Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Manière dont on exerce l’hospitalité


MANIÈRE
DONT ON EXERCE L’HOSPITALITÉ.

Une des vertus les plus remarquables des Afghans, c’est l’hospitalité. Ils s’en font un point d’honneur national, et disent d’un homme qui se refuse à remplir ce devoir, qu’il n’a rien des coutumes du pays. Toutes les personnes indistinctement ont droit à leur bienveillance. On pourroit traverser tout le pays sans argent, et l’on ne seroit peut-être embarrassé que dans les villes.

Une coutume, particulière à ce

peuple, s’appelle le nannawautèe, formé de deux mots, qui signifient je suis entré. Une personne qui a quelque faveur à demander se rend à la maison ou à la tente de celui qu’elle sollicite, et refuse de s’asseoir ou de rien accepter jusqu’à ce qu’on lui ait accordé sa demande. Il y va de l’honneur de celui auprès de qui l’on fait une telle démarche ; le succès en est tellement infaillible, qu’un homme accablé par ses ennemis va faire le nannawautée chez un autre personnage, et le force à prendre fait et cause pour lui. Il y a quelque analogie entre cette manière d’extorquer un bienfait par importunité, et la dhurna des Indiens[1]. La différence est que, pendant la dhurna, aucune des parties ne peut ni boire ni manger, et que c’est le courage de l’une d’elles à supporter plus long-temps la faim qui détermine le succès de la demande. Dans le nannawautée, au contraire, on peut prendre des alimens de part et d’autre, et c’est à l’honneur seul que s’adresse cette interpellation. C’est ainsi que, chez les Romains, le suppliant, entrant dans une maison, se prosternoit en silence, et le front voilé, sur la terre.

La coutume des Grecs ressembloit plutôt à la dhurna indienne. On voit dans l’Odyssée, Ulysse refuser de prendre part au banquet que Circé lui a préparé, jusqu’à ce qu’elle ait consenti à lever le charme jeté par elle sur les compagnons du héros.

La délicatesse d’un Afghan est encore plus vivement piquée, lorsqu’une femme lui envoie son voile, et implore son assistance pour elle-même, ou pour sa famille. Ce fut par cet expédient que la reine, femme de Timur-Schah, obligea Sirafraz-Khan, père du grand-vizir actuel, à l’aider à faire monter Schah-Zemaun sur le trône.

Tout individu qui a pénétré dans la maison d’un Afghan est réputé son hôte, et est sous sa protection. Un malheureux n’a pas d’asile plus sûr que la maison même de son ennemi mortel. Il résulte de là une grande facilité pour l’enlèvement des femmes et pour l’évasion des meurtriers.

La protection que donnent les lois de l’hospitalité ne s’étend pas néanmoins au delà des limites du village, ou tout au plus de la tribu. On a vu des tribus, adonnées au brigandage, accueillir avec humanité un voyageur, et le renvoyer avec des présens, mais le dépouiller lorsqu’il a franchi la ligne précise de démarcation qui rompt leurs devoirs envers lui. L’inconséquence de cette conduite est inexplicable pour un Européen.

Les tribus les plus redoutables par leurs rapines, dans les contrées de l’ouest, sont les Atchoukzyes, branche des Douraunées, et les Nourzyes, qui habitent le désert, sur les frontières de la Perse et du Bélochistan. On peut passer ailleurs avec assez de sûreté, lorsqu’il n’y a point de guerres civiles. Les peuplades pastorales de l’ouest ont plus de goût pour le brigandage que celles qui se livrent aux travaux sédentaires de l’agriculture,

Dans les contrées orientales, les Afghans pillent les voyageurs toutes les fois qu’ils peuvent le faire impunément. S’ils craignent d’être réprimés par l’autorité royale, ils lèvent des contributions exorbitantes.

Il est possible, dans toutes ces tribus, excepté parmi celles des Khyberées, d’obtenir une escorte, moyennant un arrangement pécuniaire avec le roi.

Il faut observer toutefois, à l’honneur des Afghans, que jamais ils n’aggravent leurs vols par le meurtre prémédité. Le voyageur peut perdre la vie en défendant ses biens, mais jamais on ne le tue lorsqu’il a cessé de résister.

  1. Voyez l’ouvrage sur les Marattes, que vient de publier le même Libraire.