Tableau historique de la compagnie des Indes

TABLEAU HISTORIQUE
DE
LA COMPAGNIE DES INDES ANGLAISES ORIENTALES


DEPUIS SA FONDATION JUSQU’À NOS JOURS.

Le parlement britannique s’est déjà occupé, en 1829 et pendant la session de 1830, de la solution du problème moral et politique le plus important qui puisse lui être soumis. Le privilége exclusif, souvent renouvelé et accordé en dernier lieu pour vingt ans à la compagnie des Indes orientales, approche du terme fixé pour sa durée. Le monopole sera-t-il octroyé par une nouvelle charte, et pour une longue suite d’années, à cette association à la fois marchande et souveraine qui en jouit à l’exclusion de ses concitoyens et de tous les autres peuples ? Restera-t-elle dominatrice absolue de l’immense territoire au milieu duquel chacun des trois royaumes formant l’empire britannique en Europe ne présenterait sur la carte qu’un point presque imperceptible ? Le sort de plus de cent millions d’hommes dépendra-t-il encore, pendant un long avenir, de l’administration plus ou moins habile, plus ou moins libérale de cette compagnie avant tout mercantile ? Telles sont les graves questions qui agitent en ce moment les esprits de toutes les classes de l’Angleterre.

Déjà, dans une des séances de la dernière session, lord Ellenboroug dans la chambre des pairs, et M. Peel, dans celle des communes, ont demandé et obtenu la nomination d’un comité d’enquête qui sera chargé de présenter un rapport sur les affaires de l’Inde. « Le comité que je propose, a dit ce dernier, ne sera point chargé de ratifier des engagemens préexistans entre le gouvernement et la compagnie des Indes ; car il n’existe aucun engagement de cette sorte, explicite ou implicite[1]. Il ne s’agit pas seulement de déterminer de quelle manière se fera le commerce anglais dans cette partie du globe ; des considérations plus importantes se rattachent à ce sujet : vous aurez à examiner le caractère politique des institutions que vous êtes appelés à modifier, l’étendue des territoires qui vous sont soumis, l’énormité des revenus que produisent ces territoires, les plus riches de l’univers. Vous comprendrez la vaste importance de ce sujet dans ses relations avec nos finances, notre constitution, l’influence de la couronne… J’ai réservé la dernière place au motif le plus grave de tous, le bien-être et les intérêts des sujets indiens de S. M. J’ai lu plusieurs rapports qui en portent le nombre à quatre-vingt-dix millions[2]. Si nous considérons l’étendue de notre empire et son immense population, si nous nous rappelons sur quelles révolutions, sur quels débris nous avons fondé cet empire ; si nous réfléchissons à la distance qui sépare ces contrées de l’autorité souveraine, à la différence de mœurs, de religion et d’usages qui existent entre nous et ces myriades presque innombrables de sujets ; la contemplation d’objets si variés, si vastes, ne peut manquer d’étonner d’abord notre esprit. Mais quels que soient nos sentimens à ce sujet, il est au moins certain que nous ne devons l’aborder qu’avec une profonde conviction de notre responsabilité et de l’obligation morale qui nous est imposée de favoriser les progrès et la prospérité du pays, autant que le permettent nos engagemens, le maintien, la sécurité de notre domination. Sans aucun doute nous nous sentirons appelés à examiner quelles mœurs sont les plus propres à garantir aux habitans de ces régions lointaines la jouissance de leurs droits, de leur liberté individuelle et des fruits de leur industrie, en un mot à faire en sorte, tant qu’ils seront soumis à nos lois, de les dédommager de leurs souffrances et de leurs injures passées, et de les consoler à force de bienfaits de la perte de leur indépendance. »

Quand ces paroles sonores retentiront sur les bords du Gange, que d’espérances flatteuses elles feront naître chez les malheureux Indiens, dont on avoue enfin aujourd’hui les souffrances et les injures passées ! Mais aussi quel désappointement, si le discours libéral du ministre anglais n’était que le prélude, en quelque sorte obligé, de l’octroi d’une nouvelle charte, confirmant et continuant les priviléges de cette Compagnie contre l’administration de laquelle tant de plaintes s’élèvent ! Il est facile cependant de prévoir qu’une proposition pareille sera faite par quelque collègue de M. Peel, ou peut-être par ce ministre même. Des pétitions en sens opposé arrivent, il est vrai, de l’empire britannique ; elles couvriront bientôt les tables des deux chambres ; de nombreuses associations se sont formées dans presque toutes les villes de commerce pour demander au parlement l’abolition du privilége : les débats, sans doute, donneront lieu à la révélation d’une foule de faits curieux ; mais la Compagnie, toujours riche et puissante, est loin de renoncer à l’espoir de remporter un triomphe éclatant sur ses adversaires. Ses amis prépareront avec adresse les voies et les moyens. Des argumens captieux seront prodigués en faveur d’un état de choses qui a duré pendant tant d’années, et qui seul, dira-t-on, a pu produire de si grands résultats.

En attendant, il ne sera pas sans quelque intérêt de jeter un coup d’œil rapide sur l’histoire de la Compagnie Indo-Britannique qui, après de bien faibles commencemens, est parvenue en moins d’un siècle à la puissance colossale dont nous la voyons investie.

La première idée que fait naître le nom même de l’Inde est celle d’une région féconde et abondante. Les richesses de l’Orient, les trésors des Indes, sont des phrases familières à nos oreilles et devenues banales dans toutes les langues. Les témoignages de la plus haute antiquité, les descriptions des écrivains de tous les âges ajoutent encore aux opinions les plus favorables. Aussi ces belles contrées attirèrent-elles, dès les temps les plus anciens dont nous ayons connaissance, des conquérans et des hordes de barbares accourus de divers points du globe ; ils vinrent tour à tour fondre sur les timides et paisibles habitans, piller leurs riches cités et ravager leurs fertiles campagnes. Cependant, quelque profondes que furent ces blessures, elles n’épuisèrent point toutes les forces d’une nature sans cesse réparatrice et productive. Le commerce de l’Inde accrut l’opulence si vantée de Salomon, qui y trafiquait, à ce qu’on suppose, par le golfe Persique et la mer Rouge ; ce commerce enrichit l’Égypte, embellit Alexandrie, contribua puissamment au luxe d’Athènes et de Rome. Les Génois et les Vénitiens, à une époque plus récente, puisèrent à la même source, et virent pendant long-temps augmenter la fortune et la puissance de leurs républiques, grâce aux relations lucratives qu’ils entretenaient avec l’Inde par Suez, Aden et la mer Arabique. Quand enfin la découverte d’une nouvelle route, en doublant le cap de Bonne-Espérance, eut remis entre les mains des Portugais la clef des vastes magasins de l’Orient, les navigateurs de cette nation excitèrent par leurs brillans succès l’envie et la cupidité de tous les peuples de l’Europe.

