne feroit pas la bégueule. Le Prince Potiron fit préparer ses armes, et la Fée Rancune ordonna que l’on fît un grand trou. (Le Lecteur touche au grand intérêt.) Le Soleil commençoit à baisser, et le calme du soir, rassurant les habitans des plaines, les invitoit à profiter de leur bonne santé. Potiron partit, arriva, se plaça ; on posa la cage à dix pas de lui, et la Fée Rancune se retira à l’écart. Tricolore, qui connoissoit cette espece de trafic, se promit bien de ne pas donner le plus petit appel : mais chez une perdrix, comme chez bien d’honnêtes personnes, souvent le physique l’emporte.

Tricolore, qui sentoit le coq à cœur-joie, laissa involontairement échapper des kiriques, kiriques. Discret, en cet instant, secoua ses ailes, se redressa, s’éleva sur ses pattes, se rengorgea, tourna autour de la cage, se plaça dessus, en redescendit, alla vis-à-vis la perdrix, passa la tête à travers les barreaux, présenta son bec, et fit des cris d’amour.

Outré de dépit, Potiron le coucha en joue, et tira le déclin : mais tel maître, telle arme ; celle de Potiron fit crac ; il se hâta de réparer la chose ; mais crac encore, et toujours crac. Ah ! maudite arme, ah ! chienne de patraque, s’écrioit-il écumant de fureur ! Tandis qu’il perdoit son temps, le coq ne perdit pas le sien ; il fit si bien, qu’il souleva la porte de la cage, et fut le plus heureux des coqs à la barbe de son rival. Potiron ne pouvoit pas sortir de son trou ; son ventre étoit trop gros, ses jambes trop courtes ; il se mit à crier de toutes ses forces : Hé ! ma chere mere, ma chere mere, venez donc vîte empêcher ce vilain. La Fée Rancune ne fit qu’un saut ; elle avoit déjà la main sur le Prince Discret : mais la Fée Rusée, qui étoit présente, quoiqu’on ne la vît point, rendit dans l’instant son fils invisible comme elle. Rancune le chercha en vain. Madame, dit Potiron, voilà une Princesse qui a bien peu de pudeur. Je l’en punirois, répondit la Fée ; mais on doit respecter son fruit. On la rapporta au Palais, elle pondit ses dix-sept œufs ; il ne s’en trouva pas un de clair : ainsi Tricolore eut dix-sept perdreaux du premier lit, sans avoir cependant perdu ses prémices de Princesse. Un des oracles du grand Instituteur se trouva vérifié. Dès que ses enfans furent revêtus de queues, on les mit en liberté, et la Fée Rusée rendit à la mere sa forme naturelle.

Ah ! Madame, s’écria-t-elle transportée de joie, que je vous ai d’obligations ; mais, de grâce, qu’est devenu votre fils ? La Fée Rusée, à cette question, tomba dans la tristesse, garda le silence pendant un moment, et fit cette réponse : Vous n’en aurez des nouvelles que trop tôt : le grand Instituteur ne se trompe pas ; vous ne pouvez vous dispenser d’ôter la vie à votre Amant, et dès le soir même qu’il mourra, vous serez forcée d’épouser Potiron. Tricolore voulut gémir ; mais la Fée Rusée, qui prévit que cela ne seroit pas amusant, la laissa seule, et fit fort bien. Je l’imiterai, et je ne rendrai pas compte des réflexions de la Princesse. Ce que l’on se dit à soi-même n’est pas toujours bon à dire aux autres.