Tailleur pour dames/Acte III
ACTE TROISIÈME
Scène première
Moment de silence.
Ca ne fait rien, monsieur !
On a sonné ! Qui est-ce ? (Appelant.) Étienne !… Eh bien, Étienne ?
Monsieur ?
Qui est-ce qui a sonné ?
Oh ! C’est rien !
Comment, rien ?
Non, c’est un malade qui venait pour une opération… Il m’a demandé si monsieur y était… Je lui ai dit que oui… Alors il m’a dit que ça ne lui faisait plus mal et il est parti.
L’imbécile ! Eh bien, alors, quand ce n’est personne, on vient dire : « Monsieur, c’est personne ! »
J’ai pensé que c’était inutile.
C’est bien, allez.
Monsieur est soucieux, je comprends ça. Je l’avais bien dit à monsieur ! Voilà une nuit de bal à l’Opéra qui ne lui aura pas porté bonheur. Aussi, étant donné qu’on fait les choses, il faut les faire proprement.
Hein !
Monsieur aurait dû me dire : Étienne, je vais au bal… Je me serais mis dans le lit de monsieur.
Dans mon lit…
Oh ! monsieur ne me dégoûte pas (Moulineaux hausse les épaules.) J’aurais changé les draps, voilà tout ; et les apparences auraient été sauvées.
Non, mais où peut être ma femme ?
Oui !… C’est ce que nous nous demandions tout à l’heure à l’office.
Dans une heure, il y aura vingt-quatre heures qu’elle aura quitté le domicile conjugal.
Oh ! monsieur, si ça pouvait s’arranger ! hein ?… Tâchez que cela s’arrange…
Ah !
Oh ! si, monsieur… pour moi ! monsieur fera bien cela pour moi… Je déteste quand on broie du noir autour de moi !… je suis une sensitive, monsieur… alors, je broie aussi et j’aime pas ça.
On a sonné.
Ça ne fait rien.
Comment, ça ne fait rien ?
Non, on n’entrera toujours pas sans que j’ouvre. Alors… c’est convenu ? pour moi ?
Oui, c’est bon ! allez !…
Merci. (Il tend la main : voyant que Moulineaux ne lui donne pas la sienne, il serre dans le vide.) Merci !
Et vous savez, hormis ma femme, je n’y suis pour personne.
Personne ?…
Quand ce serait le pape !… personne.
Scène II
Non, monsieur, monsieur n’est pas là.
Allons donc ! Le concierge m’a dit qu’il y était.
Et moi, c’est monsieur lui-même qui vient de me dire qu’il n’y était pas… Il doit mieux le savoir que le concierge.
Oui ? Eh bien, dites-lui que c’est M. Aubin…
Il m’a dit : quand ce serait le pape… Vous n’êtes même pas le pape.
Non. Mais j’ai absolument besoin de le voir à cause de ma femme.
Eh bien, lui, il ne veut voir personne à cause de la sienne.
Pourquoi cela ?
Oh ! ça, ce sont des choses qui ne doivent pas sortir de la maison… Les secrets des maîtres, ça ne regarde qu’eux… et les domestiques… Et moi, vous savez… la discrétion même… Vous viendriez me dire : Étienne, est-ce vrai que ça branle dans le ménage depuis quelques jours ?… que monsieur a passé l’autre nuit dehors ? Est-ce vrai que cette nuit… chose bien plus grave… c’est madame qui n’est pas rentrée et qu’on l’attend toujours ?… je vous répondrais : non, non, non, je ne sais pas ce que vous voulez dire.
Ah ! madame Moulineaux n’est pas rentrée au domicile conjugal ?
Oh ! comment le savez-vous ?
Vous venez de me le dire !…
Moi ! (À part.) Il a de l’aplomb.
Pas rentrée ! C’est comme ma femme… Après le scandale d’hier, je ne l’ai pas revue… C’est incroyable !…
Ah ! la dame de monsieur aussi… Il paraît que c’est contagieux, alors.
Mais ça ne peut pas durer ; je sais qu’elle doit venir, aussi ai-je eu l’idée de venir ici… Je sais que c’est vers ces heures-là qu’elle doit aller chez le docteur…
Oh ! mais vous savez, pour votre dame comme pour tout le monde aujourd’hui, c’est porte close… tant que monsieur n’aura pas retrouvé madame… (On sonne.) On a sonné. Je vous demande pardon…
Il n’y a pas à dire, il faut que j’aie une explication avec ma femme… Je désavouerai Rosa, voilà tout !
