CHAPITRE DLXXIX.

Lorgnettes.


Il y a des grimaces de mode. De là les lorgnettes encadrées dans le chapeau, dans l’éventail, & qu’on braque à tout propos. D’excellens yeux dissimulent leur perfection pour user d’un instrument inutile, & qui n’annonce le plus souvent que l’affectation. N’en est-ce pas une que celle qui met dans la main de la beauté ce verre qui intercepte le rayon du miroir de l’ame, du foyer de l’amour, & qui lui enleve ce trait si délicat, si tendre, que l’ait & le caprice gâtent & défigurent ?

Que devient l’expression de cet organe éloquent, lorsqu’on ne peut l’appercevoir qu’à travers un crystal qui le fatigue ?

Que l’homme du jour craigne de montrer son ame toute entiere ; que, sachant qu’elle se réfugie dans les regards, il en voile le mouvement expressif ; que cette formule, favorisant son orgueil, le dispense de saluer, l’enleve aux rites officieux d’une politesse fatigante : je vois qu’il veut passer au milieu de la foule sans y reconnoître personne. Mais pourquoi cette affectation perpétuelle dans nos promenades & nos spectacles ? Est-ce parce que nos fats modernes ont entendu dire que les vues miopes appartiennent aux gens doués d’un entendement fin ?

Tandis que la lorgnette est dans la main de la hauteur & du dédain, la coquetterie donne aux yeux de nos jolies femmes des mouvemens presque convulsifs, qui déparent les plus beaux visages.

Ici, c’est une prunelle vive & active qui fait ouvertement la guerre ; mais l’envie de blesser les cœurs est trop sottement caractérisée, & elle n’en atteint aucun. Là, c’est un regard languissant & étudié, qui se porte avec nonchalance à gauche & à droite ; elle croit se donner ainsi l’air du sentiment, & l’on ne montre que le mensonge dans cet organe de la pensée.

On apperçoit dans la même loge les deux extrêmes, l’air distrait & l’air agaçant, qui ont le même but. Je ne parle point de l’effronterie immobile de certains regards qui appartiennent à des femmes aguerries ; je parle de cette affectation de promener incessamment ses yeux, comme si la curiosité étoit toujours dans le même degré d’activité, & de détruire, par une pétulance bizarre ou une langueur mensongere, cette expression naturelle que l’ame donne. La manie de lorgner fait grand tort à de très-beaux yeux ; & les femmes, quelle que soit la foiblesse de leur vue, devroient plutôt renoncer à voir l’objet lointain, que de défigurer ainsi le trait du regard pour ceux qui les environnent.