En raison de la priorité de leur découverte, les Portugais réclamèrent la possession exclusive de ce passage, et surent la conserver pendant près d’un siècle. Le premier pavillon anglais qui parut dans ces mers fut celui de sir Francis Drake, lors de la circumnavigation du globe qu’il exécuta dans les années de 1577 à 1580, passant par le détroit de Magellan et revenant par l’Océan Pacifique et les mers de l’Inde. La réception gracieuse d’Élisabeth, et les honneurs dont cette reine patriotique combla l’amiral Drake, enflammèrent d’une ardeur nouvelle la foule des aventuriers. Bientôt même plusieurs membres des familles les plus illustres de l’Angleterre prirent rang parmi les armateurs des navires, ou devinrent les chefs des expéditions maritimes entreprises pour le commerce de l’Orient. Un des plus distingués parmi ces derniers fut Cavendish, homme de haute naissance et d’une grande fortune. Suivant les traces de Drake, il entra dans l’Océan Pacifique par la route de l’ouest, visita les Philippines, les îles des Larrons, les Moluques et la plupart des côtes que baignent les mers du sud et de l’est. Un court extrait de la lettre qu’il adressa, lors de son retour, au chambellan de la reine Élisabeth, prouve l’importance qu’il mit au succès de son voyage.

« Je suis arrivé, dit-il, aux Philippines en longeant les côtes de la Chine ; j’en rapporte la connaissance de faits dont on n’avait jamais entendu parler. C’est un pays dont je n’ose décrire toute la splendeur et la richesse, de peur de n’être pas cru. J’ai ensuite fait voile pour les îles des Moluques, où j’ai été bien traité par quelques peuplades païennes, et où nos compatriotes pourront, s’ils le veulent, faire le commerce aussi librement que les Portugais. »

Vers la même époque (1588), la première compagnie du Levant se forma en Angleterre dans le but de faire à la fois le commerce avec la Turquie, la Perse et l’Inde, d’abord par la voie de terre de Constantinople, Alep, Bagdad, Bassora et même jusqu’à Ispahan et Ormuz. Quelques-uns des associés exécutèrent un voyage lucratif et arrivèrent jusque sur la côte de Malabar, d’où ils se portèrent sur Agra et Lahore, et ensuite au Bengale, au Pégu et à Malacca, d’où ils revinrent par la route de terre à Alep. Les Portugais s’étaient, pendant cette époque, enrichis par le commerce exclusif de l’Inde, comme les Espagnols par celui de Manille et de l’archipel des Philippines. Les Hollandais vinrent ensuite, et envoyèrent en 1595 quatre grands bâtimens aux Indes, en doublant le cap de Bonne-Espérance. Mais ce ne fut qu’en 1600 que les Anglais, après plusieurs tentatives infructueuses, firent le premier pas décisif pour l’établissement de leurs relations commerciales avec l’Orient.

La première charte fut donc accordée cette année à une compagnie constituée en corporation privilégiée, sous le titre de Gouvernement et compagnie des marchands de Londres, faisant le commerce des Indes orientales. Il est important de ne pas perdre de vue les traits caractéristiques de cette première concession de la législature, et de rappeler les conditions auxquelles le privilége fut accordé. Nous nous servirons ici des propres termes de M. Mill, historien de la Compagnie des Indes orientales[3]. L’auteur a été long-temps employé au service de cette Compagnie à laquelle il est très-favorable, et son témoignage ne saurait être suspect.

« Selon l’esprit du temps, la charte fut exclusive ; elle portait défense au reste de la communauté de faire le commerce à l’intérieur des limites assignées à la Compagnie, mais donnait à celle-ci le pouvoir d’accorder, quand cela lui plairait, des licences à cet effet. La charte fut octroyée pour une période de quinze années, mais sous la condition expresse que, s’il n’était point reconnu qu’elle fût avantageuse au pays, elle pourrait être en tout temps annulée après un avertissement donné deux ans d’avance ; si elle était reconnue avantageuse, elle pourrait, selon le vœu de la Compagnie, être prolongée pour quinze autres années. » (Ier vol., p. 22.)

« Nous ne pouvons pas, dit un autre publiciste[4], admirer en toute occasion la haute sagesse de nos ancêtres et exalter, comme étant au-dessus de tout perfectionnement, les vénérables institutions de l’antiquité ; mais en cette circonstance, nous reconnaissons que les conseillers de la reine Élisabeth étaient animés pour la prospérité générale d’une sollicitude plus grande que celle qu’on a pu découvrir dans la conduite de leurs successeurs. Quinze années de concession d’un privilége exclusif accordé à une corporation valent déjà mieux, comme période plus courte, que les vingt années des concessions postérieures. Au dernier renouvellement de la charte, la motion de M. Canning, qui n’était pas alors ministre, et qui proposait par amendement de réduire le terme à dix ans, valait mieux encore, et les raisons dont cette motion fut appuyée étaient sans réplique ; car enfin des priviléges exclusifs ne devraient être accordés à un petit nombre d’individus pour une période quelconque, que dans le cas où il serait prouvé que cette concession est utile au plus grand nombre ; et si les prétentions de la Compagnie des Indes orientales sont fondées sur une telle base, elle sera aussi bien à même d’en fournir des preuves satisfaisantes au bout de dix ans qu’au bout de vingt ; si au contraire de telles preuves ne peuvent point être données, le terme de dix ans serait déjà trop long pour investir cette Compagnie de pouvoirs exorbitans. L’amendement de M. Canning ne fut rejeté que par une faible majorité, présage peut-être plus encourageant encore que fâcheux du sort des motions qui seront présentées cette année ; celles-ci seront appuyées de nouveaux argumens et d’une série de faits que le temps et l’expérience ont accumulés depuis cette époque. La clause de réserve de la reine Élisabeth n’aurait dû être omise dans aucune charte, et elle devrait maintenant être inscrite en grands caractères sur toutes les tablettes des législateurs du jour. »

On pourrait en quelque sorte se faire une idée des dispositions dont se trouvaient animés les premiers membres de cette association marchande, par les noms mêmes des bâtimens qu’ils expédièrent pour le premier voyage (la Milice, le Fléau, l’Hector) ; et le chef choisi pour commander l’escadre était un certain capitaine Lancastre, revenu tout récemment d’une expédition de piraterie. Les succès que ce forban avait obtenus lui valurent la protection de l’honorable Compagnie des Indes orientales. M. Mill rapporte aussi à cette occasion une réponse assez curieuse faite au gouvernement qui avait témoigné le désir qu’un homme d’un caractère et d’un rang distingué, sir Edward Michelbourne, fût chargé de la première expédition. Les membres du comité de l’honorable Compagnie annoncèrent « qu’ils avaient résolu de n’employer aucun gentleman dans un poste de quelque importance, et qu’ils voulaient faire gérer leurs affaires par des hommes de leur propre rang ou qualité ; car, si l’on venait à savoir qu’ils employaient des gentlemen, cela pourrait porter un grand nombre d’aventuriers à les priver de leurs services. » (Vol. i, page 22.)