Scène III
Monsieur… justement ce sont ces dames… Je vous conseille de vous en aller.
Quelles dames ?
Madame Moulineaux et sa mère.
La femme du docteur ! Vraiment ! il a de la chance, elle revient, elle !
Monsieur Moulineaux ! Allez le prévenir que je suis là, moi, madame Aigreville.
Madame Aigreville ! Sa Majesté !…
J’y vais. Ah ! Monsieur va être bien heureux !
C’est son affaire ! Mais ça m’étonnerait !
Sa Majesté… Madame Aigreville ? Ca n’est pas clair !… (À madame Aigreville.) Je vous demande pardon. Alors vous n’êtes pas…
Quoi donc ?
La reine du Groënland !
Moi ! la… (Elle rit.) C’est son eczéma qui lui remonte.
Non ?… mais alors j’ai pris des vessies pour des lanternes.
Hein !
Euh ! non, ce n’est pas ce que je voulais dire. (Saluant.) Mon Dieu, madame, je vois que vous aurez sans doute à causer avec le docteur ! Je me retire.
Monsieur !
Madame ! (À part.) Charmante, la femme du docteur !
Et toi, tu sais, pas de faiblesses !
N’ayez pas peur, maman !
Scène IV
Enfin, Yvonne ! Ah ! dans quelle inquiétude tu m’as mis ! (no 3).
Arrière, monsieur… (no 2).
Hein !
Ne vous méprenez pas sur le motif de notre présence ici !
Mais…
Ah ! vous avez cru que cela se passerait ainsi ! Non ! Je sais quels devoirs mon rôle de mère m’impose !…
Aïe !… Si elle s’en mêle !
Mon gendre, puisque tant est que vous l’êtes, je vous ramène votre femme.
Hein ! Ah ! belle-maman, voilà un beau mouvement !
Arrière donc !… Ce n’est pas comme vous l’entendez !… Nous avons longuement réfléchi, ma fille et moi, et voici ce que nous avons décidé.
Parbleu, si votre fille vous a écoutée, ça va être joli !
Il n’y aura plus rien de commun entre votre femme et vous…
Là… qu’est-ce que je disais ?
J’avais d’abord pensé à me retirer avec ma fille chez moi… C’est ainsi que nous avons passé cette nuit au Grand Hôtel… chambre 432… au quatrième sur la place. Mais il ne convient pas que nous soyons livrées aux commentaires du monde. Ma fille vivra sous le même toit que vous ! Pour sauver les apparences.
Oui ? Oh ! bien, je me charge bien, une fois seul avec ma femme…
Et j’habiterai avec elle !…
Hein !
Pour être son conseil et son défenseur.
Ah bien ! ça va être gai !
Nous ferons absolument ménage à part, nous prendrons chacun une moitié de l’appartement. (Montrant l’appartement de Moulineaux.) Ceci, côté des hommes… Ceci côté des dames, ici, salle mixte !
Oui, pour les parlementaires…
Voilà comme j’entends régler notre existence et apporter la paix dans le ménage.
Ah bien ! je vous fais mon compliment… (Éclatant.) Mais c’est fou, voyons !… On n’a pas idée de ça ! car enfin, que me reproche-t-on, au bout du compte ?… Oui, enfin, dis-le, Yvonne, que me reproches-tu ?
Moi ?
Ne réponds pas, Yvonne !
Ah ! bien ! vous allez la laisser parler, vous, par exemple !…
Pas d’emportement, monsieur !
Comment, monsieur, vous avez le front de me demander ce que j’ai à vous reprocher ?
Oui, il a le front…
Je ne vous parle pas, à vous !…
D’abord, je vous prie de parler plus poliment à ma mère.
Ce sera bien pour vous, par exemple… Eh bien ?
Comment, je vous surprends dans un magasin de couture en tête à tête avec une femme, l’étreignant contre votre poitrine.
Pardon, elle n’était pas à moi !
Qui ?
La femme ! On venait de me la passer.
Vraiment, et c’est pour cela que vous la serriez dans vos bras ?
Moi ? oh ! non, si tu avais regardé… je ne serrais pas !
