CHAPITRE DCVIII.

Jockeis.


Lorsqu’on hasarde de grosses sommes au sort d’une course, l’on purge la surveille les jokeis, afin de les rendre moins lourds & plus dispos. Il ne faut pas les confondre avec les coureurs qui, dit un poëte, sont des animaux.

Précédant un carrosse & qui font faire place,
Automates courans & Biscayens de race,

Qu’on équipe à grands frais, portant visage humain ;
Légers comme le vent, espece d’homme enfin,
Qui conçoit, qui répond, qu’on dresse, qu’on éleve,
Renvoyé s’il vieillit, & remplacé s’il creve.

Un jockei est plus considéré aujourd’hui qu’un coureur. Les femmes assistent aux courses, & ne paroissent avoir aucune pitié de ces adolescens aux cheveux tondus, qui se rendent poussifs ou astmatiques, pour faire gagner M. le duc, lequel remporte le prix de la course dans son lit.

Lorsque les femmes ont vu le matin la course, & le soir d’Auberval, elles parlent de leur sensibilité. On ne voit plus entr’elles que des ajustemens de cheveux. Elles portent des autels à l’amitié, elles récitent des hymnes à l’amitié. Le portrait de la délicieuse amie est caché dans le bracelet ; elles ne parlent plus qu’en s’extasiant des charmes de l’amitié. Cet étalage de sensiblerie date de la même époque que les jockeis ; mais l’on ne sait si les chiffres brodés par l’amitié dureront autant que les courses de chevaux.

Par une suite du même esprit, les femmes conduisent des caleches ; & après avoir passé des nuits au bal, il faut qu’elles prennent parti pour telle ou telle jument. Le jockei perd son nom & ne porte plus que celui de la bête qu’il monte ; il est toujours jugé fort inférieur à l’animal qui réunit tout l’intérêt & tout l’espoir.

Ce n’est pas-là tout-à-fait l’ancien esprit de la chevalerie ; mais il est entiérement éteint. Et qu’importe un ridicule de plus, ajoûté à nos incroyables petits ridicules ? Le tout est de sauver nos jours d’une pesante monotonie, & de varier nos goûts, nos modes, nos enthousiasmes, nos engouemens, afin de ne point perdre ce caractere de frivolité natale, qui nous honore & nous distingue aux yeux de l’Europe.

On a reconnu, il est vrai, qu’un coursier impétueux & docile supposoit à-la-fois la perfection d’une branche d’économie domestique, & l’art important de croiser les races. Mais l’extravagance s’est mêlée aux premieres spéculations, & ce qui pouvoit tourner au profit de l’espece, n’est plus devenu qu’un luxe, fantaisie de prince. L’essentiel étoit que la race des chevaux allât toujours en se perfectionnant : elle n’a point gagné avec ce goût qui, purement de parade, n’a voulu que faire spectacle, tantôt à la plaine des Sablons, tantôt à Vincennes.

Au mois de novembre 1754, milord Poscool fit la gageure de venir de Fontainebleau à Paris en deux heures. Il y a quatorze lieues de distance ; le roi ordonna à la maréchaussée de lever sur la route tous les obstacles qui pourroient causer au coureur le moindre empêchement. Milord Poscool ne se servit point de jockei ; il partit de Fontainebleau à sept heures du matin, & arriva à Paris à huit heures quarante-huit minutes ; il avoit encore douze minutes. Ainsi il gagna cette gageure, & l’on en parla pendant six mois, tant les esprits commençoient à s’échauffer sur les courses.