CHAPITRE DCCLX.

Fantaisies.


Voilà ce qui dessèche, ruine & dévore les grandes fortunes des empires ; voilà ce qui rend dur & avare ; voilà ce qui empêche d’être juste ; voilà enfin ce qui détruit la liberté politique des nations & la gloire de la patrie. La dévorante prodigalité prend de longs détours, forge de grands mots, s’environne d’un appareil imposant, ébranle les formes antiques, alarme tout un peuple ; pourquoi ? afin de renouveller l’argent dépensé pour des fantaisies, tableaux, diamans, riche orfévrerie, meubles, luxe de décoration, fêtes, équipages, jardins anglais, &c. : voilà les niaiseries, les misères pour lesquelles on tourmente l’espèce humaine.

Les fantaisies n’ont point de bornes ; ce sont des fantômes qui se multiplient comme les rayons colorés d’un prisme. La fortune des États ne suffit point à ces caprices innombrables & changeans. Les révolutions désastreuses, le déshonneur des empires & celui des gouvernemens, ont leur racine dans les fantaisies ; mais elles se punissent elles-mêmes ; car elles éloignent de l’ame insensée qui s’y livre les vraies & pures jouissances.

La manie des jardins anglais, cette caricature parisienne, qui veut représenter, dans quelques arpens, des beautés larges & vraiment originales, couvrant un vaste espace, a ruiné des dépositaires de la fortune publique, qui ont fui honteusement. Tel rocher, amené, construit à grands frais, pour déparer un local tranquille, a plus coûté qu’un hôpital. Ces fantaisies ont toutes un vil caractère de jouissance exclusive ; on n’entre pas dans ces demeures fastueuses qui insultent à la simplicité en voulant saisir son extérieur. Ces promenades champêtres sont sous la clef ; la forêt a des murs.

Si l’on faisoit un régiment des égoïstes, ce régiment égaleroit une armée de Xercès ; que dis-je ! elle seroit plus nombreuse encore. Qui en seroit le colonel ? chacun se croiroit en droit de le nommer, & lui-même alors seroit digne de la place ; mais il est des dépenses si scandaleuses, si injurieuses à la décence, à l’honnêteté, si outrageantes pour les infortunés, si insolentes en ce qu’elles bravent le cri public, qu’on pourroit personnifier l’égoïsme, en nommant tel ou tel individu.

N’ayez pas peur qu’on mette des impôts sur les roues de carrosse, sur les chevaux de selle, sur les chiens de chasse, sur les valets, sur les maîtres-d’hôtel, sur les portes cochères, sur les tableaux & statues, sur les jardins anglais, &c. : ceux qui imposent ont de tout cela. On aime mieux créer des impôts sur la boisson du peuple & sur les comestibles de première nécessité ; c’est-à-dire, qu’on aime mieux diminuer le nombre des moyens de subsistance, qui sont le véritable nerf de la prospérité des nations.

Les impôts quelconques sont moins supportés à Paris par la classe des riches, que par celle des pauvres ; & cette mauvaise règle influe sur les consommations, & diminue, à la lettre, la force physique & morale des individus.