Tandis que la terre tourne/Ai-je pu t’appeler de l’ombre


AI-JE PU T’APPELER DE L’OMBRE…


Ai-je pu t’appeler de l’ombre vers le jour,
Sachant qu’il est si peu d’allégresse et d’amour,
Que le soleil qui luit sur l’azur n’a pas d’âme
Et que sous son regard dévoré par la flamme
Dort l’éternelle nuit ?

Ai-je pu désirer pétrir une chair frêle
Et lui communiquer la fureur de mon aile
Quand je me tords les bras dans l’horizon réduit
Et quand la mort est là cachant derrière l’huis
Ses nudités amères ?


Tu devras tout apprendre, et tes yeux étonnés,
Pleins d’ivresse d’abord de voir et d’être nés
Comme des fleurs de mars aux doigts de la lumière,
Tes yeux s’émerveillant de la douceur première,
Riront à l’infini.

Tu croiras que l’oiseau qui pille les cerises
Poursuit pour ton bonheur le pas glissant des brises
Dans le ciel glacé d’or où l’astre pend son nid,
Tu croiras que la lune est un galet poli
Pour servir d’amusette.

Mais de l’ordre apparent bientôt tu comprendras
Le triste agencement, les vernis, les plâtras.
En son lustre la fleur te paraîtra moins nette,
Tu connaîtras que l’être est pris par la tempête
Comme un grain dans le vent.


Alors tu me diras : — Qu’avez-vous fait, ma mère ?
J’inclinais au repos, l’obscurité légère
Recueillait sans savoir mon germe inconscient
Et pour moi vous avez éclairé le néant…
— Qu’ai-je fait, mon enfant ?