CHAPITRE DCLXXIII.

Historiographe de France.


Il y a vraiement un historiographe de France, c’est-à-dire, un homme chargé d’écrire l’histoire du regne, & pensionné en conséquence. Qui croiroit qu’une telle place existe ? Elle est de la création de Louis XIV, lequel menoit deux poëtes à la guerre, pour détailler le récit de ses victoires. C’est M. Marmontel, auteur de jolis contes, qui est historiographe de France. Il a succédé à Duclos, qui n’a laissé qu’une préface. M. Marmontel qui a fait des contes & qui rapétasse aujourd’hui des opéra, écrira-t-il l’histoire ?

Il y a encore un autre historiographe de France ; mais il a imprimé, & où ? À l’imprimerie royale : c’est M. Moreau. On connoît ses principes en politique, & l’on a su les apprécier.

Boileau & Racine, chargés de transmettre à la postérité l’histoire de Louis XIV, s’écrioient : qu’ils ne pourroient jamais élever leur style à la majesté, à la grandeur, à la dignité du sujet. En y réfléchissant toute leur vie, ils ont empoché les honoraires ; & heureusement pour leur gloire & pour nous, ils n’ont rien écrit.

Quel terrible emploi que d’écrire l’histoire ! Les siecles s’avancent, & dans peu toutes les actions contemporaines revivront sous la plume de l’historien, ou sous le pinceau du poëte dramatique. On peindra la génération présente ; on verra qui aura menti, flatté, adulé. Quel est le lâche qui aura vendu son ame & son talent à un peu d’or ? Heureux qui pourra dire : je suis un homme sans pension, sans place, qui me suis enfermé dans un asyle avec l’indigence & là liberté ! Ne pourra-t-il pas se flatter de s’être trompé moins fréquemment qu’un autre ?

Les administrateurs des états que la flatterie vénale environne, & qui se laisseroient enivrer des vapeurs séduisantes de l’autorité, pour dompter cette dangereuse situation, n’auroient qu’à lire ce qu’on dit de leurs devanciers. Ils verroient soudain la subordination éternelle des choses politiques. Ils apprendroient de la phisosophie à commander & à se faire aimer ; mais elle ne dit ce grand secret qu’à l’oreille de ses intimes favoris.