Tandis que la terre tourne/Cybèle

Tandis que la terre tourneMercure de France (p. 91-93).


CYBÈLE


Le matin réveillé pose sur la lumière
Le baiser puéril de la rose trémière ;
Les bouquetins hardis piétinent sur les foins

Et l’énorme Cybèle, aux seins gorgés de sève,
Attentive au bourgeon qui s’accroît et s’élève,
Allaite les petits des bêtes dans les coins.

Par elle, les grillons sont joyeux sous les mottes,
L’abeille de pollen empoussière ses bottes,
La campanule blanche ouvre son gosier d’or ;


Le concombre lourdaud rampe sur son feuillage
Et l’escargot mouvant son toit de coquillage
Allonge un œil cornu, bave une mousse et sort.

Déjà vers le poirier la vigne qui s’élance
Porte sur ses rameaux la grappe dont l’enfance
Laisse un espace au jour entre les petits grains ;

Les poissons du ruisseau nagent, lavés d’eau claire,
Et Cybèle sourit de voir danser sur l’aire
L’Amour qui fait jouer le ressort de ses reins.

Avec la capucine, avec la sauterelle,
Tu me tiens sur ton flanc, bonne mère Cybèle,
Tu verses dans mes yeux le feu du ver luisant ;

Tu fis comme le fruit ma gorge ronde et mûre,
Tu lustras mes cheveux pareils à ma ramure,
Dans tes bras j’ai fleuri la ronde de mes ans.


J’ai goûté le baiser au creux de ton aisselle ;
Sur ta bouche j’ai pris la pêche et la prunelle ;
J’ai pressé ta mamelle et ta sève de lait.

Et c’est toi qui cloras ma lèvre violette
Et, maternelle encor, qui prendras mon squelette
Dans ta robe de terre avec l’herbe et le blé.