Le premier voyage fut très-lucratif : les marchands visitèrent Sumatra, où ils conclurent un traité de commerce avec un des souverains indiens, et obtinrent la permission d’établir une factorerie dans l’île. En passant le détroit de Malacca, le capitaine Lancastre se saisit, selon ses anciens procédés de pirate, d’un vaisseau portugais de neuf cents tonneaux, « avec une cargaison si riche en toiles et épices, qu’elle suffit au chargement de toute la flotte. » Touchant ensuite à l’île de Java, il y laissa quelques-uns des facteurs ou subrécargues qui avaient été embarqués avec lui, au nombre de trente-six, pour diriger les établissemens que la Compagnie comptait former dans diverses parties de l’Inde, et il revint en Angleterre au mois de septembre de l’année 1603, rapportant de bons profits (y compris le pillage du bâtiment portugais) aux propriétaires des capitaux fournis à l’expédition[5]. »

Le succès de celle-ci en fit entreprendre successivement plusieurs autres, et pendant les dix années suivantes, huit expéditions eurent lieu. Les capitaux employés à chacune n’étaient cependant pas bien considérables. La première, en 1603, n’exigea qu’une mise de fonds de 60,000 liv. sterl., et sur cette somme, 48,000 liv. furent employées en achats et équipemens de navires ; 11,000 liv. furent exportées en argent ou lingots, et les 1000 restant furent seules employées en marchandises. Les opérations de la Compagnie étaient donc bien inférieures en ce qui concerne la branche la plus importante, l’exportation des produits de l’Angleterre et des objets manufacturés en ce pays, aux moindres opérations de la plus petite maison de commerce de nos jours ; et l’expédition qui fut entreprise dix ans plus tard prouve qu’on n’était pas encore parvenu alors à donner une extension plus satisfaisante aux exportations. Un seul bâtiment fut employé ; sa construction et son équipement coûtaient 5,300 liv. sterl. ; il importait pour une valeur de 1,250 liv. d’or, lingots ou espèces, et des marchandises pour la valeur de 650 liv. sterl. seulement. Une aussi faible mise de fonds contrastait déjà fortement avec les prétentions des directeurs de la Compagnie, qui cherchaient à prouver la nécessité du privilége exclusif et de sa prolongation, par l’impossibilité où se trouverait, selon eux, tout particulier de faire le commerce de l’Inde avec ses propres fonds. Il faut convenir cependant que, quelque limitées que fussent les opérations de la Compagnie, les profits que rapportèrent les capitaux employés furent assez considérables ; le pillage et la piraterie y contribuèrent pour beaucoup.

« Tous ces voyages, dit M. Mill, à l’exception d’un seul, celui de l’année 1607, pendant lequel les deux vaisseaux employés périrent, avaient été très-lucratifs. Les profits nets, rarement au-dessous de 100 pour cent, s’élevaient ordinairement à 200 pour cent des capitaux. » (Vol. 1, p. 25.)

On conçoit facilement qu’une compagnie qui retirait de pareils avantages d’un commerce pour ainsi dire dans l’enfance, et auquel elle espérait donner par la suite une tout autre extension, fût extrêmement jalouse des droits qu’elle avait acquis, et cherchât par tous les moyens d’empêcher la concurrence.

« En 1604, continue son historien, les directeurs de la Compagnie furent vivement alarmés de la concession d’une licence accordée, selon eux, en violation de leur charte, à sir Edouard Michelbourne et à quelques autres personnages, pour le commerce avec la Chine, le Japon, la Corée, Cambaye, etc. ; mais ils obtinrent en 1609 un grand avantage, en compensation de cette prétendue injure, par la facilité et l’imprévoyance du roi Jacques, qui abolit, à leur sollicitation, les restrictions que la politique prudente de la reine Élisabeth avait imposées. Ils obtinrent cette année-là un renouvellement de leur charte, confirmant tous leurs anciens priviléges, et les constituant en corporation (corporate body), non pas pour quinze années ou pour aucun autre temps limité, mais pour toujours. Il fut cependant encore statué que, « si la nation éprouvait quelque dommage de cette concession, le privilége exclusif cesserait et expirerait après un avertissement donné trois ans d’avance. »

Il n’est point dit quelle fut la part des conseillers du roi Jacques sur les 200 pour 100 des bénéfices de la Compagnie ; mais elle dut être assez considérable, et les associés profitèrent de cette nouvelle charte pour étendre de plus en plus leurs opérations, qui jusque-là avaient été circonscrites dans les limites de l’archipel indien. Ils portèrent alors leur attention sur le continent même de l’Asie, et après plusieurs tentatives infructueuses, où ils furent tour à tour repoussés par les Turcs à Aden et à Moka, sur la mer Rouge, et par les Portugais, sur les côtes de l’Inde, ils réussirent enfin, en 1612, à atteindre le but qui était depuis long-temps l’objet de leurs désirs.

« Les Anglais parvinrent alors à conclure de nouveaux arrangemens commerciaux ; ils obtinrent la permission d’établir des factoreries à Surate, Ahmedabad, Cambaye et Gogo, lieux indiqués par les agens de la Compagnie comme étant les mieux situés ; et en s’engageant à payer des droits de 3 et demi pour cent, ils reçurent la promesse que ce seraient là les seules taxes auxquelles leurs marchandises seraient assujéties. Leurs propriétés étaient en outre garanties, dans le cas même de la mort de leurs agens, et devaient être remises intactes aux successeurs de ceux-ci. Un firman ou décret de l’empereur du Mogol conférant ces priviléges fut publié le 11 janvier 1619, et autorisa ainsi le premier établissement des Anglais sur le continent de l’Inde, où se trouvait alors le siége d’une des plus grandes et des plus splendides monarchies du globe. » (Vol. 1, p. 26.)

On peut dater de l’an 1612 une nouvelle ère dans l’histoire de la Compagnie. Jusqu’à cette époque, chacun des individus qui faisaient partie de l’association opérait avec ses fonds et à ses propres risques et périls, quoique le droit de faire le commerce de l’Inde fût restreint aux seuls membres qui la composaient. Mais alors on trouva plus expédient d’obliger tous les participans à ce droit de se soumettre aux opérations réglées par un comité qui disposerait de la masse des fonds (a joint Stock company). Cette mesure était vivement sollicitée par les directeurs, parce que, dit M. Mill, « c’était là le meilleur moyen de faire remettre entre leurs mains tous les pouvoirs, avec la direction générale des affaires. » Il ajoute ensuite :

« Les bénéfices retirés des expéditions entreprises ainsi, et comparés à ceux obtenus par les individus qui géraient eux-mêmes leurs affaires, furent cependant loin de présenter sous un jour favorable la gestion des directeurs. Les huit voyages précédens, en défalquant les pertes essuyées pendant le quatrième, qui fut en tout désastreux, avaient rapporté 171 pour cent. Les quatre voyages suivans ne rapportèrent aux intéressés que 87 1/2 pour cent de bénéfices. » (Vol. 1, pag. 28.)

On voit que déjà, sous l’influence même d’une compagnie exclusive, les profits que chaque spéculateur retirait de ses opérations, tant qu’il lui était permis de diriger par lui-même ses entreprises, étaient bien plus considérables que lorsqu’un gouverneur et des directeurs essayèrent de se charger de l’ensemble des affaires. Les partisans de la liberté du commerce feront sans doute valoir un aussi puissant argument en faveur de leur cause. Les profits devinrent cependant encore bien moindres lorsque les directeurs de la Compagnie, au lieu de se borner aux opérations de commerce, qui étaient de leur ressort, commencèrent à prendre une allure politique, voulurent devenir conquérans, entretinrent des ambassadeurs, des forteresses et des troupes. L’ambassade royale de Sir Thomas Roc, envoyé par la cour d’Angleterre auprès du Grand-Mogol, eut lieu vers la même époque (en 1615) ; et dans un temps où les lumières étaient encore si peu répandues, cet homme d’état distingué reconnut déjà, par la force de son esprit prévoyant, les inconvéniens du mélange bizarre des métiers de soldat et de marchand. Son opinion à cet égard mérite bien d’être encore prise en considération aujourd’hui, et aucune partie de l’intéressant ouvrage de M. Mill ne nous paraît plus digne d’être méditée par les législateurs, par les solliciteurs de priviléges exclusifs, et même par les directeurs de la Compagnie anglaise.

