E. Dentu (p. 91-104).


IV




Une heure s’était écoulée, lorsque Setna vit devant lui un homme de haute stature, debout dans l’immensité, avec quantité d’hommes broyés sous ses pieds. Il était pareil à un roi. Setna, à cette vue, voulut se lever : il ne le put, à cause de la honte d’être étendu là sans vêtements.

Le roi géant lui dit :

« Qu’est-ce qui t’a mis dans cet état ? »

Setna répondit

« C’est Ptahneferka qui m’a fait ces choses. »

Le roi dit :

« Va à Memphis vers tes enfants, ils désirent te voir. Ils se tiennent devant le roi. »

Setna, étonné, dit :

« Devant le roi, mon seigneur !… Que les dieux lui donnent la durée du soleil !… Mais comment parviendrai-je à Memphis, n’ayant point de vêtements sur moi ? »

Le roi appela un jeune homme qui se tenait près de lui et fit donner un vêtement à Setna. Puis le roi dit :

« Setna, va à Memphis… tes enfants vivent… ils sont auprès du roi »

Setna reconnut alors qu’il avait été victime d’un songe, et tout heureux, il alla à Memphis, il embrassa ses enfants, il jouit de la joie de les voir vivants, après sa terrible hallucination.

Le roi lui demanda :

« N’est-ce point l’ivresse qui t’avait mis en cet état ? »

Setna raconta tout ce qui lui était arrivé avec Tabubu, et que ce devait être par une conjuration de Ptahneferka.

Le roi reprit :

« Setna, j’ai déjà levé ma main vers toi auparavant, je t’ai dit : ils te tueront si tu ne rapportes pas ce livre. Tu ne m’as pas écouté. À cette heure encore tu as le livre. Qu’il soit rapporté… par toi-même, et, comme c’est ordonné, avec une fourche et un bâton dans ta main, un réchaud de feu sur ta tête. »

Setna obéit au roi, il sortit avec la fourche et le bâton en sa main, avec le réchaud de feu sur sa tête. Il s’en alla vers la catacombe où gisait Ptahneferka.

Ahura, le voyant revenu, demanda :

« Setna, Ptah, le grand Dieu qui t’amène, est-il bien portant ? »

Ptahneferka se mit à rire en disant :

« Voici donc accomplie la parole que je t’avais dite auparavant ! »



Setna rendit grâces à Ptahneferka et le bénit. Il reconnut, comme le demandaient le prince et la princesse, que la force était dans la catacombe. Ahura et Ptahneferka le bénirent grandement et Setna reprit :

« Ptahneferka, est-ce que mon aventure ne fut point une chose honteuse ? »

Ptahneferka dit :

« Setna, voici ce que je te demande maintenant : tu feras revenir dans cette catacombe le corps de celle-ci, Ahura[1], et le corps de Merhu son fils, tu les feras revenir de Coptos, sans faute. Il faut qu’ils me rejoignent dans cette tombe, comme il convient à un bon scribe. Qu’ils l’ornent devant toi ! Prends donc cette peine, et va à Coptos. Ne t’attarde pas ici davantage. »

Setna sortit de la catacombe. Il alla retrouver le roi, et il lui raconta tout ce que venait de lui dire Ptahneferka.

Le roi dit :

« Va donc à Coptos, Setna, et amène-moi Ahura avec Merhu son fils.

— Qu’on me donne donc la barque royale, — reprit Setna, — avec son équipement. »

On lui donna l’un et l’autre, et il navigua sur le Nil dans la direction de Coptos, où il ne tarda pas d’atterrir.

Son arrivée ayant été annoncée aux prêtres de l’Isis de Coptos, ainsi qu’au grand-prêtre, tous vinrent en cortège au-devant de lui, sur le rivage. Deux d’entre eux lui prirent les mains, et le conduisirent en haut, dans le sanctuaire d’Isis et d’Harpochrate. Là, il fit venir un bœuf et du vin, pour l’holocauste et la libation à la déesse et au dieu. Le sacrifice accompli, il descendit dans les catacombes de Coptos avec le grand-prêtre et les prêtres. Tous y passèrent trois jours et trois nuits, cherchant parmi les tombeaux et étudiant tous les styles des hiérogrammates, déchiffrant toutes les écritures.

Ils ne reconnurent pas les lieux de repos où gisaient Ahura et Merhu, son fils.

Ptahneferka apprit l’insuccès de leurs recherches et résolut de leur venir en aide. Il prit la forme d’un vieillard très âgé et apparut devant Setna. Celui-ci lui demanda :

« Toi qui sembles posséder l’expérience du grand âge, ne connaitrais-tu point les lieux où reposent Ahura et Merhu son fils ?

— Le bisaïeul de mon père, — répondit le vieillard à Setna, — a dit à mon aïeul, qui l’a répété à mon père, que les demeures dernières d’Ahura et de Merhu sont dans le bord méridional du lieu nommé Phemate. »

Setna demanda encore :

« Peut-être est-ce pour dérober ce qui appartient à Phemate, que tu te proposes de me conduire en cet endroit ?

— Qu’on me surveille attentivement, — reprit le vieillard, — pendant qu’on démolira l’endroit nommé Phemate, et si l’on ne retrouve pas Ahura et Merhu, son fils, je consens qu’on me fasse honte ! »

On surveilla donc étroitement le vieillard, on fit les recherches et l’on trouva effectivement le tombeau d’Ahura et de son enfant dans la partie méridionale des catacombes.

Setna fit transporter les illustres dépouilles dans la barque royale, puis il fit rebâtir Phemate dans sa forme première.

Alors Ptahneferka fit reconnaitre à Setna que c’était lui qui était allé à Coptos lui faire retrouver le sépulcre d’Ahura et de Merhu ; Setna reprit place sur la barque royale et ne fut pas long à revenir à Memphis avec sa précieuse cargaison.

Ces événements furent annoncés au roi, qui vint lui-même au-devant de la barque. Il fit transporter en grande pompe Ahura et Merhu dans la catacombe de Ptahneferka, que désormais tous trois occupèrent ensemble.


La copie de ce discours sur Setna Xaemnas et sur Ptahneferka et Ahura, sa femme, ainsi que Merhu leur fils, fut achevée en l’an 35 Tybi.



  1. Les esprits seuls d’Ahura et de Merhu sont présents avec Ptahneferka dans la tombe de Memphis. Leurs corps sont demeurés à Coptos.