Je vous dis que vous la serriez dans vos bras et elle s’y trouvait mal !…
Ah ! tu vois bien… elle s’y trouvait mal… Voilà qui te prouve suffisamment…
Allons donc… vous courez après les couturières…
Et vous me les présentez comme des clientes !…
Mais non, ça, c’est autre chose ! Ne mêlons pas. (À madame Aigreville.) La femme que vous avez vue, c’est madame Aubin, la femme de M. Aubin. Tandis que l’autre…
C’est la femme à qui ? (no 1.)
À M. Aubin.
Oui ? Alors il est bigame ?
Voilà !… Euh, mais non, mais non ! oh ! il n’y a pas moyen de s’entendre ! (À madame Aigreville.) Aussi c’est vous qui embrouillez les choses. De quoi vous mêlez-vous, après tout ! Est-ce que ça vous regarde ?
Comment, de quoi je me mêle !
Vous vous immiscez là dans notre vie privée… Ce n’est pas vous que j’ai épousée, n’est-ce pas ? Donc, je n’ai d’explications à donner qu’à ma femme et je n’ai pas besoin de vous.
N’espérez pas que je vous laisse avec Yvonne !… Merci ! la pauvre enfant, dans vos filets !
Dans mes filets ! dans mes filets !… Les grands mots !… Je vous dis que je veux causer seul avec ma femme, il me semble que j’en ai le droit !
Non !
Oh !
Ma mère, consentez à ce qu’il demande… Que monsieur n’ait rien au moins à nous reprocher !
Mais je te connais, tu vas te laisser entortiller !
Ne craignez rien.
Soit, je vous laisse. Vous ne direz pas que je n’y mets pas du mien… Et toi, ne plie pas !… (À part.) Ah ! la pauvre enfant ! dire que si je n’étais pas là… elle serait déjà réconciliée !… (Faisant la moue à Moulineaux.) Hou !
Scène V
Écoute, Yvonne, oublie un moment que tu as une mère et crois-moi… Ces deux femmes, c’est le secret de M. Aubin et pas le mien. Je ne les connais pas… Quand je te dirai que ce sont deux… deux sujets, là… J’ai été appelé là-bas comme médecin… pour un cas pathologique très curieux… de la médecine comparée. Je ne peux pas t’expliquer cela, c’est de la science, il faut des études spéciales. Mais crois-moi, c’est absolument fini… Tu m’as surpris en train de faire une expérience… Elle n’a pas réussi !… et je l’ai abandonnée.
Cela vous est facile à dire à présent !
Est-ce que c’est bientôt fini ?
Mais non… Quand ce sera fini, on vous appellera.
Ne le crois pas, tu sais !
Peste, va ! (À Yvonne, très doux.) Je t’assure que tout ce que je te dis est vrai. (À part.) Il est des cas où un galant homme a le devoir d’altérer la vérité.
Oh ! si je pouvais vous croire !
Mais crois-moi donc !
Oh ! ce serait si bon, la confiance !… mais voilà, je ne peux pas… vous devez me mentir.
Mais non, qu’est-ce qui te fait croire ça ?
C’est maman !
Ah ! ta mère… ta bonne petite mère… Mais ça n’est pas une raison, ta mère !…
Alors vous oseriez prêter serment… ?
Mais…
Oh ! pour convaincre ma mère… Jurez-moi que vous me dites la vérité…
Elle est assommante, sa mère ! (Levant la main.) Je jure que c’est la vérité ; toute la vérité, rien que la vérité… (À part.) Oh ! ça, oui, par exemple.
Oh ! merci… Alors la dame avec qui je vous ai vu, vous ne la connaissez pas ?
C’est-à-dire que si tu me trouves encore avec elle, je te permets de penser ce que tu voudras ! là ! Tu pardonnes ?
Oh ! non… non, pas comme ça… plus tard… Quand maman sera partie.
Embrasse-moi, au moins !
Ah ! ça, c’est autre chose.
Scène VI
Oh ! Machin est l’amant de la femme du docteur !…
Tu es un ange !
Alors vous serez bien raisonnable, et vous ne ferez plus comme l’autre nuit… Au lieu de la passer ici, gentiment… où avez-vous été ? Oh ! nous nous expliquerons à ce sujet !
Oh !
Tu n’auras jamais plus rien à me reprocher.
Oh ! je vous reproche d’être un mauvais mari, de ne pas bien aimer votre femme.