« Indépendamment des autres services que rendit Sir Thomas, il donna des avis à la Compagnie sur la marche la plus avantageuse à suivre pour l’avenir dans toutes ses opérations. « Lors de mon arrivée, dit-il, je crus qu’un fort nous serait très-nécessaire ; mais l’expérience me prouva enfin que le refus que nous essuyâmes tournerait à notre avantage. Quand l’empereur m’en offrirait maintenant dix, je n’en accepterais pas un seul. » Il appuie cette opinion de plusieurs raisonnemens : « Premièrement ces forts ne seront pas indispensables au commerce, et les charges seront si pesantes qu’il ne pourra pas les supporter ; car l’entretien des garnisons absorbera tous les profits. La guerre et le trafic sont incompatibles. De mon aveu, vous ne vous engagerez que dans des entreprises maritimes ; sur mer vous avez au moins autant de gain que de perte. Les Portugais, malgré le nombre considérable de leurs belles résidences, s’appauvrissent par l’entretien de leurs soldats, et cependant leurs garnisons sont misérables. Ils ne tirent plus aucun parti de leurs établissemens depuis qu’ils les soutiennent à main armée, et, remarquez bien cela, les Hollandais commettent la même erreur en établissant leurs plantations à la pointe de l’épée. Ils disposent de fonds considérables ; ils pullulent dans toutes les places ; ils en possèdent quelques-unes des plus belles, et cependant la solde consume le gain. Recevez ceci comme une règle ; si vous voulez faire des bénéfices, recherchez-les par mer et par un commerce pacifique, car c’est sans contredit une grande faute que d’établir des garnisons et de faire des guerres de terre dans l’Inde.

» Ce n’est pas le grand nombre de ports, de résidences et de factoreries qui vous profiteront. Ici les charges augmenteront et ne couvriront pas les frais. Un seul établissement bien choisi, convenable pour vos vaisseaux, pour vos magasins, et un judicieux emploi de vos facteurs, voilà tout ce qu’il vous faut. » Sir Thomas, s’il avait vécu de nos jours, aurait pu, grâce à l’expérience acquise, citer à l’appui de ses avis le commerce anglais avec la Chine. » (Vol. 1, pages 29, 30.)

Le commerce que les Américains des États-Unis font depuis si long-temps et si avantageusement, tant avec la Chine qu’avec l’Inde, sans y posséder un seul pouce de terre, pourrait aussi prouver la sagesse des conseils donnés jadis par l’ambassadeur anglais, ainsi que les erreurs du vaste système territorial de la Compagnie.

Les intrigues et les fausses accusations par lesquelles on cherchait dès-lors à nuire aux concurrens étrangers, et à les exclure de toute participation aux avantages commerciaux qu’on voulait se réserver, forment aussi un des traits caractéristiques de la politique de l’époque.

Sir Thomas rappelle à la Compagnie qu’il a d’abord pris grand soin de déconsidérer les Hollandais. « Il est venu, dit-il, des Hollandais à Surate ; ils arrivaient de la mer Rouge, avec quelque argent et des marchandises tirées des contrées méridionales. J’ai fait tous mes efforts pour les faire disgracier (to disgrace them) ; je n’ai pu cependant, sans courir trop de danger, parvenir à les expulser. Mais votre consolation doit être celle-ci : Il y a assez de richesses pour les deux peuples. » (Vol. 1, p. 31, 32.)

Les partisans de la liberté du commerce pourraient encore aujourd’hui se servir du même langage ; il y a ici assez de richesses pour nous tous, pourquoi nous exclure ? On leur répondra que le pouvoir et le monopole réunis exercent une influence tellement corruptrice sur les hommes qui en sont investis, qu’ils n’envisagent qu’avec haine et envie la prospérité des autres, quand même elle serait acquise dans la carrière qui leur est aussi bien ouverte qu’à leurs rivaux[6]. Reste à savoir si ce sont là les sentimens que la législature d’une nation libre doit encourager ou récompenser.

Il fallut bien suppléer par le pillage aux profits toujours diminuans du simple commerce. C’est encore M. Mill qui fournit la preuve des dispositions de la Compagnie à s’enrichir des dépouilles enlevées à d’autres Européens.

« Les Anglais convinrent de joindre leurs forces à celles des Persans, pour attaquer les Portugais dans l’île d’Ormuz, dont ceux-ci, à l’époque de leur prospérité, s’étaient emparés, et qu’ils avaient fortifiée. Les Anglais devaient fournir des vaisseaux, et les Persans des troupes de terre. La ville et le fort furent emportés le 22 avril 1622. En récompense de ce service, les Anglais reçurent une part du pillage d’Ormuz, et en outre la concession de la moitié des droits de douane prélevés au port de Gombroun, qui devint dès-lors leur principale station dans le golfe Persique. » (Vol 1, p. 44.)

Il est déplorable d’avoir aussi à reconnaître l’influence funeste que l’importation soudaine de richesses acquises par de pareils moyens exerça sur la masse du peuple anglais et sur les hommes du rang le plus élevé. La joie des directeurs, après cette conquête, fut un peu troublée, et « d’autres sentimens, dit M. Mill, naquirent par suite des demandes du roi et du duc de Buckingham, lord grand-amiral ; ils exigèrent, le premier comme droits dus à la couronne, et le second comme droits dus à l’amirauté, des parts de prise sur les gains procurés par diverses captures de la Compagnie, et particulièrement par le pillage d’Ormuz. Celle-ci jugea prudent de ne pas montrer trop d’opposition aux prétentions du roi, mais elle objecta à l’amiral qu’elle avait toujours opéré en vertu de sa propre charte, et qu’elle n’avait jamais eu besoin de lettres de marque du duc de Buckingham. L’affaire fut portée devant les juges de la cour de l’amirauté ; des témoins furent examinés pour s’assurer du montant de l’argent de prise, qui fut évalué à plus de 100,000 liv. st. ; la Compagnie fit valoir les frais d’armement et d’équipement des vaisseaux, les pertes qu’elle avait éprouvées, le dommage porté à ses intérêts de négoce, en détournant ses vaisseaux du commerce, pour les employer à la guerre, etc. Tous les moyens de sollicitations furent épuisés par elle auprès du roi et de l’amiral ; mais Buckingham, qui savait bien que la première expédition serait manquée, si on laissait passer la saison la plus favorable pour mettre en mer, fit jeter un embargo sur les navires, et la Compagnie, pour échapper à cette dernière calamité, se trouva heureuse de pouvoir entrer en arrangement. Le duc consentit à recevoir 10,000 liv. st. qui lui furent acquittées. Une pareille somme fut exigée pour le compte du roi ; mais il n’est point resté de preuve évidente du paiement de celle-ci. » (Vol. 1, pages 45, 46.)

L’événement le plus remarquable qui eut lieu quelque temps après, et qui fit grand bruit en Angleterre, fut annoncé au public sous la rubrique de l’horrible massacre d’Amboyne. Les Hollandais en possession de cette place y condamnèrent à mort neuf Anglais, neuf Japonais et un matelot portugais, qui avaient formé, dit-on, le complot de chasser la garnison hollandaise et de s’emparer d’Amboyne pour le compte de l’Angleterre. L’existence réelle du complot ne peut guère être révoquée en doute. L’aveu naïf de Sir Thomas Roc, personnage parfaitement désintéressé, revêtu de sa dignité par le roi et non par la Compagnie, et faisant tous ses efforts pour disgracier les Hollandais à Surate, rend assez probable le projet de les expulser d’Amboyne. Mais ce qui exaspéra le plus le peuple anglais fut que les Hollandais, selon l’usage barbare du temps, avaient employé la torture pour arracher des coupables la confession de leur crime. Ce moyen si incertain et si odieux de découvrir la vérité ne saurait jamais être assez réprouvé. Il eût été heureux que le juste blâme déversé en cette circonstance par les Anglais sur leurs rivaux les eût portés à renoncer eux-mêmes à une pareille cruauté. M. Mill nous donne la preuve du contraire.

