Tant mieux pour elle/Chapitre 15

Romans et contes, première partie (p. 233-237).


CHAPITRE XV

Remede contre les tranchées.


Apparemment que ce moment étoit critique pour la vertu des femmes. L’appartement ne fut rempli que de pauvres époux qui faisoient des contorsions et des grimaces ; les uns se tenoient le ventre ; les autres, malgré le respect du lieu, tomboient dans des fauteuils. La Reine, qui auroit bien voulu donner la colique au Roi, accourut, en disant : Mais, qu’est-ce que c’est que ça ? Le Roi, sélon sa coutume, ne savoit que dire ; la Fée Rancune enrageoit de tout son cœur, et la Fée Rusée rioit de tout le sien.

Cette premiere attaque cessa, et le calme revint. Toute colique venant de pareille cause, a des intervalles certains. Le grand Instituteur, témoin d’un événement si étrange, dit qu’il falloit remercier les Dieux de tout. Il fit ensuite une dissertation savante sur les coups du hasard. Le Roi, qui l’écoutoit, se souvint, tandis qu’il étoit en train de s’ennuyer, que c’étoit l’heure du conseil. Potiron l’y accompagna. Il s’agissoit ce jour-là d’une affaire importante ; on l’avoit mise sur le bureau. On étoit à prendre les voix, lorsque les tranchées reprirent à Potiron avec la plus grande violence ; les trois quarts des Conseillers tomberent dans la même crise, et l’on vit le plancher de la salle du Conseil couvert de Juges en convulsions, qui se culbutoient les uns contre les autres, et crioient à tue-tête. Potiron l’emportoit sur eux tous, et répétoit alternativement avec le chœur : Ah ! le ventre ! le ventre !

On voyoit les perruques et les bonnets carrés épars ; et cependant la plupart, quoique nu-tête comme des enfans de chœur, n’en étoient pas moins des têtes à perruque. Le Roi envoya chercher le grand Instituteur et son premier Médecin ; ils entrerent au Conseil, précédés de la Reine et des Fées. Sa Majesté fit le rapport de la maladie : le Docteur prétendit que la cause en étoit dans la région du foie ; mais la Fée Rusée le dépaysa, en lui disant : Plus bas, Docteur, plus bas. Elle avoua tout bonnement que c’étoit un tour de sa façon. J’ai parié, dit-elle, que je saurois tous ceux que les femmes joueroient à leurs maris, et j’ai jeté sur eux un charme qui leur donne la colique toutes les fois qu’on les attrape. C’est une petite plaisanterie de société.

Potiron ne put parler, à force de fureur ; il regarda fixement sa mere Rancune ; et après un grand effort, il se mit à crier : Ah ! ma chere maman, je suis..... je suis..... Mais, Madame, poursuivit-il, en s’adressant à la Fée Rusée, il saut être exécrable pour avoir une pareille idée ; comment, toutes les sois que j’aurai mal au ventre.... ce sera une preuve certaine..... Achevez, dit la Fée..... que Madame votre épouse n’aura pas mal au sien.

En ce moment, Potiron fit une grimace ; et le premier Médecin lui dit, en lui tâtant le pouls : Seigneur, vous grincez les dents. Il y a donc à parier, reprit le grand Instituteur, que la Princesse fait un autre usage des siennes. Oh parbleu ! repartit Potiron, je n’entends pas raillerie ; je sais un remede certain : je vais trouver ma femme, je l’enfermerai ; et pour ce qui est de Monsieur son Prince, je lui..... Ah ! chienne, s’écria-t-il en se jetant par terre ! ah ! quels tourmens ! ah ! que je souffre ! ah ! maudite femme !.... De la douceur, mon fils, de la douceur, dit la Fée Rancune, respectez le sexe. Il me paroît, répliqua la Reine, que le Prince Discret prend un meilleur parti. Il s’agitoit de plus en plus ; il étoit tout en nage. Le premier Médecin tira sa montre. Hé ! Monsieur le Docteur, que faites-vous-là, lui cria le pauvre Potiron ? Seigneur, répondit le premier Médecin, je regarde ma montre, pour savoir combien de temps durera l’opération.

Cette attaque ne finissoit point. Mais, Madame, dit le patient à la Fée Rusée, il faut que votre fils ait le diable au corps. Seigneur, repartit la Fée en faisant la petite voix, il a toujours eu la bonté d’être au corps de toute ma famille. Mon fils a le talent de faire durer tant que l’on veut ces sortes de coliques ; c’est pour cela qu’à la Cour il est si fort à la mode. Le Roi des Patagons prit alors son air de dignité, et s’exprima ainsi : Il seroit pourtant à propos de faire cesser cette plaisanterie. Dans ce moment, le grand Instituteur eut l’honneur d’avoir les yeux égarés, et proféra ces paroles sacrées : L’Esprit divin m’inspire ; ces coliques ne cesseront que lorsque la Reine et la Princesse auront recouvré leurs prémices...... Je ne les crois pas dans le chemin, repartit le Monarque. Me voilà décidé incurable, s’écria Potiron.

Non, mon fils, non, mon cher enfant, interrompit la Fée Rancune ; dès qu’il ne s’agit que des prémices de la Reine et de la Princesse, elles les recouvreront, et j’en suis caution. Ma mere, dit Potiron, il faut que vous ayez un grand talent pour les choses perdues. Il y a dans les jardins du Palais, reprit Rancune, une fontaine que j’ai enchantée ; ses eaux ont la vertu de rendre aux femmes ce qu’elles n’ont plus, et aux filles ce qu’elles doivent avoir : mais je vous avertis, continua-t-elle, que la Reine et la Princesse ne reviendront dans cet état qu’à une condition bien différente : il faudra que la Reine en fasse la galanterie au Roi. Je vous en remercie, dit le Monarque ; enfin, je vais donc jouer un rôle. Pour vous, mon fils, poursuivit la Fée, si vous voulez que votre colique se passe, il faut que vous vous détachiez, en faveur d’un autre, du nouveau trésor dont votre femme jouira. Pourquoi non, répliqua Potiron : je suis accoutumé à cela.