Tableaux poétiques/4 Le Convoi d’Isabeau de Bavière
LE CONVOI
d’Isabeau de Bavière
Ah ! de tous les malheurs le crime est le plus grand ;
Le crime dont l’aspect t’irrite et l’importune,
A besoin de pitié plus qu’une autre infortune.
Les voiles de la nuit enveloppaient la terre,
Et, dans les arbres noirs, la lune, avec mystère,
Jetant de ses rayons l’éclat pâle et tremblant,
Éclairait un cercueil couvert d’un linceul blanc.
Des feux légers, errant sur les eaux de la Seine,
Dirigeaient un esquif vers la rive prochaine,
Et des hommes marchaient, faisant trembler le bord
De leurs pas ralentis sous le poids de la mort.
Des voix qui se mêlaient au murmure de l’onde
Semblaient nous annoncer, par un chant solennel,
Qu’une vierge de moins gémissait dans ce monde,
Et qu’un ange de plus souriait dans le ciel.
Et moi, je m’avançais pour pleurer l’innocence,
Pour voir si le trépas ressemble à l’espérance,
Si la vierge appelée au céleste séjour
Conserve dans ses traits des souvenirs d’amour.
Mais je n’aperçus point les pieuses offrandes,
Les emblèmes touchants, les voiles, les guirlandes,
Et je cherchais encor, d’un regard attristé,
Ces fleurs que la mort même accorde à la beauté.
Tout-à-coup, d’un flambeau la rapide lumière
Me montra le convoi d’Isabeau de Bavière.
En signes menaçants, sur ce front réprouvé,
L’anathème éternel semblait être gravé,
Et, d’un ange vengeur au cercueil poursuivie,
Sa mort m’épouvanta presqu’autant que sa vie.
Je ne pus soutenir ce spectacle odieux :
Ses crimes tout vivants passaient devant mes yeux.
Parjure à ses serments, femme et Reine adultère,
Dans le sein de la France appelant l’Angleterre,
Humiliant nos lys sous de honteuses lois,
Elle affligea longtemps le règne des Valois ;
Sur leur trône orageux funeste passagère,
Son peuple lui garda le nom de l’Étrangère.
Silence !… elle fut Reine, et l’on voyait encor
Briller sur son front pâle une couronne d’or.
Point de peuple à sa suite, et surtout point de larmes ;
Un simple chevalier revêtu de ses armes,
Un serviteur, comme elle à la France étranger :
Dieu seul en ce moment semblait la protéger ;
La Prière, montant sur ses ailes de flamme,
Ne désespérait pas du salut de cette âme ;
La grande croix d’argent, les grands cierges bénits,
Par des sentiers étroits marchaient vers Saint-Denis.
Et, d’un pieux respect conservant l’apparence,
Des moines tristement conduisaient son cercueil,
Pour qu’il ne fût pas dit qu’une Reine de France
Descendît au tombeau sans cortège et sans deuil.