« La vérité est que les agens de la Compagnie en ce même temps étaient dans l’usage habituel (regular habit) d’infliger des tortures à leurs propres compatriotes et même à leurs serviteurs. Le capitaine Hamilton nous apprend (dans l’ouvrage intitulé New-Account of the east Indies, p. 362) qu’avant que la Compagnie fût investie des droits que donne la loi martiale, et lorsqu’elle ne pouvait encore faire exécuter à mort que les pirates, elle avait déjà établi comme règle de faire expirer sous le fouet, ou périr de faim, ceux dont elle voulait se débarrasser. Il en cite entre autres un exemple (p. 376) : un déserteur du fort Saint-Georges fut, selon son expression, « fouetté hors de ce monde-ci dans l’autre. » Le droit de condamner à mort les pirates servit aussi, selon le même auteur, à faire périr plusieurs commerçans. On donnait une telle extension à ce droit, que tout trafiquant qui avait le malheur de déplaire à un gouverneur était bientôt déclaré pirate ; et il rend compte de l’entreprise d’un employé de la Compagnie et d’un agent dévoué du gouverneur du fort de Saint-Georges, qui, en se parjurant, tentèrent de lui faire perdre à lui-même la vie à Siam…

« Quand la nouvelle du massacre d’Amboyne parvint en Angleterre, le peuple, déjà irrité contre les Hollandais par les récits répétés de leurs mauvais procédés envers nos compatriotes, fut porté au plus haut point d’exaspération. La cour des directeurs fit tout ce qu’elle put pour ajouter aux fureurs populaires ; elle ordonna d’abord la composition et l’exposition d’un tableau hideux dans lequel nos concitoyens étaient représentés expirant au milieu des tortures, avec l’expression révoltante de leur cruelle agonie, et entourés des instrumens effrayans qui servaient à les tourmenter. La presse enchérissait sur les horribles détails des scènes d’Amboyne, et la rage de la populace fut soulevée à un tel degré, que les marchands hollandais qui se trouvaient à Londres tremblèrent pour leur vie, et s’adressèrent au conseil privé pour réclamer protection. Les directeurs, appelés devant le conseil privé pour répondre à ces plaintes, nièrent la part qu’on les accusait d’avoir prise aux publications de la presse ; mais ils avouèrent que le tableau avait été exécuté par leur ordre, ajoutant qu’ils voulaient le conserver et le placer dans leur hôtel, comme un monument éternel de la cruauté et de la trahison des Hollandais. « (Vol 1, p. 50.)

Ceux-ci s’étaient en effet rendus bien coupables, sous d’autres rapports, envers la Compagnie, et notre historien explique, à la fin de cet intéressant chapitre, les véritables motifs du courroux des monopoleurs.

« Parmi les plaintes portées contre les Hollandais, une des plus graves était qu’ils vendaient à Surate les marchandises de l’Europe à bien meilleur compte, et achetaient celles de l’Inde bien plus cher que les Anglais, ce qui faisait exclure ces derniers des marchés de cette ville. C’était là se plaindre de la concurrence, qui est l’ame du commerce. Si les Hollandais vendaient à d’assez bas prix et achetaient à des prix assez élevés pour y perdre, il ne fallait aux Anglais que prendre un peu de patience. Mais la vérité était que les Hollandais, disposant d’un plus fort capital avec plus d’économie, se trouvaient ainsi en état de faire des offres plus avantageuses, tant pour les ventes que pour les achats. » (Vol. 1, p. 56.)

Pendant les années qui s’écoulèrent depuis 1624 jusqu’en 1627, les bénéfices de la Compagnie avaient toujours été en diminuant. Les directeurs, qui prenaient d’ailleurs le plus grand soin de dérober à la connaissance du public tous les faits qui pouvaient nuire à leur crédit, excepté dans les cas particuliers où quelque intérêt du moment les portait à avouer des pertes, se virent alors dans la nécessité de déclarer au gouvernement la marche rétrogade de leurs affaires. Sir Robert Shirley, qui avait été envoyé en ambassade près de la cour de Perse, s’adressa, lors de son retour à Londres, au roi en son conseil, afin d’obtenir qu’un ordre fût donné à la Compagnie des Indes orientales de lui payer 2000 liv. sterl. en reconnaissance des importans services qu’il avait rendus, ou en dédommagement de ses efforts, qui avaient été couronnés d’un plein succès, pour procurer à la Compagnie le commerce de la Perse. Les directeurs nièrent d’abord l’importance des services, et déclarèrent en outre qu’ils étaient hors d’état de payer. Ils venaient, disaient-ils, d’être réduits à la nécessité d’emprunter l’énorme somme de 200,000 liv. sterl., et leurs actions perdaient déjà 20 pour 100, les coupons de 100 liv. sterl. se donnant alors pour 80.

Les bénéfices diminuèrent ensuite sensiblement par la conduite des employés mêmes de la Compagnie. Son historien s’en plaint en ces termes :

« Il n’est point aisé d’obtenir de bons offices de serviteurs employés à une distance immense, surtout si le maître est négligent. Les directeurs firent enfin cette découverte, qu’ils ne durent pas cependant à leur propre sagacité, mais bien aux querelles qui s’élevèrent entre leurs agens. Ceux-ci, se trahissant l’un l’autre, donnèrent la preuve, par leurs dénonciations réciproques, qu’ils avaient négligé les intérêts de leurs commettans, et que, tandis qu’ils se livraient avec la plus grande avidité à des entreprises particulières dont ils retiraient seuls les bénéfices, les affaires de la Compagnie étaient abandonnées à toute espèce de désordres. »

Vers cette époque, la Compagnie fut attaquée dans une foule d’écrits, où l’on cherchait à prouver non-seulement combien son administration était vicieuse, mais aussi combien le monopole dont elle s’était emparée, qu’elle cherchait à étendre de plus en plus, et aux lieux mêmes où elle n’avait pas encore formé d’établissement, était contraire à l’intérêt général. Les alarmes qu’elle conçut pour la durée de son privilége exclusif devinrent très-vives ; mais elle crut devoir mettre une grande modération dans ses réponses aux plaintes élevées contre elle. L’opinion publique, qui lui avait été jusque-là si favorable, lui était devenue contraire, et ses directeurs, jusque-là si fiers et si impérieux, baissèrent le ton en attendant des circonstances plus propices.

« Ainsi que tous les spéculateurs malhabiles, et par cela même malencontreux, la Compagnie trouvait des concurrens de toute espèce, auxquels elle attribuait le peu de succès de ses opérations. Pendant quelques années, elle s’était plainte hautement du commerce clandestin que faisaient ses propres employés, dont les profits étaient bien plus grands que les siens ; mais elle aurait exagéré encore ses doléances et ses prétentions, si ce n’eût été l’ascendant général que prenaient les sentimens de liberté à l’époque des discussions violentes de Charles i et du parlement. On ne pouvait alors se flatter d’échapper au naufrage dont les institutions opposées à cet esprit d’indépendance étaient alors menacées qu’en mettant prudemment à l’ombre de pareilles prétentions. Quoique la compagnie fût entrée d’abord assez hardiment dans la lice avec les écrivains qui établissaient que tous les monopoles en général, et particulièrement celui de la Compagnie, étaient désastreux, elle jugea bientôt à propos de prendre une autre marche, afin de ne pas trop attirer sur elle l’attention du public, et ne s’opposa plus si ouvertement aux entreprises particulières, qui empiétaient assez fréquemment sur son commerce exclusif. » (Vol. 1, p. 59, 60.)

