Tandis que la terre tourne/Non, vous ne ferez pas


NON, VOUS NE FEREZ PAS…


Non, vous ne ferez pas qu’avec ses grappes d’hommes
Qu’elle gorge du miel odorant des vergers
Lorsque l’amour se grise à mordiller des pommes
Sous le dôme de l’air accablant comme un faix ;
Non, vous ne ferez pas qu’avec l’art de la rose
Et le néant lunaire assis au fond des puits,
La terre pour mon cœur amer soit autre chose
Qu’un fruit qui se balance à l’espalier des nuits.

Dès mon matin, juché sur la tour la plus haute,
J’ai mesuré ma taille et sondé l’infini,
Je fus l’arbre captif agriffé sur la côte
Et l’oisillon perclus dans l’étouffoir du nid.
Pris du vertige fou de la profondeur bleue,
J’ai laissé ma raison tituber dans l’éther ;
J’ai rêvé de saisir la comète à la queue
Et d’approcher Vénus où clignote un feu vert.
Je fuirai sans avoir sur les monts de la lune
Cherché parmi les rocs des coquillages morts
Et, poursuivant son vol pesant et sa fortune,
L’astre s’éloignera jaloux de ses trésors.
Je ne m’asseoirai pas au clos de la Grande Ourse
Dont le lopin d’azur hante mes soirs d’été ;
Comme un cheval lancé dans l’arène à la course,
Je tournerai toujours dans mon humanité.
Il faudra n’avoir vu de l’univers immense
Que sa miniature en larmes sur la nuit,
N’avoir eu qu’un soleil pour nourrir l’abondance,
Puis rentrer dans la mort comme dans un étui.
Il faudra n’avoir vu que ces pâles fontaines,
Que ces prés, que ces bois, que ces hommes pareils

Qui brouettent, Gallus bouffis, leurs panses naines
Et tombent sans émoi dans les bras du sommeil.
Il faudra, mol fantôme au demi-jour d’un rêve,
Se glisser comme aux flancs des monts une vapeur,
Avec l’illusion qu’on flotte, qu’on s’élève,
Qu’on reçoit un baiser, qu’on respire une fleur.
Il faudra ne sentir que cette somnolence
Du végétal placide à sa bourbe attaché
Et n’avoir dans les yeux pas d’autre clairvoyance
Que n’a la rose aveugle où l’insecte est couché.