C’est toi qui n’aimes pas ton mari !…
Ah ! ça, c’est nouveau, par exemple. (Haut.) Hum ! C’est moi… j’arrive, je n’ai rien entendu…
Lui !… Sapristi !… il va tout gâter !… (Haut.) Euh ! je vous présente madame Moulineaux.
Oui, oui, je sais… j’ai bien vu !… (Il rit en saluant.) Ah ! ah ! mon gaillard ! mes compliments.
Qu’est-ce qu’il a ?…
Et comment ça va, à part ça ?… Vous êtes-vous occupé de nous ?
Oui, oui, certainement. (À part.) Je sens la bombe, je sens la bombe !
Vous avez commencé la robe de ma femme ?
Hein ! oui… parlons d’autre chose : avez-vous été à la Chambre, aujourd’hui ?
Quelle robe, mon ami ?
Rien, une robe de chambre… C’est-à-dire, non… une robe que j’ai commandée pour sa femme, une robe de santé.
De santé ?
Oui, une robe homéopathique… avec de l’électricité dedans… C’est encore de la science… (À part.) Oh ! si je pouvais le faire entrer sous terre.
Oh ! cela me paraît louche !
Mais non, tu ne vas pas encore te mettre des idées dans la tête ?…
Il la tutoie devant moi ! il n’a aucun tact.
Ne sois donc pas soupçonneuse !… aie toujours confiance en moi… Qu’il te suffise de savoir que je n’aime et n’aimerai jamais que toi !
Oh !
Scène VII
Ciel ! le mari !
Puisque je te répète que je t’aime, je t’aime, je t’aime !
Ah ! charmant !
Eh ! monsieur Machin ! monsieur Machin !
Yvonne ?
Mais, voyons, pas devant tout le monde !
Quoi ? je n’en rougis pas.
Ça, c’est le comble ! Et l’autre qui ne bronche pas… (Voyant Bassinet se diriger vers Moulineaux.) Ah ! si.
Eh bien, dites donc ! je suis là, moi, vous savez !
Il éclate, ça va être terrible !
Hein ? Quoi ?
Eh bien !… bonjour ! Vous ne me dites pas bonjour ?
Ah ! bonjour, bonjour !
Hein ! et voilà tout… (À Moulineaux.) Comment M. Machin !…
Machin ! Pourquoi t’appelle-t-il Machin ?
Hein ? tu crois qu’il m’a appelé… C’est possible ! il est si mal élevé… (À part.) Si je n’emmène pas Yvonne, il va mettre les pieds dans le plat ! (Haut.) Je crois que ta mère t’appelle.
Mais non.
Mais si, mais si… Allons, viens… tout à l’heure…
Scène VIII
Moment de silence. — Aubin et Bassinet se regardent. — Puis Bassinet indique du doigt la porte par où est sorti Moulineaux et tous deux éclatent de rire.
Non, il est cynique ! (À Bassinet.) Et vous ne dites rien ?
De quoi !
Hein ! de… de rien ! (À part.) Il est donc sourd ?
Dites donc, je crois que nous les avons dérangés !…
Oui, je… (À part.) Non, mais dans quel siècle vivons-nous ?
Ils sont gentils !
Très gentils ! très gentils !… (À part.) Il n’a aucun sens moral !… (Haut.) Mon cher, je ne suis pas bégueule, mais je ne comprends pas que vous ne surveillez pas plus votre femme…
Ma femme ! (À part.) Il est décousu. (Haut.) Dam ! laissez-moi le temps.. Je ne l’ai retrouvée que depuis hier.
Ah ! vous ne l’avez retrouvée…
Oui. (À part.) À propos de quoi me parle-t-il de ma femme ?… (Haut.) Il faut vous dire qu’elle m’avait planté là.
Pour le couturier…
Non, pour un militaire.
Ah ! aussi !… (À part.) Oh ! mais c’est une gaillarde !
Il y avait un temps infini que je la cherchais, quand hier, au moment où je m’y attendais le moins, v’lan ! je la trouve dans les bras de qui ?…
De M. Machin ?
Machin !… précisément. Comment savez-vous ?…
Ah ! ce n’est pas malin à deviner. (À part.) Il est admirable de philosophie, le mari !
Quand elle m’a vu, de bonheur elle m’a giflé… Ah ! je suis bien content !
Oui, battu et content… Ca ne m’étonne pas !