La Compagnie crut devoir essayer ensuite une démarche ostensible, et intéresser en sa faveur le parlement. Elle lui présenta son humble pétition de 1641 ; pour solliciter une déclaration publique qui pût lui servir de bouclier contre ses nombreux adversaires. Cette pièce[7] remarquable, mais trop longue pour être citée ici en entier, fut imprimée à Londres ; elle est devenue rare, et sera probablement reproduite avec quelques modifications, et commentée pendant les discussions actuelles.

La Compagnie expose humblement, dans un long préambule, que depuis qu’elle a obtenu sa charte, ses immunités et priviléges de la reine Élisabeth et du roi Jacques de sacrée et glorieuse mémoire, que depuis quarante et une années enfin, elle a procuré d’innombrables avantages aux sujets de S. M. ; que des voyages et expéditions en des contrées lointaines ont été faits avec grand succès et un gain considérable, jusqu’en ces derniers temps, où quelques désastres essuyés sur mer, la rencontre d’ennemis, les blâmables actions et procédés de ceux qui se disent ses amis et alliés, ainsi que d’autres interruptions, ont porté un notable préjudice à son commerce, qui sans cela n’aurait pas cessé de prospérer et de devenir de plus en plus avantageux au public. Elle ajoute que ces malheurs avaient eu un autre déplorable résultat, en ce qu’ils avaient porté un grand nombre de sujets de S. M., de toutes les classes et de toutes les parties du royaume, à faire des plaintes mal fondées (contre la Compagnie), et à décourager ainsi les capitalistes ou armateurs intéressés qui craignaient d’opérer, en encourant la malicieuse censure de la multitude, tandis qu’ils ne désiraient autre chose que de contribuer par leurs richesses particulières au bien général. Les pétitionnaires suppliaient donc Leurs Seigneuries et l’honorable chambre des communes de prendre en sage et haute considération les divers articles annexés à cette pétition, afin qu’après un mûr examen, si le commerce était trouvé désavantageux à l’état, il fut supprimé ; mais que dans le cas contraire il fût appuyé et sanctionné par quelque déclaration publique, à la satisfaction de tous les sujets de S. M., et pour l’encouragement des participans, qui seraient plus empressés à aventurer leur fortune dans des entreprises de cette importance, dès qu’elles auraient obtenu une aussi haute et honorable protection.

À cette pétition était annexée une série d’articles sous les rubriques suivantes : pouvoir, richesse, sécurité, trésors et honneur ; avantages qui tous revenaient à la nation anglaise, grâce au monopole de la Compagnie, et seraient perdus s’il lui était enlevé. Les conquêtes et la gloire militaire ne furent pas moins vantées.

« Car, disait-elle, combien les exploits de nos marins ne sont-ils pas devenus fameux chez tous les peuples ! Combien de riches carraques (vaisseaux portugais) n’ont-ils pas capturés ou coulés à fond ! Combien d’attaques de galions espagnols n’ont-ils pas repoussées ou fait échouer ! Quel carnage de leurs soldats, quel saccagement de leurs villes, quelle destruction de leur commerce, et combien d’autres honorables actions ! Et tout cela avec peu de perte en hommes et en vaisseaux. Il faudrait de longs discours pour relater tant de faits glorieux… Enfin combien de braves commandans élevés parmi nous, et quoique sortis des derniers rangs, ne trouve-t-on pas encore à notre service, tandis que d’autres ont été jugés dignes d’occuper de bons postes dans la marine de S. M., et que d’autres encore devenus riches se sont retirés dans leurs foyers ? (Pages 4 et 5.)

Le crédit des monopoleurs ne put cependant se relever. Il fallut avoir recours à de nouveaux moyens.

« En 1647 et 1648, lorsque le parlement s’était élevé au plus haut degré de puissance, et que le roi Charles Ier était retenu prisonnier dans l’île de Wight, une nouvelle souscription fut ouverte, et l’on adopta une politique mise depuis lors assez souvent en pratique. On s’efforça d’obtenir au rang des souscripteurs le plus grand nombre possible de membres du parlement. Lorsque ceux qui avaient part au pouvoir suprême auraient pris un intérêt personnel dans les gains de la Compagnie, on pensait bien que les priviléges de celle-ci ne pourraient manquer d’être protégés et augmentés. Dans l’avertissement qui fixait l’époque après laquelle les souscripteurs ordinaires ne seraient plus admis, il était dit que, par déférence pour les membres du parlement, il leur serait accordé un temps plus éloigné pour prendre cet objet en considération et signer leur souscription. » (Vol. 1, pages 67, 68.)

Cependant les bénéfices de la Compagnie étaient à cette époque trop médiocres pour rendre ses offres bien séduisantes, et les affaires restèrent encore quelque temps en stagnation.

Mais en 1651 et 1652 les Anglais obtinrent au Bengale le premier de ces priviléges particuliers qui furent les avant-coureurs de leur puissance dans l’Inde. Parmi les personnes attachées à leurs factoreries, et qui furent en diverses occasions envoyées à la cour impériale (du Grand-Mogol), il se trouvait par hasard quelques chirurgiens. Un d’eux est cité comme des plus habiles ; c’était un gentleman nommé Boughton. Ces hommes acquirent une grande influence par les cures heureuses qu’ils effectuèrent, et ils employèrent leur crédit en secondant les vues de la Compagnie. On profita si bien de ces circonstances favorables, qu’enfin on obtint, pour la somme de 3,000 roupies une licence du gouvernement, accordant à la Compagnie un commerce illimité, et sans paiement de droits de douane, dans la plus riche province de l’Inde. » (Vol. 1, pag. 70.)

Quelque temps après (en 1654) commencèrent de vives discussions, d’une part, entre quelques propriétaires des capitaux de l’India stock, qui désiraient retirer leurs fonds pour faire le commerce à leur propre compte, et de l’autre avec ceux qui soutenaient que les affaires ne pourraient être bien conduites qu’avec la masse des fonds réunis. L’historien de la Compagnie déduit avec impartialité les argumens employés par les deux partis, et entre dans de grands détails sur ces longs débats qui ne se terminèrent qu’en 1658 par une transaction. Les directeurs, après avoir vanté l’importance et la valeur de leurs possessions, forts et factoreries situés dans les domaines de quatorze souverains différens, consentirent cependant, au nom de l’ancienne Compagnie, à céder le tout à de nouveaux associés pour la faible somme de 20,000 liv. st., qui devait être payée en deux termes.

Après la mort de Cromwell, et lors de la restauration des Stuart, une nouvelle charte fut accordée par le roi Charles ii, et celle-ci investissait la Compagnie de pouvoirs dont elle n’avait pas encore joui.

