CHAPITRE DXLIX.

Inscriptions.


Toutes sont en latin ; & d’où viennent les raisons qui propagent cette coutume absurde ? Approche, pédant en us ; dis-moi ce qui te porte à vouloir proscrire, même pour les monumens publics, la langue nationale ? La langue latine a plus de précision. Soit. Eh bien, l’inscription sera un peu plus longue. Pourvu qu’elle soit bonne & intelligible, qu’importent quelques syllabes alongées ? La langue latine durera plus que la langue françoise. Qu’en sais-tu, pédant ? Qui te l’a dit ? Comment oses-tu affirmer ce qui se passera dans mille ans ? Et pour qu’un savant du quarantieme siecle puisse lire facilement ton inscription, faut-il que les trois quarts d’une ville ne sachent point ce qu’on a voulu leur dire ? Vois ce beau vers, qu’on pourroit graver sur le piédestal de la statue de Henri IV :

Seul roi de qui le pauvre ait gardé la mémoire.

Fais mieux ; va, le style lapidaire sera toujours admirable quand il énoncera quelque idée saine & lumineuse.

L’académie françoise a mis ce beau vers au bas du buste de Moliere, placé dans la salle où sa qualité de comédien l’empêcha d’être admis.

Rien ne manque à sa gloire, il manquoit à la nôtre.

Lis à Saint-Eustache l’épitaphe du brave Chevert ; elle est recommandable par sa noble hardiesse.

Sans aïeux, sans fortune, sans appui,
Orphelin dès l’enfance,
Il entra au service à l’âge de onze ans ;
Il s’éleva malgré l’envie à force de mérite,
Et chaque grade fut le prix d’une action d’éclat.
Le seul titre de maréchal de France
A manqué, non pas à sa gloire,
Mais à l’exemple de ceux qui le prendront pour modele.

Eh bien, ces lignes de d’Alembert ne disent-elles pas mieux que n’auroit pu dire un régent de college dans une langue morte ?

Parmi tant d’autres que je pourrois citer, lis encore celle-ci au pied de la statue de Louis XV, à Rheims ; il ne s’agit au reste que de l’expression.

De l’amour des François éternel monument,
Instruisez à jamais la terre,
Que Louis dans nos murs jura d’être leur pere,
Et fut fidele à son serment.

Mais tout pourroit s’arranger encore. Sur le côté de la plaque tournée vers l’œil des citoyens, seroit l’inscription françoise ; & derriere, l’inscription latine, pour le savant antiquaire qui viendroit la lire dans douze cents années. Ainsi tout le monde seroit content. Permis même aux amateurs du grec de graver aussi leurs mots ; mais toujours derriere la plaque.

Comme six cents mille citoyens, faisant des maisons, des bas, des souliers, & pêtrissant le pain que mangent meilleurs les savans, n’ont pas eu le loisir d’aller au college, il faut que les latinistes aient de leur côté la complaisance de leur laisser l’usage de leur langue maternelle, & de ne pas mettre sous les pieds d’un roi un latin qu’il n’a jamais compris, car il ne pourroit pas expliquer lui-même ce qu’on dit à sa louange.

Voici un invalide qui s’avance sur une jambe de bois ; il a perdu un bras à la bataille de Fontenoi ; il s’approche de la statue du monarque pour lequel il a versé son sang. Il sait lire ; mais il ne peut plus reconnoître le nom de la célebre bataille où il fut blessé & vainqueur. Le cruel latiniste lui a enlevé une grande satisfaction, & presqu’un dédommagement.

Quoi ! jamais rien pour le peuple ? Il sera constamment étranger à toutes les jouissances de l’esprit & de l’ame ? Un porteur d’eau, à la fontaine, tandis que son seau se remplit, regardera bouche béante deux vers latins. La patrie n’aura pas voulu communiquer avec lui, même à la fontaine. Il auroit pu retenir une inscription françoise, en faire un motif de consolation dans ses travaux journaliers. Les pédans veulent qu’il n’entende jamais un mot consolateur ; qu’il passe dans le monde avec le chagrin d’avoir vu jusqu’aux monumens publics repousser ses interrogations, & user avec lui d’un langage superbe & inintelligible.

Des inscriptions choisies & semées à propos dans la ville, pourroient former un cours de morale & graver dans l’esprit du peuple des maximes courtes à l’usage de la vie. Mais les pédans, avec les vieux levains des siecles passés, ont gâté la bonne pâte nouvelle. Ils ont ôté aux cantiques offerts à la Divinité l’expression vulgaire qui les rendoit touchans, &, j’ose le dire, sacrés. Ils ont chargé la peinture des fastes de la mythologie. Voilà l’ouvrage des pédans, & voilà ce qu’engendre la procession gothique du recteur, lorsque, traînant dans les rues de Paris les vieux lambeaux des siecles barbares, & en faisant orgueilleusement parade, il croit, en présidant les quatre facultés, marcher à la tête des sciences humaines.

On échappoit jadis à la potence en s’écriant au pied de l’échelle : sum clericus ; mais aujourd’hui que l’on pendroit le plus fameux latiniste de l’université tout comme un garçon serrurier, ce beau privilege anéanti, je ne vois pas ce qui oblige les suppôts des colleges à vouloir graver sur nos monumens un idiôme mort. Seroit-ce pour mieux voiler ainsi le vuide & la petitesse de leurs idées ?