Tandis que la terre tourne/Quand le soir ramenant la lune


QUAND LE SOIR RAMENANT LA LUNE


Quand le soir ramenant la lune par la corne
Me verse sa clarté laiteuse d’argent blond,
Mon âme se répand sur la campagne morne
Et pleure le jour mort dont se glace le front.
Près de moi, mon cheval ayant ployé son aile
Goûte un plaisir terrestre aux finesses du foin ;
L’étoile en clignotant jette son étincelle,
Mais l’heure est étrangère et partout je suis loin.
Que je suis loin, soleil, de ton foyer de flèches,
Beau mage à barbe d’or ignorant mon destin

Et dans ma gorge en feu le flot des larmes sèches.
J’ai pourtant comme toi déroulé mon matin ;
Je connais que ma force est égale à la tienne,
Que mon amour d’aurore embrasse l’horizon
Et que du plus lointain passé qu’il me souvienne
J’ai parcouru la sphère où tournent tes saisons.
Mais parce que je suis sur un chemin de glèbe
Et que tu vas ramant ta barque sur l’azur,
Je dois manger le pain besogneux de la plèbe
Et sentir que le front sur l’esprit est un mur.
Alors, je me retourne et regarde Pégase,
Ce bon cheval humain que je baise sur l’œil,
Et je lui dis : Pourquoi le matin tant d’emphase,
Pourquoi le vol hautain, la pensée et l’orgueil ?
Comme Titania près de sa tête d’âne,
Ne dois-je pas plutôt t’enguirlander de fleurs,
Tandis que le criquet que la chaleur basane
Craquètera dans l’herbe où brûlent des odeurs ;
Tandis que dégageant son urne de la tige,
La campanule mauve et débordante d’eau
Dans le vent bercera son délicat vertige ;
Tandis que le berger qui longe le coteau,

Soufflant un air discret et tendre sur sa flûte
Fera danser l’abeille et le sylphe léger
Et que mon corps plongé dans l’allégresse brute
Aura l’esprit de rire à l’instant passager.