À chaque changement dans le gouvernement du pays, la Compagnie mettait la plus haute importance à obtenir la confirmation de ses priviléges exclusifs. Elle ne perdit pas de vue cet objet lors de la rentrée de Charles ii, et une pétition fut aussitôt présentée à ce monarque pour le renouvellement de la Charte. Comme il ne paraît pas qu’il se soit formé alors un corps nombreux d’opposans ; comme il était d’ailleurs plus facile d’accorder sans s’enquérir que de faire une enquête et de refuser, la nouvelle charte fut bientôt octroyée sous la date du 3 avril 1661. Celle-ci non-seulement confirmait tous les anciens priviléges de la Compagnie, mais l’investissait en outre du droit de faire la guerre ou la paix avec tout prince ou tout peuple non chrétien, et de se saisir de toutes les personnes non licenciées qui se trouveraient au dedans des limites fixées, et de les envoyer en Angleterre. Les deux articles accordaient, comme on le voit, de bien importans priviléges, et quand on y joignit le droit d’administrer la justice, il se trouva que tous les pouvoirs du gouvernement furent alors, à peu de chose près, remis aux directeurs et à leurs agens, (Vol. 1, pag. 82.)

On usa largement de cette nouvelle autorité, et l’on redoubla d’efforts pour empêcher tout négoce particulier des employés de la Compagnie, mais surtout pour faire exécuter les ordres sévères qui concernaient les Européens. Tous ceux qui inspiraient quelque soupçon étaient saisis et embarqués pour l’Angleterre. Il fallait, dit M. Mill, anéantir cette race de marchands qui empiétaient sur le monopole, et qu’on flétrissait du nom d’interlopers ; c’était à eux qu’on attribuait principalement les pertes et les revers qui avaient cependant bien d’autres causes. Un de ces actes de violence fit beaucoup de bruit en Angleterre, et donna lieu, dans l’année 1666, à de vives discussions entre les deux chambres du parlement. Thomas Skinner, marchand de Londres, qui avait des possessions particulières dans l’Inde où il avait acheté d’un roi de ce pays l’île de Barella, venait d’y expédier, en 1657, un de ses navires avec une riche cargaison. Les agens de la Compagnie se saisirent du vaisseau, des marchandises et de l’île de Barella même. Afin de retarder le plus long-temps possible les réclamations qu’ils pensaient bien que Skinner ne manquerait pas de faire lors de son retour en Angleterre, ils lui refusèrent le passage sur leurs bâtimens, et il fut obligé de prendre la longue route de terre pour se rendre en Europe. Après d’innombrables traverses, il y revint enfin, et adressa ses plaintes au gouvernement. L’affaire fut d’abord portée devant un comité du conseil, et de là renvoyée à la chambre des pairs.

Quand la Compagnie reçut l’ordre de répondre à la plainte, elle refusa d’abord de reconnaître la juridiction de la chambre haute, sous le prétexte qu’elle n’était qu’une chambre d’appel, et par conséquent incompétente pour juger une cause en premier ressort. Cette fin de non-recevoir fut rejetée. La Compagnie en appela alors à la chambre des communes. Les lords indignés procédèrent au jugement et accordèrent au pétitionnaire 5,000 liv. st. en dédommagement. Les communes irritées à leur tour, et ne pouvant faire éprouver à la chambre haute les effets de leur colère, la firent retomber sur la malheureuse victime qui avait déjà tant souffert. Thomas Skinner fut envoyé prisonnier à la Tour. Les lords, poussés à bout par ces procédés, déclarèrent que la pétition adressée par la Compagnie à la chambre des communes était mensongère et scandaleuse. Celle-ci décréta à son tour que quiconque prêterait la main à l’exécution de la sentence de l’autre chambre en faveur de Skinner serait considéré comme violateur des droits et libertés des communes d’Angleterre, et comme ayant enfreint les priviléges de leur chambre. Ces discussions se continuèrent avec une telle animosité des deux parts, que le roi jugea nécessaire d’ajourner sept fois de suite le parlement, et voyant qu’à chaque rentrée elles étaient de nouveau reprises, il fit venir les membres des deux chambres à Whitehall, et parvint enfin, par des moyens persuasifs, à les engager à faire rayer de leurs protocoles tous les votes, résolutions et autres actes qui avaient rapport à cette affaire. Ce fut ainsi que se termina une contestation, dont au reste les deux partis commençaient à se lasser. Le sacrifice et la ruine d’un individu parurent, comme de coutume, de peu d’importance. Skinner n’obtint aucun dédommagement. (Vol. 1, pages 88, 89, 90.)

Malgré la haute protection de la chambre des communes, où la compagnie comptait ses plus nombreux partisans, et malgré les persécutions qu’elle faisait éprouver aux interlopers dans l’Inde, ses opérations commerciales ne prenaient pas encore une grande extension, et ses dettes allaient toujours en augmentant. Les Hollandais continuaient à y faire des affaires bien plus avantageuses, parce qu’ils mettaient moins d’ostentation dans leurs établissemens. M. Mill fait à cet égard les observations suivantes.

« Des factoreries pour le commerce de l’Asie, formées à l’imitation de celles de la Compagnie des Indes, étaient le résultat naturel des fonds réunis (joint stock). Les administrateurs ou directeurs tiraient bien meilleur parti du patronage qu’ils se créaient par ces établissemens, dont ils profitaient seuls, que des bénéfices simplement commerciaux de la Compagnie, dont ils ne recevaient qu’une part assez insignifiante. Le soin que prenait la cour des directeurs de dérober au public la connaissance des affaires de la Compagnie, empêchait d’établir avec exactitude le montant de ses dettes ; mais il paraît qu’à cette époque elles étaient très-considérables. En 1676, on prétendait en Angleterre qu’elles s’élevaient à la somme de 600,000 liv. sterl., et nous avons vu qu’en 1674, les dettes contractées à Surate étaient déjà de 135,000 ; en 1682 et 83, les directeurs autorisèrent l’agence du Bengale à faire un emprunt de 200,000 liv., et dans les deux années suivantes, pour le seul établissement de Bombay, les emprunts furent portés à 300,000 liv. Il est très-probable qu’alors les dettes excédèrent déjà le capital. » (Vol. 1, pag. 101.)

Ce fut cependant vers ce temps que la Compagnie commença à porter son attention sur le commerce de la Chine. Le premier ordre donné pour l’importation du thé, objet de curiosité alors, et devenu depuis d’un usage si général en Angleterre, était conçu en ces termes : « Vous enverrez par ces vaisseaux 100 lbs. du meilleur tey (thé) que vous pourrez vous procurer. » (Bruce’s Annals, vol. ii, pag. 510.)

En 1698, l’ancienne Compagnie eut à lutter contre une nouvelle association rivale, et c’était à qui obtiendrait par les offres les plus séduisantes la protection du gouvernement. La première, dont le privilége expirait trois ans plus tard, offrit de lui prêter 700,000 liv. sterl. à 4 pour 100, si sa charte était renouvelée ; la seconde en offrit 2,000,000 à 8 pour 100, si le monopole était enlevé à la première, et accordé à celle-ci. Le plus offrant remporta la victoire, et l’ancienne Compagnie fut ainsi supplantée par une nouvelle. Ce n’était toujours, il est vrai, qu’un monopole opposé à un autre ; mais il est assez curieux de voir avec quelle puissante logique les derniers monopoleurs surent argumenter contre les premiers, et s’emparer du champ de bataille, sans cependant attaquer le monopole même.

Les directeurs, qui se trouvaient encore investis pour trois années de leur omnipotence dans l’Inde, résolurent de renouveler le combat sur un terrain dont ils disposaient, et qui devait leur être favorable au moins pour se venger de leurs compétiteurs.