Non, c’est Moulineaux qui sera étonné quand je lui présenterai ma femme tout à l’heure…
Scène IX
Là, c’est arrangé !… j’ai fait à peu près entendre raison à belle-maman ! (À Bassinet.) Bonjour, mon cher, je vous demande pardon, tout à l’heure, je vous ai reçu un peu en l’air…
Oh ! je comprends très bien, ça ne fait rien…
Ah ! vous êtes encore là, vous ?
Oui, j’ai un mot à vous dire.
Je vous demande pardon…
Faites donc, ne vous gênez pas pour moi…
C’est que c’est personnel…
Ah ! parfaitement.
Je vais vous dire, j’attends ma femme, c’est l’heure de sa consultation, et comme je ne l’ai pas revue depuis hier…
Ah ! fichtre !
Vous dites…
Non, je dis ah ! fichtre !
Ah ! bien, je l’ai dit aussi, moi : « Ah ! fichtre » ! Seulement ça n’avance à rien et je voudrais arranger cela, parce que c’est trop bête !… Seulement, voilà, comment lui faire avaler Rosa ?…
Oui ! diable !
Oh ! quelle idée !… vous ne me contredirez pas ?…
Mais non, voyons, entre hommes !
Je dirai que Rosa… était votre maîtresse.
C’est ça !… hein ! non, qu’est-ce que vous dites ! Jamais de la vie !
Qu’est-ce que ça vous fait, il n’y aura qu’elle qui le saura ?
Merci ! ça suffit.
Machin, cher M. Machin !…
Je vous dis que c’est de la folie… Non, non je ne le peux pas… Merci, que dirait madame Moulineaux ?
Ah ! vous croyez que…
Dam… mais adressez-vous à un autre !
À qui ?
Eh bien, je ne sais pas. (Bassinet chantonne, et attire l’attention de Moulineaux qui l’indique à Aubin.) À lui, par exemple. (Aubin fait un geste de révolte.) Quoi ? ça n’a pas d’importance !
Oh ! à lui !… et vous croyez que madame Moulineaux ne dira rien…
Qu’est-ce que vous voulez que ça lui fasse ?
Quelle morale, mon Dieu, quelle morale !… Enfin je veux bien, moi…
Tenez, voilà monsieur qui a quelque chose à vous demander !
Oh ! voulez-vous me rendre un grand service ?
Moi ?
Oh ! un grand ! un immense !
Diable !… c’est que… nous sommes à la fin du mois et…
Ca ne vous coûtera rien !
Ah ! allez !
Je suis en ce moment-ci très mal avec ma femme… Elle m’a pincé avec ma maîtresse !…
Oh ! c’est bête, ça !
Stupide ! (Sérieux.) En un mot, elle va venir ici tout à l’heure. Vous connaissez ma femme. Eh bien ! vous lui direz que madame de Saint-Anigreuse est votre maîtresse.
Ah bien ! ça c’est une idée !
Oui !
Seulement elle est mauvaise !
Ah ! vous n’allez pas me refuser ça ?
Parfaitement !
Acceptez… il est président de plusieurs sociétés en formation… Il peut avoir besoin d’immeubles !
Oui ?… (Résolument.) J’accepte !
Oui ?
Cela n’engage à rien ?
À rien !
Et dites-moi… hum ! elle est jolie ?
Qui ! la… ? Très jolie.
Une farceuse ?
Oui, assez.
Une cocotte, enfin ?
Oui, mais très bien… d’ailleurs, voici sa photographie. (Il tire une photographie de son porte-feuille et la remet à Bassinet.) Vous la montrerez à ma femme pour plus de vraisemblance.
Scène X
Madame Aubin !
Ma femme !… Chut ! cachez ça. (À part.) Il était temps !…
Bonjour, chère madame.
Bonjour Suzanne.
Vous ici, monsieur ?… C’est bien, je n’ai qu’à me retirer !…
Suzanne !… écoute-moi !… je te jure que je suis innocent…
C’est bien, monsieur, vous expliquerez cela aux tribunaux, quand il en sera temps !
Aux tribunaux ?… Mais jamais de la vie… Voyons, expliquons-nous… Tout notre malentendu est le résultat d’une méprise. Tu m’as surpris avec une dame, oui ! Je ne la connais pas, moi, cette dame… La preuve, c’est qu’elle est à monsieur. (À Bassinet.) N’est-ce pas ?
