CHAPITRE DLXXV.

Séminaire.


Ce mot formé du substantif latin qui signifie semence, annonce assez l’allusion au mot séminaire.

Là est donc la semence de tous les théologiens qui se répandront sur le globe pour ergoter.

En attendant, ils jeûnent & s’ennuient. Dans l’âge des passions ils s’occupent de theses sorbonniques ; ils ont renoncé à leur sexe pour l’appât d’une place qui les nourrira sans le travail des mains ; mais trop peu nourris, ils cherchent dans des petits-soupers clandestins, une restauration que ne leur offre pas la rigoureuse frugalité de la table du réfectoire. D’un côté un violent appétit, de l’autre une abstinence forcée les obligent d’appeller des mets auxiliaires. Ils se livrent en tremblant à ces agapes furtives qui consistent à boire quelques bouteilles de mauvais vin, & à manger quelques gâteaux qu’un sommelier complice a introduits malgré la regle : ce qui cause un bouleversement total lorsque le supérieur en est instruit.

Il ne manque pas d’appeller ces goûtés des symptomes d’irréligion & d’incrédulité ; & il met sur le compte des livres philosophiques l’amour des pâtisseries & des liqueurs. Sans ces maudits livres on chériroit les plats de la maison, & ils suffiroient à des estomacs dociles, qui n’auroient pas songé, dans leur rébellion, à la nourriture des gens du monde.

Ces séminaristes reclus au moment où la puberté jette dans le cœur de l’homme ses plus vives étincelles, n’ont pour recours que des questions théologiques. Quand quelques livres défendus y pénetrent, la base de ces fameuses theses chancele, & les séminaristes n’ont plus la conviction des vérités dont ils étoient imbus.

Le troupeau en général est stupide, parce qu’il est composé d’une espece de paysans qui n’ont reçu qu’une éducation collégiale, & qui accourent des campagnes s’enfermer dans ces demeures, pour aller ensuite se faire sous-diacres, & passer de là à quelqu’empioi de porte-faix ecclésiastique.

Ces épreuves sacerdotales n’embellissent pas leur physionomie. Quand on rencontre le noir troupeau, l’on voit dix visages grossiers & laids pour une figure agréable. Cela doit frapper dans des hommes qui n’ont pas vingt-cinq ans. La laideur est plus caractérisée chez les séminaristes que dans tout autre assemblage d’hommes.

La moindre suspicion défavorable à la piété vous fait taxer d’encyclopédiste ; le nom de socinien fait trembler les voûtes du séminaire. Il ne faudroit qu’un tome des œuvres de J. J. Rousseau pour fouiller la maison & faire accuser son possesseur d’avoir porté la gangrene du libertinage dans tous les cœurs.

Tous ces prêtres futurs logent dans leur tête les mots qui obscurciront leur entendement & les feront déraisonner le reste de leur vie.

Mais tel jeune prêtre qu’on a disposé à des idées intolérantes, quand il a obtenu une cure à la campagne, au milieu de l’innocence & de la tranquillité des champs, environné de travaux rustiques, conçoit tout-à-coup le vuide des questions oiseuses, s’occupe d’objets champêtres, sourit à la nature, fait le bien, abandonne au milieu des plaines riantes & cultivées ce fatras indigeste qui surchargeoit son entendement dans ces solitudes où l’imagination échauffée se repaît d’idées creuses. Il est à remarquer que le corps le plus utile, les curés de campagne, ont passé par les séminaires : mais ils n’ont fait qu’y passer ; & je parle ici de ceux qui s’imbibent d’idées théologiques.

Je ne leverai point le voile qui couvre quelques déréglemens presqu’inévitables dans ces maisons où l’on entasse à côté l’un de l’autre des jeunes gens dans un âge où l’imagination oisive a le plus d’activité, où les passions encore sans objets ne peuvent que s’égarer.

Les princes jadis se sont disputés à qui établiroit des séminaires ; & l’on a imprimé du séminaire de Saint-Sulpice, qu’il étoit plutôt l’ouvrage de Dieu que celui des hommes.