Ils firent passer de nouvelles instructions à leurs agens d’outre-mer. Les dernières mesures prises par le parlement, y était-il dit, avaient été dictées par le pouvoir prépondérant d’un parti, et non par la sagesse législative. Les interlopers (c’est ainsi qu’ils qualifiaient la nouvelle Compagnie) l’avaient emporté par l’offre insidieuse d’un commerce libre (fait individuellement par les membres de l’association), et non avec des capitaux réunis, ou joint stock ; mais ils avaient résolu (les anciens directeurs) d’entreprendre de suite de grandes et fréquentes expéditions, et pourvu qu’ils fussent bien secondés par leurs agens, ils feraient échouer toutes les entreprises et spéculations de leurs adversaires. « Deux compagnies des Indes en Angleterre (ce sont leurs propres termes) pouvaient aussi peu exister ensemble que deux rois qui voudraient gouverner en même temps. » Ils ajoutaient qu’on ne pouvait donc pas empêcher qu’une guerre civile n’éclatât entre l’ancienne et la nouvelle compagnie, que cette guerre pourrait durer deux ou trois ans, mais qu’il fallait que l’une détruisît l’autre, et qu’étant les vétérans, ils étaient bien sûrs de remporter la victoire, pour peu que tous leurs serviteurs dans l’Inde fissent leur devoir ; qu’au reste, si le public se divertissait de ces débats, en voyant deux associations acharnées à se ruiner mutuellement, ils n’y sauraient que faire ; qu’ils étaient sur un bon terrain, ayant une ancienne charte, etc.. Pendant que l’ancienne Compagnie avait ainsi à se débattre en Angleterre, elle résolut de faire de nouveaux efforts dans l’Inde, pour obtenir par sa conduite soumise et respectueuse, ainsi que par des offres réitérées de services, d’entrer plus avant dans la faveur de l’empereur du Mogol. Ses soins ne furent pas infructueux ; elle obtint pour son commerce exclusif la concession des villes de Chuttanuttee, Govindpore et Calcutta, et elle commença, mais avec de grandes précautions, afin de ne pas alarmer le gouvernement du pays, la construction d’un fort qui, depuis, reçut le nom de fort Williams. Cette station fut dès-lors érigée en présidence. (Vol. 1, p. 124, 125.)

Après de longs débats, et malgré la haine qu’elles se portaient, les deux Compagnies, pour éviter une ruine totale, prirent enfin le parti de se réunir, et la fusion s’opéra en 1702, sous le règne de la reine Anne. L’acte passa sous le grand sceau au mois de juillet de cette année, et les deux associations adoptèrent le titre de Compagnie unie des marchands faisant le commerce des Indes orientales, titre qu’elle a toujours porté depuis.

Nous terminerons cet article par une dernière citation de l’historien Mill, qui, entre autres détails curieux sur la réunion des deux Compagnies, rapporte l’anecdote suivante, comme un spécimen de la politique ou des intrigues de l’époque : « Sir Basil Firebrace, fameux agioteur, qui avait d’abord été un caboteur ou interloper dans l’Inde, et qui depuis s’était joint à la Compagnie de Londres, intriguait maintenant pour les deux Compagnies. Le 23 avril 1701, dans une réunion de la cour ou conseil général, il annonça qu’il avait un plan à proposer, et selon lequel la réunion désirée ne pouvait manquer de s’effectuer ; mais il demandait quelle récompense lui serait accordée, s’il réussissait dans cette entreprise importante. Par une décision de la cour, le comité des sept fut autorisé à traiter avec sir Basil, et après de longues conférences, il fut enfin arrêté que si ce gentleman effectuait ses promesses, on lui ferait le transfert de 150,000 liv. st. sur le stock de la Compagnie, dont il ne paierait que 80 pour 100, ou en d’autres termes qu’il recevrait 10 pour 100 sur la somme de 150,000 liv., ce qui équivalait à un don de 30,000 liv. pour la réussite de ses intrigues. » (Vol. 1, p. 129.)

Nous nous arrêterons à cette première période des fastes de la Compagnie, commençant par l’expédition du boucanier Lancastre, et finissant avec l’agioteur Firebrace. Le tableau historique va prendre une tout autre couleur. De nouveaux acteurs, les Clive, les Hastings, les Wellesley, d’une part, et de l’autre les Hyder-Aly, les Tipoo-Saeb, les chefs mahrattes et tant de malheureux princes indiens vont animer la scène. Il y avait loin sans doute de l’érection du fort Williams à la subversion du trône du Grand-Mogol et aux victoires remportées en dernier lieu sur les Birmans. Cet espace immense a cependant été franchi en peu d’années. Du petit fortin on est arrivée la possession d’un village, du village à une cité, de la cité à une province, de la province à un royaume, du royaume à un empire. D’humbles marchands, de respectueux pétitionnaires, bornant d’abord tous leurs vœux à l’établissement de quelques factoreries sur les côtes, sont devenus de grands conquérans, de puissans souverains, étendant leur domination de l’Indus au Burrumpouter, du cap Comorin aux monts Himalaya, et cela sans avoir dans ces vastes et fertiles contrées acheté un seul acre de terre. Il n’a fallu que l’emploi de deux moyens, bien puissans il est vrai dans tous les temps, quand ils se trouvent réunis, la ruse et la force.

D. L…

  1. Le désaveu est précieux ; on était généralement imbu de l’opinion contraire.
  2. L’empire britannique dans l’Inde comprend aujourd’hui plus de quatre-vingt millions de sujets ; mais l’autorité de la Compagnie s’exerce en outre, quoique indirectement, sur plus de trente millions d’Indiens qui vivent dans les états des princes réputés indépendans. Ce sont d’anciens souverains soumis à une influence devenue irrésistible, et liés par des traités de subsides qui les obligent à suivre aveuglément les ordres de cette Compagnie, en ce qui concerne la politique extérieure, et à lui fournir des hommes et de l’argent pour toutes les guerres qu’elle entreprend. La Compagnie, de son côté, assure à ces princes une puissance illimitée pour gouverner les sujets qui leur restent, et elle protége en toute circonstance le souverain nominal contre les révoltes du peuple.
  3. The History of Bristish India, by James Mill, esq., third edition. 6 vol. 8o. London, Baldwin, 1826.
  4. Quarterly Oriental Review no 1, janvier 1830.
  5. Mill, vol. 1, pag. 24 ; Harris, vol. 1, pag. 875 ; Andorson, vol. 2, pag. 217, 218 ; Bruce, Annales, vol. 1, pag. 151, 152.
  6. On opposera sans doute bien d’autres argumens aux partisans de la liberté du commerce ; mais il est à désirer, pour l’honneur des avocats du monopole, qu’ils en trouvent de meilleurs que ceux employés par un recueil d’ailleurs très-estimable. L’Asiatic Journal, que la Compagnie fait rédiger dans ses intérêts à Calcutta, et que ses libraires débitent à Londres, ne parle qu’avec indignation, et mépris des adversaires du privilége exclusif. « C’est une bande de révolutionnaires, dit-il dans un de ses derniers numéros de 1829, qui n’ont qu’un seul objet en vue, leur intérêt particulier, et nullement celui de la nation. » Il est certain que tout individu qui s’occupe de spéculations commerciales désire en profiter lui-même ; mais la fortune publique ne s’augmente-t-elle pas par l’aisance des citoyens ? et les bénéfices particuliers n’ajoutent-ils pas sans cesse aux richesses nationales ?
  7. The humble petition and remontrance of the governor and Company of merchants of London, trading to the east Indies, exhibited to the right honourables the lords and commons of the high court of parliament assembled. London, 1641.