Oui, oui… oui, oui, oui !
Tu vois ?
À d’autres, monsieur !
Ne soyez pas cruelle, madame !
Voyons, Suzanne, crois-moi. Je t’assure que tu t’es trompée ! (Bas à Bassinet.) Montrez la photographie, c’est le moment !
Oui.
Scène XI
Madame Bassinet !
Eh ! arrive donc !
Dieu ! la maîtresse de mon mari !
Je vous présente…
Ciel ! Rosa !… Quel pétrin !…
Qu’est-ce qu’il a ?… (À Moulineaux.) Mon cher Moulineaux. Je vous présente ma…
Ah ! mon Dieu !… Rosa ici ! Filons !
Eh bien ! qu’est-ce qu’ils ont ?…
Ils ne sont guère polis !…
Ne fais pas attention, c’est la surprise ! (Remontant. À Suzanne.) Madame, voulez-vous me permettre de vous présenter…
Je ne vous connais pas, madame !
Hein !… encore ?…
Scène XII
Oui… euh ! elle n’a peut-être pas bien compris ! (Yvonne paraît, 2e plan gauche) Ah ! la maîtresse de la maison ! (À Yvonne.) Madame, permettez-moi de vous présenter…
Vous, ici ?… (À Bassinet.) Oh ! monsieur, vous continuez votre joli métier ?…
Ah, çà ! par exemple, ça dépasse les bornes…
Mais non, ça m’arrive tous les jours.
Et vous ne dites rien ?…
Si… si ! (Il remonte à la porte 2e plan gauche et frappe.) Attends ! va.
Scène XIII
Malheureuse !… Comment, tu te présentes ici, chez moi… mais tu es folle !…
Mais quoi ?… je suis avec mon mari !
Ton mari. Où ?
Mais là, Bassinet ! qui m’a retrouvée hier…
Comment, Bassinet ?…
Qu’est-ce qu’il y a donc ?
Rien !
Rosa, au nom du ciel, pas d’esclandre ! Va-t-en, ma femme est ici…
Ah ! mais vous m’ennuyez tous, à la fin !
Pourquoi lui parlent-ils tous tout bas ?
Scène XIV
Ah ! c’est trop fort, monsieur ! Il ne vous manquait plus que d’amener vos couturières au domicile conjugal !…
Hein ! Ah ! mais non, mais ils y tiennent ! Où ça ? quelle couturière ?
Madame !…
Moi ?…
Non, madame !
Moi !
Il faudrait s’entendre, cependant ?
Pardon, madame est ma femme.
Et madame est la mienne ; je vous prie d’y réfléchir quand vous parlez d’elle !
Sa femme !
Parfaitement !
Sa femme ! et moi qui lui ai remis son portrait ! (À Bassinet.) Dites donc ! Rendez-moi la photographie.
Hein ! la… Ah ! c’est juste.
Oh ! ne la regardez pas !
Bah ! pourquoi pas ?…
Non, je vous en prie !
Oh !
Vlan ! ça y est !
Oh ! c’est drôle, elle ressemble à ma femme… (À Aubin.) Vous ne trouvez pas ?
Hein ! ça… oh ! là non… Elle a bien trop de…
Oh ! si, regardez donc… Vous ne trouvez pas que ça ressemble à ma femme…
Ça ! ah bien !… ça n’a pas assez de…
Enfin, regarde, toi !
Oh ! mon ami, tu es dur pour moi !
Comment, vraiment… au fait c’est vrai… ça ne te ressemble pas du tout.
Comment, alors tout ça c’est donc vrai…
Mais je te le répète depuis une heure.
Ah ! mon cher Anatole…
Va, je te pardonne.
Et moi, me pardonneras-tu ?
Oh ! ne me demande pas pardon, ce serait trop !
Sont-ils bêtes… heureusement que je suis là, sans ça, ça recommencerait demain.
Mon cher mari !
Haigne !!
Son mari… mais alors le docteur Moulineaux…
Euh ! le docteur ?
Eh bien ! c’est lui, parbleu !
L’imbécile !
Je vous croyais couturier.
Chut ! oui, je l’ai été… par procuration… C’est ma tante qui était couturière.
Oui ? Fallait donc le dire !
Je ne le pouvais pas.
Et pourquoi ça ?
Pour ma famille, c’est une tante naturelle !